CJCE, 6e ch., 13 juillet 2000, n° C-412/98
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Group Josi Reinsurance Company (SA)
Défendeur :
Universal General Insurance Company
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents de chambre :
M. Moitinho de Almeida, Avocat général : M. Fennelly
Juges :
MM. Schintgen, Puissochet, Hirsch, Mme Macken
Avocats :
Mes Bouckaert, Mettetal, Lloyd Jones
LA COUR (sixième chambre),
1. Par arrêt du 5 novembre 1998, parvenu à la Cour le 19 novembre suivant, la cour d'appel de Versailles a posé, en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, deux questions préjudicielles sur l'interprétation des dispositions du titre II de cette convention (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1) et par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1, ci-après la "convention").
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Universal General Insurance Company (ci-après "UGIC"), en liquidation, compagnie d'assurances de droit canadien établie à Vancouver (Canada), à Group Josi Reinsurance Company SA (ci-après "Group Josi"), société de réassurance de droit belge établie à Bruxelles (Belgique), au sujet d'une somme d'argent réclamée par UGIC à Group Josi en sa qualité de partie à un traité de réassurance.
La convention
3. Les règles de compétence édictées par la convention figurent au titre II de celle-ci, constitué des articles 2 à 24.
4. À cet égard, l'article 2 de la convention, qui fait partie de la section 1 du titre II, intitulée "Dispositions générales", énonce:
"Sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État.
Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l'État dans lequel elles sont domiciliées y sont soumises aux règles de compétence applicables aux nationaux."
5. L'article 3, premier alinéa, de la convention, qui figure dans la même section, dispose:
"Les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant ne peuvent être attraites devant les tribunaux d'un autre État contractant qu'en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 6 du présent titre."
6. L'article 3, second alinéa, de la convention interdit au demandeur de se prévaloir des règles de compétence exorbitantes en vigueur dans les États contractants fondées, notamment, sur la nationalité des parties et sur le domicile ou la résidence du demandeur.
7. L'article 4, qui fait également partie de la section 1 du titre II de la convention, est ainsi libellé:
"Si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État contractant, la compétence est, dans chaque État contractant, réglée par la loi de cet État, sous réserve de l'application des dispositions de l'article 16.
Toute personne, quelle que soit sa nationalité, domiciliée sur le territoire d'un État contractant, peut, comme les nationaux, y invoquer contre ce défendeur les règles de compétence qui y sont en vigueur et notamment celles prévues à l'article 3 deuxième alinéa."
8. Dans les sections 2 à 6 du titre II, la convention prévoit des règles de compétence spéciale ou exclusive.
9. Ainsi, aux termes de l'article 5, qui figure à la section 2, intitulée "Compétences spéciales", du titre II de la convention:
"Le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant:
1) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée; ...
2) en matière d'obligation alimentaire, devant le tribunal du lieu où le créancier d'aliments a son domicile ou sa résidence habituelle...
..."
10. Les articles 7 à 12 bis forment la section 3, intitulée "Compétence en matière d'assurances", du titre II de la convention.
11. L'article 7 de la convention dispose:
"En matière d'assurances, la compétence est déterminée par la présente section..."
12. L'article 8 de la convention est libellé comme suit:
"L'assureur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait:
1) devant les tribunaux de l'État où il a son domicile
ou
2) dans un autre État contractant, devant le tribunal du lieu où le preneur d'assurance a son domicile,
ou
3) s'il s'agit d'un coassureur, devant le tribunal d'un État contractant saisi de l'action formée contre l'apériteur de la coassurance.
Lorsque l'assureur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État contractant, mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État contractant, il est considéré pour les contestations relatives à leur exploitation comme ayant son domicile sur le territoire de cet État."
13. La section 4 du titre II de la convention comporte les règles de compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs.
14. L'article 14, premier alinéa, qui figure à ladite section, dispose:
"L'action intentée par un consommateur contre l'autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant les tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel est domicilié le consommateur."
15. L'article 16, qui forme la section 5 du titre II de la convention, édicte certaines règles de compétence exclusive et précise qu'elles s'appliquent "sans considération de domicile".
16. Aux termes de l'article 17, premier alinéa, qui figure à la section 6, intitulée "Prorogation de compétence", du titre II de la convention:
"Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un État contractant, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État contractant pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont seuls compétents. ..."
17. L'article 18, qui fait également partie de la section 6, dispose:
"Outre les cas où sa compétence résulte d'autres dispositions de la présente convention, le juge d'un État contractant devant lequel le défendeur comparaît est compétent. Cette règle n'est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence ou s'il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l'article 16."
L'affaire au principal
18. Il ressort du dossier de l'affaire au principal qu'UGIC a chargé son courtier Euromepa, société de droit français établie en France, de placer un traité de réassurance, avec effet au 1er avril 1990, portant sur un portefeuille de police d'assurance multirisque habitation localisé au Canada.
19. Par fax daté du 27 mars 1990, Euromepa a offert à Group Josi une participation dans ce traité de réassurance en précisant que "les réassureurs principaux sont Union Ruck avec 24 % et Agrippina Ruck avec 20 %".
20. Par fax du 6 avril 1990, Group Josi a donné son accord pour une participation à concurrence de 7,5 %.
21. Le 28 mars 1990, Union Ruck avait indiqué à Euromepa qu'elle n'entendait pas prolonger sa participation au-delà du 31 mai 1990 et Agrippina Ruck avait informé le même courtier, par lettre du 30 mars 1990, qu'elle réduirait sa participation à 10 % avec effet au 1er juin 1990, ces retraits étant motivés par des changements de politique économique imposés par les maisons mères de ces entreprises d'assurances déjà implantées sur le territoire américain.
22. Le 25 février 1991, Euromepa a adressé à Group Josi d'abord un relevé de compte présentant un solde débiteur, puis un décompte final indiquant que cette dernière était redevable, au titre de sa participation à l'opération de réassurance, d'une somme de 54 679,34 CAD.
23. Par courrier du 5 mars 1991, Group Josi a refusé de régler cette somme essentiellement au motif que son adhésion au traité de réassurance avait été emportée par la présentation d'informations qui se seraient révélées fausses par la suite.
24. Dans ces conditions, UGIC a, le 6 juillet 1994, fait assigner Group Josi devant le tribunal de commerce de Nanterre (France).
25. Group Josi a soulevé l'incompétence de la juridiction saisie au profit du Tribunal de commerce de Bruxelles, dans le ressort duquel elle a son siège social, en se prévalant, d'une part, de la convention et, d'autre part, au cas où le droit commun serait jugé applicable, de l'article 1247 du code civil français.
26. Par jugement du 27 juillet 1995, le tribunal de commerce de Nanterre a retenu sa compétence au motif qu'UGIC est une société de droit canadien sans établissement dans la Communauté et que l'exception d'incompétence soulevée sur le fondement dela convention ne peut pas lui être appliquée. Sur le fond, il a condamné Group Josi au paiement de la somme demandée par UGIC, majorée des intérêts légaux à compter du 6 juillet 1994.
27. Group Josi a alors interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Versailles.
28. À l'appui de son recours, elle a fait valoir que la convention s'applique à tout litige dans lequel se dégage un critère de rattachement à la convention. Or, celle-ci devrait trouver application en l'occurrence. En effet, le principal critère de rattachement serait celui énoncé à l'article 2, premier alinéa, de la convention, à savoir le domicile du défendeur. Ayant son siège à Bruxelles et ne disposant d'aucun établissement secondaire en France, Group Josi ne pourrait, conformément à cette disposition, être attraite que devant une juridiction belge. En outre, elle a invoqué l'article 5, point 1, de la convention, en soutenant à cet égard que l'obligation qui sert de base à la demande devait être exécutée, s'agissant du règlement d'une dette conventionnelle et à défaut de stipulation contraire au traité de réassurance, au domicile du débiteur à Bruxelles.
29. UGIC a, en revanche, fait valoir que les règles de compétence prévues par la convention ne peuvent trouver à s'appliquer que si le demandeur a également son domicile dans un État contractant. Étant donné qu'UGIC est une société de droit canadien qui ne dispose d'aucun établissement secondaire dans un État contractant, la convention ne serait pas applicable en l'espèce.
30. La cour d'appel a relevé, d'une part, que, s'il est possible de considérer qu'un litige est suffisamment intégré à la Communauté européenne pour justifier la compétence des juridictions d'un État contractant lorsque, comme en l'espèce, le défendeur est domicilié dans un État contractant, différente est la question de savoir si un demandeur, domicilié dans un État non contractant à la convention, peut se voir opposer les règles spécifiques de cette convention, ce qui aboutirait nécessairement à une extension du droit communautaire à des pays tiers.
31. D'autre part, la cour d'appel a constaté que l'article 7 de la convention se borne à viser la matière des "assurances" sans autre précision, de sorte que se poserait la question de savoir si la réassurance est comprise dans le champ d'application du système autonome de compétence instauré par les articles 7 à 12 bis de la convention. À cet égard, il serait possible de considérer que ces articles ont pour objet de protéger l'assuré en tant que partie faible au contrat d'assurance et que cette caractéristique ne se retrouve pas en matière de réassurance, mais, à l'inverse, le texte de la convention n'énoncerait aucune exclusion sur ce point.
Les questions préjudicielles
32. Estimant que, dans ces conditions, la solution du litige nécessitait une interprétation de la convention, la cour d'appel de Versailles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:
"1) La convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, a-t-elle vocation à s'appliquer non seulement aux litiges 'intracommunautaires mais également aux litiges 'intégrés à la Communauté? Plus précisément, une partie demanderesse, domiciliée au Canada, peut-elle se voir opposer par la partie défenderesse, établie dans un État contractant, les règles spécifiques de compétence édictées par cette convention?
2) Les règles spécifiques de compétence en matière d'assurances, édictées par les articles 7 et suivants de la convention de Bruxelles, ont-elles vocation à s'appliquer en matière de réassurance?"
Sur la première question
33. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si les règles de compétence prévues par la convention trouvent à s'appliquer dès lors que le défendeur a son domicile ou son siège sur le territoire d'un État contractant, même si le demandeur est domicilié dans un pays tiers.
34. En vue de répondre à cette question, il importe de souligner d'emblée que le système des attributions de compétences communes prévues au titre II de la convention est fondé sur la règle de principe, énoncée à son article 2, premier alinéa, selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites devant les juridictions de cet État, indépendamment de la nationalité des parties.
35. Le caractère de principe général que revêt cette règle de compétence, laquelle est l'expression de l'adage actor sequitur forum rei, s'explique par le fait qu'elle permet au défendeur de se défendre, en principe, plus aisément [voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 1992, Handte, C-26-91, Rec. p. I-3967, point 14; voir également le rapport de M. Jenard relatif à la convention de Bruxelles (JO 1979, C 59, p. 1, 18)].
36. Ce n'est que par dérogation à ce principe fondamental de la compétence des juridictions de l'État contractant sur le territoire duquel le défendeur a son domicile ou son siège que la convention prévoit, conformément à son article 3, premier alinéa, les cas, limitativement énumérés dans les sections 2 à 6 du titre II, dans lesquels le défendeur domicilié ou établi dans un État contractant peut, lorsque la situation relève d'une règle de compétence spéciale, ou doit, lorsqu'elle relève d'une règle de compétence exclusive ou d'une prorogation de compétence, être soustrait aux juridictions de l'État de son domicile et attrait devant un tribunal d'un autre État contractant.
37. Dans ce contexte, les sections 2 à 6 du titre II de la convention comportent certaines dispositions particulières qui, aux fins de la détermination de la juridiction compétente, s'écartent du critère général du domicile du défendeur en accordant exceptionnellement une certaine influence au domicile du demandeur.
38. Ainsi, en premier lieu, en vue de faciliter l'action intentée par le créancier d'aliments, l'article 5, point 2, de la convention accorde à celui-ci la faculté d'attraire le défendeur, dans un État contractant autre que celui du domicile du défendeur, devant le tribunal du lieu où le demandeur a son domicile ou sa résidence habituelle.
39. De même, également dans le but de protéger la partie au contrat réputée plus faible que son cocontractant, les articles 8, premier alinéa, point 2, et 14, premier alinéa, de la convention prévoient respectivement que le preneur d'assurance et le consommateur ont le droit d'introduire une action à l'encontre de leur cocontractant devant les juridictions de l'État contractant sur le territoire duquel ils sont domiciliés.
40. Si ces règles de compétence spéciale accordent une importance exceptionnelle à la localisation du domicile du demandeur dans un État contractant, il n'en reste pas moins qu'elles ne constituent qu'une possibilité de choix supplémentaire pour le demandeur, à côté du for des juridictions de l'État contractant où le défendeur est domicilié, qui constitue la règle de principe à la base de la convention.
41. En second lieu, l'article 17 de la convention prévoit la compétence exclusive de la ou des juridictions d'un État contractant choisies par les parties, pour autant que l'une des parties ait son domicile dans un État contractant.
42. Cette condition ne vise pas nécessairement le domicile du défendeur, de sorte que la localisation du domicile du demandeur peut, le cas échéant, être déterminante. Toutefois, il découle également de cette disposition que la règle de compétence y énoncée est applicable dès lors que le défendeur est domicilié dans un État contractant, même si le demandeur a son domicile dans un pays tiers (voir, en ce sens, le rapport de M. Jenard, précité, p. 38).
43. En revanche, les autres dispositions qui figurent aux sections 2 à 6 du titre II de la convention ne reconnaissent aucune importance au domicile du demandeur.
44. Certes, conformément à l'article 18 de la convention, la comparution volontaire du défendeur fonde la compétence de la juridiction d'un État contractant saisie par le demandeur, sans que le lieu du domicile du défendeur soit pertinent.
45. Cependant, si la juridiction saisie doit être celle d'un État contractant, cette disposition n'exige pas davantage que le demandeur doive avoir son domicile sur le territoire d'un tel État.
46. La même conclusion peut être tirée de l'article 16 de la convention, qui dispose que les règles de compétence exclusive qu'il prévoit s'appliquent sans que le domicile des parties soit pris en considération. La raison d'être de ces règles de compétence exclusive est en effet l'existence d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre le litige et un État contractant, indépendamment du domicile tant du défendeur que du demandeur (s'agissant plus particulièrement, en matière de baux d'immeubles, de la compétence exclusive des juridictions de l'État contractant où l'immeuble est situé, voir, notamment, arrêt du 27 janvier 2000, Dansommer, C-8-98, non encore publié au Recueil, point 27).
47. Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que ce n'est que dans des hypothèses tout à fait exceptionnelles que le titre II de la convention accorde une importance déterminante, aux fins de l'attribution de compétence, à la localisation du domicile du demandeur dans un État contractant. Tel n'est en effet le cas que si le demandeur fait usage de l'option qui lui est ouverte par les articles 5, point 2, 8, premier alinéa, point 2, et 14, premier alinéa, de la convention, ainsi qu'en matière de prorogation de compétence au titre de l'article 17 de la convention, dans la seule hypothèse où le domicile du défendeur n'est pas situé dans un État contractant.
48. Or, aucune de ces hypothèses particulières n'est applicable dans l'affaire au principal.
49. De surcroît, il est de jurisprudence constante que les règles de compétence dérogatoires au principe général, énoncé à l'article 2, premier alinéa, de la convention, de la compétence des juridictions de l'État contractant sur le territoire duquel le défendeur est domicilié ou établi ne sauraient donner lieu à une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par la convention (voir, notamment, arrêts Handte, précité, point 14; du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton, C-89-91, Rec. p. I-139, points 15 et 16; du 3 juillet 1997, Benincasa, C-269-95, Rec. p. I-3767, point 13, et du 27 octobre 1998, Réunion européenne e.a., C-51-97, Rec. p. I-6511, point 16).
50. Il convient d'ajouter que, ainsi qu'il ressort déjà de l'article 3, second alinéa, de la convention, qui interdit au demandeur de se prévaloir à l'encontre du défendeur domicilié dans un État contractant des règles de compétence nationales fondées notamment sur le domicile ou la résidence du demandeur, la convention apparaît comme étant clairement hostile à l'admission de la compétence des juridictions du domicile du demandeur (voir arrêts du 11 janvier 1990, Dumez France et Tracoba, C-220-88, Rec. p. I-49, point 16, et Shearson Lehman Hutton, précité, point 17). Il en résulte que la convention ne doit pas être interprétée en ce sens que, en-dehors des cas expressément prévus, elle reconnaîtrait la compétence des tribunaux du domicile du demandeur et permettrait dès lors à celui-ci, par le choix de son domicile, de déterminer la juridiction compétente (voir, en ce sens, arrêt Dumez France et Tracoba, précité, point 19).
51. L'article 4 de la convention prévoit certes une dérogation à la règle établie par l'article 3, second alinéa. En effet, l'article 4 dispose que, dans l'hypothèse où le défendeur n'est pas domicilié dans un État contractant, la compétence est déterminée conformément à la loi en vigueur dans chaque État contractant, sous la seule réserve de l'article 16 de la convention, qui s'applique sans considération de domicile, et que le demandeur qui a son domicile sur le territoire d'un État contractant a le droit d'y invoquer à l'encontre d'un tel défendeur les règles de compétence exorbitantes qui y sont en vigueur et dont une énumération exemplative figure à l'article 3, second alinéa, de la convention.
52. Cependant, dans la mesure où il prévoit que les règles de compétence édictées par la convention ne sont pas applicables lorsque le domicile du défendeur n'est pas situé sur le territoire d'un État contractant, l'article 4 de la convention constitue une confirmation du principe fondamental énoncé à l'article 2, premier alinéa, de la convention.
53. Compte tenu de l'ensemble des développements qui précèdent, il y a lieu de conclure que le système des règles d'attribution de compétence mis en place par la convention n'est normalement pas fondé sur le critère du domicile ou du siège du demandeur.
54. De plus, ainsi qu'il ressort du libellé des articles 2, second alinéa, et 4, second alinéa, de la convention, ce système ne retient pas davantage le critère de la nationalité des parties.
55. La convention consacre en revanche le principe fondamental de la compétence des juridictions de l'État contractant sur le territoire duquel le défendeur est domicilié ou établi.
56. Ainsi qu'il ressort du point 47 du présent arrêt, ce n'est que par exception à cette règle de principe que la convention comporte certaines dispositions particulières qui, dans des hypothèses clairement délimitées, accordent une influence au domicile du demandeur.
57. Il s'ensuit que, en règle générale, la localisation du domicile du demandeur n'est pas pertinente aux fins de l'application des règles de compétence édictées par la convention, puisque cette application dépend en principe du seul critère du domicile du défendeur situé dans un État contractant.
58. Il n'en irait autrement que dans les cas exceptionnels où la convention fait expressément dépendre cette application des règles de compétence de la localisation du domicile du demandeur dans un État contractant.
59. En conséquence, la convention ne fait pas, en principe, obstacle à ce que les règles de compétence qu'elle énonce s'appliquent à un litige entre un défendeur domicilié dans un État contractant et un demandeur domicilié dans un pays tiers.
60. Ainsi que M. l'Avocat général l'a relevé au point 21 de ses conclusions, c'est donc en pleine conformité avec ce constat que la Cour a déjà interprété les règles de compétence édictées par la convention dans des cas où le demandeur avait son domicile ou son siège dans un pays tiers, alors que les dispositions en cause de la convention ne prévoyaient pas d'exception au principe général de la compétence des juridictions de l'État contractant sur le territoire duquel le défendeur est domicilié (voir arrêts du 25 juillet 1991, Rich, C-190-89, Rec. p. I-3855, et du 6 décembre 1994, Tatry, C-406-92, Rec. p. I-5439).
61. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question préjudicielle que le titre II de la convention trouve en principe à s'appliquer dès lors que le défendeur a son domicile ou son siège sur le territoire d'un État contractant, même si le demandeur est domicilié dans un pays tiers. Il n'en irait autrement que dans les cas exceptionnels où une disposition expresse de la convention prévoit que l'application de la règle de compétence qu'elle énonce dépend de la localisation du domicile du demandeur sur le territoire d'un État contractant.
Sur la seconde question
62. À cet égard, force est de constater, d'une part, que les règles de compétence en matière d'assurances, inscrites à la section 3 du titre II de la convention, s'appliquent explicitement à certains types particuliers de contrats d'assurances, telles l'assurance obligatoire, l'assurance de responsabilité, l'assurance portant sur un immeuble ou l'assurance maritime et aérienne. De surcroît, l'article 8, premier alinéa, point 3, de la convention se réfère expressément à la coassurance.
63. En revanche, la réassurance n'est visée dans aucune des dispositions de ladite section.
64. D'autre part, selon une jurisprudence constante, il ressort de l'examen des dispositions de la section 3 du titre II de la convention, éclairées par leurs travaux préparatoires, que, en offrant à l'assuré une gamme de compétences plus étendue que celle dont dispose l'assureur et en excluant toute possibilité de clause de prorogation de compétence au profit de ce dernier, elles ont été inspirées par un souci de protection de l'assuré, lequel, le plus souvent, se trouve confronté à un contrat prédéterminé dont les clauses ne sont plus négociables et constitue la personne économiquement la plus faible (arrêt du 14 juillet 1983, Gerling e.a., 201-82, Rec. p. 2503, point 17).
65. La fonction de protection de la partie au contrat réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que son cocontractant que remplissent ces dispositions implique cependant que l'application des règles de compétence spéciale prévues à cet effet par la convention ne soit pas étendue à des personnes pour lesquelles cette protection ne se justifie pas (voir, par analogie, pour les articles 13 et suivants de la convention relatifs à la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs, arrêt Shearson Lehman Hutton, précité, point 19).
66. Or, aucune protection particulière ne se justifie s'agissant des rapports entre un réassuré et son réassureur. Les deux parties au traité de réassurance sont, en effet, des professionnels du secteur des assurances, dont aucun ne peut être présumé se trouver en position de faiblesse par rapport à son cocontractant.
67. Il est ainsi conforme tant à la lettre qu'à l'esprit et à la finalité des dispositions en cause de conclure que celles-ci ne sont pas applicables aux rapports réassureur-réassuré dans le cadre d'un traité de réassurance.
68. Cette interprétation est confirmée par le système des règles de compétence mis en place par la convention.
69. Ainsi, la section 3 du titre II de la convention comporte des règles qui accordent compétence à des juridictions autres que celles de l'État contractant sur le territoire duquel le défendeur est domicilié. En particulier, l'article 8, premier alinéa, point 2, de la convention prévoit la compétence du tribunal du lieu où le preneur d'assurance a son domicile.
70. Or, ainsi qu'il a déjà été rappelé au point 49 du présent arrêt, il est de jurisprudence constante que les règles de compétence qui dérogent au principe général, consacré par l'article 2, premier alinéa, de la convention, de la compétence des juridictions de l'État contractant sur le territoire duquel le défendeur a son domicile ne sauraient donner lieu à une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées par la convention.
71. Cette interprétation vaut a fortiori pour une règle de compétence telle que celle prévue à l'article 8, premier alinéa, point 2, de la convention, qui permet au preneur d'assurance d'attraire le défendeur devant les juridictions de l'État contractant sur le territoire duquel le demandeur a son domicile.
72. En effet, pour les motifs plus amplement développés au point 50 du présent arrêt, les auteurs de la convention ont manifesté leur défaveur à l'encontre de la compétence des juridictions du domicile du demandeur en dehors des cas qu'elle prévoit expressément.
73. Il s'ensuit qu'il n'est pas possible de considérer que la section 3 du titre II de la convention s'applique aux relations entre un réassuré et un réassureur dans le cadre d'un traité de réassurance.
74. Cette interprétation est en outre corroborée par le rapport de M. Schlosser relatif à la convention d'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord à la convention de Bruxelles (JO 1979, C 59, p. 71, 117), selon lequel "Un contrat de réassurance ne peut être assimilé à un contrat d'assurance. Il en résulte que les articles 7 à 12 ne sont pas applicables aux contrats de réassurance".
75. Il convient cependant de préciser à cet égard que, ainsi que la Commission l'a souligné à juste titre, si les règles de compétence spéciale en matière d'assurance ne visent pas les litiges entre réassuré et réassureur dans le cadre d'un traité de réassurance, tel celui en cause au principal, elles trouvent en revanche pleinement à s'appliquer lorsque, en vertu de la réglementation d'un État contractant, le preneur d'assurance, l'assuré ou le bénéficiaire d'un contrat d'assurance disposent de la faculté de s'adresser directement au réassureur éventuel de l'assureur pour faire valoir à son encontre leurs droits au titre dudit contrat, par exemple en cas de faillite ou de mise en liquidation de l'assureur. En effet, en pareille hypothèse, le demandeur se trouve en position de faiblesse par rapport au réassureur professionnel, en sorte que l'objectif de protection particulière inhérente aux articles 7 et suivants de la convention justifie l'application des règles spécifiques qu'ils prévoient.
76. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question préjudicielle que les règles de compétence spéciale en matière d'assurances figurant aux articles 7 à 12 bis de la convention ne couvrent pas les litiges entre un réassureur et un réassuré dans le cadre d'un traité de réassurance.
Sur les dépens
77. Les frais exposés par les Gouvernements français et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par la cour d'appel de Versailles, par arrêt du 5 novembre 1998, dit pour droit:
1) Le titre II de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique et par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise, trouve en principe à s'appliquer dès lors que le défendeur a son domicile ou son siège sur le territoire d'un État contractant, même si le demandeur est domicilié dans un pays tiers. Il n'en irait autrement que dans les cas exceptionnels où une disposition expresse de ladite convention prévoit que l'application de la règle de compétence qu'elle énonce dépend de la localisation du domicile du demandeur sur le territoire d'un État contractant.
2) Les règles de compétence spéciale en matière d'assurances figurant aux articles 7 à 12 bis de ladite convention ne couvrent pas les litiges entre un réassureur et un réassuré dans le cadre d'un traité de réassurance.