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Décisions

CJCE, 5e ch., 10 octobre 1996, n° C-78/95

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bernardus Hendrikman, Feyen

Défendeur :

Magenta Druck & Verlag GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Moitinho de Almeida

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Gulmann, Edward, Jann, Wathelet

Avocat :

Me Heemskerk

CJCE n° C-78/95

10 octobre 1996

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par arrêt du 10 mars 1995, parvenu à la Cour le 16 mars suivant, le Hoge Raad der Nederlanden a, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de Justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, posé trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 27, points 1 et 2, et 29 de cette convention (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et ° texte modifié ° p. 77, ci-après la "convention").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Hendrikman et Mme Feyen (ci-après les "époux Hendrikman"), demeurant à La Haye, à la société allemande Magenta Druck & Verlag GmbH (ci-après "Magenta"), ayant son siège à Krefeld, en Allemagne. Ce litige concerne l'exécution, aux Pays-Bas, d'un jugement prononcé le 2 avril 1991 par le Landgericht Krefeld et d'un Kostenfestsetzungsbeschluss (ordonnance de taxation des dépens) rendu le 12 juillet 1991 par l'Amtsgericht Nettetal (Allemagne) à l'encontre des époux Hendrikman. Ces deux décisions leur ont été signifiées le 17 septembre 1991.

3 Par ordonnance du 14 janvier 1992, le président faisant fonction de l'Arrondissementsrechtbank te 's-Gravenhage a autorisé l'exécution de ces décisions aux Pays-Bas. Dans l'opposition formée contre cette autorisation, les époux Hendrikman ont invoqué l'article 27, points 1 et 2, de la convention, alléguant qu'ils n'avaient jamais reçu les actes introductifs d'instance et qu'ils n'avaient pas été représentés valablement devant les juridictions allemandes.

4 Aux termes de l'article 27 de la convention,

"Les décisions ne sont pas reconnues:

1. si la reconnaissance est contraire à l'ordre public de l'État requis;

2. si l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent n'a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant, régulièrement et en temps utile, pour qu'il puisse se défendre;

3. si la décision est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État requis;

..."

5 Selon les époux Hendrikman, la procédure ayant abouti aux deux décisions a été engagée par Magenta en Allemagne à leur insu. Elle aurait porté sur le paiement d'une commande de papier à lettres passées, pour le compte des époux Hendrikman, par deux personnes qui n'y auraient pas été autorisées. C'est également sans autorisation que les mêmes personnes auraient mandaté des avocats, au nom des époux Hendrikman, pour représenter ces derniers lors de la procédure.

6 Par jugement du 2 février 1994, l'Arrondissementsrechtbank te 's-Gravenhage a déclaré l'opposition non fondée. Il a estimé que l'article 29 de la convention, aux termes duquel, "En aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l'objet d'une révision au fond", l'empêchait d'apprécier si le juge allemand pouvait considérer que les avocats en question avaient valablement postulé.

7 L'Arrondissementsrechtbank te 's-Gravenhage a, par ailleurs, considéré que l'article 27, point 1, ne saurait s'appliquer que si la loi du pays d'origine n'offrait aucun recours à une partie qui ignorait la procédure engagée contre elle et qui n'était pas valablement représentée ou si cette partie ne pouvait pas, en pratique, exercer ce recours. En l'espèce, les dispositions combinées des articles 579, paragraphe 4, et 586 de la Zivilprozessordnung (code de procédure civile allemand, ci-après la "ZPO") auraient permis aux époux Hendrikman de former une demande en annulation pour vice de représentation dans le délai d'un mois suivant la notification. Or, ils n'auraient pas fait usage de cette voie de recours.

8 Enfin, selon l'Arrondissementsrechtbank te 's-Gravenhage, les époux Hendrikman ne pouvaient pas invoquer l'article 27, point 2, de la convention, car, dans le cas d'espèce, il ne s'agissait pas d'une décision rendue contre un défendeur défaillant.

9 Les époux Hendrikman se sont pourvus en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden contre cette décision.

10 Le Hoge Raad a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) L'article 29 de la convention de Bruxelles doit-il être interprété en ce sens que le juge de l'État requis doit s'abstenir d'examiner de quelque façon que ce soit si le défendeur a été valablement représenté dans l'instance qui s'est déroulée dans l'État d'origine même si le juge de l'État d'origine ne s'est pas prononcé sur ce point?

2) a) L'article 27, point 1, de la convention de Bruxelles doit-il être interprété en ce sens qu'il empêche de reconnaître une décision rendue dans un autre État contractant lorsque le défendeur n'a pas été valablement représenté dans l'instance en question et qu'il a ignoré cette procédure, même s'il a eu ultérieurement connaissance de la décision intervenue et qu'il ne l'a pas entreprise par la voie d'un recours que les règles de procédure de l'État d'origine lui garantissaient?

b) La circonstance que le délai de recours est d'un mois à compter du jour auquel la décision a été portée à la connaissance du défendeur a-t-elle une incidence à cet égard?

3) Faut-il interpréter l'article 27, point 2, de la convention de Bruxelles en ce sens qu'il s'applique aussi aux décisions prononcées contre un défendeur qui n'était certes pas défaillant mais qui ne s'est pas vu signifier ou communiquer régulièrement et en temps utile l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent et qui n'a pas été valablement représenté dans l'instance?"

11 Il convient d'emblée de souligner que, la juridiction de renvoi n'ayant pas décrit avec beaucoup de précision les faits qu'elle considère comme établis, les réponses de la Cour ne seront pertinentes que si les circonstances alléguées par les requérants au principal se sont effectivement produites.

12 Il convient de commencer par l'examen de la troisième question.

Sur la troisième question

13 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 27, point 2, de la convention s'applique aux décisions prononcées contre un défendeur qui ne s'est pas vu signifier ou notifier, régulièrement et en temps utile, l'acte introductif d'instance et qui n'a pas été valablement représenté dans l'instance, alors que, en conséquence de la comparution, devant le juge d'origine, d'un prétendu représentant du défendeur, les décisions n'ont pas été prononcées par défaut.

14 Il convient d'abord de souligner que, en vertu de l'article 27, point 2, le juge requis ne peut refuser la reconnaissance d'une décision que si plusieurs conditions sont réunies: l'acte introductif d'instance n'a pas été signifié ou notifié au défendeur régulièrement et en temps utile et celui-ci a été défaillant lors de la procédure suivie devant le juge d'origine. La juridiction de renvoi n'a interrogé la Cour que sur cette seconde condition.

15 Il y a lieu de relever ensuite que, selon une jurisprudence constante, l'article 27, point 2, de la convention a pour but d'assurer qu'une décision ne soit pas reconnue ou exécutée selon la convention, si le défendeur n'a pas eu la possibilité de se défendre devant le juge d'origine (arrêts du 16 juin 1981, Klomps, 166-80, Rec. p. 1593, point 9, et du 21 avril 1993, Sonntag, C-172-91, Rec. p. I-1963, point 38).

16 Selon le Gouvernement allemand, les droits de la défense sont respectés si un avocat, même non mandaté, comparaît pour les défendeurs, car le tribunal doit se fier aux déclarations de l'avocat jusqu'à ce qu'il soit établi qu'un tel mandat n'existe pas.

17 Cette position ne saurait être retenue.

18 En effet, un défendeur qui ignore la procédure entamée à son encontre et pour qui comparaît, devant le juge d'origine, un avocat qu'il n'a pas mandaté se trouve dans l'impossibilité absolue de se défendre. Il doit par conséquent être considéré comme défaillant, au sens de l'article 27, point 2, même si la procédure devant le juge d'origine a pris un caractère contradictoire. Il appartient au juge requis de vérifier si ces circonstances exceptionnelles sont réunies.

19 Cette conclusion n'est pas infirmée par le fait que les dispositions combinées des articles 579, paragraphe 4, et 586 de la ZPO auraient permis aux époux Hendrikman de former une demande en annulation pour vice de représentation dans le délai d'un mois suivant la notification.

20 En effet, le moment pertinent pour que le défendeur puisse se défendre est celui de l'introduction de l'instance. La possibilité de faire usage ultérieurement d'une voie de recours contre une décision par défaut, déjà rendue exécutoire, ne peut pas constituer une voie équivalant à une défense préalable à la décision (arrêt du 12 novembre 1992, Minalmet, C-123-91, Rec. p. I-5661, point 19).

21 Il convient donc de répondre à la troisième question que l'article 27, point 2, de la convention s'applique aux décisions prononcées contre un défendeur qui ne s'est pas vu signifier ou notifier, régulièrement et en temps utile, l'acte introductif d'instance et qui n'a pas été valablement représenté dans l'instance, alors que, en conséquence de la comparution, devant le juge d'origine, d'un prétendu représentant du défendeur, les décisions n'ont pas été prononcées par défaut.

Sur les première et deuxième questions

22 Étant donné la réponse qui a été apportée à la troisième question, il n'y a pas lieu de répondre à la première.

23 En ce qui concerne la deuxième question, il convient de rappeler que le recours à la clause de l'ordre public, figurant à l'article 27, point 1, de la convention, "ne doit jouer que dans des cas exceptionnels" (Rapport sur la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, JO 1979, C 59, p. 1, 44). Il est en tout cas exclu lorsque le problème posé doit être résolu sur la base d'une disposition spécifique telle que l'article 27, point 2 (voir, à propos de l'article 27, point 3, arrêt du 4 février 1988, Hoffmann, 145-86, Rec. p. 645, point 21).

24 Compte tenu des considérations qui précèdent, il n'y a pas lieu non plus de répondre à la deuxième question.

Sur les dépens

25 Les frais exposés par les Gouvernements allemand et hellénique, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad der Nederlanden, par arrêt du 10 mars 1995, dit pour droit:

L'article 27, point 2, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, s'applique aux décisions prononcées contre un défendeur qui ne s'est pas vu signifier ou notifier, régulièrement et en temps utile, l'acte introductif d'instance et qui n'a pas été valablement représenté dans l'instance, alors que, en conséquence de la comparution, devant le juge d'origine, d'un prétendu représentant du défendeur, les décisions n'ont pas été prononcées par défaut.