Livv
Décisions

CJCE, 26 février 1992, n° C-280/90

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hacker

Défendeur :

Euro-Relais GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Grévisse, Kapteyn

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

MM. Mancini, Kakouris, Moitinho de Almeida, Díez de Velasco, Zuleeg, Murray

Avocats :

Mes Kuehn, Jaeger, Wolf-Dietrich Krause-Ablass, Sturm

CJCE n° C-280/90

26 février 1992

LA COUR,

1 Par ordonnance du 28 juin 1990, parvenue à la Cour le 14 septembre suivant, le Landgericht Koeln a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après "convention "), deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 16, point 1, de la convention.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Mme Hacker, domiciliée en République fédérale d'Allemagne, à Euro-Relais GmbH (ci-après "Euro-Relais "), organisateur professionnel de voyages faisant de la publicité par voie de prospectus et ayant son siège en République fédérale d'Allemagne. Le litige portait sur un contrat intitulé "contrat de bail" et conclu entre eux le 5 avril 1989 également en République fédérale d'Allemagne.

3 En vertu dudit contrat, Euro-Relais s'engageait, moyennant paiement, à procurer, pour la période allant du 29 juillet au 12 août 1989, à Mme Hacker ainsi qu'à six personnes qui l'accompagnaient, l'usage d'une maison de vacances, située à Ameland, aux Pays-Bas, dont Euro-Relais n'était pas propriétaire. Il était également stipulé dans le contrat que, moyennant une rémunération supplémentaire, Euro-Relais s'engageait à effectuer pour le compte de Mme Hacker la réservation de la traversée par bateau vers Ameland, le prix de cette traversée étant lui-même payable séparément par Mme Hacker à l'entreprise de navigation.

4 Estimant que la surface de la maison de vacances était inférieure à celle qui apparaissait dans le prospectus d'Euro-Relais et considérant qu'elle avait, pour cette raison, été contrainte d'abord de louer une pièce supplémentaire et ensuite d'écourter ses vacances, Mme Hacker a introduit contre Euro-Relais une demande en justice devant l'Amtsgericht Koeln, par laquelle elle a exigé une réduction du prix payé, des dommages-intérêts pour la location d'une pièce supplémentaire et des dommages-intérêts pour perte du bénéfice des vacances.

5 L'Amtsgericht ayant rejeté la demande de Mme Hacker, cette dernière a saisi en appel le Landgericht Koeln, qui, estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation de l'article 16, point 1, de la convention, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

"1) Se trouve-t-on en présence d'un contrat de bail au sens de l'article 16, point 1, de la convention, lorsqu'un organisateur de voyages et un client ayant tous deux respectivement leur siège et leur domicile en République fédérale d'Allemagne concluent en République fédérale d'Allemagne un contrat obligeant l'organisateur de voyages à procurer au client, pour quelques semaines, l'usage d'un logement de vacances, situé aux Pays-Bas, qui n'est pas la propriété de l'organisateur de voyages ainsi qu'à assurer la réservation du passage?

a) une demande en réduction de prix en raison d'un prétendu défaut de la maison de vacances;

b) une demande de dommages-intérêts fondée sur le fait qu'en raison d'un prétendu défaut de la maison de vacances, il a été nécessaire de louer une pièce supplémentaire;

c) une demande de dommages-intérêts en raison d'un congé non mis à profit?"

6 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure, ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la première question

7 L'article 16 de la convention, applicable aux faits au moment où est né le litige au principal est rédigé comme suit :

"Sont seuls compétents, sans considération de domicile :

1. en matière de droits réels et de baux d'immeubles, les tribunaux de l'État contractant où l'immeuble est situé;

... ".

8 Ainsi que la Cour l'a relevé dans l'arrêt du 15 janvier 1985, Roesler, point 19 (241-83, Rec. p. 99), la compétence exclusive prévue par l'article 16, paragraphe 1, en faveur des tribunaux de l'État contractant où l'immeuble est situé a sa raison d'être dans le rattachement étroit des baux au régime juridique de la propriété immobilière et aux dispositions, de caractère généralement impératif, qui règlent son usage, telles que les législations relatives au contrôle du niveau des loyers et à la protection des droits des locataires et fermiers.

9 Dans l'arrêt précité, la Cour a également relevé que l'article 16, paragraphe 1, vise à assurer une répartition rationnelle des compétences, en donnant sa préférence à la juridiction compétente en raison de sa proximité de la situation de l'immeuble, en ce qu'elle est mieux en mesure d'avoir une connaissance directe des situations de fait liées à la conclusion et à l'exécution des baux immobiliers (point 20).

10 C'est à la suite de ces considérations que la Cour a été amenée à considérer que la disposition en question s'applique à tout contrat de location de propriété immobilière, quelles que soient ses caractéristiques particulières (point 24).

11 Il convient toutefois de rappeler que la Cour avait auparavant précisé, ainsi qu'il résulte de l'arrêt du 14 décembre 1977, Sanders, points 15 et 16 (73-77, Rec. p. 2383), que si de telles considérations expliquent l'attribution en matière de baux d'immeubles proprement dits d'une compétence exclusive aux tribunaux du pays où l'immeuble est situé, en revanche elles ne s'appliquent pas lorsque l'objet principal du contrat est d'une nature différente.

12 Il résulte également du même arrêt que l'attribution, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'une compétence exclusive aux tribunaux d'un État contractant dans le cadre de l'article 16 de la convention, a pour effet de priver les parties du choix du for qui autrement serait le leur, et, dans certains cas, de les attraire devant une juridiction qui n'est la juridiction propre du domicile d'aucune d'entre elles (point 17). Cette considération conduit à ne pas interpréter les dispositions de l'article 16 dans un sens plus étendu que ne le requiert leur objectif (point 18).

13 C'est sur la base de ces motifs que la Cour a été amenée à considérer que l'article 16, paragraphe 1, ne s'applique pas à un contrat relatif à l'exploitation d'un fonds de commerce.

14 Or, la situation est analogue en ce qui concerne un contrat du type de celui qui est en cause dans le litige au principal, et qui est conclu entre un organisateur professionnel de voyages et son client au lieu où ils ont respectivement leur siège et domicile. En effet, indépendamment de son intitulé et bien qu'il prévoie une prestation portant sur l'usage d'un logement de vacances pour une courte durée, un tel contrat comporte également d'autres prestations, tels les informations et conseils par lesquels l'organisateur de voyages propose au client un éventail de choix pour les vacances, la réservation d'un logement pour la période choisie par le client, la réservation de places pour le transport, l'accueil sur place et, éventuellement, une assurance pour annulation du voyage.

15 Un tel contrat complexe portant sur un ensemble de prestations de services fournies contre un prix global payé par le client se situe en dehors du domaine dans lequel le principe de la compétence exclusive prévue par l'article 16, paragraphe 1, trouve sa raison d'être, et ne saurait constituer un contrat de bail proprement dit au sens de cet article tel qu'interprété par l'arrêt précité, du 14 décembre 1977.

16 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la première question posée par la juridiction nationale que l'article 16, paragraphe 1, de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à un contrat conclu dans un État contractant par lequel un organisateur professionnel de voyages, ayant son siège social dans cet État, s'engage vis-à-vis d'un client, domicilié dans le même État, à procurer à ce dernier, pour quelques semaines, l'usage d'un logement de vacances situé dans un autre État contractant, qui n'est pas la propriété de l'organisateur de voyages, ainsi qu'à assurer la réservation du voyage.

Sur la seconde question

17 Compte tenu de la réponse donnée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre à la seconde question posée par la juridiction nationale.

Sur les dépens

18 Les frais exposés par la République fédérale d'Allemagne, le Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent pas faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Landgericht Koeln, par ordonnance du 28 juin 1990, dit pour droit :

L'article 16, paragraphe 1, de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à un contrat conclu dans un État contractant par lequel un organisateur professionnel de voyages, ayant son siège social dans cet État, s'engage vis-à-vis d'un client, domicilié dans le même État, à procurer à ce dernier, pour quelques semaines, l'usage d'un logement de vacances situé dans un autre État contractant, qui n'est pas la propriété de l'organisateur de voyages, ainsi qu'à assurer la réservation du voyage.