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Décisions

CJCE, 25 juillet 1991, n° C-190/89

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Marc Rich & Co. AG

Défendeur :

Società Italiana Impianti PA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, O'Higgins, Rodríguez Iglesias

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

Sir Gordon Slynn, MM. Joliet, Schockweiler, Grévisse, Zuleeg

Avocat :

Me Iain Milligan

CJCE n° C-190/89

25 juillet 1991

LA COUR,

1 Par ordonnance du 26 janvier 1989, parvenue à la Cour le 31 mai suivant, la Court of Appeal d'Angleterre et du pays de Galles a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 concernant l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après "convention "), trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de certaines dispositions de cette convention.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige pendant devant ladite juridiction entre Marc Rich & Co. AG, société ayant son siège à Zug, en Suisse (ci-après "Marc Rich "), d'une part, et la Società Italiana Impianti PA, ayant son siège à Gênes, en Italie (ci-après "Impianti "), d'autre part.

3 Il ressort du dossier transmis à la Cour que, par télex du 23 janvier 1987, Marc Rich a fait une offre d'achat de pétrole brut iranien franco-bord à Impianti. Le 25 du même mois, cette dernière a accepté cette offre sous réserve de certaines conditions supplémentaires. Le 26 janvier, Marc Rich a confirmé l'acceptation de ces conditions supplémentaires avant d'envoyer, le 28 janvier, un nouveau télex précisant les termes du contrat et comportant la clause suivante :

"Droit applicable et arbitrage

L'interprétation, la validité et l'exécution du présent contrat seront soumises au droit anglais. Si une contestation survenait entre l'acheteur et le vendeur, la question contestée serait portée devant trois personnes à Londres. Chacune des parties désignerait une personne, et ces deux personnes en désigneraient une troisième; leur décision ou celle de deux d'entre elles serait définitive et lierait les deux parties."

4 Le chargement du pétrole sur le navire désigné alors par Marc Rich a été achevé le 6 février. Le même jour, Marc Rich a invoqué une grave détérioration de la cargaison, entraînant un préjudice qui serait supérieur à 7 millions de USD.

5 Le 18 février 1988, Impianti a assigné Marc Rich devant le tribunal de Gênes (Italie) en vue d'obtenir une déclaration la dégageant de toute responsabilité à son égard. L'assignation a été notifiée le 29 février 1988 à la société Marc Rich, laquelle a conclu, le 4 octobre 1988, à l'incompétence de la juridiction italienne en invoquant l'existence de la clause compromissoire.

6 C'est également le 29 février 1988 que Marc Rich a entamé à Londres la procédure d'arbitrage, à laquelle Impianti a refusé de participer. Le 20 mai 1988, Marc Rich a alors engagé devant la High Court à Londres une action tendant à obtenir la désignation d'un arbitre en application de l'article 10, paragraphe 3, de l'Arbitration Act de 1950. Par décision du 19 mai 1988, la High Court avait autorisé la notification en Italie de l'acte introductif d'instance adressé à Impianti.

7 Le 8 juillet 1988, Impianti a demandé l'annulation de cette autorisation en faisant valoir que le litige réel entre les parties est lié à la question de savoir si le contrat en cause contient ou non une clause d'arbitrage. Un tel litige entrerait dans le champ d'application de la convention et devrait en conséquence être jugé en Italie. Selon Marc Rich au contraire, ce litige échapperait, conformément à l'article 1er de la convention, au champ d'application de celle-ci.

8 La High Court a jugé, le 5 novembre 1988, que la convention ne s'appliquait pas, que le contrat entre les parties était réputé soumis au droit anglais et qu'il y avait lieu d'autoriser la notification à l'étranger.

9 Saisie du litige en appel, la Court of Appeal a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) L'exception de l'article 1er, paragraphe 4, de la convention s'étend-elle :

a) à tous les litiges ou jugements et, dans l'affirmative,

b) aux litiges ou jugements où la question de l'existence initiale d'une convention d'arbitrage est en cause?

2) Si le présent différend relève de la convention et non de l'exception à la convention, les acheteurs peuvent-ils néanmoins attribuer compétence aux juridictions anglaises en vertu :

a) de l'article 5, paragraphe 1, de la convention et/ou

b) de l'article 17 de la convention?

3) Si les acheteurs sont en mesure d'attribuer compétence aux juridictions anglaises autrement qu'en vertu du point 2 ci-dessus,

a) la cour de céans doit-elle se dessaisir ou devrait-elle surseoir à statuer en vertu de l'article 21 de la convention, ou bien

b) la cour de céans devrait-elle surseoir à statuer en vertu de l'article 22 de la convention au motif que le tribunal italien a été le premier saisi?"

10 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire au principal, du déroulement de la procédure et des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la première question

11 La première question posée par la juridiction nationale vise en substance à savoir si l'article 1er, deuxième alinéa, point 4, de la convention doit être interprété en ce sens que l'exclusion qu'il prévoit s'étend à un litige pendant devant une juridiction étatique qui a pour objet la désignation d'un arbitre et, dans l'affirmative, si cette exclusion s'applique également lorsqu'un tel litige soulève au préalable la question de l'existence ou de la validité d'une convention d'arbitrage. Ces deux points seront examinés successivement.

12 L'article 1er de la convention dispose dans son premier alinéa qu'elle s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Selon le deuxième alinéa de cet article, sont exclus du champ d'application de la convention :

1)

...

4) "l'arbitrage ".

En ce qui concerne l'exclusion du champ d'application de la convention des litiges ayant pour objet la désignation d'un arbitre

13 Impianti estime que l'exclusion visée à l'article 1er, point 4, de la convention ne s'applique pas aux procédures introduites devant des juridictions étatiques, ni aux décisions rendues par ces dernières. Elle soutient, qu'à strictement parler, "l'arbitrage" vise les procédures introduites devant les personnes privées investies par les parties du pouvoir de trancher leur litige. Impianti fonde cette thèse en substance sur l'objectif de l'article 220 du traité, qui vise à établir un système complet pour la libre circulation des décisions qui résolvent un litige. En conséquence, il serait légitime de donner à l'article 1er, deuxième alinéa, point 4, de la convention une portée qui évite des lacunes dans le système juridique de la libre circulation des décisions mettant fin à un litige.

14 Marc Rich et les gouvernements qui ont déposé des observations soutiennent une interprétation large de la notion d'arbitrage, excluant dans tous les cas du champ d'application de la convention un différend portant sur la désignation d'un arbitre.

15 La convention vise, selon son préambule, à mettre en œuvre les dispositions de l'article 220 du traité CEE relatives à la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires. Aux termes de l'article 220, quatrième alinéa, du traité, les États membres engageront entre eux, en tant que de besoin, des négociations en vue d'assurer, en faveur de leurs ressortissants, la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires ainsi que des sentences arbitrales.

16 En se référant aux décisions judiciaires et aux sentences arbitrales, l'article 220 du traité vise donc à la fois les procédures intentées devant des juridictions étatiques qui se terminent par une décision judiciaire, et celles qui sont introduites devant des arbitres privés et qui se terminent par des sentences arbitrales. Toutefois, il ne s'ensuit pas que la convention, dont l'objet est notamment la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires, doive nécessairement recevoir un champ d'application large. En effet, l'article 220 incitant les États membres à engager des négociations "en tant que de besoin", il leur incombe de déterminer l'étendue de leur accord.

17 S'agissant de l'exclusion de l'arbitrage du champ d'application de la convention, le rapport d'experts établi à l'occasion de l'élaboration de la convention (JO 1979, C 59, p. 1) explique que :

"De nombreux accords internationaux règlent déjà la matière de l'arbitrage qui est également mentionnée à l'article 220 du traité de Rome. En outre, le Conseil de l'Europe a élaboré une convention européenne portant loi uniforme en matière d'arbitrage qui sera vraisemblablement assortie d'un protocole destiné à faciliter, davantage que ne le fait la convention de New York, la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales. C'est pourquoi il a paru préférable d'exclure la matière de l'arbitrage."

18 Or, les accords internationaux et notamment la convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (faite à New York, le 10 juin 1958, Recueil des traités des Nations unies, vol. 330, p. 3) auxquels il est ainsi fait référence, établissent des règles qui doivent être respectées non pas par les arbitres eux-mêmes, mais par les juridictions des États contractants. Ces règles concernent, par exemple, le renvoi des parties à un litige à l'arbitrage ou la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales. Il s'ensuit que, en excluant du champ d'application de la convention la matière de l'arbitrage au motif que celle-ci faisait déjà l'objet de conventions internationales, les parties contractantes ont entendu exclure l'arbitrage en tant que matière dans son ensemble, y compris les procédures introduites devant les juridictions étatiques.

19 En ce qui concerne plus particulièrement la désignation d'un arbitre par une juridiction étatique, il y a lieu de constater qu'il s'agit d'une mesure étatique destinée à mettre en œuvre une procédure d'arbitrage. Une telle mesure relève dès lors de la matière de l'arbitrage et, ainsi, elle est visée par l'exclusion de l'article 1er, deuxième alinéa, point 4, de la convention.

20 Cette interprétation ne saurait être mise en cause par le fait que les accords internationaux en question n'ont pas été signés par tous les États membres et ne couvrent pas tous les aspects de la matière de l'arbitrage et notamment pas la procédure concernant la nomination des arbitres.

21 Elle est, par ailleurs, corroborée par l'avis des experts qui figure dans leur rapport établi à l'occasion de l'adhésion du Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni à la convention, en vertu duquel la convention ne s'applique pas aux procédures judiciaires qui servent à la mise en œuvre d'une procédure d'arbitrage, telles que les procédures de désignation ou de récusation d'un arbitre (JO 1979, C 59, p. 95). De même, dans le rapport établi à l'occasion de l'adhésion de la Grèce à la convention, les experts ont estimé que l'intervention d'un tribunal pour la constitution de l'organe arbitral est exclue du champ d'application de la convention (JO 1986, C 298, p. 1).

En ce qui concerne l'incidence d'une question préalable relative à l'existence ou à la validité de la convention d'arbitrage sur l'application de la convention au litige en cause

22 Impianti soutient à cet égard que l'exclusion prévue à l'article 1er, deuxième alinéa, point 4, de la convention, ne s'étend pas aux litiges ou décisions judiciaires relatifs à l'existence ou la validité d'une convention d'arbitrage. Cette exclusion ne s'appliquerait pas non plus lorsque l'arbitrage constitue non pas l'objet principal, mais seulement un point accessoire ou incident de la procédure.

23 Impianti estime que, si l'on n'adoptait pas cette interprétation, la simple allégation par l'une des parties de l'existence d'une clause d'arbitrage permettrait à cette partie d'éluder l'application de la convention.

24 En tout état de cause, l'exception établie à l'article 1er, deuxième alinéa, point 4, de la convention, ne saurait, selon Impianti, s'appliquer dans l'hypothèse où l'existence ou la validité d'une convention d'arbitrage fait l'objet d'un litige devant différentes juridictions relevant de la convention, indépendamment de la question de savoir si ce point a été soulevé à titre principal ou à titre préalable.

25 La Commission partage l'avis d'Impianti pour autant que la question de l'existence ou de la validité d'une convention d'arbitrage se pose à titre préalable.

26 Ces interprétations ne peuvent pas être retenues. Pour déterminer si un litige relève du champ d'application de la convention, seul l'objet de ce litige doit être pris en compte. Si, par son objet, telle la désignation d'un arbitre, un litige est exclu du champ de la convention, l'existence d'une question préalable, sur laquelle doit statuer le juge pour trancher ce litige, ne peut, quel que soit le contenu de cette question, justifier l'application de la convention.

27 Il serait d'ailleurs contraire au principe de la sécurité juridique, qui constitue l'un des objectifs de la convention (voir arrêt du 4 mars 1982, Effer, point 6, 38-81, Rec. p. 825), que l'applicabilité de l'exclusion prévue par l'article 1er, deuxième alinéa, point 4, puisse varier au gré de l'existence d'une question préalable, qui peut être soulevée à tout moment par les parties.

28 Il en résulte que, dans le cas visé par le présent renvoi préjudiciel, la circonstance qu'une question préalable porte sur l'existence ou sur la validité de la convention d'arbitrage est sans incidence sur l'exclusion, du champ d'application de la convention, d'un litige dont l'objet est la désignation d'un arbitre.

29 Dans ces conditions, il convient de répondre que l'article 1er, deuxième alinéa, point 4, de la convention doit être interprété en ce sens que l'exclusion qu'il prévoit s'étend à un litige pendant devant une juridiction étatique qui a pour objet la désignation d'un arbitre, même si ce litige soulève au préalable la question de l'existence ou de la validité d'une convention d'arbitrage.

Sur les deuxième et troisième questions

30 Compte tenu de la réponse donnée à la première question, les deuxième et troisième questions sont devenues sans objet.

Sur les dépens

31 Les frais exposés par les Gouvernements allemand, français et du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle posées par la Court of Appeal d'Angleterre et du pays de Galles, par ordonnance du 26 janvier 1989, dit pour droit :

L'article 1er, deuxième alinéa, point 4, de la convention doit être interprété en ce sens que l'exclusion qu'il prévoit s'étend à un litige pendant devant une juridiction étatique qui a pour objet la désignation d'un arbitre, même si ce litige soulève au préalable la question de l'existence ou de la validité d'une convention d'arbitrage.