TPICE, 5e ch., 6 juillet 2000, n° T-139/99
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Alsace International Car Services
Défendeur :
Parlement européen
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. García-Valdecasas
Juges :
Mme Lindh, M. Cooke
Avocats :
Mes Imbach, Dissler
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),
Faits à l'origine du recours
1. Le 27 janvier 1999, le Parlement européen a, en vertu de la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), publié au Journal officiel des Communautés européennes un avis de passation (JO S 18, p. 28, ci-après l'"avis"), selon la procédure ouverte, d'un marché de transport de personnes par véhicules avec chauffeurs (appel d'offres n° 99/S 18-8765/FR, ci-après l'"appel d'offres"). Les conditions dans lesquelles il était possible de soumissionner étaient indiquées dans l'avis, dans le cahier des charges, qui comprenait des clauses administratives et des clauses techniques, et dans le projet de contrat-cadre.
2. L'avis précisait, au point 2, que le marché prendrait la forme d'un contrat-cadre avec une société de prestations de services et qu'il serait exécuté sur la base de bons de commande spécifiques à chaque opération. Le lieu d'exécution des prestations était Strasbourg (point 3). Suivant le point 5, le marché était divisé en deux lots. Le lot n° 1 concernait la location de voitures et de minibus avec chauffeurs, tandis que le lot n° 2 portait sur la location de bus avec chauffeurs. Le présent recours ne porte que sur l'octroi du lot n° 1 du marché.
3. Selon le point 13 de l'avis, les soumissionnaires pouvaient être des sociétés, des entrepreneurs individuels ainsi que des groupements de sociétés et/ou d'entrepreneurs individuels.
4. Au point 14 de l'avis, il était précisé: "Prestataires de service: Les prestataires [ou leur(s) dirigeant(s)] doivent justifier d'une activité de trois ans dans le secteur. Ils doivent également justifier d'un chiffre d'affaires annuel minimum de 2 000 000 [francs français (FRF)] pour le lot 1) et de 68 750 FRF pour le lot 2)."
5. Comme critères d'attribution du marché, l'avis indiquait, au point 16, que l'offre économiquement la plus avantageuse serait retenue, compte tenu des prix offerts et de la valeur technique de la soumission.
6. L'article 1, paragraphe 1.3, du cahier des charges (clauses administratives) prévoyait que les besoins approximatifs du Parlement étaient de 25 à 60 voitures et de 2 à 4 minibus en moyenne pour des prestations quotidiennes comprises entre six et douze heures de travail. Les horaires étaient précisés au point 5 du cahier des charges (clauses techniques), aux termes duquel les prestations débutaient à 7 h 30 et se terminaient avec la fin des activités parlementaires (entre 22 et 24 heures, suivant les jours). Dans ce même point, il était encore indiqué:
"Étant donné que des pointes d'activité sont enregistrées entre 7 h 30 et 9 heures, 20 heures et 22 heures, l'entreprise s'engage, de par son offre, à pouvoir faire face à une demande de renforcement en cas de besoin. La durée minimale de la prestation est de deux heures consécutives."
7. Dans le cahier des charges (clauses techniques), au point 2.1, le Parlement avait également précisé que les transports en cause devaient être effectués dans des véhicules banalisés.
8. L'article 6, dernier alinéa, du cahier des charges (clauses administratives) prévoyait:
"L'offre et l'exécution des prestations doivent être conformes aux réglementations en vigueur."
9. De même, le projet de contrat-cadre annexé à l'appel d'offres (article VI, second alinéa) indiquait:
"Par ailleurs, le contractant veillera à l'application rigoureuse des réglementations nationales et locales en vigueur dans le cadre de l'exécution des prestations commandées."
10. Le 10 février 1999, la requérante a présenté son offre au Parlement. Celle-ci était rédigée comme suit:
"[...]
Nous soumissionnons au lot n° 1 sur la tranche quotidienne hors périodes de pointes, aux tarifs horaires présentés en annexe 1.
Nous pouvons mettre à disposition du Parlement une trentaine de véhicules avec chauffeur [...] du lundi au vendredi pendant les sessions strasbourgeoises du Parlement.
Nous ne pouvons néanmoins assumer les heures de pointes [...] soit la période de 7 heures à 9 heures et de 19 heures à 22 heures.
Ces prestations durant les heures de pointes sont techniquement et financièrement irréalisables.
Notre société ne peut en effet assumer la mise à disposition d'autant de véhicules pendant ces pointes. Aucune entreprise de la région ne pourrait d'ailleurs le faire sans sous-traiter à des artisans taxis travaillant hors législation.
[...]"
11. En annexe 2 à son offre, la requérante a joint un document intitulé "L'action civile en concurrence déloyale" dans lequel elle rappelait qu'une procédure civile puis une procédure pénale avaient été engagées relativement aux activités de l'Association centrale des autos taxis de la communauté urbaine de Strasbourg (ci-après l'"ACATS TAXI 13"), qui assurait, pour le compte du Parlement, dans le cadre d'un contrat de location de voitures avec chauffeurs, le transport des fonctionnaires et des parlementaires européens dans des voitures banalisées. La requérante faisait remarquer que seule l'activité de remisier (service limousine - voiture de grande remise) permettait de répondre aux exigences du Parlement dans le respect de la réglementation applicable au secteur du transport de personnes à titre onéreux. La requérante a développé sa position dans ledit document.
12. Le 24 février 1999, le Parlement a demandé aux soumissionnaires de lui faire connaître le nombre de véhicules dont ils disposaient à cette date ainsi que le nombre de véhicules dont ils comptaient disposer dans l'éventualité de la conclusion d'un contrat avec l'institution.
13. En réponse, la requérante a fait savoir qu'elle possédait cinq véhicules de grande remise et que l'achat de trois autres véhicules était en cours. De plus, elle indiquait:
"Nous pouvons mettre à votre disposition pendant les journées de lundi à vendredi (hors périodes de pointes) lors de chaque session parlementaire une soixantaine de véhicules conformes aux clauses techniques de l'appel d'offres."
14. Le Parlement a décidé de retenir l'offre de la Coopérative Taxi 13, également soumissionnaire, comme étant la plus avantageuse compte tenu des critères d'attribution figurant dans l'avis.
15. Par lettre du 7 avril 1999, il a informé la requérante de sa décision de ne pas retenir l'offre de celle-ci en raison de la différence de prix entre ladite offre et celle de la société avec laquelle il avait souscrit le contrat résultant de l'adjudication du marché (ci-après la "décision attaquée").
16. Par lettre du 15 avril 1999, la requérante a exposé au Parlement avoir cru comprendre que celui-ci renouvelait la convention qui avait été passée avec "l'association (ou coopérative) des artisans taxis". Elle a, une nouvelle fois, exprimé ses doutes sur la légalité d'un tel contrat au regard du droit français. À cet égard, elle a particulièrement insisté sur l'impossibilité légale pour les taxis d'effectuer le transport des parlementaires et fonctionnaires européens aux conditions prévues dans l'appel d'offres (véhicule banalisé). Elle a précisé que, si l'offre présentée par les "artisans taxis strasbourgeois" pouvait être financièrement plus favorable, les prestations seraient néanmoins réalisées en dehors de tout cadre légal, en contradiction avec l'appel d'offres. Elle a également rappelé qu'elle ne bénéficiait pas des nombreux avantages fiscaux octroyés aux taxis et que le souci de respecter les lois et réglementations en vigueur ne lui permettait donc pas de faire une offre à un prix concurrentiel. Elle serait ainsi confrontée à une concurrence déloyale. Enfin, elle a demandé au Parlement de prendre position sur ces arguments.
17. Par lettre du 19 avril 1999, la requérante a, en complément de sa lettre du 15 avril 1999, adressé un rapport daté de mars 1992 du ministère de l'Intérieur, inspection générale de l'administration, concernant l'activité des taxis dans la communauté urbaine de Strasbourg et à l'aéroport de Strasbourg-Entzheim.
18. Par lettre du 11 mai 1999, M. Rieffel, directeur général de la direction générale de l'Administration du Parlement, a répondu:
"Vos lettres des 15 et 19 avril 1999 dans lesquelles vous nous avez communiqué un certain nombre d'informations concernant la législation française au sujet de l'activité des taxis et demandé également que le Parlement européen prenne position sur les commentaires que vous avez formulés sur l'adéquation entre les prestations de la Coopérative Taxi 13 et cette législation appellent de ma part les observations suivantes.
Afin d'éviter tous différends ultérieurs, le Parlement européen, dans son appel d'offres n° 99/S 18-8765/FR a édicté l'obligation que 'le contractant veillera à l'application rigoureuse des réglementations nationales et locales en vigueur dans le cadre de l'exécution des prestations commandées (cf. article VI, alinéa 2, du projet de contrat). À ce propos, je tiens à souligner qu'il n'appartient pas au Parlement européen, mais aux instances judiciaires françaises compétentes en la matière, d'interpréter la législation.
Pour sa part, concernant l'appel d'offres précité, le Parlement européen a respecté toutes les réglementations et procédures concernant les passations de marché et, en premier lieu, la directive [...] 92-50 [...].
Quant à la mise en œuvre des prestations, je ne dispose d'aucune information me portant à croire que la Coopérative Taxi 13 ne respecte pas les conditions de l'appel d'offres. Par ailleurs, le Parlement européen n'a, à ce jour, été saisi par aucune autorité administrative ou judiciaire contestant les conditions d'exécution du contrat.
[...]"
19. C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 juin 1999, la requérante a introduit le présent recours.
20. La requérante n'ayant pas déposé de réplique dans le délai imparti, la procédure écrite a été close en date du 20 septembre 1999.
21. Par lettre du 20 janvier 2000, la requérante a déposé une demande de réouverture de la procédure écrite en vertu de l'article 42, deuxième alinéa, du statut CE de la Cour de justice applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l'article 46 du même statut.
22. Par décision du 31 janvier 2000 du président de la cinquième chambre, cette demande a été rejetée.
23. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience publique du 14 mars 2000.
Conclusions des parties
24. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision attaquée;
- condamner le Parlement à lui payer un montant de 1 million de FRF en réparation du dommage subi, en application de l'article 288 CE.
25. La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours;
- condamner la requérante aux dépens.
Sur la recevabilité
Arguments des parties
26. Sans soulever formellement une exception d'irrecevabilité, le Parlement fait valoir que la requérante n'a pas un intérêt à introduire le présent recours dès lors qu'elle a présenté une offre qui ne pouvait en aucun cas être retenue. En effet, la requérante ne serait pas en mesure d'assurer les prestations que le Parlement avait demandées telles qu'indiquées dans le cahier des charges.
27. Lors de l'audience, la requérante a rétorqué que, s'il est vrai qu'elle ne pouvait assurer les transports durant les heures de pointes (voir point 6 ci-dessus), la raison en était que ces prestations étaient irréalisables et, partant, comme elle l'avait précisé au Parlement dans le cadre de la procédure d'appel d'offres, qu'aucune entreprise de remise de la région ne pouvait les effectuer sans sous-traiter à des artisans taxis travaillant en violation de la législation.
Appréciation du Tribunal
28. En vertu d'une jurisprudence constante, la recevabilité d'un recours introduit par une personne physique ou morale est subordonnée à la condition qu'elle justifie d'un intérêt à agir (voir arrêt du Tribunal du 30 janvier 1997, Corman/Commission, T-117-95, Rec. p. II-95, point 83, et ordonnance du Tribunal du 10 février 2000, Andriotis/Commission et Cedefop, T-5-99, non encore publiée au Recueil, point 36).
29. Il est vrai que la requérante s'est limitée à conclure à ce qu'il plaise au Tribunal annuler la décision de ne pas retenir son offre. Il est également exact que la requérante a déclaré qu'elle ne pouvait pas remplir toutes les conditions indiquées par le Parlement dans le cahier des charges.
30. Toutefois, dans son offre, la requérante a précisé qu'elle soumissionnait au "lot n° 1 sur la tranche quotidienne hors périodes de pointes". Elle a exposé qu'elle ne pouvait assurer les transports durant les heures de pointes, soit de 7 heures à 9 heures et de 19 heures à 22 heures, du fait que ces prestations étaient techniquement et financièrement irréalisables. À cet égard, la requérante a souligné qu'aucune entreprise ne pouvait assumer la mise à disposition d'autant de véhicules pendant les heures de pointes sans sous-traiter à des artisans taxis travaillant en violation de la législation. Dans le document joint en annexe 2 à sa soumission, elle a, notamment, affirmé que l'utilisation de taxis pour le transport de personnes en véhicules banalisés dans le cadre du contrat avec le Parlement était contraire à la législation française, cette dernière interdisant que les taxis soient utilisés à titre onéreux sans leurs signes distinctifs (voir point 11 ci-dessus).
31. Par lettre du 11 mai 1999, le Parlement a répondu que c'était aux autorités judiciaires françaises compétentes en la matière et non à lui qu'il appartenait d'interpréter la législation française. Or, il a affirmé ne pas disposer d'information portant à croire que la Coopérative Taxi 13 ne respectait pas les conditions de l'appel d'offres. Par ailleurs, le Parlement a indiqué n'avoir été saisi par aucune autorité administrative ou judiciaire contestant les conditions d'exécution du contrat en cause (voir point 18 ci-dessus).
32. Il s'ensuit que le présent litige porte surtout sur la question de savoir si le Parlement était fondé à considérer que la Coopérative Taxi 13 pouvait respecter les conditions d'exécution du contrat en cause conformément à la législation française.
33. Dès lors, le Parlement ne saurait soutenir que la requérante n'a pas un intérêt à introduire son recours au motif qu'elle a présenté une offre qui ne pouvait en aucun cas être retenue. En effet, dans la mesure où l'annulation de la décision attaquée, du fait que l'utilisation de taxis dans le cadre du contrat en cause ne serait pas autorisée par la législation française, entraînerait la réouverture de la procédure d'appel d'offres, la requérante a bien un intérêt à intenter le présent recours afin de pouvoir faire une nouvelle soumission sans être confrontée à la concurrence des sociétés constituées par les artisans taxis.
34. En conséquence, la contestation de la recevabilité du présent recours par le Parlement doit être rejetée.
Sur les conclusions en annulation
35. Dans sa requête, la requérante invoque deux moyens tirés d'une violation, premièrement, du droit français applicable à l'activité des taxis ainsi que du cahier des charges et, deuxièmement, du principe de non-discrimination en ce que le Parlement aurait fait abstraction de la législation française lorsqu'il a lancé l'appel d'offres. Lors de l'audience, la requérante a invoqué un troisième moyen tiré d'une violation de la condition dans l'avis selon laquelle les prestataires devaient justifier d'une activité de trois ans dans le secteur.
Sur le premier moyen, tiré d'une violation du droit français applicable à l'activité des taxis ainsi que du cahier des charges
Arguments des parties
36. La requérante considère que la conclusion du contrat en cause avec la Coopérative Taxi 13 ou toute autre société de taxis conduit à une violation de la législation française applicable à l'activité des taxis. Cette législation interdirait l'utilisation des taxis comme véhicules banalisés pour le transport de personnes à titre onéreux. Les taxis bénéficieraient, en effet, de certaines exonérations qui ne pourraient pas être étendues à d'autres activités. Ainsi, en concluant le contrat en cause avec la Coopérative Taxi 13, le Parlement aurait méconnu la condition visée dans l'article 6 du cahier des charges (clauses administratives) aux termes duquel l'offre et l'exécution des prestations doivent être conformes aux réglementations en vigueur.
37. Le Parlement fait observer que la réglementation française applicable aux activités correspondant à l'appel d'offres est la loi n° 82-1153, du 30 décembre 1982, d'orientation des transports intérieurs (JORF du 31 décembre 1982) et le décret n° 87-242, du 7 avril 1987, relatif à la définition et aux conditions d'exécution des services privés de transport routier non urbain de personnes (JORF du 8 avril 1987, p. 3980). Selon le Parlement, cette législation ne prévoit aucune interdiction d'exécution des services faisant l'objet de l'appel d'offres. En revanche, l'article 3 du décret n° 87-242 obligerait les entreprises fournissant des véhicules avec conducteurs de s'inscrire au registre des entreprises de transport public routier de personnes. Or, la Coopérative Taxi 13 aurait communiqué, avec son offre, un certificat d'inscription à ce registre, lui permettant l'exercice du service de location de voitures pour le transport de personnes dans des véhicules banalisés.
38. Par ailleurs, le Parlement considère que la requérante n'est pas en droit d'introduire un recours contestant l'octroi du marché en cause sur la base de l'article 6 du cahier des charges (clauses administratives). En effet, cette disposition aurait pour objet de protéger les droits du Parlement en permettant à celui-ci de résilier le contrat résultant de l'adjudication du marché en cas d'inexécution par l'adjudicataire de l'obligation de respecter la réglementation en vigueur. Cette obligation ne saurait donc être invoquée par les soumissionnaires n'ayant pas été retenus à l'encontre de la décision portant attribution du marché.
Appréciation du Tribunal
39. Il convient de préciser que le Parlement, à l'instar des autres institutions, dispose d'un pouvoir d'appréciation important quant aux éléments à prendre en considération en vue de la prise d'une décision de passation d'un marché sur appel d'offres et que le contrôle du Tribunal doit se limiter à vérifier l'absence d'erreur grave et manifeste (voir arrêt de la Cour du 23 novembre 1978, Agence européenne d'intérims/Commission, 56-77, Rec. p. 2215, point 20; arrêts du Tribunal du 8 mai 1996, Adia Intérim/Commission, T-19-95, Rec. p. II-321, point 49, et du 17 décembre 1998, Embassy Limousines & Services/Parlement, T-203-96, Rec. p. II-4239, point 56).
40. Il y a lieu de préciser encore que, en vertu de l'article 230, paragraphe 2, CE, le Tribunal est compétent, dans le cadre d'un recours en annulation, pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité CE ou de toute règle de droit relative à son application ou détournement de pouvoir. Il en ressort que le Tribunal ne saurait traiter la prétendue violation de la législation française comme une question de droit qui suppose un contrôle juridique illimité. En effet, un tel contrôle n'incombe qu'aux autorités françaises.
41. Toutefois, en vertu des principes de bonne administration et de coopération loyale entre les institutions communautaires et les États membres, les institutions sont tenues de s'assurer que les conditions prévues dans un appel d'offres n'incitent pas les soumissionnaires potentiels à violer la législation nationale applicable à leur activité.
42. En l'espèce, le Parlement a affirmé que la législation française n'interdisait pas l'exécution des services de transport faisant l'objet de l'appel d'offres, dans des taxis banalisés, à condition que ces services soient couverts par une inscription au registre des entreprises de transport public routier de personnes. Or, force est de constater que la requérante n'a pas démontré que cette affirmation du Parlement était manifestement erronée. En effet, la requérante s'est bornée à invoquer la législation française concernant les activités de taxis sans établir que celle relative aux services privés de transport routier non urbain de personnes ne pourrait pas être applicable aux artisans taxis lorsque ceux-ci assurent les prestations prévues dans l'appel d'offres. De plus, il n'est pas contesté que la Coopérative Taxi 13 a fourni un certificat établissant qu'elle est inscrite au registre des entreprises de transport public routier de personnes. Or, le Parlement a établi que cette inscription était exigée par la législation française relative aux services privés de transport, précitée, ce qui rend sa thèse crédible.
43. Dans ces conditions, la requérante n'a pas démontré que le Parlement ait commis une erreur manifeste dans son interprétation de la législation française.
44. Par ailleurs, la requérante n'est pas en droit de se prévaloir de la clause du projet de contrat-cadre, selon laquelle l'exécution des prestations doit être conforme à la réglementation en vigueur. En effet, cette clause ne saurait être interprétée dans le sens qu'elle impose au Parlement de vérifier, outre l'inscription au registre mentionnée ci-dessus, que l'adjudicataire exécute le contrat en cause conformément à la législation française. Comme le Parlement l'a clairement déclaré, en vertu de cette clause, l'adjudicataire doit s'assurer qu'il exerce ses activités en conformité avec la législation française et, partant, il doit subir les conséquences d'un manquement à cette obligation.
45. Il convient d'ajouter que le Parlement a affirmé lors de l'audience que si son interprétation de la législation française s'avérait inexacte, il serait obligé de résilier le contrat en cause en vertu de ladite clause.
46. Il ressort de ce qui précède que le premier moyen, tiré d'une violation de la législation française applicable à l'activité des taxis ainsi que du cahier des charges, doit être rejeté.
Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation du principe de non-discrimination
Arguments des parties
47. La requérante fait valoir que, comme les autres exploitants de voitures de remise qui avaient soumissionné à l'appel d'offres, elle a fait l'objet d'une discrimination pour des raisons pécuniaires.
48. Elle fait remarquer que, en application de la réglementation française, les taxis bénéficient d'une vignette fiscale gratuite et d'une détaxe sur le carburant. De surcroît, ils seraient exonérés de la taxe professionnelle.
49. Ainsi, la requérante considère que le Parlement, même s'il n'est pas à l'origine de cette discrimination, a, en fait, violé le principe de non-discrimination.
50. Le Parlement expose que ce moyen concerne en réalité les choix législatifs d'un État membre relativement à deux activités économiques distinctes. Or, il n'appartiendrait pas aux juridictions communautaires d'apprécier la validité de la législation nationale dans le cadre d'un recours en annulation, une telle compétence ne ressortant pas de l'article 230, paragraphe 2, CE.
51. À titre subsidiaire, le Parlement soutient qu'il n'a pas violé le principe de non-discrimination en l'espèce. En effet, même à supposer qu'il y ait une différence de traitement en droit français entre les entreprises de taxis et les exploitants de voitures de remise, la procédure de passation des marchés publics à laquelle les institutions communautaires sont soumises ne leur permettrait pas d'en tenir compte.
Appréciation du Tribunal
52. Il convient tout d'abord d'observer que la requérante ne prétend pas que le Parlement soit à l'origine de la prétendue discrimination entre les exploitants de voitures de remise et les entreprises de taxis. En effet, la requérante reconnaît que cette discrimination est exclusivement due à la différence de traitement entre ces deux catégories professionnelles opérée en droit français.
53. Or, étant donné que la requérante n'a pas démontré que l'interprétation faite par le Parlement de la législation française applicable aux prestations faisant l'objet de l'appel d'offres était manifestement erronée (voir point 43 ci-dessus), elle n'est pas davantage fondée à prétendre que le Parlement a violé le principe de non-discrimination au motif qu'il n'a pas pris en compte cette différence de traitement. En effet, le Parlement ne saurait, sur la base de la réglementation communautaire en vigueur, prendre en considération les différences d'opportunités sur le marché engendrées par le droit français. Il est tenu de retenir l'offre qui est la plus avantageuse économiquement, compte tenu des critères formulés dans l'avis.
54. Il en résulte que le deuxième moyen doit également être rejeté.
Sur le troisième moyen, tiré d'une violation de la condition dans l'avis selon laquelle les prestataires devaient justifier d'une activité de trois ans dans le secteur
55. Lors de l'audience, la requérante a fait valoir que le Parlement avait méconnu la condition d'ancienneté de trois années dans le secteur d'activité, requise au point 14 de l'avis (voir point 4 ci-dessus), au motif que la Coopérative Taxi 13 a été créée en octobre 1998 et que son immatriculation n'a pris effet que le 1er décembre 1998.
56. La requérante a expliqué le retard avec lequel elle a soulevé ce moyen par le fait que ce n'est qu'à la lecture du mémoire en défense qu'elle a pris connaissance du fait que l'adjudicataire ne respectait pas cette condition.
57. Lors de l'audience, le Parlement a fait observer que, dans la requête, il n'est en rien fait référence à la prétendue irrégularité de la procédure d'appel d'offres au motif que les prestataires doivent justifier d'une activité de trois ans dans le secteur. De ce fait, il considère que ce moyen est irrecevable.
58. En tout état de cause, il a affirmé que ce moyen n'est pas fondé. S'il est vrai que la Coopérative Taxi 13 a été créée récemment, il n'en resterait pas moins que ses membres, qui exerçaient leur activité dans le cadre de l'ancienne coopérative de taxis, auraient l'expérience requise. À cet égard, le Parlement a expliqué que l'expérience exigée par l'avis et le cahier des charges ne doit pas être appréciée par rapport à l'entreprise mais par rapport aux chauffeurs appelés à effectuer les transports en cause.
Appréciation du Tribunal
59. Il ressort des dispositions combinées des articles 44, paragraphe 1, sous c), et 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal que la requête introductive d'instance doit contenir l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués et que la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure (voir, notamment, arrêt de la Cour du 19 mai 1983, Verros/Parlement, 306-81, Rec. p. 1755, point 9, et arrêts du Tribunal du 5 février 1997, Ibarra Gil/Commission, T-207-95, RecFP p. I-A-13 et II-31, point 51, et du 17 décembre 1997, Passera/Commission, T-217-95, RecFP p. I-A-413 et II-1109, point 87).
60. Le présent moyen n'a été invoqué ni directement ni implicitement dans la requête, et il ne présente pas de lien étroit avec les autres moyens invoqués dans celle-ci. Il constitue donc un moyen nouveau, ainsi que le reconnaît la requérante elle-même. Il s'ensuit qu'il est irrecevable à moins qu'il ne se fonde sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.
61. La requérante a fait valoir que ce n'est qu'à la lecture du mémoire en défense qu'elle a pris connaissance du fait que la Coopérative Taxi 13 ne respectait pas la condition selon laquelle les prestataires doivent justifier d'une activité de trois ans dans le secteur.
62. Il importe de relever, à cet égard, que le fait pour la requérante d'avoir pris connaissance d'une donnée factuelle pendant la procédure devant le Tribunal ne signifie pas que cette donnée constitue un élément de fait qui s'est révélé pendant la procédure. Il faut encore que la requérante n'ait pas été en mesure d'avoir connaissance de cette donnée antérieurement (voir arrêt du Tribunal du 28 septembre 1999, Yasse/BEI, T-141-97, RecFP p. II-929, points 126 à 128).
63. Or, comme le dossier le fait apparaître, la requérante était bien en mesure de pouvoir vérifier, antérieurement au dépôt de la requête, les circonstances dans lesquelles la Coopérative Taxi 13 a été créée. En effet, elle a affirmé, dans sa lettre adressée au Parlement en date du 15 avril 1999, qu'elle avait cru comprendre que celui-ci renouvelait la convention qui avait été passée avec "l'association (ou coopérative) des artisans taxis". Dans cette même lettre, elle a, de plus, affirmé que, si l'offre présentée par "les artisans taxis strasbourgeois" pouvait être financièrement plus favorable, les prestations seraient réalisées en dehors de tout cadre légal, en contradiction avec l'appel d'offres.
64. En réponse à ces allégations, le directeur général de la direction générale de l'Administration du Parlement, dans sa lettre du 11 mai 1999, a clairement exprimé que l'adjudicataire était la Coopérative Taxi 13 (voir point 18 ci-dessus). Lorsqu'elle a déposé sa requête, le 8 juin 1999, la requérante était, en conséquence, parfaitement informée du fait que la Coopérative Taxi 13 avait obtenu le marché faisant l'objet de l'appel d'offres. Elle aurait donc pu se renseigner auprès de l'autorité compétente sur la date de création de la Coopérative Taxi 13.
65. Par conséquent, à supposer que la requérante ait porté attention au fait qu'il pourrait exister une incompatibilité entre l'admission de l'offre de la Coopérative Taxi 13 et la condition de l'avis selon laquelle les prestataires devaient justifier d'une activité de trois ans dans le secteur, seulement à la lecture du mémoire en défense, elle n'est pas fondée à affirmer qu'il ne lui était pas possible d'invoquer une telle incompatibilité dans sa requête.
66. La requérante ayant donc eu la possibilité d'invoquer le moyen tiré de la violation de la condition susvisée dans sa requête introductive d'instance, elle ne peut, selon l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, le soulever au stade de l'audience (voir arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T-305-94 à T-307-94, T-313-94 à T-316-94, T-318-94, T-325-94, T-328-94, T-329-94 et T-335-94, Rec. p. II-931, point 63).
67. Au vu de ce qui précède, il convient de constater que le moyen précité, exposé pour la première fois lors de l'audience, n'est pas fondé sur des éléments de droit ou de fait qui se sont révélés pendant la procédure et doit, par conséquent, être déclaré irrecevable.
Sur la demande en indemnité
68. L'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté en vertu de l'article 288, deuxième alinéa, CE et des principes généraux auxquels renvoie cette disposition suppose la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne le caractère illégal du comportement reproché à l'institution, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice allégué (voir arrêt du Tribunal du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T-336-94, Rec. p. II-1343, point 30).
69. La requérante, par ses moyens et arguments exposés ci-dessus, n'ayant pas démontré que le comportement du Parlement était illégal, il convient de rejeter sa demande en indemnité.
70. Il ressort de tout de qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
71. Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Parlement.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre),
déclare et arrête:
1) Le recours est rejeté.
2) La requérante supportera ses propres dépens ainsi que ceux du Parlement.