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Décisions

Cass. com., 3 octobre 2006, n° 04-12.179

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Voglimacci-Stephanopoli

Défendeur :

Ford France Automobiles (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

Mme Tric

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

SCP Lesourd, SCP Delaporte, Briard, Trichet

TGI Agen, du 15 mai 1997

15 mai 1997

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. Voglimacci-Stephanopoli que sur le pourvoi incident relevé par la société Ford France Automobiles (société Ford France); - Attendu, selon l'arrêt déféré (Toulouse, 30 octobre 2003), statuant sur renvoi après cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 5 mars 2002, pourvoi n° 98-21.022), que la société France Auto a été mise en liquidation des biens par jugement du 13 octobre 1985, après la rupture du contrat de concession qui la liait à la société Ford France; que la société Ford France a été condamnée à réparer le préjudice résultant pour la société France Auto, représentée par son syndic, M. Gugen, de la résiliation abusive du contrat de concession ; que M. Voglimacci, président du conseil d'administration de la société France Auto, a assigné la société Ford France en réparation de divers préjudices qu'il soutenait avoir subis personnellement à la suite de la rupture du contrat de concession ;

Sur les deux premiers moyens du pourvoi principal, réunis : - Attendu que M. Voglimacci reproche à l'arrêt d'avoir refusé de réparer l'intégralité du préjudice qu'il a subi au titre de sa perte de salaire et d'avoir limité à 35 000 euro l'indemnisation au titre des pertes de capitalisation des primes d'assurance-vie destinées à obtenir un complément de rémunération, alors, selon le moyen : 1°) qu'il est de principe que la réparation de tout préjudice doit être intégrale; qu'en réduisant à quatre années de salaires la réparation due à M. Voglimacci pour ses pertes de salaires, cependant que sans la résiliation abusive du contrat de concession, M. Voglimacci aurait été nécessairement reconduit dans ses fonctions à la tête de la société France Auto jusqu'à l'âge de la retraite, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) qu'en retenant, pour réduire les indemnités de rupture abusive destinées à réparer les pertes de salaire, que la société Ford France aurait pu mettre un terme au contrat de concession avec un préavis de deux ans, que la survie même de la société France Auto, qui connaissait des difficultés, n'était nullement assurée de façon certaine et que la rémunération d'un PDG de société concessionnaire d'une marque automobile était sujette à fluctuation, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs hypothétiques, qui ne justifient pas légalement sa solution au regard de l'article 1382 du Code civil; 3°) que la rémunération d'un PDG salarié n'est pas soumise à la fluctuation dépendant du marché, seul le chiffre d'affaires étant soumis à fluctuation; que ce motif lié à la fluctuation du salaire en fonction du marché est non seulement hypothétique mais également contraire à la réalité; qu'il ne donne aucune base légale à l'arrêt attaqué au regard de l'article 1382 du Code civil; 4°) que la Cour d'appel d'Agen a jugé, dans son arrêt du 7 septembre 1988, que c'était le brusque retrait de la concession qui avait contraint, dans les jours suivants, la société France Auto à déposer son bilan, et, dans son arrêt du 18 avril 1990, en se fondant sur le rapport d'expertise, que la société France Auto aurait pu se redresser et surmonter ses difficultés de trésorerie si la concession ne lui avait pas été brusquement retirée; qu'en affirmant, contre ces deux décisions et sans autrement s'en expliquer, que la société France Auto connaissait avant sa mise en liquidation des difficultés financières importantes, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil; 5°) que tous les préjudices doivent faire l'objet d'une réparation intégrale ; la cour d'appel a constaté que, depuis 1971, les primes d'assurance-vie de la police souscrite par M. Voglimacci étaient prises en charge par la société France Auto et que les versements restaient à courir sur huit années au moment du dépôt de bilan de la société France Auto provoqué par la faute de la société Ford France; que la Cour d'appel d'Agen ayant jugé par arrêt du 7 septembre 1998 que, sans la faute de la société Ford France, la société France Auto aurait été financièrement parfaitement capable de poursuivre ses activités sans autres difficultés que celles inhérentes à l'ensemble de la profession et M. Voglimacci ayant fait valoir que, dans son arrêt du 18 avril 1990, la Cour d'appel d'Agen avait stigmatisé la légèreté et la duplicité dont avait fait preuve la société Ford France en provoquant la ruine de la société France Auto quelques mois à peine après avoir imposé une restructuration financière prometteuse et que le redressement n'avait été "mis en échec que par la résiliation du contrat", la cour d'appel, qui s'est mise en contradiction avec ce qu'a jugé la Cour d'appel d'Agen et n'a pas répondu aux conclusions de M. Voglimacci qui se prévalait de cette décision, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil et a méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;

Mais attendu que, sans contester le lien de causalité entre la brusque rupture du contrat de concession et la mise en liquidation des biens de la société concédante, l'arrêt relève que les revenus que M. Voglimacci pouvait espérer tirer de l'activité de la société France Auto étaient soumis à divers aléas; qu'ayant ainsi fait ressortir que le préjudice personnel subi par M. Voglimacci consistait en la perte d'une chance de maintenir le même revenu jusqu'à l'âge de la retraite, la cour d'appel qui n'était pas liée par des décisions n'ayant pas l'autorité de la chose jugée entre les parties en cause et qui n'était pas tenue de suivre le détail de leur argumentation, a évalué souverainement ce préjudice; que le moyen n'est pas fondé;

Sur le troisième moyen : - Attendu que M. Voglimacci reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'indemnisation pour mise à la retraite anticipée, alors, selon le moyen : 1°) que la notification par la caisse régionale d'assurance maladie de la possibilité pour M. Voglimacci de prendre une retraite anticipée en raison de son inaptitude au travail porte la date, non pas de 1999 mais du 2 février 1989; que ce document précise qu'il pouvait prétendre à cette retraite anticipée à compter du 1er décembre 1988 et qu'enfin l'acceptation par M. Voglimacci de cette proposition est en date du 8 février 1989; que, par conséquent, c'est par une dénaturation du document produit à l'appui de la demande que la cour d'appel a retenu que cette notification datait "semble-t-il" du début de l'année 1999 ; que cette dénaturation d'un document écrit clair et précis est une violation de l'article 1134 du Code civil; 2°) que la mise à la retraite anticipée de M. Voglimacci date, d'après les documents produits, du 1er décembre 1988; que, par ailleurs, il a été établi que l'inaptitude au travail de celui-ci était dans un lien direct et certain avec la rupture du contrat de concession, puis que c'est cette rupture, survenue quinze jours avant le premier arrêt maladie, qui a été la cause de la très grave dépression nerveuse de M. Voglimacci ; que c'est en contradiction avec les pièces du dossier que la cour d'appel a refusé de réparer le préjudice résultant de la mise à la retraite anticipée, violant ainsi l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que les documents produits, visés par la cour d'appel qui les a examinés, n'indiquent ni la cause de l'arrêt maladie ni celle de l'inaptitude au travail ; qu'ainsi, abstraction faite d'une erreur purement matérielle sur la date de l'un d'eux, la cour d'appel a pu retenir l'absence de preuve du lien de causalité direct et certain entre la mise à la retraite anticipée de M. Voglimacci et la brusque rupture du contrat de concession; que le moyen n'est pas fondé;

Sur le quatrième moyen : - Attendu que M. Voglimacci reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en réparation du préjudice résultant de l'obligation de payer, en qualité de caution, aux créanciers de la société France Auto les intérêts des sommes dont seul le principal leur avait été remboursé dans le cadre des opérations de liquidation, alors, selon le moyen : 1°) qu'en page 6 de sa décision, la cour d'appel a énoncé que, s'agissant des intérêts des sommes que M. Voglimacci avait été amené, en sa qualité de caution, à payer aux divers créanciers de la société France Auto, les chefs de préjudice dont il était demandé réparation revêtaient bien pour lui un caractère personnel; qu'en niant le préjudice dont elle avait reconnu l'existence quelques pages plus haut, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction qui la prive de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil; 2°) qu'ont été versées aux débats les pièces 46 à 60, qui établissaient l'existence du préjudice dont M. Voglimacci demandait réparation; qu'ainsi, la pièce n° 46, était un jugement du Tribunal de grande instance d'Agen du 29 octobre 1987, condamnant M. Voglimacci en sa qualité de caution, à payer à M. Petite, créancier de la société France Auto, la somme de 113 331,59 francs; que la pièce n° 47 était le décompte établi par la Société Générale des intérêts qui lui étaient dus pour un montant de 268 507 francs; que la pièce n° 48, émanant du service contentieux de la Banque Populaire du Quercy, était le décompte des intérêts dus par M. Voglimacci sur décision judiciaire du 10 mars 1989 pour un montant de 133 839,77 francs; que la pièce n° 52, comportant 19 documents, émanait du Crédit Foncier de France et se rapportait à des situations de compte établissant le paiement, par M. Voglimacci de diverses sommes au titre des intérêts de retard d'un prêt; que la pièce n° 54 était un jugement du Tribunal de grande instance d'Agen du 28 octobre 1989, rendu au profit de la Banque hypothécaire européenne et rejetant une opposition à commandement de M. Voglimacci sur saisie de la banque pour le paiement des intérêts du prêt; qu'en se déterminant par les motifs rapportés, sans analyser aucune des pièces versées aux débats, et cependant que l'ancienneté des décomptes produits ne pouvait nullement affecter la validité de la créance, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil; 3°) que la cour d'appel a constaté que la demande était justifiée en ce qui concerne la créance Expanso ; qu'en rejetant, dès lors, en bloc, la demande de réparation du préjudice au titre des intérêts payés aux créanciers après avoir déclaré que cette demande était justifiée concernant la société Expanso, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1382 du Code civil; 4°) que dès lors que le créancier a actionné la caution et lui a présenté le décompte des intérêts à lui payer augmentant sa créance, la caution est fondée à demander remboursement des intérêts à l'auteur de la faute qui est à l'origine de la mise en œuvre de la caution, peu important qu'aucune poursuite n'ait encore été engagée pour en obtenir le paiement; qu'il s'ensuit qu'est inopérant le motif selon lequel M. Voglimacci ne justifiait nullement avoir payé les intérêts; que ce motif ne donne aucune base légale à l'arrêt attaqué au regard de l'article 1382 du Code civil;

Mais attendu, en premier lieu, que c'est sans se contredire que la cour d'appel a d'un côté retenu que M. Voglimacci était recevable à invoquer l'existence du préjudice, et, de l'autre, déclaré celui-ci mal fondé;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt, qui relève que M. Voglimacci ne produit que des décomptes de créances, et ne justifie de demandes ou de poursuites que pour la créance de la société Expanso, retient qu'il ne prouve nullement avoir payé les intérêts des sommes qu'il a acquittées en principal et qui lui ont été remboursées ; qu'ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application du texte invoqué; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé;

Sur le pourvoi incident qui est préalable : - Attendu que la société Ford France reproche à l'arrêt d'avoir admis la recevabilité de l'action individuelle en responsabilité intentée contre elle par M. Voglimacci pour obtenir l'indemnisation de la perte du capital social de la société France Auto depuis lors liquidée, alors, selon le moyen, que la perte de valeur des actions détenues dans une société en procédure collective est un préjudice collectif, dont la réparation ne peut être demandée individuellement par un créancier en vertu de l'article 13 de la loi du 13 juillet 1967; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé le texte susvisé;

Mais attendu qu'il n'était pas contesté que M. Voglimacci n'était pas un créancier ayant produit; qu'ainsi, il était recevable, par application de l'article 13 de la loi du 13 juillet 1967 alors applicable, à agir lui-même contre le tiers responsable du préjudice résultant de la perte du capital social ; que le moyen n'est pas fondé;

Sur le cinquième moyen du pourvoi principal : - Attendu que M. Voglimacci reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande relative à la perte du capital social de la société France Auto, alors, selon le moyen, que la perte de la totalité du capital social résultant d'une liquidation judiciaire tout entière imputable au comportement fautif d'un tiers cause aux associés qui ne peuvent récupérer ce capital un préjudice direct et certain dont ils sont bien fondés à obtenir réparation; qu'en refusant de réparer ce préjudice, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil;

Mais attendu que l'arrêt retient que la somme allouée à la société France Auto en réparation du préjudice subi par elle en raison de la rupture fautive par la société Ford France du contrat de concession et effectivement versée par cette société doit être analysée comme ayant intégralement réparé ce préjudice, de sorte que s'il n'a pas été possible au terme des opérations de liquidation de rembourser le capital aux associés malgré la somme versée, ce défaut de remboursement ne peut être une conséquence directe des fautes commises; qu'ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application du texte invoqué; que le moyen n'est pas fondé;

Et sur le sixième moyen et septième moyen, réunis : - Attendu que M. Voglimacci reproche enfin à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de réparation du préjudice ayant consisté à rembourser personnellement à la Banque hypothécaire européenne le prêt consenti pour la restructuration financière de la société France Auto, ainsi que sa demande tendant à la réparation du préjudice résultant de l'obligation dans laquelle il s'est trouvé, en qualité de caution, de procéder au remboursement de l'emprunt souscrit par la SCI du Cours de Belgique auprès du Crédit Foncier de France pour acquérir l'immeuble donné à bail à la société France Auto alors, selon le moyen : 1°) qu'il est constant que c'est à la demande expresse de la société Ford France : - que la société France Auto a dû procéder en 1984 à une restructuration financière et que pour lui donner satisfaction M. Voglimacci a dû souscrire auprès de la Banque hypothécaire européenne un emprunt qui a été garanti, entre autres, par l'affectation hypothécaire d'un immeuble appartenant à son père; - que la créance de la banque figurait dans la comptabilité de la société France Auto pour un montant de 300 000 francs ; que, dès lors, le non-remboursement du prêt de la Banque hypothécaire européenne et la vente des biens hypothécaires affectés à sa garantie sont bien la conséquence directe de la rupture brutale du contrat de concession et donc de la faute de la société Ford France; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil; 2°) que le fait que la compagnie d'assurance ait accepté de prendre en charge le remboursement de l'emprunt souscrit auprès de la Banque hypothécaire européenne puis qu'elle ait ensuite refusé de procéder à ce remboursement n'est pas de nature à démontrer l'absence d'un lien direct entre la faute de la société Ford France et le préjudice résultant pour M. Voglimacci de l'obligation dans laquelle il s'est trouvé de procéder tardivement au remboursement de ce prêt, et, pour y parvenir, de vendre les immeubles affectés à la garantie du prêt; que sans la rupture brutale du contrat de concession, et donc de la faute de la société Ford France, le prêt eût été normalement remboursé sans nécessiter la mise en œuvre des garanties; que les motifs sus rapportés sont inopérants pour donner une base légale à l'arrêt attaqué au regard de l'article 1382 du Code civil; 3°) qu'est dans un lien de causalité direct le préjudice résultant de l'obligation, pour la caution, de rembourser l'emprunt souscrit au bénéfice d'une société qui a procédé à cet emprunt pour acquérir l'immeuble destiné à être donné à bail à la société France Auto, mise en liquidation par la faute de la société Ford France ; que, dès lors, en refusant de réparer ce préjudice, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil;

Mais attendu que l'arrêt relève que pour obtenir l'augmentation de capital de la société France Auto prévue dans le cadre de la restructuration décidée en 1984 dans le cadre de pourparlers avec la société Ford France, M. Voglimacci avait souscrit un emprunt couvert par une assurance groupe-invalidité-décès, qu'il s'est porté caution dans les mêmes conditions pour que la SCI du Cours de Belgique, bailleur des locaux de la société France Auto obtienne un prêt, que la compagnie d'assurance a refusé de prendre en charge les sommes dues, de sorte que pour le rembourser, M. Voglimacci a dû vendre un immeuble appartenant à son père ainsi qu'un autre immeuble de famille; qu'ayant souverainement constaté l'enchaînement de ces faits, la cour d'appel a pu décider qu'ils n'avaient pas de lien de causalité direct avec la rupture fautive du contrat de concession; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette tant le pourvoi principal que le pourvoi incident.