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Décisions

CA Rouen, 2e ch. civ., 29 octobre 1992, n° 2060-91

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Belloir (SA), Blery (ès qual.), Pascual (ès qual.)

Défendeur :

Wanner Isofi Isolation (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Magendie

Conseillers :

Mme Masselin, M. Dragne

Avoués :

Me Reybel, SCP Colin Voinchet Radiguet

Avocats :

Mes Roussel, Tinayre

T. com. Le Havre, du 18 mars 1991

18 mars 1991

Faits et procédure

La société Wanner Isofi Isolation s'est vue confier, au cours de l'année 1985, l'isolation des cuves de cargaison d'un navire destiné à contenir des gaz liquéfiés. Pour l'exécution de ces travaux, elle [a] passé commande ferme à la société Belloir de panneaux en polyuréthane pour un prix forfaitaire de 900 000 F hors taxes, soit 1 067 000 F TTC.

Des retards sont intervenus dans les livraisons. Ces dernières ont porté sur des fournitures non conformes. La société Wanner Isofi Isolation a donc fait assigner la société Belloir en référé, aux fins de désignation d'un expert. Elle a par ailleurs consigné au compte Carpa de son conseil une somme correspondant au solde du prix convenu, sur lequel elle avait déjà versé des acomptes.

L'expert a déposé son rapport le 16 janvier 1987. Il a conclu au bien fondé des réclamations de la société Wanner Isofi Isolation et évalué son préjudice. Toutefois, peu après, la société Belloir a été placée en redressement judiciaire. La société Wanner Isofi Isolation, qui a tardivement déclaré sa créance, a été déboutée d'une demande de relevé de forclusion.

Saisi à son initiative, le Tribunal de commerce du Havre n'en a pas moins estimé que le défaut de déclaration, s'il avait pour effet de la priver du droit de faire valoir une créance de dommages et intérêts, ne faisait pas obstacle à ce qu'elle s'adresse à justice pour demander une réduction du prix.

C'est ainsi que, par jugement du 18 mars 1991, il a :

- dit et jugé que le montant du marché litigieux est ramené à 748 109, 84 F TTC,

- dit et jugé que la Carpa est autorisée à se dessaisir des fonds consignés pour la somme de 59 298,84 F en faveur de Me Daniel Blery en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Belloir et pour la somme de 259 112,16 F en faveur de la société Wanner Isofi Isolation,

- condamné Me Blery ès qualité à payer à la société Wanner Isofi Isolation la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Appelants de cette décision, la société Belloir, ainsi que Me Blery et Me Pascual agissant respectivement en qualité d'administrateur judiciaire et de représentant des créanciers, font valoir que le société Wanner Isofi Isolation a emporté la conviction des premiers juges en dénaturant le débat.

En effet, contrairement à l'appréciation de ceux-ci, le débat en cause ne pourrait se ramener à une créance unique - celle de la société Belloir au titre de ses fournitures - dont le débiteur demanderait la réduction du montant.

Il porterait en réalité sur la compensation entre deux créances, dans une situation où l'une des parties se trouve en redressement judiciaire et où l'autre n'a pas déclaré sa créance dans le délai prescrit en sorte qu'elle se trouve éteinte.

Dans le cas d'espèce - ajoutent les appelants - le prix résulte d'une convention qui fait la loi des parties et qui s'impose au juge. En application de l'article 1142 du Code civil, la mauvaise exécution reprochée à la société Belloir ne pourrait se résoudre qu'en dommages et Intérêts. La société Wanner Isofi Isolation l'aurait elle même reconnu. En effet, c'est bien à ce titre qu'elle a tardivement tenté de déclarer sa créance.

Elle ne pourrait donc valablement exciper aujourd'hui d'une créance d'une autre nature. La cour devrait donc infirmer la décision entreprise et:

- Débouter le société Wanner Isofi Isolation de la totalité des fins de son assignation,

- En conséquence, condamner la société Wanner Isofi Isolation à payer à la société Belloir la somme du 378 109,84 F TTC (318 811 F HT) avec intérêts de droit à compter de la demande du 18 janvier 1990,

- Le condamner également à payer la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC pour frais irrépétibles en première instance et appel.

Pour la société Wanner Isofi Isolation, ses prétentions ne se rapporteraient en rien à la compensation entre la créance de la société Belloir au titre du prix convenu, et sa propre créance de dommages et intérêts dont elle admet qu'elle se trouve éteinte comme non déclarée dans les délais.

Son action porterait bien sur une demande de réduction de prix, présentée en défense à la demande de paiement du solde du prix convenu formée par la société Belloir. La réduction serait parfaitement justifiée du fait des vices cachés mis en évidence par le rapport d'expertise.

La décision des premiers juges ne serait critiquable qu'en ce qu'elle a attribué à la société Belloir une partie des fonds consignés, au lieu de fixer la réduction de prix à leur complet montant.

Il appartiendrait en conséquence à la cour de:

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a réduit, en application de l'article 1646 du Code de commerce, le montant du prix dû à la société Belloir de 318 826,77 F,

- L'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau, dire et juger que la Carpa séquestre des fonds, sera tenue de s'en dessaisir pour la totalité soit 318 828,77 F en faveur de la société Wanner Isofi Isolation,

- Condamner Me Blery ès qualité d'administrateur judiciaire de la société Belloir aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 20 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, LA COUR

Sur la délimitation du litige

Attendu qu'il est établi et non contesté que l'exécution par la société Belloir de la commande de panneaux en polyuréthane qui lui avait été passée par la société Wanner Isofi Isolation le 21 mars 1986, n'a pas correspondu à ce que cette dernière pouvait légitimement en attendre;

Que c'est à bon droit que la société Wanner Isofi Isolation a saisi le juge des référés aux fins de désignation d'un expert et qu'elle s'est refusée à payer le solde du prix, sauf à consigner une somme d'un montant équivalent sur le compte Carpa de son conseil;

Que l'expert a exactement évalué son préjudice à la somme de 544 803,20 F, supérieure à la consignation;

Attendu qu'en cas de vice caché, " l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par expert" (art. 1644 du Code civil inexactement désigné par l'intimée "article 1646 du Code de commerce");

Que le différend porte au premier chef sur le point de savoir si la société Wanner Isofi Isolation peut prétendre user de la seconde faculté ouverte par cet article (action estimatoire), pour obtenir la restitution de la somme qu'elle a consignée;

Sur les vices cachés

Attendu que d'une manière générale, la mise en redressement judiciaire du vendeur ne saurait à elle seule priver l'acheteur du droit de demander, conformément à l'article précité, une réduction du prix pour vices cachés;

Que l'acheteur n'a pas à justifier d'une déclaration de créance lorsqu'il n'a pas encore payé ce prix ou qu'ayant procédé à un paiement partiel, la réduction réclamée n'excède pas le solde dû comme c'est ici le cas;

Qu'en effet, sa demande ne tend pas alors au recouvrement d'une créance dont il disposerait sur le vendeur, mais seulement à l'évaluation de la créance du vendeur à son encontre;

Attendu toutefois qu'en l'espèce, la commande du 21 mars 1985 ne portait pas sur des panneaux préfabriqués offerts à le vente par la société Belloir;

Qu'elle a été passée, après divers contacts entre les parties, en considération des besoins spécifiques au chantier dont avait été chargée la société Wanner Isofi Isolation;

Que les panneaux ont été confectionnés par la société Belloir conformément à des plans et spécifications techniques définis en conséquence par la société Wanner Isofi Isolation;

Attendu qu'il en résulte que le contrat intervenu entre les parties n'est pas un contrat de vente, mais un contrat d'entreprise;

Que l'article 1644 du Code civil, invoqué par le société Wanner Isofi Isolation, n'étant applicable qu'en matière de contrat de vente, celle-ci ne saurait être admise à réclamer, sur son fondement, la réduction du prix convenu;

Attendu que le contrat serait-il un contrat de vente, que les conditions posées à l'action estimatoire prévue audit article ne seraient d'ailleurs pas réunies;

Qu'en effet, pour l'essentiel, les anomalies relevées par l'expert n'étaient pas inhérentes à la chose, tels les retards de livraison, ou consistaient dans des vices apparents : dimensions non respectées, tôles de protection gaufrées sans mise en forme, et non préformées par emboutissage;

Qu'il ne s'agissait donc pas de vices cachés;

Attendu qu'en réalité, seul aurait été susceptible de relever de tels vices le fait que la densité du polyuréthane employé pour la confection des panneaux était inférieure à celle convenue;

Que toutefois, cette circonstance ne pouvait échapper aux vérifications qu'en sa qualité de professionnel la société Wanner Isofi Isolation devait effectuer;

Qu'en outre, en matière de vices cachés, action résolutoire comme action estimatoire doivent être engagées "à bref délai" conformément à l'article 1648 du Code civil; que la société Wanner Isofi Isolation n'établit pas que tel a été le cas, alors que son assignation est postérieure de plus quatre ans à la livraison;

Sur les créances respectives des parties

Attendu qu'en l'absence de disposition législative ou contractuelle l'y habilitant, le juge ne saurait modifier l'économie des accords intervenus entre co-contractants;

Qu'en l'espèce, la société Wanner Isofi Isolation ne demande pas la résolution du contrat conclu avec la société Belloir; que, dans ces conditions, les manquements de cette dernière à ses obligations ne peuvent se résoudre qu'en dommages et intérêts;

Que la société Wanner Isofi Isolation l'a d'ailleurs admis en tentant d'effectuer, à ce titre, une déclaration de créance à son redressement judiciaire;

Attendu qu'il est établi et non contesté que cette déclaration a été faite hors délai; que la demande de relevé de forclusion présentée par la société Wanner Isofi Isolation a été rejetée; que sa créance à l'encontre de la société Belloir se trouve donc éteinte;

Qu'en conséquence de cette extinction, la société Wanner Isofi Isolation n'est plus fondée à retenir le solde du prix convenu; qu'il sera fait droit à la réclamation formée de ce chef par la société Belloir et Me Blery ès qualité;

Attendu que la société Wanner Isofi Isolation, qui succombe, sera condamnée aux dépens;

Que compte tenu des circonstances particulières à l'espèce, l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du NCPC; que les parties seront déboutées de leurs demandes réciproques de ce chef;

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit en leur appel la société Belloir, Me Blery et Me Pascual en qualité d'administrateur et de représentant des créanciers à son redressement judiciaire, Y fait droit. Infirme le jugement du Tribunal de commerce du Havre du 18 mars 1991, Statuant à nouveau, Déboute la société Wanner Isofi Isolation de sa demande, La condamne à payer à la société Belloir la somme de 378 109,84 F TTC, avec intérêts de droit à compter du 16 janvier 1990. Dit que la Carpa pourra se libérer entre les mains de la société Belloir de la somme de ce montant consignée par la société Wanner Isofi Isolation, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la société Wanner Isofi Isolation aux dépens de première instance et d'appel; dit que ceux d'appel pourront être recouvrés par Me Reybel, avoué, dans les conditions prévues à l'article 699 du NCPC.