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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 26 septembre 2006, n° ECEC0812842X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Syndicat des eaux d'Ile-de-France, Lyonnaise des eaux de France (SARL)

Défendeur :

Communauté du Val d'Orge, UFC Que Choisir

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

Mmes Horbette, Mouillard

Avoués :

SCP Bourdais-Virenque-Oudinot, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Choffel, Cerny, Richer, Fourgoux

CA Paris n° ECEC0812842X

26 septembre 2006

Pour l'approvisionnement en eau des communes, la production, le transport et la distribution jusqu'aux abonnés relèvent le plus souvent, en France, de la commune ou du groupement de communes concerné, qui est propriétaire de la chaîne des installations nécessaires à la réalisation de ces opérations sur son territoire, qu'il gère directement ou dont il délègue l'exploitation. Trois groupes se partagent l'essentiel de ce marché national de la délégation la Lyonnaise des Eaux, la Compagnie Générale des Eaux et la SAUR qui en détiennent globalement 98%.

La situation est différente en Ile-de-France, à deux égards.

La forte densité urbaine de la région, tout d'abord, a pour conséquence que plusieurs chaînes d'installation sont, en partie, simultanément présentes sur un même territoire desservi, de sorte qu'une mise en concurrence de ces installations est possible.

Une seconde particularité résulte de ce que certaines communes ou groupements de communes ne sont propriétaires que du réseau de distribution sur le territoire communal, tandis que la partie amont de la chaîne -production, transport et stockage- appartient à une entreprise privée ou le cas échéant à une personne publique qui en assure l'exploitation. En pareil cas, les délégations consenties par les communes pour la fourniture de l'eau sur leur territoire supposent que le délégataire gère les installations de distribution communales et s'engage à faire son affaire de l'approvisionnement en eau potable, soit qu'il le produise, soit qu'il l'acquière auprès du propriétaire de la chaîne des installations en amont, susceptible de desservir le territoire concerné.

La fourniture d'eau en Ile-de-France est assurée pour environ 88 % par trois producteurs:

- pour 36,7 % par le Syndicat des Eaux d'Ile-de-France (Sedif), établissement public de coopération intercommunale chargé de gérer le service public de l'eau potable dans 144 communes de la région Ile-de-France hors Paris qui en sont adhérentes, la gestion de ce service ayant été déléguée à la Compagnie Générale des Eaux (CGE) suivant convention de régie intéressée du 3 avril 1962,

- pour 32,6 % par la Société Anonyme de Gestion des Eaux de Paris (Sagep), société d'économie mixte concessionnaire depuis 1987 du service de la production et du transport de l'eau potable et non potable de la ville de Paris, de la distribution de l'eau non potable à Paris et de la distribution de l'eau potable à douze hôpitaux parisiens, la durée de la concession ayant fixée à 25 ans, la distribution de l'eau potable à Paris étant assurée par la société Eau et Force-Parisienne des Eaux pour la rive gauche de la Seine et par le groupe Lyonnaise des Eaux pour la rive droite,

- pour 18,6 % par la société anonyme de droit privé Lyonnaise des Eaux France (ci-après Lyonnaise des Eaux), qui dispose de deux réseaux de production et de transport d'eau en région parisienne, l'un à l'Ouest, l'autre au Sud, l'activité de distribution d'eau exercée par le centre régional Ile-de-France Sud de la Lyonnaise des Eaux par délégation du service public couvrant notamment des communes situées dans les départements de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, des Yvelines et de l'Essonne, l'activité de distribution également exercée par la Lyonnaise des Eaux sur les territoires desservis ayant été transférée depuis le 1er janvier 1998 à l'une des ses filiales la société Eaux du Sud Parisien (ESP) constituée à cette fin ;

Il apparaît qu'en dépit de l'interconnexion de leurs réseaux de transport d'eau, réalisée pour satisfaire les impératifs de sécurité générale des approvisionnements, ces producteurs ne proposent pas de tarif de vente d'eau en gros à destination d'une demande située en dehors de leur zone de distribution -à l'exception de la ville de Paris-, le marché restant cloisonné entre les différentes zones qu'ils contrôlent.

Ces caractéristiques propres à la région Ile-de-France sont à l'origine des pratiques relevées dans la décision attaquée, qui sont reprochées à deux de ces producteurs-distributeurs, d'une part à la Lyonnaise des Eaux lors du renouvellement des contrats de délégation du service public de l'eau qu'elle avait conclus avec certaines communes de l'Essonne et, d'autre part, au Sedif lors de démarches entreprises par la société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de la région parisienne (ci-après société Semmaris), qui est son abonnée, dans le but d'obtenir un meilleur prix auprès de la Sagep.

S'agissant de la Lyonnaise des Eaux, les collectivités territoriales que constituent les communes de Saint-Michel-sur-Orge, Morsang-sur-Orge, Villemoisson-sur-Orge, les Ulis, Grigny et le Syndicat intercommunal du Nord-Est de l'Essonne (ci-après Syndicat NEE), regroupant lui-même sept communes du département, ont souhaité dissocier la fourniture de l'eau en gros à la commune et sa distribution aux usagers lors du renouvellement des contrats de délégation de service public qu'elles avaient conclus avec la société Lyonnaise des Eaux et qui venaient à expiration entre 1996 et 1998, et ont lancé des appels d'offre portant sur l'affermage du service public de distribution d'eau potable, conformément aux dispositions de la loi du 29 janvier 1993 dite loi Sapin.

Après avoir refusé de communiquer à ses concurrents le prix de vente en gros de son eau au motif qu'il s'agissait d'une composante de ses réponses aux appels d'offre, la Lyonnaise des Eaux, fermier sortant, a offert aux communes de Saint-Michel-sur-Orge, Villemoisson-sur-Orge et Les Ulis des rabais globaux portant sur le prix de l'ensemble de sa proposition (fourniture et distribution) et dans le cas des deux premières, une remise spécifique supplémentaire portant sur la seule partie fourniture d'eau. Des remises ont été également octroyées lors des négociations avec les communes de Morsang-sur-Orge et Grigny, qui n'avaient pas obtenu de rabais lors de la soumission, portant essentiellement sur la partie distribution. S'agissant du Syndicat NEE, la Lyonnaise des Eaux lui a proposé par courrier du 14 février 1997 deux prix de gros (net entrée de commune) de l'eau qu'elle produit, un prix de 4,23 F/m3 dans l'hypothèse où le syndicat accepterait de coupler fourniture et distribution, et un prix de 5,11 F/m3 pour le cas où il choisirait une offre de distribution concurrente.

C'est dans ces conditions que la commune de Saint-Michel-sur-Orge et l'association de consommateurs UFC-Que Choisir (ci-après UFC) ont saisi le Conseil de la concurrence, par lettres des 30 janvier et 27 février 1998, de pratiques mises en œuvre par la société Lyonnaise des Eaux France, à l'occasion du renouvellement des contrats de délégation de service public pour la distribution de l'eau potable de la commune de Saint-Michel-sur-Orge. Par lettre du 27 mars 1998, le ministre de l'Economie a saisi le Conseil des mêmes pratiques pour Saint-Michel-sur-Orge et quatre autres communes, Morsang-sur-Orge, Villemoisson-sur-Orge, les Ulis, Grigny ainsi que pour le Syndicat NEE.

Ces trois saisines, fondées sur l'abus qu'aurait commis la Lyonnaise des Eaux de la position dominante qu'elle détiendrait sur le marché de la production d'eau en refusant de communiquer ses conditions de vente d'eau en gros et en pratiquant des prix injustifiés, étaient assorties de demandes de mesures conservatoires. Par un premier arrêt du 19 mai 1998, la Cour d'appel de Paris a confirmé la décision du Conseil de la concurrence rejetant la demande de mesures conservatoires présentée par la commune de Saint-Michel-sur-Orge et par l'association UFC.

Une seconde décision du Conseil rejetant le 12 mai 1998 la demande de mesures conservatoires présentée par le ministre de l'Economie a été réformée par la Cour d'appel de Paris, qui a enjoint à la Lyonnaise des Eaux par arrêt du 29 juin 1998, " de communiquer dans un délai de quatre jours à compter de la notification de l'arrêt, à tout tiers qui en ferait la demande dans le but de se porter candidat à la procédure de mise en concurrence lancée par les communes de Villemoisson-sur-Orge, Les Ulis et Grigny, son prix de vente en gros de l'eau potable établi de manière objective, transparente et non discriminatoire, en écartant de ce prix tout coût étranger à la production... ".

Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté le 3 mai 2000 par la Cour de cassation.

S'agissant du Sedif, il est apparu que la société Semmaris, abonnée à ce producteur pour la fourniture d'eau potable au Marché d'Intérêt National (MIN) de Rungis en raison de la localisation du MIN dans des communes adhérentes au syndicat, avait engagé avec ce dernier en 1997 des négociations en vue de la révision de ses conditions tarifaires, à la suite desquelles les parties ont conclu un avenant le 5 février 1999 réduisant de 18 % le prix moyen de la fourniture d'eau, qui a été fixé à 4,17 F/m3.

La Semmaris avait cependant sollicité une offre concurrente de la Sagep dont les installations de transport -les aqueducs de la Vanne et du Loing-, longent l'emprise du MIN, et lui avait fait part le 18 janvier 1999 de son accord de principe pour l'alimentation en eau du MIN à partir de ces aqueducs, la signature d'un tel contrat restant toutefois soumise à l'autorisation du Conseil de Paris, la Ville étant le principal actionnaire de la Sagep. Le 21 avril 1999, la Sagep adressait à la Semmaris un projet de contrat de : fourniture d'eau au prix brut de 2,70 F/m3 soit compte tenu du coût des infrastructures de raccordement pris en charge par l'abonné, un prix de 3,23 F/m3, inférieur de 22,5 % au prix négocié auprès du Sedif par la Semmaris par l'avenant susvisé. Informé le 28 avril 1999 du projet de convention Sagep-Semmaris, le Sedif adressait deux courriers les 27 mai et 7 juillet 1999 au maire de Paris " en tant qu'actionnaire principal de la Sagep " ainsi qu'une lettre au président de la Sagep le 7 juillet 1999, pour leur faire part de son mécontentement devant cette " position jugée inutilement agressive... ". Par lettre du 30 juillet 1999, le Maire de Paris faisait part au Sedif de sa décision de ne pas soumettre le projet de convention Sagep-Semmaris pour approbation au Conseil de Paris.

Le Conseil de la concurrence s'étant saisi d'office, par décision du 21 juin 2000, de la situation de la concurrence dans le secteur de l'eau potable en Ile-de-France, les quatre saisines ont été jointes par décision du rapporteur général le 2 avril 2003.

Le 14 février 2005 étaient notifiés les griefs suivants, au titre de l'article L. 420-2 du Code de commerce visant l'abus de position dominante :

- à la société Lyonnaise des Eaux, "d'avoir accordé aux six collectivités de Saint-Michel-sur-Orge, Morsang-sur-Orge, Les Ulis, Villemoisson-sur-Orge, Grigny et Syndicat NEE, des rabais de couplage directs ou indirects ce dès la phase de consultation ou après négociation, entre la partie production/transport de l'eau et la partie distribution de son offre auxquels les autres compétiteurs ne pouvaient prétendre...

- au Syndicat des Eaux d'Ile-de-France (Sedif), "d'avoir adressé deux courriers en date du 27 mai 1999 et du 7 juillet 1999 au maire de Paris ainsi qu'au président de la Sagep pour le dernier courrier cité, dans le but le plus explicite d'empêcher la finalisation d'une convention tarifaire entre la Sagep et son prospect Semmaris...

Par décision du 3 novembre 2005 enregistrée sous le n° 05-D-58, le Conseil a adopté la décision suivante :

"Article 1er : Il est établi que la société Lyonnaise des Eaux France a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

Article 2 : Il est établi que le Syndicat des Eaux d'Ile-de-France a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

Article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

- à la société Lyonnaise des Eaux France, une sanction de 400 000 euro;

- au Syndicat des Eaux d'Ile-de-France, une sanction de 100 000 euro.

LA COUR

Vu les recours déposés au greffe de la Cour d'appel de Paris, respectivement

- le 8 décembre 2005 par la Lyonnaise des Eaux,

- le 14 décembre 2005, par le Sedif,

Vu l'ordonnance du 15 décembre 2005, joignant les deux recours,

Vu le mémoire enregistré le 6 janvier 2006, soutenu par un mémoire en réponse déposé le 3 avril 2006, par lequel la Lyonnaise des Eaux demande à la cour de dire que c'est à tort qu'a été retenu un grief d'exploitation abusive de position dominante, d'annuler la décision du Conseil et, à titre subsidiaire, de réduire la condamnation pécuniaire,

Vu le mémoire enregistré le 16 janvier 2006 et le mémoire en réplique déposé le 3 avril 2006, par lesquels le Sedif demande à la cour d'annuler et subsidiairement de réformer la décision du Conseil,

Vu le recours incident de la Communauté du Val d'Orge venant aux droits de la commune de Saint-Michel-sur-Orge et de l'association UFC-Que Choisir, enregistré le 9 janvier 2006, et leurs conclusions en réponse déposées le 3 avril 2006, aux termes desquels ces requérantes demandent à la cour la réformation partielle de la décision en ce qu'elle n'a pas sanctionné, pour abus de position dominante, les pratiques de la Lyonnaise des Eaux qu'elles dénonçaient et plus particulièrement le refus de communication du prix de gros à l'occasion du renouvellement du contrat d'affermage et sur le niveau des prix, l'évocation, le prononcé d'une sanction de principe et la confirmation de la décision pour le surplus, ainsi que la condamnation de la Lyonnaise des Eaux à leur payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence enregistrées le 9 mars 2006,

Vu les observations écrites du ministre chargé de l'Economie, en date du 7 mars 2006, tendant au rejet des recours,

Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience, concluant au rejet des recours formés par la Lyonnaise des Eaux et par le Sedif, et s'agissant du recours incident formé par la Communauté du Val d'Orge et par l'association UFC-Que Choisir, demandant à la cour de renvoyer l'affaire devant le Conseil aux fins d'instruction sur les pratiques de la Lyonnaise des Eaux en matière de fixation du niveau de prix de l'eau potable dans la commune de Saint-Michel-sur-Orge, compte tenu de la spécificité de sa situation,

Ouï à l'audience publique du 20 juin 2006, en leurs observations orales, les conseils des requérants ainsi que le représentant du ministre chargé de l'Economie et le Ministère public, les requérants ayant été en mesure de répliquer et ayant eu la parole en dernier,

Vu la note en délibéré en réponse aux conclusions du Ministère public, déposée le 9 mai 2006 par la société Lyonnaise des Eaux,

Considérant qu'aux termes de l'article L. 420-2 du Code de commerce, " est prohibée dans les conditions prévues à l'article L. 420-1 du Code de commerce, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires...";

Sur le recours de la société Lyonnaise des Eaux France

Considérant qu'entrent dans les prévisions de l'article susvisé les rabais de couplage, lorsqu'une telle remise opère entre un marché amont sur lequel l'entreprise couplante est en monopole et un marché aval lui-même ouvert à la concurrence, dont le produit offert sur le marché amont est un entrant obligé, et que cette pratique a un effet ou un objet anticoncurrentiel;

Considérant que la Lyonnaise des Eaux conteste tout d'abord, dans leur principe, les pratiques de rabais de couplage qui lui sont reprochées en faisant valoir que les conditions relatives au marché, qui sont fondamentales puisqu'il est nécessaire, d'une part, que l'opérateur ait une position dominante sur un marché, d'autre part, qu'il fournisse deux produits sur deux marchés distincts, ne sont pas réunies en l'espèce ; qu'elle observe que la demande des collectivités délégantes portait sur la gestion globale du service de l'eau potable, sans distinction aucune entre la fourniture d'eau en gros et sa distribution, qu'elle-même n'a fait aucune offre séparée d'un prix de production et qu'il est par conséquent impossible d'identifier un marché en gros comme de distinguer un produit " liant " (l'eau en gros) et un produit " lié " (la distribution); qu'elle ajoute, subsidiairement, qu'à supposer admise l'existence d'un marché de l'eau "en gros ", le Conseil s'est contredit en mentionnant l'inexistence de ressources alternatives puis le fait que les communes concernées n'ont pas fait appel à d'éventuelles ressources alternatives, l'existence de telles ressources, admise par le Conseil, étant en elle-même exclusive d'une position dominante de la Lyonnaise des Eaux sur ce marché;

Mais considérant que les appels d'offre lancés par les communes lors du renouvellement des contrats d'affermage du service public de la distribution de l'eau potable ne portaient pas sur les modalités de captage, de traitement et d'adduction de l'eau, mais seulement sur sa fourniture sur le territoire de chacune des communes concédantes à des conditions déterminées par elles, le délégataire faisant son affaire de l'approvisionnement en eau potable jusqu'au point d'entrée de l'eau sur ce territoire ainsi que l'a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt précité qu'il est justement relevé par le Conseil que dans la mesure où ces collectivités, responsables du service public de la distribution d'eau potable sur leur territoire, ne sont pas propriétaires des infrastructures de production et d'adduction de l'eau situées en amont de ce point d'entrée, elles émettent nécessairement, directement ou par l'intermédiaire de leurs délégataires, une demande d'eau en gros pour être en mesure de la distribuer -ou de la faire distribuer par délégation de service public- auprès de leurs habitants ; que tel a été le cas en l'espèce, le fait que la Lyonnaise des Eaux ait été jusqu'alors à la fois le producteur et le distributeur de l'eau potable dans les communes considérées n'étant pas de nature à contredire cette analyse ; qu'au demeurant, les refus opposés par la requérante aux demandes de communication de ses conditions de vente en gros émanant des sociétés Compagnie Générale des Eaux et la Compagnie des Eaux et de l'Ozone lors de la mise en concurrence précédant le renouvellement des contrats d'affermage, ont conduit la Cour d'appel de Paris à lui enjoindre, par arrêt du 29 juin 1998 approuvé par l'arrêt du 3 mai 2000 susvisé, d'effectuer cette communication à tout tiers qui en ferait la demande pour se porter candidat à la mise en concurrence lancée par les communes, ces décisions confirmant la nature distincte des marchés de production et de distribution en cause;

Que la Lyonnaise des Eaux n'est pas davantage fondée à contester l'existence d'un marché géographique de la fourniture en gros de l'eau limité au bassin dont dépendent les communes de l'Essonne concernées par les appels d'offre et à soutenir qu'en particulier l'approvisionnement en eau du SNEE à partir de ressources alternatives était techniquement possible, le Conseil ayant justement relevé que la requérante qui assure 100 % de leur approvisionnement, bénéficiait sur ce marché d'un monopole de fait ainsi que l'a confirmé la cour d'appel dans son arrêt susvisé, et que ces communes y compris le SNEE, ne disposaient d'aucune solution d'approvisionnement alternatif économiquement viable compte tenu des contraintes techniques, juridiques et financières propres à cette zone géographique (points 81 à 84 de la décision);

Considérant, s'agissant du marché de la délégation du service public de la distribution de l'eau potable soit de sa fourniture à partir du point d'entrée de la chaîne des installations sur le territoire des communes, que le Conseil a justement pris en compte la spécificité de la situation prévalant en Ile-de-France, et considéré qu'en l'espèce le marché géographique pertinent devait être limité aux 55 communes de l'Essonne desservies par les installations de la requérante, la domination exercée par cette dernière sur ce marché résultant non seulement de la maîtrise qu'elle exerce sur les ressources essentielles et sur la chaîne amont des installations, mais aussi du fait qu'elle détient 100 % des délégations sur ce marché spécifique;

Considérant que la Lyonnaise des Eaux fait encore valoir qu'elle n'est pas à l'origine du couplage qui lui est reproché et conteste avoir fait une offre séparée d'un prix de production, soutenant qu'en tout état de cause ni l'objet ni l'effet anticoncurrentiel de cette pratique n'est établi;

Considérant que la requérante qui offrait au syndicat NEE dans le cadre de sa réponse globale portant sur la fourniture et la distribution un prix de gros de l'eau de 4,23 F/m3, lui a fait savoir par courrier du 14 février 1997 que ce prix serait de 5,11 F/m3 dans le cas d'une dissociation " entre la mise à disposition de l'eau à partir de notre réseau interconnecté et la gestion proprement dite de votre service d'eau syndical "; que ce faisant elle mettait ses concurrents, s'ils voulaient être compétitifs, dans l'obligation de consentir des rabais importants de l'ordre de 30 à 35 % sur la part relevant de la seule distribution de l'eau, entraînant une distorsion substantielle de la concurrence à leur détriment ; qu'il en résulte comme l'a exactement retenu le Conseil, qu'en se réservant des prix de production plus faibles et en en faisant bénéficier la commune délégante si elle acceptait de contracter avec elle sur un marché global de la fourniture et de la distribution, la Lyonnaise des Eaux a mis en œuvre à son profit une pratique qui avait un objet et, nécessairement, un effet anticoncurrentiel;

Considérant toutefois que c'est à tort que le Conseil a écarté les griefs concernant les offres couplées fourniture/distribution de la Lyonnaise des Eaux aux communes de Saint-Michel-sur-Orge et Villemoisson-sur-Orge, aux motifs qu'il n'était pas possible de vérifier si les rabais consentis qui affectent le prix global ne portaient que sur la seule composante distribution du prix ou se répartissaient sur les deux composantes production et distribution, et qu'il n'était pas établi que la Lyonnaise des Eaux n'aurait pas fait bénéficier du même rabais le prix de gros offert à ses concurrents en cas de dissociation de son offre globale;

Considérant en effet que ces deux communes, ainsi que la commune des Ulis dont le cas n'a pas été examiné par le Conseil, se sont vu proposer dès la phase de consultation et avant toute négociation des rabais commerciaux ainsi que des rabais sur volumes prévisionnels de vente d'eau dont le cumul a atteint 7,8 % pour Saint-Michel-sur-Orge, 16,7% pour le syndicat NEE, 12,2 % pour les Ulis mais seulement si le contrat était porté à 12 ans au lieu de 8 ans, et 8,3 % pour Villemoisson-sur-Orge ainsi que le retient la notification de griefs (p. 86 s.), et ce alors que la requérante se refusait à communiquer ses prix de gros aux autres compétiteurs; qu'après négociation, les rabais consentis par la Lyonnaise des Eaux en cas de couplage entre la partie production/transport d'eau et sa partie distribution ont atteint 13,3 % pour Saint-Michel-sur-Orge, 13,6 % pour les Ulis et 12,3 % pour Villemoisson-sur-Orge;

Considérant que ces pratiques de rabais sur une offre couplée, alors que l'offreur était en situation de monopole sur le marché amont de la fourniture du produit, ont nécessairement faussé la concurrence au moins potentiellement ainsi que le relève le rapporteur, sur le marché aval où étaient susceptibles d'intervenir des concurrents de la Lyonnaise des Eaux, sans qu'il soit nécessaire de déterminer sur quelle prestation précise portait la remise en cause;

Qu'il convient de réformer la décision du Conseil sur ce point;

Considérant enfin que la requérante conteste subsidiairement le montant de la sanction prononcée à son encontre en faisant valoir qu'il n'est pas justifié de l'importance du dommage à l'économie;

Mais considérant que le Conseil a fait une juste application des dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce, en qualifiant de " grave " le comportement incriminé qui a permis à la requérante, titulaire d'un monopole de fait sur le marché de la fourniture de l'eau considéré, d'obtenir le renouvellement de sa position de délégataire du service de la distribution de cette eau, et en appréciant le dommage à l'économie eu égard au montant du marché en cause, chiffré à 15 MF par an sur une durée de 20 ans;

Qu'en tenant compte de l'ensemble des griefs retenus par la cour ainsi que des autres éléments retenus par le Conseil et notamment la situation individuelle de l'entreprise qui a réalisé un chiffre d'affaire de 1.417 millions d'euro en 2004, il convient de confirmer la sanction prononcée à son encontre;

Sur le recours du Syndicat des Eaux Ile-de-France

Considérant que le Sedif soutient, en premier lieu, l'incompétence du Conseil au motif que la décision du maire de Paris constitue un acte administratif et que ses propres démarches qui n'en sont pas détachables, s'inscrivent en tout état de cause dans le cadre de la gestion d'un service public et à l'occasion de l'exercice d'une prérogative de puissance publique, et ajoute que les courriers en cause se rattachent à sa mission de service public puisqu'ils avaient pour objet de protéger les droits concédés à son délégataire de service public, la CGE étant titulaire du droit exclusif de souscrire des abonnements avec les usagers sur son territoire;

Mais considérant que les courriers adressés par le Sedif au Maire de Paris résultent d'une initiative autonome prise par le syndicat en tant qu'agent économique, distincte d'une consultation s'insérant dans une procédure administrative, et ne peuvent dès lors former avec la décision du maire de Paris une opération complexe au sens du droit administratif; que le Sedif n'est pas davantage fondé à exciper d'une obligation de protection des droits concédés souscrite envers son délégataire sur " son " territoire et à soutenir que les deux courriers précités s'inscrivent dans le cadre de l'organisation du service public dont il a la charge, le Conseil ayant justement relevé (point 116 de la décision) que le Sedif n'avait pas été en mesure de justifier de l'existence du monopole de droit dont il se prétend titulaire pour l'approvisionnement en eau sur le territoire des communes adhérentes, un tel monopole, qui ne peut être conféré que par la loi, ne résultant pas en tout état de cause des textes du Code général des collectivités locales dont se réclame le requérant, ni d'aucune autre disposition législative applicable;

Considérant que le requérant critique, en second lieu, la définition d'un marché de produit retenue par le Conseil, en ce qu'elle assimile à tort la Semmaris à une commune et donc à un acheteur en gros alors qu'il s'agit d'un simple usager "appartenant au périmètre de compétence Sedif en matière de fourniture d'eau", titulaire d'un contrat d'abonnement conclu avec la CGE régisseur du Sedif, lequel se doit d'appliquer les mêmes mécanismes tarifaires à l'ensemble de la population établie sur " son " territoire ; qu'il conteste également toute position de domination sur ce marché, les négociations entreprises avec la Semmaris suffisant à démontrer selon lui qu'il ne pouvait s'abstraire du comportement de ses clients et de ses concurrents;

Mais considérant que le Conseil (points 125 et 130 de la décision) a exactement tiré les conséquences de son analyse générale du marché de l'eau en Ile-de-France et retenu l'existence d'un marché pertinent de la fourniture d'eau aux consommateurs situés sur le territoire des 144 communes adhérentes au syndicat, circonscrit au territoire des communes concernées, et considéré que le Sedif était en monopole de fait sur ce territoire dès lors qu'il assurait dans les faits l'intégralité des opérations nécessaires à l'approvisionnement en eau de leurs habitants;

Que le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'assimilation de la Semmaris à un demandeur d'eau en gros procède d'une analyse artificielle du marché et que la Sagep ne peut être considérée comme un offreur concurrent puisque ses statuts cantonnent ses activités à la ville de Paris, alors qu'au contraire le Conseil a pris en considération le fait qu'en raison du volume de consommation en jeu, certains demandeurs et certains offreurs peuvent avoir intérêt à contracter directement sans passer par l'intermédiaire d'une commune de rattachement, et observé que les contraintes statutaires pesant sur la Sagep, qui pouvaient être levées par décision du Conseil de Paris, ne lui interdisaient pas de faire concurrence à un autre producteur ; que le Sedif n'est pas fondé à dénoncer l'atteinte au principe de l'égalité de traitement entre les usagers qui résulterait d'une telle mise en concurrence, alors que prenant connaissance des discussions engagées entre la Sagep et la Semmaris il a, dès l'origine, proposé de revoir ses propres tarifs à la baisse à l'égard de cet unique usager;

Considérant que le Sedif conteste également l'abus de domination qui lui est imputé, faisant valoir qu'il a accepté de renégocier ses tarifs et qu'aucune immixtion ne peut lui être reprochée dans les négociations entreprises entre la Semmaris et la Sagep, ni aucun abus dans le contenu des courriers adressés au maire de Paris et au président de la Sagep qui sont exclusifs de toute pression exercée sur l'un ou sur l'autre, et ce alors que la Semmaris a manifesté sa "déloyauté" en poursuivant ses négociations avec la Sagep alors qu'elle venait de conclure avec son régisseur un avenant à leur contrat;

Mais considérant qu'il ressort clairement du contenu de ces courriers rappelé ci-avant que le Sedif ne s'est pas contenté, comme il le prétend, de s'inquiéter de ce qu'il qualifie de déloyauté de la part de la Semmaris, mais qu'il a expressément dénoncé au maire de Paris l'attitude de la Sagep qu'il considérait comme " inutilement agressive ", lui demandant de le rassurer sur sa position à venir qui ne pouvait que lui être favorable ; que s'il n'est pas établi que la non-inscription du projet de convention entre la Sagep et la Semmaris à l'ordre du jour du conseil de la Ville a eu pour cause unique ces courriers, il n'en demeure pas moins que leur envoi avait de toute évidence un tel but ; qu'en outre, le fait pour le Sedif d'adresser à la Sagep un courrier de même nature ne peut être interprété autrement que comme une pression pour contraindre cette société à renoncer à son projet de convention avec la Semmaris ; que d'ailleurs, le Sedif n'a pas craint d'envisager des mesures de rétorsion à l'égard de la Sagep consistant, d'une part, à durcir ses procédures d'alimentation de secours et, d'autre part, à ne plus s'adresser au laboratoire de la Ville pour le contrôle sanitaire;

Considérant en définitive qu'en relevant à l'encontre du Sedif un comportement qui était par nature anticoncurrentiel et qui pouvait avoir pour effet de faire obstacle au jeu de la libre concurrence, le Conseil a procédé à une analyse que la cour ne peut qu'approuver;

Considérant que, subsidiairement, le Sedif critique la sanction retenue, estimant que la pratique qui lui est reprochée a été sans effet sur l'économie et que la sanction est disproportionnée;

Mais considérant que le Conseil a par de justes motifs que la cour fait siens, relevé que la pratique en cause avait eu pour objet d'empêcher un demandeur d'obtenir de l'eau à meilleur prix et pour effet de perpétuer un état de fait où l'eau bon marché disponible pour les consommateurs reste hors de leur portée; qu'il en a justement déduit que la pratique était grave mais que l'importance du dommage à l'économie était modérée puisqu'il s'est agi d'un seul marché, d'une valeur annuelle d'un million d'euro ; que ces éléments ont été justement pris en compte, la sanction prononcée, qui représente 0,047 % du chiffre d'affaires du requérant pour 2004, restant très modérée au regard des dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 15 mai 2001, applicable lors des faits et devant être approuvée;

Sur le recours incident de la Communauté du Val d'Orge et de l'association UFC-Que Choisir

Considérant que la Communauté du Val d'Orge venant aux droits de la commune de Saint-Michel-sur-Orge et l'association UFC-Que Choisir ont formé un recours incident à l'encontre de la décision du Conseil; qu'elles lui reprochent de n'avoir pas examiné les pratiques dénoncées dans leur plainte, savoir le refus de communication par la Lyonnaise des Eaux de son prix de gros lors du renouvellement des contrats d'affermage, ainsi que la fixation unilatérale d'un prix inéquitable pour les consommateurs; qu'elles demandent à la cour de faire application de son pouvoir d'évocation et, compte tenu de l'ancienneté des pratiques, de prononcer une sanction de principe;

Mais considérant, en premier lieu, que les refus de communication par la Lyonnaise des Eaux de son prix d'eau en gros s'incorporent en réalité aux pratiques constatées lors du renouvellement des contrats d'affermage, qui ont été examinées par le Conseil et sur lesquelles il s'est prononcé, sa décision étant réformée sur ce point ainsi qu'il a été vu ci- avant;

Considérant, en second lieu, que les pratiques de prix de la Lyonnaise dés Eaux à l'égard des communes délégantes et notamment de la Communauté du Val d'Orge, qui n'ont pas fait l'objet de griefs notifiés à l'issue de l'enquête, ont été examinées de manière approfondie dans sa décision par le Conseil, seul compétent pour prononcer une décision de non-lieu sur ces faits dont il était saisi par les plaignantes; qu'après avoir analysé les prix de vente en gros facturés par la Lyonnaise des Eaux qu'il a comparés avec ceux qu'elle a accordés à d'autres producteurs et relevé que les différences de prix rapportées n'étaient pas à elles seules des éléments suffisants pour constituer des pratiques de prix discriminatoires (points 89 à 99 de la décision), le Conseil a, par de justes motifs que la cour fait siens, considéré que le grief de prix abusifs reproché par les plaignants n'était pas établi;

Considérant qu'il y a lieu de rejeter partiellement les recours;

Considérant qu'il n'est pas inéquitable que la Communauté du Val d'Orge et l'association UFC-Que Choisir conservent la charge de leurs frais irrépétibles;

Par ces motifs, Réforme la décision du Conseil en ce qu'elle a écarté les griefs d'abus de position dominante notifiés à la Lyonnaise des Eaux, s'agissant des rabais de couplage offerts à la Communauté du Val d'Orge venant aux droits de la commune de Saint-Michel-sur-Orge ainsi qu'aux communes de Villemoisson-sur-Orge et des Ulis, Dit que la Lyonnaise des Eaux France a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce en proposant aux communes de Saint-Michel-sur-Orge aux droits de laquelle vient la Communauté du Val d'Orge, de Villemoisson-sur-Orge et des Ulis des rabais en cas de couplage de la partie production/transport d'eau et sa partie distribution, Rejette pour le surplus les recours, Condamne la société Lyonnaise des Eaux France et le Sedif aux dépens.