CJCE, 6e ch., 24 février 1987, n° 312-84
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Continentale Produkten Gesellschaft Ehrhardt-Renken GmbH & Co
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M Kakouris
Avocat général :
M. Darmon
Juges :
MM. O'Higgins, Koopmans, Bahlmann, Iglesias
Avocats :
Mes Steeger, Tiefenbacher, Heibey
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 28 décembre 1984, la société Continentale Produkten Gesellschaft Ehrhardt-Renken (Gmbh & Co.), dont le siège se trouve à Hambourg, a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation partielle de la décision de la Commission K(84) 1605, du 29 octobre 1984. L'annulation est demandée dans la mesure où cette décision n'a fait que partiellement droit, pour une somme de 1,638,01 DM, à sa demande, présentée sur la base de l'article 15 du règlement n° 3017-79 du Conseil, du 20 décembre 1979, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de dumping ou de subventions de la part de pays non-membres de la Communauté économique européenne (JO L 339, p. 1), règlement antidumping de base, à être remboursée des droits antidumping qu'elle a payés, en application du règlement n° 789-82 du Conseil, du 2 avril 1982, portant institution d'un droit antidumping définitif à l'égard des importations de certains fils de coton, originaires de Turquie (JO L 90, p. 1), effectuées pendant la période allant du 15 avril au 16 juillet 1982. A titre subsidiaire, la requérante demande à la Cour de constater la nullité partielle de la décision ; à titre très subsidiaire, de modifier la décision et de dire que la Commission sera tenue de lui payer, en sus de la somme reconnue comme remboursable, une somme de 675 144,56 DM, le tout augmenté des intérêts au taux de 9 % à compter du 24 mars 1982, date de la première introduction de sa demande de remboursement; enfin à titre plus subsidiaire encore, la requérante demande de condamner la Commission à prendre une décision constatant que les autorités compétentes de la République fédérale d'Allemagne doivent faire droit dans son intégralité à sa demande de remboursement.
2 En ce qui concerne les antécédents du litige et les moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur le moyen tiré de l'incompétence de la Commission
3 La requérante invoque l'incompétence de la Commission pour adopter la décision attaquée. Elle fait valoir que sa demande de remboursement a été introduite le 26 juillet 1982 auprès de l'autorité compétente allemande ; à cette date, la demande aurait été régie par l'article 15 du règlement antidumping de base n° 3017-79, selon lequel les autorités compétentes pour se prononcer sur la demande de remboursement étaient les autorités nationales. Elle considère que, s'il est vrai qu'avant l'adoption, le 29 octobre 1984, de l'acte attaqué un nouveau règlement antidumping de base était entré en vigueur, le règlement n° 2176-84 du Conseil, du 23 juillet 1984 (JO L 201, p. 1), dont l'article 16 habilite la Commission à se prononcer sur les demandes de remboursement, la compétence initialement dévolue aux autorités nationales devrait néanmoins être maintenue au profit des demandes introduites sous le régime antérieur. Le fait que l'article 19, alinéa 2, du règlement n° 2176-84 dispose que ce règlement est applicable aux "procédures déjà ouvertes" à la date de son entrée en vigueur serait sans importance, selon la requérante, parce que celle-ci aurait un droit "acquis" à ce que sa demande soit examinée par les autorités nationales qui étaient compétentes au moment de la présentation de celle-ci.
4 Il convient de relever à cet égard que, en règle générale, les dispositions modifiant une procédure administrative et désignant les autorités compétentes sont applicables aux procédures pendantes, sans que les administrés puissent prétendre à un "droit acquis" à voir leur cas traité par l'autorité désignée comme compétente par les dispositions antérieures. Cette règle est expressément reprise dans l'article 19, alinéa 2, du règlement n° 2176-84 qui prévoit, sans aucune exception, que les dispositions de ce règlement sont applicables aux procédures qui étaient déjà ouvertes à la date de son entrée en vigueur. Par conséquent, le moyen de la requérante n'est pas fondé et doit être rejeté.
5 La requérante soutient, dans sa réplique, que la Commission a retardé intentionnellement, jusqu'à l'entrée en vigueur du règlement n° 2176-84, la procédure d'examen de sa demande. L'examen du dossier ne révèle cependant aucune indication dans ce sens et la requérante n'a avancé aucun élément de fait susceptible de justifier son accusation. L'argument doit donc en tout état de cause être rejeté.
Sur les autres moyens
6 La requérante avance ensuite contre l'acte attaqué trois groupes de moyens. Par certains moyens, elle met en cause la légalité du règlement n° 789-82 ayant instauré le droit antidumping définitif, en particulier quant à la régularité de la procédure ayant abouti à la constatation de la marge de dumping et à l'instauration des droits antidumping. Par d'autres moyens, sans mettre en cause la légalité dudit règlement n° 789-82, elle conteste l'exactitude des valeurs normales et de la marge de dumping constatée lors de la procédure de l'enquête, en cherchant à les remplacer par d'autres valeurs normales et marge de dumping en vue du remboursement demandé. En troisième lieu, la requérante attaque, comme non suffisamment motivée, l'appréciation, par l'acte attaqué, selon laquelle la requérante n'aurait pas prouvé que les coûts de production de ses fournisseurs étaient réduits.
7 La Commission soulève en premier lieu des objections contre la recevabilité des moyens mettant en cause la légalité du règlement n° 789-82. Elle conteste ensuite les moyens mettant en cause l'exactitude des valeurs normales et de la marge de dumping établis lors de l'enquête. Enfin, elle réfute les griefs contre la motivation de l'acte attaqué.
8 Au vu de ce débat, il convient de préciser d'abord la portée de la disposition de l'article 16, paragraphe 1, du règlement n° 2176-84, selon laquelle "lorsqu'un importateur peut prouver que le droit perçu dépasse la marge de dumping effective ..., compte tenu de l'application des moyennes pondérées, le montant en excédent est remboursé ...".
9 La finalité particulière de cette disposition ressort de son texte, ainsi que de sa place dans l'ensemble des dispositions du règlement n° 2176-84. En effet, ce règlement ouvre différentes possibilités, aux entreprises concernées, de faire valoir leurs intérêts au cours des phases successives de la mise en œuvre des droits antidumping.
10 Dans une phase initiale, l'article 7 de ce règlement n° 2176-84 prévoit en effet une procédure d'enquête préalable complète et circonstanciée visant à permettre la constatation de l'existence d'un dumping et l'institution éventuelle des droits antidumping et donne aux personnes intéressées le droit de participer au déroulement de cette procédure en vue de faire connaitre les éléments les concernant et afin qu'il en soit tenu compte. Si la procédure a abouti à l'adoption d'un règlement imposant des droits antidumping, les intéressés peuvent contester sa légalité soit par voie de recours en annulation, soit par voie d'exception d'illégalité.
11 lors d'une deuxième phase, en cas d'évolution des données ayant permis l'établissement des valeurs mises en œuvre dans le règlement ayant institué les droits antidumping, l'article 14 du règlement n° 2176-84 prévoit une procédure de réexamen intégral ou partiel du règlement d'imposition, dans laquelle les intéressés peuvent participer. Lorsque le réexamen de portée générale l'exige, les mesures en vigueur sont modifiées, abrogées ou annulées. Les intéressés peuvent contester les résultats de cette procédure par voie juridictionnelle.
12 Enfin, une troisième possibilité est offerte à l'importateur qui peut, en vertu de l'article 16, demander le remboursement des montants qu'il a versés, à l'occasion d'une ou plusieurs importations, en excédent de la marge de dumping effective dans ces importations. Cette possibilité de remboursement ne concerne, dès lors, que la situation d'un importateur qui a versé des droits antidumping en vertu du règlement qui les a institués. Il en résulte que cette disposition ne permet pas de mettre en cause la validité du règlement instaurant les droits ou de demander un réexamen des données générales telles qu'elles ont été constatées au cours des enquêtes précédentes. Elle permet à l'importateur-demandeur d'établir, en partant de l'exactitude globale de ces données, que celles-ci ne s'appliquent pas dans son cas particulier et que, par conséquent, la marge de dumping effective concrète s'avère plus réduite que celle qui a servi de base à l'instauration des droits antidumping.
13 Cette interprétation de l'article 16, selon laquelle le demandeur ne peut pas mettre en cause les valeurs normales constatées dans le cadre de l'enquête préalable, effectuée conformément à l'article 7 du règlement n° 2176-84 et ayant abouti à l'adoption du règlement imposant la perception des droits antidumping, est corroboré par le fait que l'article 16 exige du demandeur d'apporter les preuves à l'appui de sa demande. En effet, le demandeur ne peut pas disposer d'éléments de preuve d'une étendue générale et, partant, susceptibles de mettre en doute ces valeurs normales ; on ne peut pas, par conséquent, admettre que l'article 16 exige de telles preuves, d'une portée générale, parce que, dans ce cas, les importateurs ne pourraient pas profiter de cette disposition.
14 Il est à observer par ailleurs qu'il résulte de la procédure d'examen de demandes de remboursement, telle qu'organisée par le paragraphe 2 de l'article 16, que les éléments de preuve sur lesquels l'importateur concerné fonde sa demande de remboursement doivent avoir un caractère complet et accompagner cette demande lors de sa présentation même. En effet, cette procédure prévoit la transmission à la Commission de la demande, par les autorités nationales de l'État membre sur le territoire duquel les produits ont été mis en libre pratique, éventuellement accompagnée de leur avis sur le bien-fondé de la demande, l'information par la Commission des autres États membres, l'émission par la Commission d'un avis sur la demande et l'adoption par les États membres de leur position. Ces avis et décisions doivent être pris au vu de l'ensemble du dossier. L'article 16 ne permet par conséquent pas à l'importateur concerné de demander à la Commission d'effectuer elle-même une enquête quant au bien-fondé de la demande de remboursement ni d'imposer à la Commission d'accepter la présentation d'éléments de preuve produits à un stade ultérieur et notamment dans le cadre d'une éventuelle procédure contentieuse.
15 Afin de mieux cerner la portée pratique de l'article 16 ainsi interprété, il y a lieu de constater que le droit antidumping perçu peut dépasser, au sens de la disposition de cet article, la "marge de dumping effective" seulement dans deux cas : a) celui où les fournisseurs déterminés de l'importateur concerné ont vendu les produits importés à des prix qui soit sont proches soit atteignent le niveau des valeurs normales qui sont à la base du règlement ayant imposé les droits et b) celui où les prix de ses fournisseurs, bien que se situant en-dessous des valeurs normales, sont exempts de dumping en raison d'un coût de production peu élevé leur permettant de vendre à bas prix tout en réalisant un bénéfice. Le calcul des prix doit être fait compte tenu de moyennes pondérées. Par conséquent, l'importateur doit accompagner sa demande par des preuves établissant que les importations qu'il a effectuées relèvent de l'une ou de l'autre hypothèse.
16 C'est au vu des considérations qui précèdent que les moyens invoqués par la requérante contre la légalité de la décision attaquée doivent être examinés.
Sur la légalité de la décision attaquée
17 La décision attaquée comporte, entre autres, la motivation selon laquelle "la requérante n'a produit aucun élément de preuve susceptible d'étayer ses affirmations selon lesquelles les coûts de ses fournisseurs turcs étaient effectivement inferieurs aux coûts déterminés par la Commission lors de son enquête antidumping ; que la requérante a également omis de prendre position sur les réserves émises par la Commission à propos de ses informations concernant les coûts de ses fournisseurs et en particulier les coûts du coton brut, qui seraient prétendument inferieurs de 20 % à ceux retenus par la Commission lors de son enquête ; que ces coûts retenus par la Commission se basent sur les déclarations faites à la Commission par les exportateurs turcs, aux termes desquelles les prix du coton brut ne varient pas d'un acheteur à l'autre en raison des mesures de soutien du prix des semences de coton prises par le gouvernement" (point 15).
18 Il convient d'observer d'abord que cette motivation admet implicitement que la requérante avait la possibilité de prouver que ses fournisseurs avaient, en raison des coûts de production moins élevés, des valeurs normales inferieures aux valeurs normales retenues par le règlement ayant institué le droit antidumping. Par conséquent, le moyen d'annulation invoqué par la requérante selon lequel la Commission aurait refusé de prendre en considération les valeurs individuelles pratiquées par ses fournisseurs doit être rejeté.
19 Par d'autres moyens, la requérante conteste la façon dont la décision attaquée, dans sa motivation, rend compte de l'appréciation des preuves fournies par la requérante en ce qui concerne les coûts de production de ses fournisseurs en Turquie.
20 Ces moyens ne sont pas non plus fondés. La décision attaquée se réfère aux éléments soumis par la requérante aux autorités nationales et à la Commission, ainsi qu'à la circonstance que la requérante n'a pas pris position sur les réserves émises par la Commission à propos des informations de celle-ci selon lesquelles les coûts de production de ses fournisseurs, en particulier les coûts du coton brut, étaient réduits par rapport aux coûts en général des producteurs turcs constatés lors de l'enquête antérieure. La décision ajoute qu'il n'existe pas de variations sensibles entre les niveaux des coûts des divers producteurs. La motivation de la décision attaquée est par conséquent suffisante.
21 Aucun autre moyen n'étant avancé contre ce chapitre de la motivation, qui constitue à lui seul un fondement suffisant de la décision attaquée, le recours en annulation doit être rejeté sans qu'il soit nécessaire d'examiner les moyens invoqués par la requérante contre les autres chapitres de la motivation de la décision attaquée.
22 Les demandes subsidiaires de la requérante visant à obtenir la constatation de nullité de l'acte attaqué, sa modification ou son remplacement par un autre acte, ne sont pas recevables dans le cadre d'un recours fondé sur l'article 173 du traité CEE.
23 Dès lors, le recours doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
24 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La requérante ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre),
Déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) La requérante est condamnée aux dépens.