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Décisions

CJCE, 5e ch., 15 septembre 1994, n° C-318/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Brenner, Noller

Défendeur :

Dean Witter Reynolds Inc.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

MM. Joliet, Rodríguez Iglesias, Grévisse, Zuleeg

Avocats :

Mes Klaas, Böhlke

CJCE n° C-318/93

15 septembre 1994

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par ordonnance du 25 mai 1993, parvenue à la Cour le 16 juin suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation, par la Cour de justice, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, ci-après la "convention"), plusieurs questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 13 et 14 de la convention.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de litiges opposant M. Brenner, artisan menuisier indépendant, et M. Noller, technicien salarié du textile, tous deux domiciliés en République fédérale d'Allemagne, à la société Dean Witter Reynolds Inc., une entreprise de courtage ayant son siège à New York.

3 Ainsi qu'il ressort de l'ordonnance de renvoi, les demandeurs ont, en dehors de leurs activités professionnelles, confié à la défenderesse la réalisation d'opérations à terme sur marchandises, dans le cadre d'un contrat de commission.

4 Les demandeurs ont versé des sommes considérables, qui ont été absorbées entièrement, à l'exception d'un faible reliquat, par les pertes subies à la suite de spéculations.

5 La défenderesse fait de la publicité en Allemagne par l'entremise de la Dean Witter Reynolds GmbH, société allemande sise à Francfort. Toutefois, les parties s'accordent à reconnaître que le contact entre elles a été établi exclusivement par l'intermédiaire de la Metzler Wirtschafts-und Börsenberatungsgesellschaft mbH (ci-après "MWB"), une société de conseil économique et boursier, établie à Francfort, laquelle est indépendante de la défenderesse.

6 Les demandeurs ont réclamé le versement de dommages-intérêts en invoquant une violation par la défenderesse de ses obligations contractuelles et précontractuelles, un comportement délictueux caractérisé par la présentation de factures de frais injustifiées se rapportant à un grand nombre de transactions, en partie absurdes ("churning"), ainsi que l'enrichissement sans cause.

7 Le Landgericht saisi par les demandeurs a décliné sa compétence à l'égard de la défenderesse. Ses décisions ont été confirmées en degré d'appel. MM. Brenner et Noller ont alors formé un pourvoi en révision devant le Bundesgerichtshof (ci-après le "BGH").

8 Le BGH estime que, sur la base des faits établis par les juges du fond, seuls les articles 13 et 14 de la convention peuvent éventuellement fonder la compétence internationale des tribunaux allemands.

9 L'article 13 de la convention dispose:

"En matière de contrat conclu par une personne pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, ci-après dénommée le consommateur, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l'article 4 et de l'article 5 paragraphe 5;

1) lorsqu'il s'agit d'une vente à tempérament d'objets mobiliers corporels;

2) lorsqu'il s'agit d'un prêt à tempérament ou d'une autre opération de crédit liés au financement d'une vente de tels objets;

3) pour tout autre contrat ayant pour objet une fourniture de services ou d'objets mobiliers corporels si:

a) la conclusion du contrat a été précédée dans l'État du domicile du consommateur d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité

et que

b) le consommateur a accompli dans cet État les actes nécessaires à la conclusion de ce contrat.

Lorsque le cocontractant du consommateur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État contractant, mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État contractant, il est considéré pour les contestations relatives à leur exploitation comme ayant son domicile sur le territoire de cet État.

La présente section ne s'applique pas au contrat de transport."

- L'article 14, premier alinéa, prévoit ensuite:

"L'action intentée par un consommateur contre l'autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant les tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel est domicilié le consommateur."

- Le BGH relève que, dans la présente affaire, l'autre partie au contrat n'est pas domiciliée dans un État contractant et qu'aucune succursale, agence ou autre établissement, au sens de l'article 13, deuxième alinéa, de la convention n'est intervenu lors de la conclusion ou de l'exécution du contrat. Il se demande si, dans pareille situation, il est seulement exclu que le consommateur puisse intenter une action contre l'autre partie au contrat devant les tribunaux de l'État sur le territoire duquel est domiciliée cette partie ou s'il est également exclu que l'action puisse être intentée devant les tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel est domicilié le consommateur. Selon le BGH, l'article 4, premier alinéa, de la convention pourrait plaider pour cette dernière interprétation, puisqu'il soumet l'applicabilité de la convention à la condition que le défendeur soit domicilié sur le territoire d'un État contractant.

12 Dans ces conditions, le BGH a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

"1. Une réponse affirmative à la question de la compétence internationale de l'État du domicile du consommateur, en application de l'article 14, premier alinéa, deuxième branche de l'alternative, de la convention, présuppose-t-elle que le cocontractant ait son domicile dans un État contractant ou qu'en application de l'article 13, deuxième alinéa, de ladite convention, il y ait lieu de le traiter comme si tel était le cas?

2. L'article 13, premier alinéa, point 3, de la convention vise-t-il également les contrats de commission qui portent sur la réalisation d'opérations à terme sur des marchandises?

3. Suffit-il pour que l'article 13, premier alinéa, point 3, sous a) de la convention s'applique, que le cocontractant du consommateur ait fait, avant la conclusion du contrat, de la publicité dans l'État du domicile du consommateur, ou la disposition exige-t-elle qu'il y ait un lien entre la publicité et la conclusion du contrat?

4. a) La notion de mati ère contractuelle de l'article 13, premier alinéa, de la convention couvre-t-elle outre les demandes de dommages-intérêts pour violation des obligations contractuelles, également les demandes qui sont fondées sur la violation d'obligations précontractuelles (culpa in contrahendo) et sur l'enrichissement sans cause à l'occasion de la résolution d'obligations contractuelles?

b) Dans le cadre d'une demande visant à l'obtention de dommages-intérêts pour violation d'obligations contractuelles et précontractuelles, visant à la répétition de l'enrichissement sans cause et à l'obtention de dommages-intérêts en matière délictuelle, résulte-t-il également de l'article 13, premier alinéa, de la convention, en raison de la connexité, une compétence accessoire en matière non contractuelle?"

- Le BGH souligne que les deuxième, troisième et quatrième questions ne sont posé es que pour le cas où il serait répondu à la première question que l'article 14, premier alinéa, de la convention est applicable dans une hypothèse telle que celle de l'espèce.

14 Il convient de relever d'abord que les articles 13 et 14 font partie de la section réglant la "compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs".

15 Par ailleurs, il ressort expressément du premier alinéa de l'article 13 que cette section, dans sa totalité, s'applique "sans préjudice des dispositions de l'article 4".

16 Or, aux termes du premier alinéa de ce dernier article, "si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État contractant, la compétence est, dans chaque État contractant, réglée par la loi de cet État, sous réserve de l'application de l'article 16". L'article 16 prévoit des règles de compétence exclusive en matière de droits réels immobiliers et de baux d'immeubles, en matière de validité, de nullité ou de dissolution de sociétés ou de personnes morales, en matière de validité des inscriptions sur les registres publics, en matière d'inscription ou de validité de brevets, marques, dessins et modèles, et autres droits analogues, ainsi qu'en matière d'exécution des décisions.

17 Il en découle que, sous réserve de ces compétences exclusives, la compétence des juridictions pour connaître des litiges dont le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État contractant n'est pas réglée par la convention mais par la loi de l'État contractant sur le territoire duquel se trouve la juridiction saisie.

18 En matière de contrats conclus par les consommateurs, la seule exception à la règle de l'article 4 est instituée par l'article 13, deuxième alinéa, lequel s'applique lorsque le cocontractant du consommateur, bien que n'étant pas domicilié sur le territoire d'un État contractant, y possède une succursale, une agence ou tout autre établissement et que la contestation a trait à leur exploitation.

19 A cet égard, il suffit de relever que, d'après l'ordonnance de renvoi, aucune succursale, agence ou autre établissement, au sens de l'article 13, deuxième alinéa, n'est intervenue lors de la conclusion ou de l'exécution des contrats liant MM. Brenner et Noller à la défenderesse et que cette exception ne s'applique donc pas au cas d'espèce.

20 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que les juridictions de l'État du domicile du consommateur sont compétentes pour connaître d'un litige, en application de l'article 14, premier alinéa, deuxième branche de l'alternative, de la convention, si l'autre partie au contrat a son domicile dans un État contractant ou si, en application de l'article 13, deuxième alinéa, de ladite convention, il y a lieu de la traiter comme si tel était le cas.

21 Étant donné la réponse apportée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre aux autres questions.

Sur les dépens

22Les frais exposés par le Gouvernement allemand et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 25 mai 1993, dit pour droit:

Les juridictions de l'État du domicile du consommateur sont compétentes pour connaître d'un litige, en application de l'article 14, premier alinéa, deuxième branche de l'alternative, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, si l'autre partie au contrat a son domicile dans un État contractant ou si, en application de l'article 13, deuxième alinéa, de ladite convention, il y a lieu de la traiter comme si tel était le cas.