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Décisions

TPICE, 4e ch. élargie, 8 décembre 1998, n° T-38/98

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Associazione Nazionale Bieticoltori, Francesco Coccia, Vincenzo Di Giovine

Défendeur :

Conseil de l'Union européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Moura Ramos

Juges :

MM. García-Valdecasas, Lindh, Mengozzi, Mmes Tiili

Avocats :

Mes Paolucci, Galletti

TPICE n° T-38/98

8 décembre 1998

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

(quatrième chambre élargie),

Cadre juridique

1. L'article 46 du règlement n° 1785-81 du Conseil, du 30 juin 1981, portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO L 177, p. 4, ci-après "règlement n° 1785-81"), dans sa rédaction résultant du règlement (CE) n° 1101-95 du Conseil, du 24 avril 1995, modifiant le règlement n° 1785-81 et le règlement (CEE) n° 1010-86 établissant les règles générales applicables à la restitution à la production pour certains produits du secteur sucre utilisés dans l'industrie chimique (JO L 110, p. 1), autorise la République italienne et le royaume d'Espagne à octroyer, notamment aux producteurs de betteraves à sucre, dans les conditions qu'il définit, des aides d'adaptation.

2. L'article 46, paragraphe 2, du règlement n° 1785-81 divise le territoire italien en "région septentrionale", "région Centre" et "région Sud". Les montants d'aides autorisés évoluent de manière dégressive dans le temps ("soft landing"). Cette réduction des montants d'aides autorisés est très prononcée pour les régions septentrionale et Centre et moins prononcée pour la région Sud. Ainsi, pour la campagne de commercialisation 1995-1996, le montant autorisé était de 8,15 écus par 100 kilogrammes de sucre blanc tant pour la région septentrionale, que pour la région Centre et pour la région Sud, alors que pour la dernière campagne de commercialisation mentionnée pour les trois régions italiennes, à savoir la campagne 1999/2000, les montants sont fixés à 1,09 écu (région septentrionale), 2,17 écus (région Centre) et 5,98 écus (région Sud) par 100 kilogrammes de sucre blanc. Le règlement autorise, enfin, mais uniquement pour la région Sud, des aides pour la campagne de commercialisation 2000/2001, d'un montant de 5,43 écus par 100 kilogrammes de sucre blanc.

3. Selon l'article 1er du règlement (CE) n° 2613-97 du Conseil, du 15 décembre 1997, portant autorisation pour le Portugal d'octroyer des aides aux producteurs de betteraves à sucre et suppression de toute aide nationale à partir de la campagne 2001/2002 (JO L 353, p. 3, ci-après "règlement n° 2613-97"), la République portugaise est autorisée, sous certaines conditions, à octroyer, pendant les campagnes de commercialisation 1998/1999 à 2000/2001, une aide d'adaptation aux producteurs de betteraves à sucre. L'article 2 du même règlement prévoit que, "[à] partir de la campagne de commercialisation 2001/2002, l'aide visée à l'article 1er ainsi que les aides visées à l'article 46 du règlement [...] n° 1785-81 sont supprimées".

4. Le règlement n° 2613-97 a été publié au Journal officiel des Communautés européennes le 24 décembre 1997.

Faits et procédure

5. La partie requérante Associazione Nazionale Bieticoltori (ANB) est une association qui défend les intérêts des betteraviers italiens. Les autres requérants sont des betteraviers italiens qui opèrent dans la région Sud définie par l'article 46, paragraphe 4, du règlement n° 1785-81.

6. Estimant que les intérêts des betteraviers opérant dans la région du Sud sont illégalement lésés par l'article 2 du règlement n° 2613-97, les requérants ont, par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 mars 1998, introduit le présent recours.

7. Conformément à l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, la partie défenderesse a, par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 28 mai 1998, soulevé une exception d'irrecevabilité. Les requérants ont déposé leurs observations sur ladite exception le 13 juillet 1998.

8. Par demandes déposées au greffe du Tribunal respectivement les 17 juillet et 11 août 1998, la Commission et l'Associação dos Refinadores de Açúcar Portugueses, association de droit portugais, ont demandé à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

Conclusions des parties

9. Dans leur requête, les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler l'article 2 du règlement n° 2613-97;

- condamner la partie qui succombe aux dépens.

10. La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme manifestement irrecevable;

- condamner les parties requérantes aux dépens.

11. Dans leurs observations sur l'exception d'irrecevabilité, les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal rejeter celle-ci.

Sur la recevabilité

12. Aux termes de l'article 114 du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l'irrecevabilité sans engager le débat au fond. En vertu du paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide qu'il n'y a pas lieu d'ouvrir la procédure orale.

Arguments des parties

13. La partie défenderesse expose que l'article 173 du traité CE n'octroie pas, en principe, aux personnes physiques ou morales le droit de former un recours contre des actes de portée générale, tels que les règlements du Conseil.

14. Elle précise, à cet égard, qu'il ressort non seulement du titre de l'acte attaqué, mais également de son contenu, que celui-ci a une portée générale. En toute hypothèse, l'article 2 du règlement n° 2613-97 ne concernerait pas individuellement les requérants. En outre, ladite disposition ne les concernerait pas directement étantdonné qu'elle laisse un pouvoir discrétionnaire aux États membres jusqu'à la fin de la campagne 2000/2001.

15. Les requérants soulignent que l'article 2 du règlement n° 2613-97 produit un effet juridique, à savoir une interdiction d'aides à partir de la campagne de commercialisation 2001/2002. Cette interdiction les concernerait directement, étant donné que ladite disposition ne nécessite pas de mesures d'application de la part des autorités nationales.

16. Ils estiment, en outre, que les betteraviers italiens de la région Sud sont les seuls à être directement affectés par la disposition litigieuse. En effet, ces derniers auraient un intérêt direct au maintien, postérieurement à la campagne de commercialisation 2000/2001, d'un système qui, même s'il s'accompagnait de réductions progressives, prévoirait la possibilité d'octroi d'aides destinées à compenser les désavantages propres à la culture betteravière régionale.

17. La disposition attaquée serait, de toute façon, privée de portée générale dans la mesure où elle frappe, en substance, surtout les betteraviers italiens de la région Sud. A cet égard, les requérants soulignent que l'interdiction d'aides imposée par le règlement n° 2613-97 est particulièrement dure pour la région Sud de l'Italie, étant donné que celle-ci peut encore jouir de subventions pendant la campagne 2000/2001, ce qui n'est pas le cas pour l'Espagne et pour les régions septentrionale et centrale de l'Italie. Par conséquent, les betteraviers italiens de la région Sud se trouveraient dans une situation spécifique qui les caractérise individuellement par rapport à toute autre personne.

Appréciation du Tribunal

18. Il convient de rappeler que, en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, la recevabilité d'un recours en annulation introduit par une personne physique ou morale contre un règlement est subordonnée à la condition que le règlement attaqué soit, en réalité, une décision qui concerne la partie requérante directement et individuellement. La jurisprudence a, en outre, précisé que le critère de distinction entre un règlement et une décision doit être recherché dans la portée générale ou non de l'acte en question (voir, par exemple, l'ordonnance de la Cour du 12 juillet 1993, Gibraltar et Gibraltar Development/Conseil, C-168-93, Rec. p. I- 4009, point 11, et l'ordonnance du Tribunal du 19 juin 1995, Kik/Conseil et Commission, T-107-94, Rec. p. II-1717, point 35). Un acte a une portée générale s'il s'applique à des situations déterminées objectivement et s'il produit ses effets juridiques à l'égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite (arrêts de la Cour du 6 octobre 1982, Alusuisse Italia/Conseil et Commission, 307-81, Rec. p. 3463, point 9, et du 2 avril 1998, Greenpeace Council e.a./Commission, C-321-95 P, Rec. p. I-1651, points 27 et 28; ordonnance Kik/Conseil et Commission, précitée, point 35).

19. L'article 2 du règlement n° 2613-97 dispose que les aides prévues par l'article 1er dudit règlement et par l'article 46 du règlement n° 1785-81 sont supprimées à partir de la campagne de commercialisation 2001/2002. Une telle mesure s'applique à une situation déterminée objectivement et comporte des effets juridiques à l'égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite, à savoir les États membres et les producteurs de betteraves à sucre. Par conséquent, elle se présente comme une mesure de portée générale.

20. Toutefois, la jurisprudence a précisé que, dans certaines circonstances, une disposition d'un acte de portée générale peut concerner individuellement certains des opérateurs économiques intéressés (arrêts de la Cour du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C-358-89, Rec. p. I-2501, point 13, et du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309-89, Rec. p. I-1853, point 19). Dans une telle hypothèse, un acte communautaire pourrait alors à la fois revêtir un caractère normatif et, à l'égard de certains opérateurs économiques intéressés, un caractère décisionnel (arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481-93 et T-484-93, Rec. p. II-2941, point 50). Tel est le cas si la disposition en cause atteint une personne physique ou morale en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d'une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne (arrêt Codorniu/Conseil, précité, point 20; arrêt du Tribunal du 27 avril 1995, CCE de Vittel e.a./Commission, T-12-93, Rec. p. II-1247, point 36).

21. A la lumière de cette jurisprudence, il y a lieu de vérifier si, en l'espèce, les requérants sont concernés par l'article 2 du règlement n° 2613-97 en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou s'il existe une situation de fait qui les caractérise, au regard de ladite disposition, par rapport à toute autre personne.

22. Le Tribunal constate, en premier lieu, que, même si le règlement est de nature à affecter la situation des requérants MM. Coccia et Di Giovine, cette circonstance ne suffit pas à les caractériser par rapport à toute autre personne. En effet, la disposition litigieuse ne les concerne qu'en raison de leur qualité objective d'opérateur économique agissant dans le secteur des betteraves à sucre, au même titre que tout opérateur économique exerçant la même activité dans la Communauté européenne.

23. Il ressort, certes, d'une comparaison du régime applicable actuellement à la région Sud de l'Italie avec celui applicable aux autres régions italiennes et à l'Espagne (voir le point 2 ci-dessus) que les effets de l'article 2 du règlement n° 2613-97 sont susceptibles d'être ressentis plus fortement dans la région Sud de l'Italie, dans la mesure où la réduction progressive des montants d'aides autorisés n'est pas aussi prononcée que pour les autres régions. Toutefois, la circonstance que la disposition attaquée puisse avoir des effets concrets différents pour les divers sujets de droit auxquels elle s'applique ne saurait priver celle-ci de son caractère réglementaire (voir, à cet égard, l'arrêt du Tribunal du 21 février 1995, Campo Ebro e.a./Conseil, T-472-93, Rec. p. II-421, point 36, et l'ordonnance de la Cour du 18 décembre1997, Sveriges Betodlares et Henrikson/Commission, C-409-96 P, Rec. p. I- 7531, point 37). En outre, par rapport au régime d'autorisation d'aides établi par l'article 46, paragraphe 2, du règlement n° 1785-81 et au régime d'interdiction établi par l'article 2 du règlement n° 2613-97, les requérants MM. Coccia et Di Giovine se trouvent, en tout état de cause, dans la même situation que tous les autres producteurs de betteraves italiens opérant dans la région Sud (voir, par analogie, les ordonnances de la Cour du 12 octobre 1988, Cevap e.a./Conseil, 34-88, Rec. p. 6265, point 15, et du 23 novembre 1995, Asocarne/Conseil, C-10-95 P, Rec. p. I- 4149, point 42, et l'ordonnance du Tribunal du 25 juin 1998, Sofivo e.a./Commission, T-14-97 et T-15-97, Rec. p. II-2601, point 37).

24. Il résulte de l'ensemble de ces considérations que le règlement n° 2613-97 ne peut pas être considéré comme concernant les requérants MM. Coccia et Di Giovine individuellement.

25. Il convient de rappeler, en second lieu, que la recevabilité des recours en annulation formés par des associations, peut être admise dans trois types de situation, à savoir:

a) lorsqu'une disposition légale reconnaît expressément aux associations professionnelles une série de facultés à caractère procédural (arrêt de la Cour du 4 octobre 1983, Fediol/Commission, 191-82, Rec. p. 2913, points 28 à 30; arrêt CCE de Vittel e.a./Commission, précité, points 39 à 42);

b) lorsque l'association représente les intérêts d'entreprises qui, elles, seraient recevables à agir (arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T-447-93, T-448-93 et T-449-93, Rec. p. II-1971, point 62);

c) lorsque l'association est individualisée en raison de l'affectation de ses intérêts propres en tant qu'association, notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l'acte dont l'annulation est demandée (arrêts de la Cour du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219, points 21 à 24; arrêt Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, précité, point 64).

26. Dans ces trois types de situation, la Cour et le Tribunal ont également pris en compte la participation à la procédure des associations en question (ordonnance du Tribunal du 30 septembre 1997, Federolio/Commission, T-122-96, Rec. p. II-1559, point 62).

27. Quant au premier type de situation susvisé, il suffit de constater que la réglementation en matière d'organisation commune des marchés dans le secteur du sucre ne reconnaît aucun droit de nature procédurale aux associations.

28. Pour ce qui est du deuxième type de situation susvisé, il convient de constater que le fait que la disposition litigieuse affectera les betteraviers dont les intérêts sont représentés par l'Associazione Nazionale Bieticoltori n'est pas de nature à caractériser ces betteraviers par rapport à toute autre personne, étant donné qu'ils se trouvent dans une situation comparable à celle de tout autre opérateur susceptible d'entrer sur le même marché (voir, à cet égard, les ordonnances du Tribunal du 11 janvier 1995, Cassa nazionale di previdenza ed assistenza a favore degli avvocati e procuratori/Conseil, T-116-94, Rec. p. II-1, point 28, et Federolio/Commission, précitée, point 67).

29. Enfin, pour ce qui est du troisième type de situation susvisé, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une association constituée pour promouvoir les intérêts collectifs d'une catégorie de justiciables ne saurait être considérée comme étant individuellement concernée par un acte affectant les intérêts généraux de cette catégorie et, par conséquent, n'est pas recevable à introduire un recours en annulation lorsque ses membres ne sauraient le faire à titre individuel (arrêt de la Cour du 18 mars 1975, Union syndicale e.a./Conseil, 72-74, Rec. p. 401, point 17; ordonnance de la Cour du 5 novembre 1986, UFADE/Conseil et Commission, 117-86, Rec. p. 3255, point 12; arrêt AITEC e.a./Commission, précité, point 54; ordonnance du Tribunal du 9 août 1995, Greenpeace e.a./Commission, T-585-93, Rec. p. II-2205, point 59). Néanmoins, l'existence de circonstances particulières, telles que le rôle joué par une association dans le cadre d'une procédure ayant conduit à l'adoption d'un acte au sens de l'article 173 du traité, peut justifier la recevabilité d'un recours introduit par une association dont les membres ne sont pas directement et individuellement concernés par l'acte litigieux, notamment lorsque sa position de négociatrice a été affectée par ce dernier (ordonnance Federolio/Commission, précitée, point 69).

30. Il doit être constaté, à cet égard, que, d'une part, le règlement n° 2613-97 ne concerne pas individuellement les membres de l'association requérante (voir le point 27 ci-dessus) et que, d'autre part, il n'affecte pas ses intérêts propres. En effet, celle-ci ne fait que défendre les intérêts de ses membres betteraviers. Son intérêt ne se distingue pas de l'intérêt des betteraviers italiens (voir, par analogie, l'ordonnance Federolio/Commission, précitée, points 71 et 72). En outre, l'association requérante n'a pas joué un rôle de négociateur dans le cadre de la procédure qui a conduit à l'adoption dudit règlement.

31. Il résulte des considérations qui précèdent que la requérante Associazione Nazionale Bieticoltori ne se trouve individualisée en vertu d'aucun des critères retenus par la jurisprudence en matière de recevabilité d'un recours en annulation introduit par une association.

32. Par conséquent, aucun des requérants ne satisfait aux conditions de recevabilité posées par l'article 173, quatrième alinéa, du traité.

33. Il résulte de tout ce qui précède que le présent recours doit être rejeté comme irrecevable, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les demandes d'intervention.

Sur les dépens

34. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé en leurs conclusions, il y a lieu d'ordonner qu'ils supporteront solidairement les dépens, conformément aux conclusions de la partie défenderesse.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

ordonne:

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) Les requérants supporteront solidairement les dépens.