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Décisions

CJCE, 2e ch., 23 janvier 1997, n° C-246/95

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Coen

Défendeur :

Etat belge

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Mancini

Juges :

MM. Hirsch, Schintgen

Avocat général :

M. Fennelly

Avocats :

Mes Mackelbert, Louis

CJCE n° C-246/95

23 janvier 1997

LA COUR (deuxième chambre),

1 Par arrêt du 14 juin 1995, parvenu à la Cour le 17 juillet suivant, le Conseil d'État de Belgique a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles portant sur l'interprétation de l'article 173 de ce traité ainsi que sur le statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le "statut") et le régime applicable aux autres agents des Communautés européennes.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Mme Coen, agent du ministère des Affaires étrangères belge, à l'État belge à propos de la légalité d'actes posés par ce dernier dans le cadre d'une procédure de recrutement d'agents temporaires engagée par la Commission.

3 Il ressort de l'arrêt de renvoi qu'en septembre 1993 la Commission a lancé un appel pour la constitution, par voie de sélections, d'une réserve de recrutement d'agents temporaires de catégorie A, notamment, pour les relations extérieures. Des avis ont été publiés dans la presse belge, en particulier dans l'édition du journal "Le Soir" du 18 septembre 1993.

4 En octobre 1993, la Commission a parallèlement invité les États membres, par l'intermédiaire de leurs représentations permanentes auprès des Communautés européennes, à lui soumettre des candidatures appropriées en vue du recrutement d'agents temporaires affectés à la nouvelle direction générale I-A de la politique extérieure et de sécurité commune. La Commission a précisé que la préférence serait donnée aux titulaires du rang de premier secrétaire d'ambassade ou aux conseillers récemment nommés à ces grades et que les candidats retenus seraient considérés comme des agents temporaires.

5 Le 11 novembre 1993, Mme Coen, agent de la cinquième classe administrative de la carrière du service extérieur du ministère des Affaires étrangères belge, a répondu à l'appel de candidatures par voie de sélections lancé par la Commission.

6 Par ailleurs, à la suite de l'invitation adressée par la Commission aux représentations permanentes des États membres, le Conseil de direction du ministère des Affaires étrangères belge a sélectionné, le 18 novembre 1993, trois agents relevant du rôle néerlandais du ministère dont les noms ont été communiqués à la Commission.

7 Le 15 décembre 1993, Mme Coen a transmis sa candidature aux fonctionnaires responsables du ministère. Le Conseil de direction du ministère a refusé de transmettre cette candidature à la Commission, au motif qu'elle avait été introduite tardivement et que Mme Coen n'avait pas le grade souhaité.

8 Le 30 décembre 1993, l'intéressée a saisi le Conseil d'État de Belgique d'un recours en annulation de la décision prise, vraisemblablement entre le 15 novembre et le 1er décembre 1993, par le ministre des Affaires étrangères de proposer la candidature de trois diplomates, membres des services de la carrière extérieure du ministère des Affaires étrangères, à des emplois temporaires de rang A à la direction générale I-A de la Commission et de la décision adoptée, vraisemblablement le 16 décembre 1993, par le Conseil de direction du service de la carrière extérieure du ministère des Affaires étrangères et, par voie de conséquence, par le ministère des Affaires étrangères, de ne pas transmettre la candidature de la requérante à ces emplois.

9 Les actes attaqués ont été suspendus par un arrêt du Conseil d'État du 9 février 1994; après une instruction complémentaire, la suspension a été levée le 28 mars 1994.

10 Le 16 septembre 1994, M. T, l'un des trois candidats que le ministère des Affaires étrangères avait proposés à la Commission, est entré en fonction à la direction générale I-A, en qualité d'agent temporaire.

11 Le 26 octobre 1994, le conseil de l'État belge a fait part au Conseil d'État de la situation administrative des trois personnes proposées par le ministère des Affaires étrangères à la Commission et, en particulier, du recrutement de M. T comme agent temporaire.

12 Mme Coen n'a pas introduit de réclamation devant la Commission contre ce recrutement ni de recours en annulation devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes.

13 Le Conseil d'État estime que, au cas où la nomination de M. T serait définitive à la suite de l'expiration du délai de deux mois visé à l'article 173, cinquième alinéa, du traité, Mme Coen n'aurait pas intérêt à obtenir du Conseil d'État l'annulation des deux décisions attaquées. Dans l'hypothèse où la requérante pourrait obtenir l'annulation de la nomination de M. T devant le Tribunal de première instance, il faudrait s'interroger d'office sur la compétence du gouvernement belge pour procéder à la présentation de candidats; se poserait alors la question de la régularité de la procédure de nomination dont la Commission a pris l'initiative.

14 Dans ces conditions, le Conseil d'État a sursis à statuer et a posé à la Cour les deux questions suivantes:

"1) L'article 173, cinquième alinéa, du traité de Rome doit-il être interprété en ce sens que le délai de deux mois qu'il établit pour attaquer une décision de la Commission est susceptible d'être rouvert par l'effet d'une décision rendue par une juridiction d'un État membre, dont il résulterait qu'un acte de cet État serait irrégulier, quand cet acte a pu exercer une influence sur la décision de la Commission à attaquer?

2) La demande de présentation de candidats à des emplois dans l'administration de la Commission des Communautés européennes, formulée au cours d'une réunion des représentants permanents et du secrétaire général de la Commission, et adressée directement aux États membres, sans autre forme de publicité, ou en marge d'une procédure de recrutement annoncée au Journal officiel, est-elle valable, particulièrement au regard des règles qui régissent le recrutement des agents et fonctionnaires de la Commission?"

15 Il convient de relever, à titre liminaire, que la compétence de la Cour pour statuer sur tout litige entre la Communauté et ses agents est fondée sur l'article 179 du traité, et non pas sur l'article 173 faisant l'objet de la première question préjudicielle.

16 Les voies de recours, notamment les délais et les règles procédurales, font l'objet des articles 90 et 91 du statut. L'article 73 du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes renvoie expressément à ces dispositions.

17 Celles-ci ne s'appliquent pas seulement aux personnes qui ont la qualité de fonctionnaire ou d'agent autre que local, mais aussi à celles qui revendiquent ces qualités, en particulier les candidats qui ont participé à une procédure de recrutement organisée par une institution des Communautés (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 1989, Alexis e.a./Commission, 286-83, Rec. p. 2445, point 9).

18 Il résulte de ce qui précède que la première question posée par le Conseil d'État de Belgique doit être comprise en ce sens qu'elle porte sur l'interprétation de l'article 179 du traité et des articles 90 et 91 du statut.

19 En application de l'article 3 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1, rectificatif publié au JO 1989, L 241, p. 4), le Tribunal exerce, en première instance, les compétences conférées à la Cour de justice pour les litiges visés à l'article 179 du traité CEE.

20 L'article 90, paragraphe 2, du statut exige qu'une personne visée au statut saisisse l'autorité investie du pouvoir de nomination d'une réclamation contre un acte lui faisant grief dans un délai de trois mois à compter du jour où elle en a eu connaissance. Le recours juridictionnel doit être introduit, aux termes de l'article 91, paragraphe 3, dans un délai de trois mois suivant la décision explicite ou implicite de rejet de la réclamation.

21 Il est de jurisprudence constante que les délais de réclamation et de recours, dans le cadre du statut, de même que les recours au titre de l'article 173 du traité, sont d'ordre public et ne sont pas à la disposition des parties et du juge, ayant été institués en vue d'assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques (voir arrêts du 12 juillet 1984, Moussis/Commission, 227-83, Rec. p. 3133, point 12, et du 7 mai 1986, Barcella e.a./Commission, 191-84, Rec. p. 1541, point 12).

22 Si, dans une hypothèse telle que celle en cause dans l'affaire au principal, la légalité d'une procédure de recrutement engagée par une institution des Communautés peut être fonction de la régularité de certains actes posés par les autorités nationales auxquelles l'institution communautaire a fait appel, il incombe à l'intéressé qui s'estime lésé d'introduire, dans les délais fixés par le statut, les recours prévus, fût-ce à titre conservatoire.

23 Toute interprétation différente permettrait de contourner les délais impératifs prévus par le traité et le statut par des voies de droit introduites au niveau national.

24 Il convient dès lors de répondre à la première question, telle qu'elle doit être comprise à la lumière de ce qui précède, que l'article 179 du traité et les articles 90 et 91 du statut doivent être interprétés en ce sens que les délais des voies de recours que ces dispositions établissent pour attaquer une décision de la Commission ne sont pas susceptibles d'être rouverts par l'effet d'une décision rendue par une juridiction d'un État membre, dont il résulterait qu'un acte de cet État serait irrégulier lorsque cet acte a pu exercer une influence sur la décision de la Commission à attaquer.

25 Ainsi qu'il résulte de l'arrêt de renvoi, le Conseil d'État de Belgique n'a posé la seconde question que dans l'éventualité où la première question recevrait une réponse affirmative.

26 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n'y a dès lors pas lieu de répondre à la seconde.

Sur les dépens

27 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Conseil d'État de Belgique, par arrêt du 14 juin 1995, dit pour droit:

L'article 179 du traité CE et les articles 90 et 91 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes doivent être interprétés en ce sens que les délais des voies de recours que ces dispositions établissent pour attaquer une décision de la Commission ne sont pas susceptibles d'être rouverts par l'effet d'une décision rendue par une juridiction d'un État membre, dont il résulterait qu'un acte de cet État serait irrégulier lorsque cet acte a pu exercer une influence sur la décision de la Commission à attaquer.