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Décisions

CA Nîmes, ch. soc., 26 octobre 2004, n° 04-2109

NÎMES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

des Rosiers

Défendeur :

Barnier

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. le Gall

Conseiller :

M. Guardia

Avocats :

Mes Demba, Bonhommo

Cons. prud'h. Orange, sect. encadr., du …

23 février 2004

Exposé du litige,

Par déclaration reçue au greffe le 9 mars 2004, Michelle des Rosiers a formé contredit au jugement rendu en formation de départage le 23 février 2004 par la section encadrement du Conseil de prud'hommes d'Orange, qui lui avait été notifié le 28 mars 2004, jugeant que les parties n'étaient pas liées par un contrat de travail et se déclarant incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Carpentras pour connaître de ses demandes.

Elle fait valoir à l'appui de son recours qu'elle est entrée au service de l'agence immobilière Century 21 Barnier Immobilier en qualité d'agent commercial, par contrat d'un an à compter du 13 novembre 1997, mais que les conditions d'exécution de ce contrat se sont avérées totalement différentes de ce qui avait été convenu et que seule la qualification juridique de contrat de travail peut être retenue.

Elle estime en effet rapporter la preuve qu'elle exerçait son activité sous la subordination de M. Barnier, laquelle se traduisait par l'obligation de respecter les règles impératives édictées par le "Passeport pour l'immobilier", l'obligation de tenir des permanences et la pratique des "caravanes", ainsi que par l'absence de clientèle propre et d'autonomie professionnelle.

Elle demande en conséquence à la cour de dire qu'elle était liée par un contrat de travail, que le Conseil de prud'hommes d'Orange est compétent pour se prononcer sur les demandes qu'elle forme à l'encontre de M. Barnier, d'infirmer la décision critiquée, de renvoyer l'affaire devant cette juridiction et de condamner le défendeur au contredit à lui payer 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Alain Barnier exploitant "l'agence Barnier Immobilier Century 21" conclut au rejet du contredit, à la confirmation en tous points du jugement de départage et à la condamnation de Michelle des Rosiers à lui payer 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il souligne que l'article L. 120-3 du Code du travail issu de l'article 23 de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 énonce que les personnes physiques immatriculées au registre des agents commerciaux sont présumées ne pas être liées avec le donneur d'ouvrage par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à cette immatriculation.

Il soutient que le Conseil de prud'hommes a parfaitement analysé la situation en relevant que les "permanences" et "caravanes" démontraient l'existence d'une organisation destinée à coordonner et faciliter l'intervention des différents agents et ne suffisaient pas à prouver l'existence d'un lien de subordination et qu'il n'est pas établi que l'agent se trouvait sous l'autorité d'un membre de l'entreprise ayant le pouvoir de lui donner des ordres et des directives et d'en sanctionner l'inexécution.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions respectives des parties, la cour se réfère expressément au jugement du Conseil de prud'hommes et aux conclusions déposées, développées oralement à l'audience.

Motifs de la décision,

Quelles que soient les modifications législatives ayant affecté la "présomption de non-salariat" pour les personnes physiques ayant fait l'objet d'une immatriculation, instaurée par la loi 94-126 du 11 février 1994, supprimée par celle 2000-37 du 19 janvier 2000, avant d'être réintroduite par celle 2003-721 du 1er août 2003, il est constant que l'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention, mais des conditions réelles dans lesquelles la prestation de travail s'est effectuée.

Il y a contrat de travail lorsqu'une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la subordination d'une autre, moyennant rémunération.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Le travail au sein d'un service organisé constitue un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du contrat de travail.

Si le "contrat d'agent commercial" signé entre les parties le 13 novembre 1997 pour un an, reconduit depuis, stipule que l'agent commercial :

"- Organise son activité comme il l'entend, il n'a pas à informer l'agence de ses absences, il n'est pas tenu à une obligation de présence, ni d'horaire.

- N'a ni secteur d'exclusivité, ni catégorie de clientèle particulière, il peut prospecter auprès de toute personne et sur tout le territoire national.

L'agence mettra à sa disposition un bureau dans ses locaux, qui ne lui sera pas exclusivement affecté, où l'agent commercial pourra domicilier les annonces publicitaires, sa correspondance, et, seulement lorsqu'il le jugera utile, recevoir la clientèle (...)", les éléments de fait du dossier démontrent qu'il en allait différemment en pratique.

C'est ainsi qu'il est établi que:

- Michelle des Rosiers ne disposait d'aucune clientèle propre, tous les clients prospectés par ses soins étant mis à la disposition de l'agence Barnier Immobilier dans un fichier utilisable tant par la secrétaire de l'agence que par les autres "conseillers immobiliers".

- Elle ne disposait pas de matériel, notamment informatique, propre, à l'exception d'un véhicule automobile, et ne pouvait consulter le listing des clients qu'au siège de l'agence Barnier Immobilier d'Orange, où elle recevait également ses clients.

- Toute l'activité de prospection par messagerie internet ou document publicitaire se faisait au nom de l'agence "Barnier Immobilier Century 21", qui centralisait tous les retours éventuels, le tampon "Michelle des Rosiers, conseillère en immobilier" n'étant associé à aucun numéro de téléphone ou adresse distincte de celle de l'agence immobilière.

- L'attestation établie par Annie Blanchard, qui a travaillé pour le compte de l'agence Century 21 d'Orange de mars 1999 à mars 2000, établit qu'un secteur de prospection était confié à chaque conseiller", qui était tenu d'inscrire les clients acheteurs ou vendeurs au fichier de l'agence, et que la commission éventuelle était partagée si le bien négocié ne se trouvait pas dans le secteur géographique du conseiller qui avait finalisé la vente.

Dès lors les "permanences" et "caravanes", mises en place par M. Barnier, ne pouvaient être considérées comme de simples mesures d'organisation pour faciliter la tâche de chacun comme l'ont estimé les premiers juges, dans la mesure où d'une part elles avaient un caractère obligatoire d'après les témoins Blanchard, Prats et Maton, d'autre part elles conditionnaient l'ensemble de l'activité des participants ainsi que leurs conditions de rémunération.

A cet égard il est constant que dans son courrier du 12 juillet 2002 Alain Barnier reconnaît la "suppression des permanences", ce qui confirme bien leur existence avant cette date et leur caractère obligatoire, car on discerne mal l'intérêt de "supprimer" un accueil à l'agence qui ne serait intervenu que selon les convenances de chacun.

De la même façon la référence dans ce même courrier à un "secteur géographique" résultant "d'un accord conclu entre les agents commerciaux pour se partager les secteurs de prospection afin que les uns ne marchent pas sur les pieds des autres" ne résiste pas à l'examen dès lors qu'il en résultait des conséquences automatiques en matière de rémunération et d'organisation du travail.

Enfin la cour ne peut que constater que le " Passeport pour l'immobilier " imposait un certain nombre de comportements et d'attitudes vis-à-vis de la clientèle que l'intéressée s'engageait à respecter sous peine de sanction, dès lors que son activité s'exerçait sous le label "Century 21".

Il résulte de l'ensemble de ces éléments un faisceau d'indices précis et concordants établissant que Michelle des Rosiers exerçait une activité rémunérée pour le compte exclusif de l'agence Barnier Immobilier, sous l'autorité et dans le cadre d'un service organisé par Alain Barnier, chargé d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner les manquements.

A cet égard les correspondances échangées entre les parties les 20 juin et 12 juillet 2002 démontrent que les décisions unilatérales de l'employeur de supprimer les permanences et les caravanes et de changer les serrures de l'agence sans remettre le nouveau jeu de clés à Michelle des Rosiers modifiaient profondément les conditions d'exercice de son activité professionnelle, ce qui illustre son absence d'autonomie dans l'exercice de ses activités et le lien de subordination existant entre les parties.

Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement querellé et de dire que les relations contractuelles entre les parties s'inscrivaient dans le cadre d'un contrat de travail depuis le 13 novembre 1997.

Les parties s'accordent sur le montant des frais est honoraires non compris dans les dépens exposés devant la cour.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant en matière prud'homale, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Dit le contredit recevable et fondé; Infirme le jugement rendu par la section encadrement du Conseil de prud'hommes d'Orange statuant en la formation de départage le 23 février 2004; Dit que les conditions dans lesquelles Michelle des Rosiers a travaillé pour le compte de M. Alain Barnier, exerçant sous l'enseigne "Century 21 Barnier Immobilier", caractérisent l'existence d'un contrat de travail; Dit que le Conseil de prud'hommes d'Orange est seul compétent pour apprécier la recevabilité et le bien fondé des demandes présentées par Michelle des Rosiers à l'encontre d'Alain Barnier en lien avec ce contrat de travail; Renvoie la cause et les parties devant cette juridiction pour qu'il soit statué sur les demandes; Condamne Alain Barnier aux dépens du contredit ainsi qu'à payer à Michelle des Rosiers la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.