Livv
Décisions

CA Orléans, ch. soc., 8 avril 2004, n° 03-01850

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Herrouin

Défendeur :

Creyf's Intérim (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Chollet

Conseillers :

M. Lebrun, Mme Laurenceau

Avocats :

Me Robiou du Pont, SCP Ernst, Young

CA Orléans n° 03-01850

8 avril 2004

M. Herrouin a été embauché par contrat de travail du 2 janvier 1995 par la société IPS Atlantique, devenue Creyf's Intérim, à la suite d'une fusion absorption, au cours de l'année 2000, en qualité d'assistant commercial à l'agence de Nantes.

En 1996, M. Herrouin a été promu responsable de secteur et est intervenu sur les départements 35, 56, 29 et 22 avec maintien de son bureau administratif à Nantes.

En 1997 un nouveau secteur lui a été attribué comprenant les départements 49, 72, 76, 14 et 50 avec maintien de son bureau à Nantes.

En janvier 2001, il est devenu chef de secteur à Tours, Vendôme, Orléans et la Chapelle.

Le premier mai 2001, un nouveau contrat de travail a été conclu entre les parties, le lieu de travail administratif du salarié étant maintenu à Nantes.

Par lettre du 12 décembre 2001, la société Creyf's Intérim a enjoint au salarié d'implanter son bureau dans l'une des agences de son secteur avant la fin de l'année

Par lettre du 21 décembre 2001, M. Herrouin demande des informations sur les modifications envisagées sur son secteur avant de prendre une décision.

Par lettre du 3 janvier 2002, la société Creyf's Intérim lui a notifié l'obligation d'implanter son bureau dans l'une des trois agences de son secteur à savoir Orléans, Vendôme ou La Chapelle lui confirmant le retrait de l'agence de Tours.

Par lettre du 11 janvier 2002 M. Herrouin a fait part à son employeur de son refus d'accepter cette modification.

Par lettre du 4 février 2002, la société Creyf's Intérim Ouest à notifié à M. Herrouin son licenciement au motif qu'il a refusé de se rapprocher des agences de son secteur, rapprochement rendu nécessaire par les mauvais résultats enregistrés, très éloignés des objectifs fixés.

M. Herrouin a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir diverses indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que le paiement d'une indemnité au titre de la clause de non-concurrence.

Par jugement du 2 juin 2003, le Conseil de prud'hommes de Tours a débouté M. Herrouin de sa demande de dommages et intérêts, constaté la violation de la clause de non-concurrence, condamné M. Herrouin à payer à la société Creyf's Intérim un euro en réparation du préjudice subi.

Le 30 juin 2003 M. Herrouin a interjeté appel de cette décision notifiée le 11 juin 2003.

M. Herrouin souligne le caractère abusif de ce licenciement rappelant s'être plié aux exigences précédentes de son employeur à savoir :

- affectation à la région Centre à effet immédiat au début de l'année 2001

- convocation en vue d'un licenciement pour avoir demandé à être assuré de la garantie de rémunération prévue

- acceptation d'un nouveau contrat de travail sous la menace d'un licenciement

- injonction non fondée d'installer, sous quinzaine, son bureau administratif dans l'une des agences de la région Centre tandis que la plus proche de Tours lui était retirée.

Il fait valoir ainsi que l'exigence de la société Creyf's Intérim s'agissant du changement de destination de son lieu d'installation constituerait une modification de son contrat de travail qu'il exécutait depuis 1995 alors que le nouveau contrat de travail ne stipulait aucune obligation à cet égard.

Il soutient s'agissant des mauvais résultats enregistrés dans son secteur :

- que les agences confiées, en dernier lieu, connaissaient avant son arrivée de très mauvais résultats que la société Creyf's a refusé de communiquer malgré sommation.

- qu'aucun objectif à atteindre n'avait été contractuellement arrêté entre les parties.

Il considère avoir, en réalité, fait l'objet d'un licenciement de nature économique, son poste n'ayant pas été remplacé à son départ de l'entreprise et avoir été affecté par les méthodes déstabilisantes voire harcelantes mises en œuvre contre lui.

Il soutient que l'indemnité de non-concurrence est due dès lors qu'il ne travaillait plus sur Nantes depuis 1996 de sorte que la société Creyf's Intérim ne justifierait plus d'intérêt à lui interdire de travailler postérieurement à son licenciement dans le département 44.

Il précise, au surplus, que le département 44 ne serait pas expressément visé par la clause de non-concurrence dont la rédaction serait ambiguë.

A titre subsidiaire, il soulève la nullité de cette clause, relevant, en premier lieu, que celle-ci ne prévoit de contrepartie financière qu'en cas de rupture à l'initiative de l'employeur et, en second lieu, que cette clause, par son étendue géographique, portant sur vingt-cinq départements, constituait une atteinte à la liberté de travailler non justifiée par la protection des intérêts légitimes de l'entreprise.

Il tend ainsi à voir :

- infirmer la décision entreprise

- déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse

- condamner la société Creyf's Intérim à lui payer les sommes suivantes :

* 45 800 euro à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 4 500 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral

*4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

- constater que le contrat de travail soumis à sa signature de M. Herrouin au mois d'août 2001 exclut expressément le département 44 de la clause de non-concurrence

En conséquence, condamner la société Creyf's Intérim à lui payer à M. Herrouin la somme de 15776,88 euro au titre de l'indemnité de clause de non-concurrence, comptes arrêtés au 31 janvier 2002

Subsidiairement,

Dire la clause de non-concurrence incluse dans le contrat de travail soumis à sa signature en août 2001 nulle.

Exposant le contexte dans lequel il a été demandé à M. Herrouin d'installer son bureau dans l'une des agences de son secteur, la société Creyf's Intérim soutient que le manque d'implication de ce salarié s'est traduit par une baisse très importante du chiffre d'affaires des agences de Tours et Orléans dont il était notamment responsable et que son refus d'exécuter les directives données par sa direction justifient ainsi son licenciement.

La société Creyf's Intérim rappelle que M. Herrouin, exerçant à l'agence IPS Atlantique puis à l'agence Creyf's Intérim de Nantes pendant plus de sept ans, avait conservé, après son affectation à d'autres secteurs, des contrats réguliers avec les clients et intérimaires de cette société en Loire-Atlantique justifiant ainsi que la clause de non-concurrence prévue à son contrat de travail couvre aussi ce département.

Elle prétend, par ailleurs, que la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail en date du premier mai 2001 ne prendrait pas en compte les affectations antérieures à la date d'effet de ce contrat.

Elle note que cette clause de non-concurrence, strictement conforme aux exigences de la convention collective des entreprises de travail temporaire, limitée dans le temps et assortie d'une contrepartie financière, serait valable.

Subsidiairement, elle soutient que, cette clause demeurerait, en tout état de cause, licite dans

la mesure où elle interdirait l'exercice immédiat par le salarié d'une activité concurrente dans l'un des départements où il a travaillé, interdiction non respectée par ce salarié, embauché par une société concurrente, Astone Intérim, à Nantes, dès la fin de son préavis détournant une partie des clients et des intérimaires de la société Creyf's Intérim à son profit.

Précisant avoir engagé la responsabilité de la société Astone au titre d'une action en concurrence déloyale, la société Creyf's sollicite la confirmation du jugement entrepris demandant par appel incident, de condamner M. Herrouin à lui verser à titre de clause pénale la somme de 45 800 euro et d'ordonner le paiement d'une astreinte égale à 304,90 euro par jour de retard à compter de la mise en demeure, signifiée par huissier, de cesser l'infraction.

Elle sollicite aussi 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Sur ce LA COUR

Sur la recevabilité des appels

Attendu que l'appel principal, régulièrement formé dans le délai d'un mois, à compter de la notification du jugement, est recevable ; que l'appel incident est lui-même recevable en application de l'article 550 du nouveau Code de procédure civile;

Au fond

Sur le licenciement

Attendu qu'il résulte des termes du préambule du contrat conclu entre Creyf's Intérim et M. Herrouin, le premier mai 2001, que ce contrat remplaçait et annulait celui conclu le 2 janvier 1995;

Que la société Creyf's Intérim adressait le 12 décembre 2001 un courrier à M. Herrouin dans les termes suivants :

"Depuis le mois de mai 2001 vous êtes responsable du secteur Orléans, Tours, Vendôme, La Chapelle.

Nous avions accepté sur votre demande de baser votre bureau à Nantes à condition que vous assumiez une présence constante sur votre secteur.

Nous devons constater et vous l'avez confirmé en présence de M. Zavattiero, directeur général, lors de notre entretien du 23 novembre 2001 que tel n'était pas le cas.

Cette situation est préjudiciable au bon fonctionnement de votre secteur, tant sur le plan des résultats, qu'en matière de management opérationnel de vos équipes.

En conséquence, nous vous prions de bien vouloir, pour la fin de l'année 2001, implanter votre bureau dans l'une des agences de votre secteur.

Si vous souhaitez vous rapprocher de votre lieu de travail, nous prendrons en charge vos frais de déménagement."

Qu'après avoir réitéré la même demande écrite le 3 janvier 2002, précisant, au surplus, au salarié que le secteur de Tours lui était retiré, l'employeur lui notifiait le 4 février 2002 son licenciement pour les motifs suivants :

"refus de vous rapprocher des agences de votre secteur, rendu nécessaire par leurs mauvais résultats qui sont très éloignés des objectifs fixés.

Ce rapprochement devait également s'effectuer pour assurer un management de proximité incompatible avec une gestion de vos équipes à distance ou par des visites épisodiques et d'une durée beaucoup plus brève.

Les résultats, malheureusement sont édifiants, l'agence de Tours a perdu 136 022 F du premier janvier 2001 au trente novembre 2001. Orléans accuse un déficit de 242 070 F au 30 novembre 2001.

Lors de l'entretien précité, vous n 'avez apporté aucun élément nouveau nous permettant de changer notre avis. En ce qui concerne la perte d'une agence, en l'occurrence Tours, nous vous rappelons que la révision du périmètre des secteurs est un élément expressément visé dans votre contrat de travail".

Que la lettre de licenciement fixe l'objet du litige;

Attendu que M. Herrouin était responsable, depuis mai 2001, du secteur Orléans, Tours, Vendôme, La Chapelle;

Que l'article 3 du contrat de travail précisait :

"le nombre d'agences pourra être réduit ou augmenté lorsque la direction l'estimera nécessaire pour une meilleure gestion de la société. La réduction éventuelle se fera sans contrepartie financière

Qu'ainsi la suppression de l'agence de Tours de son secteur géographique ne constituait pas, par une modification de son contrat de travail ;

Que l'article 5 de ce contrat de travail prévoyait que M. Herrouin exerçait ses fonctions dans l'agence de Nantes étant entendu que cette affectation ne serait pas un élément de son contrat de travail;

Que du fait de ces dispositions, le changement de localisation du seul bureau de rattachement constituait un changement des conditions de travail du salarié relevant du pouvoir de direction de l'employeur et non d'une modification de son contrat de travail;

Qu'au vu des missions assumées par M. Herrouin en sa qualité de responsable de secteur impliquant la gestion des ressources humaines, l'animation commerciale et la gestion administrative et financière de son secteur, la démarche de l'employeur lui enjoignant de se rapprocher des agences du secteur dont il avait la responsabilité relevait de son pouvoir d'organisation et était, au surplus, justifiée par les mauvais résultats enregistrés dans ce secteur et in nécessité de le réorganiser peu important l'existence de ces déficits avant l'arrivée de M. Herrouin;

Attendu que le licenciement de M. Herrouin repose, dès lors, sur une cause réelle et sérieuse de licenciement;

Qu'il convient de débouter le salarié de ses demandes à ce titre;

Sur la clause de non-concurrence

Attendu que l'article 16 du contrat de travail prévoyait une clause de non-concurrence libellée dans les termes suivants:

" Vous vous interdisez pendant et à l'expiration du présent contrat et quel qu'en soit le motif même si la rupture intervient au cours de la période d 'essai, de vous intéresser directement ou indirectement, pour votre compte ou celui d'un tiers, à quelque titre que ce soit, salarié ou non salarié, à une autre entreprise susceptible de faire concurrence au groupe Creyf's Intérim.

Sur le plan territorial, cette clause de non-concurrence porte sur tous les départements de la ou des régions où vous exercez vos fonctions, ainsi que les départements limitrophes, soit 56-35-53-49-85

Dans le cas d'un changement d'affectation, la couverture territoriale s'exercera également sur le ou les départements de vos nouvelles fonctions, ainsi que les départements limitrophes.

Cette clause portera son plein effet pendant les vingt-quatre mois qui suivront la fin de votre contrat de travail, sauf accord écrit de la direction ".

Que cette clause prévoyait en outre une contrepartie financière selon les modalités suivantes :

"En cas de rupture à l'initiative de l'employeur, et à l'exclusion de faute grave ou lourde, le collaborateur percevra pendant la première année de non-concurrence, une contrepartie financière d'un montant mensuel égal à 20 % de la moyenne mensuelle de sa rémunération au cours de ses trois derniers mois d'activité dans l'entreprise et de 10 % la 2e année. Cette indemnité sera versée chaque mois aux dates normales de paiement des salaires du personnel de la société, à partir de la fin de la période de préavis, la non-exécution totale ou partielle du préavis ne modifiant pas la date de début d'indemnisation."

Que l'employeur a maintenu cette clause de non-concurrence au moment du licenciement;

Attendu, cependant, que cette clause fût-elle conforme à la convention collective, visant exclusivement le cas de rupture à l'initiative de l'employeur et ne prévoyant aucune indemnité en cas de démission du salarié tout en imposant à celui-ci, quelles que soient les modalités de la rupture ou la partie qui en a pris l'initiative d'une interdiction d'exercer une profession se rapportant directement ou indirectement à une entreprise susceptible de faire concurrence au groupe Creyf's Intérim, doit être déclarée nulle au regard des conditions de validité et du principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle quelles que soient les circonstances de la rupture;

Qu'il convient, dès lors, de débouter tant le salarié de sa demande d'indemnité au titre de la contrepartie financière prévue à cette clause que l'employeur de ses demandes au titre du non-respect par le salarié de celles-ci;

Que par ailleurs, même à supposer que cette clause soit valable, si celle-ci ne visait pas expressément le département 44, les départements limitrophes référencés étaient tous limitrophes au département de la Loire Atlantique ; que ce département 44 faisait donc partie des départements dans lesquels s'exerçait la clause de non-concurrence;

Que le salarié ne contestant pas avoir travaillé à Nantes, postérieurement à la rupture du contrat de travail, il conviendrait, en toute hypothèse, de le débouter de sa demande d'indemnité au titre de la contrepartie financière prévue à cette clause, étant observé au surplus qu'il n'a subi lui-même aucun préjudice en s'installant à Nantes;

Qu'il convient, dès lors, de débouter l'employeur de ses demandes au titre du non-respect par le salarié de cette clause;

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Attendu, en l'espèce, chacune des parties succombant en partie dans ses prétentions de leur laisser la charge des frais irrépétibles exposés tout au long de l'instance

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare les appels recevables, Confirme le jugement du 2 juin 2003 en ce qu'il a déclaré le licenciement justifié et débouté Monsieur Herrouin de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 122-14 du Code du travail, Infirmant pour le surplus, cette décision, et statuant à nouveau : Déclare nulle la clause de non-concurrence prévue au contrat de travail en date du 1er mai 2001, Déboute les parties du surplus de leurs demandes Partage par moitié, entre les parties, les dépens de première instance et d'appel.