CJCE, 31 mars 1982, n° 25-81
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
CHW
Défendeur :
GJH
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Mes de Savorin Lohman, Mout
LA COUR,
1 Par arrêt du 6 février 1981, parvenu à la Cour le 17 mars suivant, le Hoge Raad des Pays-Bas a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la convention), quatre questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 1, 18 et 24 de cette convention.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige entre deux époux de nationalité néerlandaise, domiciliés en Belgique, concernant la gestion par le mari des biens propres de sa femme. L'épouse, voulant produire à titre de preuve un document rédige par le mari portant la mention 'codicille' et dont les dispositions visent à dispenser les biens propres de la femme des charges résultant de leur gestion par le mari, celui-ci a saisi le président de l'Arrondissementsrechtbank de Rotterdam d'une demande visant à lui faire restituer ce document et à en interdire l'utilisation à titre de preuve.
3 La compétence du président de l'Arrondissementsrechtbank de Rotterdam pour ordonner cette restitution ayant été mise en cause, l'affaire a été portée devant le Gerechtshof de la Haye et ensuite devant le Hoge Raad qui, estimant qu'une interprétation de la convention était nécessaire pour trancher le litige, a posé à la Cour les questions suivantes :
'1. L'exclusion de l'applicabilité de la convention aux 'testaments et successions', qui est prévue à l'article 1, alinéa 2, initio et point 1, concerne-t-elle les demandes formées en justice par l'auteur d'un codicille qu'une autre personne garde par-devers elle, qui tendent à obtenir la remise du codicille, la destruction des photocopies, doubles et reproductions de celui-ci et à obtenir que soit prononcée une interdiction de (faire) conserver ou utiliser toute photocopie, tout double ou toute reproduction de cette pièce, le tout en vue d'éviter que les déclarations figurant dans le codicille soient utilisées comme preuve contre l'auteur du codicille dans un litige qui ne se rapporte pas à un testament ou à une succession?
2.L'exclusion de l'applicabilité de la convention aux 'régimes matrimoniaux', qui est prévue à l'article 1 alinéa 2, initio et point 1, concerne-t-elle des demandes comme celles mentionnées sous a), si celles-ci sont formées pour empêcher que les déclarations figurant dans le codicille soient utilisées comme preuve contre l'auteur du codicille dans un litige concernant la gestion prétendument non autorisée ou mauvaise par l'auteur du codicille des biens propres de sa femme, si cette gestion doit être considérée comme se rattachant étroitement aux relations patrimoniales qui découlent directement du lien du mariage?
3. La notion de 'mesures provisoires ou conservatoires' au sens de l'article 24 englobe-t-elle la possibilité prévue à la dix-huitième section du troisième titre du livre premier du code de procédure civile néerlandais, de demander en référé une mesure urgente par provision? Est-il important à cet égard que la mesure soit demandée en relation avec une autre procédure pendante aux Pays-Bas?
4. Le cas visé dans la deuxième phrase de l'article 18, c'est-à-dire celui ou la comparution du défendeur a exclusivement pour objet de contester la compétence du juge, doit-il être compris comme englobant le cas où le défendeur conteste la compétence du juge et conteste aussi, à titre subsidiaire, pour le cas où le juge s'estimerait compétent, la demande au fond?'
Sur les première et deuxième questions
4 Le problème soulevé par les première et deuxième questions consiste à savoir si, conformément à l'article 1 alinéa 2, de la convention doit être exclue de son application, comme se rattachant soit aux 'testaments et successions', soit aux 'régimes matrimoniaux', une demande visant à obtenir une mesure provisoire qui concerne la remise d'un document portant la mention 'codicille' susceptible d'être utilisé comme moyen de preuve dans un litige relatif à la gestion par le mari des biens propres de sa femme.
5 Il convient d'examiner d'abord la deuxième question, relative aux 'régimes matrimoniaux', au sens de l'article 1 de la convention.
6 Ainsi que la Cour l'a reconnu dans l'arrêt du 27 mars 1979 (de Cavel, 143-78, Rec. 1979, p. 1055), cette notion comprend non seulement les régimes de biens spécifiquement et exclusivement conçus par certaines législations nationales en vue du mariage, mais également tous les rapports patrimoniaux résultant directement du lien conjugal ou de la dissolution de celui-ci.
7 D'après les termes mêmes de la deuxième question, celle-ci vise le cas où la gestion des biens de la femme qui est en cause doit être considérée comme se rattachant étroitement aux rapports patrimoniaux entre les époux résultant directement de leur lien de mariage.
8 Dans ces conditions, une demande de mesures provisoires tendant à obtenir la remise d'un document afin d'empêcher que les déclarations qui y figurent soient utilisées comme preuve dans un litige concernant la gestion des biens de la femme est également, en raison de son caractère accessoire, à considérer comme se rattachant aux régimes matrimoniaux au sens de la convention.
9 Il y a, dès lors, lieu de répondre à la deuxième question qu'une demande de mesures provisoires tendant à obtenir la remise d'un document afin d'empêcher son utilisation comme preuve dans un litige concernant la gestion des biens de la femme par le mari ne relève pas du champ d'application de la convention, si cette gestion se rattache étroitement aux rapports patrimoniaux qui résultent directement du lien conjugal.
10 Étant donné cette réponse, il n'est plus nécessaire de répondre à la première question.
Sur la troisième question
11 La conclusion qui précède n'est pas affectée par l'article 24 de la convention selon lequel 'les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un état contractant peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet état, même si, en vertu de la présente convention, une juridiction d'un autre état contractant est compétente pour connaitre le fond'.
12 Cette disposition vise en effet le cas de mesures provisoires ordonnées dans un état contractant lorsque la juridiction d'un autre état contractant est 'en vertu de la présente convention' compétente pour connaitre du fond. Elle ne saurait, dès lors, être invoquée pour faire rentrer dans le champ d'application de la convention les mesures provisoires ou conservatoires relatives à des matières qui en sont exclues. C'est dans ce sens qu'il y a lieu de répondre à la troisième question.
Sur la quatrième question
13 Quant à la quatrième question, il suffit de rappeler que la Cour dans ses arrêts du 24 juin 1981 (Elefanten Schuh Gmbh, 150-80, Rec. 1981, p. 1671) et du 22 octobre 1981 (Rohr, 27-81, non encore publié), a reconnu que l'article 18 de la convention doit être interprété en ce sens qu'il permet au défendeur non seulement de contester la compétence, mais de présenter en même temps, à titre subsidiaire, une défense au fond, sans pour autant perdre le droit de soulever l'exception d'incompétence.
Sur les dépens
14 Les frais exposés par le Gouvernement de la République italienne et par Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad des Pays-Bas, par ordonnance du 6 février 1981, dit pour droit :
1) Une demande de mesures provisoires tendant à obtenir la remise d'un document afin d'empêcher son utilisation comme preuve dans un litige concernant la gestion des biens de la femme par le mari ne relève pas du champ d'application de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale si cette gestion se rattache étroitement aux rapports patrimoniaux qui résultent directement du lien conjugal.
2) L'article 24 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ne peut être invoqué pour faire rentrer dans le champ d'application de la convention les mesures provisoires ou conservatoires relatives à des matières qui en sont exclues.
3) L'article 18 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale doit être interprété en ce sens qu'il permet au défendeur non seulement de contester la compétence, mais de présenter en même temps, à titre subsidiaire, une défense au fond, sans pour autant perdre le droit de soulever l'exception d'incompétence.