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Décisions

CA Nancy, ch. soc., 23 novembre 2004, n° 03-02157

NANCY

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pierre

Défendeur :

Avi Vosges Immobilier (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Greff

Conseillers :

M. Carbonnel, Mlle Steckler

Avocats :

Me Picard, Jeannel

Cons. prud'h. Epinal, du 3 juill. 2003

3 juillet 2003

Madame Colette Pierre a conclu avec la SARL Avi Vosges Immobilier en date du 2 octobre 2000 un contrat intitulé "contrat d'agent commercial" ;

Ce contrat indiquait en son article 1-1 "le mandant (la SARL Avi Vosges Immobilier) accorde à l'agent commercial (Madame Colette Pierre) qui l'accepte ce mandat à titre de profession habituelle et indépendante auprès de la clientèle";

Parallèlement, Madame Pierre s'est fait inscrire au registre spécial des agents commerciaux à compter du 20 octobre 2000;

Au motif que ses commissions lui étaient réglées de manière très irrégulière et que la société Avi Vosges Immobilier lui retirait arbitrairement des clients pour les confier à d'autres commerciaux, Madame Pierre a, par lettre du 13 mai 2002 adressée à la société, constaté la rupture des relations contractuelles, à raison des manquements à ses obligations ainsi commis par elle;

Estimant qu'en réalité elle a exercé ses activités pour le compte de la société sous un véritable lien de subordination juridique et sans aucune indépendance et que dès lors elle doit être considérée comme ayant été salariée de cette société, Madame Pierre a, selon acte reçu au greffe le 13 mars 2002, fait citer la SARL Avi Vosges Immobilier devant le Conseil des prud'hommes d'Epinal à l'effet de voir requalifier son contrat d'agent commercial en contrat de travail et de voir la société condamnée à lui payer diverses sommes à titre de rappel de salaire et d'indemnités de rupture du contrat de travail ;

La SARL Avi Vosges a soulevé l'exception d'incompétence d'attribution du conseil des prud'hommes pour connaître du litige en faisant valoir que Madame Pierre avait valablement signé avec la société un contrat d'agent commercial, et qu'elle était régulièrement immatriculée au registre des agents commerciaux et qu'elle n'établissait pas avoir exercé ses activités dans des conditions la plaçant dans un lien de subordination juridique permanent à l'égard de la société;

Par jugement du 3 juillet 2003, le Conseil des prud'hommes d'Epinal a dit que Madame Colette Pierre est liée à la SARL Avi Vosges Immobilier par un contrat d'agent commercial et s'est déclaré incompétent pour connaître de sa demande et a renvoyé l'affaire devant le Tribunal de grande instance d'Epinal pour en connaître;

Suivant acte remis au greffe le 17 juillet 2003, Madame Colette Pierre a formé contredit de cette décision;

Elle conclut comme suit :

"Donner acte à Madame Colette Pierre de son contredit et le recevoir en la forme, Réformer le jugement d'incompétence du Conseil des prud'hommes d'Epinal,

Dire et juger que Madame Colette Pierre et la société Avi Vosges Immobilier étaient liées par un contrat de travail,

Dire et juger que le Conseil des prud'hommes d'Epinal est en conséquence compétent pour connaître de la demande présentée par Madame Colette Pierre,

Renvoyer la cause et les parties devant le Conseil des prud'hommes d'Epinal pour être statué sur les demandes de Madame Pierre,

Condamner la société Avi Vosges Immobilier aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 1 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile",

Vu le contredit motivé de Madame Colette Pierre;

La SARL Avi Vosges Immobilier prend devant la cour des conclusions tendant à voir :

"Constater que Madame Colette Pierre a régulièrement signé un contrat d'agent commercial,

Constater que Madame Colette Pierre est immatriculée au registre des agents commerciaux,

Dire et juger que Madame Colette Pierre n'établit pas avoir exercé son activité dans des conditions la plaçant dans un lien de subordination juridique permanent à l'égard de la SARL Avi Vosges Immobilier,

En conséquence, Dire et juger le contredit de Madame Colette Pierre mal fondé,

Confirmer le jugement du conseil des prud'hommes en date du 3 juillet 2003,

Dire que le Tribunal de grande instance d'Epinal est seul compétent pour connaître des demandes de Madame Colette Pierre fondées sur son contrat d'agent commercial,

Condamner Madame Colette Pierre à verser à la SARL Avi Vosges Immobilier la somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Condamner Madame Colette Pierre en tous les dépens";

Vu les conclusions datées du 23 août 2004 de la SARL Avi Vosges Immobilier auxquelles le mandataire de celle-ci se réfère lors de l'audience des débats;

Sur ce

Attendu que d'une manière générale la qualification des relations contractuelles existant entre les parties ne dépend pas de la volonté exprimée par elles, ni de la qualification qu'elles ont donné à leur convention, mais des conditions dans lesquelles celle-ci s'exécute effectivement;

Attendu qu'en l'espèce il résulte des pièces produites aux débats que Madame Pierre était tenue de faire des comptes rendus journaliers détaillés concernant son activité et les clients qu'elle visitait;

Qu'il résulte également des pièces versées aux débats que la SARL Avi Vosges Immobilier usait de nombreuses notes de services par lesquelles elle donnait des instructions précises à Madame Pierre concernant des affaires à traiter et la manière d'y procéder, qu'elle lui imposait la présence obligatoire à des réunions régulières, dont la société s'arrogeait le droit de modifier unilatéralement les modalités, ainsi qu'à sa participation, également obligatoire, à des journées portes ouvertes;

Que la société avait aussi imposé une permanence les samedis après-midi dans l'agence pour ses "commerciaux", parmi lesquels figurait Madame Pierre;

Attendu qu'il apparaît au vu de ce qui précède que l'activité professionnelle de Madame Pierre était très encadrée par la SARL Avi Vosges Immobilier et que sa liberté d'action se trouvait fort astreinte;

Que cette situation est incompatible avec l'indépendance, non pas totale mais cependant importante, nécessaire à l'activité normale d'un agent commercial et ce d'autant plus que le contrat conclu entre les parties interdisait à Madame Pierre de représenter d'autres mandants pendant la durée du contrat ;

Qu'en fait, cette situation caractérise l'existence d'un lien de subordination et par conséquent celle d'un contrat de travail ;

Attendu qu'il convient dès lors de dire que Madame Pierre était liée par un contrat de travail avec la SARL Avi Vosges Immobilier, de sorte que le Conseil des prud'hommes d'Epinal est compétent pour connaître de la demande présentée par Madame Pierre ;

Qu'il y a donc lieu d'accueillir le contredit de cette dernière, de réformer le jugement entrepris et de renvoyer l'affaire devant le Conseil des prud'hommes d'Epinal;

Attendu que la SARL Avi Vosges Immobilier qui a succombé sera condamnée aux frais afférents au contredit et verra rejeter sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Qu'en équité il y a lieu d'accorder à Madame Pierre la somme de 600 euro en application ce même texte;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement par arrêt contradictoire, Accueillant le contredit formé par Madame Colette Pierre et réformant le jugement entrepris Dit que Madame Colette Pierre et la SARL Avi Vosges Immobilier étaient liées par un contrat de travail; Dit, en conséquence, le Conseil des prud'hommes d'Epinal compétent pour connaître de la demande de Madame Colette Pierre; Renvoie la cause et les parties devant cette juridiction; Condamne la SARL Avi Vosges Immobilier aux frais inhérents au contredit; La condamne, en outre, à payer à Madame Colette Pierre la somme de six cents euro (600 euro) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; La déboute de sa demande formée en application de ce même texte.