CJCE, 1re ch., 15 mai 1990, n° C-365/88
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Kongress Agentur Hagen GmbH
Défendeur :
Zeehaghe BV
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Sir Gordon Slynn
Avocat général :
M. Lenz
Juges :
MM. Joliet, Rodríguez Iglesias
Avocat :
Mes Schippers
LA COUR (première chambre),
1 Par arrêt du 9 décembre 1988, parvenu à la Cour le 15 décembre suivant et en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation, par la Cour de justice, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après "convention "), le Hoge Raad der Nederlanden a posé trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 6, initio et point 2, de cette convention.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige entre Kongress Agentur Hagen GmbH (ci-après "Hagen "), ayant son siège à Duesseldorf (République fédérale d'Allemagne), et Zeehaghe BV, ayant son siège à La Haye (Pays-Bas).
3 Il ressort du dossier que, à la suite de l'annulation par Hagen de la réservation d'un grand nombre de chambres d'hôtel qu'elle avait effectuée auprès de Zeehaghe, à la demande et pour le compte de la société Garant Schuhgilde eG (ci-après "Schuhgilde ") de Duesseldorf, Zeehaghe a assigné Hagen devant le rechtbank de La Haye et réclamé le paiement d'une somme d'argent majorée des intérêts et frais pour inexécution des obligations contractuelles. Hagen a conclu à ce que la juridiction saisie se déclare incompétente pour connaître de la demande et, à titre subsidiaire, à ce qu'elle cite à comparaître Schuhgilde, en sa qualité de mandant, pour répondre à la demande en garantie.
4 Le rechtbank ayant rejeté la demande d'appel en garantie dont elle estime que l'accueil eût retardé et compliqué la procédure au principal, Hagen a interjeté appel de ce jugement devant le gerechtshof de La Haye en soutenant que l'article 6, point 2, de la convention obligeait le juge saisi de la demande originaire à accorder l'autorisation d'appel en garantie "à moins qu'elle n'ait été formée que pour traduire hors de son tribunal celui qui a été appelé", exception formulée dans cette même disposition.
5 Le gerechtshof a rejeté ce moyen et confirmé la décision du rechtbank, en considérant que l'article 6 ne créait pas une obligation mais simplement une faculté de faire droit à une demande d'appel en garantie.
6 Hagen s'est alors pourvue contre cet arrêt devant le Hoge Raad der Nederlanden, qui a décidé de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :
"A - Dans l'hypothèse où un défendeur, qui est domicilié sur le territoire d'un État contractant, a été, au titre de l'article 5, initio et point 1, de la convention de Bruxelles, attrait devant le juge d'un autre État contractant, l'article 6, initio et point 2, de la convention de Bruxelles peut-il conférer à ce juge la compétence de connaître d'une demande en garantie formée par le défendeur contre une personne domiciliée sur le territoire d'un État contractant autre que celui du juge?
B - L'article 6, initio et point 2, de la convention de Bruxelles doit-il être compris en ce sens qu'il oblige le juge à consentir à la demande d'appel en garantie, sauf dans l'hypothèse visée par l'exception mentionnée dans cette disposition?
C - S'il est répondu par la négative à la question posée sous B : le juge peut-il appliquer les règles procédurales de sa législation nationale pour apprécier la question de savoir s'il convient d'accueillir la demande d'autorisation d'appel en garantie, ou bien les dispositions de la convention de Bruxelles impliquent-elles que le juge doit examiner cette demande à la lumière d'autres critères que ceux de son droit procédural national et, dans l'affirmative, quels sont ces critères?"
7 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur la première question
8 La première question vise le cas où le juge compétent au titre de l'article 5, initio et point 1, de la convention, qui déroge au principe général énoncé à l'article 2, est saisi d'une demande en garantie formée par le défendeur contre une personne domiciliée sur le territoire d'un État contractant autre que celui du juge.
9 La demanderesse au principal et les parties qui ont déposé des observations devant la Cour déduisent de la généralité du texte de l'article 6, point 2, que la règle selon laquelle une personne peut être attraite, s'il s'agit d'une demande en garantie, devant le "tribunal saisi de la demande originaire", est indifférente au chef de compétence qui a présidé à la saisine d'origine.
10 Il y a lieu de rappeler à titre liminaire que l'article 6, initio et point 2, qui relève de la section 2 de la convention relative aux compétences spéciales, constitue, comme l'article 5, initio et point 1, une exception à la règle de compétence des juridictions de l'État du domicile du défendeur, énoncée à l'article 2.
11 L'article 6, initio et point 2, prévoit une attribution de compétence spéciale dont le choix dépend d'une option du demandeur en raison de l'existence, dans des hypothèses bien déterminées, d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre une contestation et la juridiction qui peut être appelée à en connaître en vue de l'organisation utile du procès (arrêt du 22 novembre 1978, Somafer SA/Saar-Ferngas AG, 33-78, Rec. p. 2183). La convention permet ainsi de concentrer auprès d'un même tribunal la connaissance de l'ensemble du litige. Par conséquent, le lien de connexité entre la demande au fond et la demande d'appel en garantie suffit à établir la compétence du juge saisi de la demande en garantie, quel que soit le fondement de la compétence au principal; à cet égard, la compétence visée à l'article 2 et celle visée à l'article 5 sont équivalentes.
12 Dès lors, il y a lieu de répondre à la première question que, dans l'hypothèse où un défendeur, qui est domicilié sur le territoire d'un État contractant, a été, au titre de l'article 5, initio et point 1, de la convention de Bruxelles, attrait devant le juge d'un autre État contractant, ce juge est également compétent, en vertu de l'article 6, initio et point 2, de la convention, pour connaître d'une demande en garantie formée contre une personne domiciliée sur le territoire d'un État contractant autre que celui du juge saisi de la demande originaire.
Sur les deuxième et troisième questions
13 Ces deux questions tendent à déterminer si l'article 6, initio et point 2, de la convention oblige le juge à accueillir une demande d'appel en garantie dès lors qu'elle n'a pas été formée dans le dessein de traduire hors de son tribunal celui qui a été appelé ou si, au contraire, le juge peut apprécier la recevabilité de la demande à la lumière des règles du droit procédural national.
14 La demanderesse au principal, le gouvernement français et le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne interprètent l'article 6, initio et point 2, comme une disposition autonome. Cela résulterait de considérations qui tiennent à la bonne administration de la justice : la protection juridique complète que les États contractants sont tenus d'assurer aux parties, lorsque l'une de leurs juridictions est compétente, ne saurait être limitée par l'application de règles nationales de procédure.
15 La Commission s'est ralliée, au cours de la procédure écrite, à cette solution qui, selon elle, aurait l'avantage de la simplicité et assurerait une application uniforme de la convention : le juge national saisi serait tenu de faire droit à une demande d'appel en garantie.
16 Au cours de la procédure orale, la Commission a soutenu que la compétence judiciaire ne constitue que l'une des conditions de la recevabilité de la demande; le juge saisi tranche d'abord la question de la compétence conformément aux dispositions de la convention, puis vérifie si la demande remplit les autres conditions de l'appel en garantie déterminées par la lex fori.
17 Il convient de souligner que la convention n'a pas pour objet d'unifier les règles de procédure, mais de répartir les compétences judiciaires pour la solution des litiges en matière civile et commerciale dans les relations intracommunautaires, et de faciliter l'exécution des décisions judiciaires. Il y a donc lieu de distinguer nettement la compétence des conditions de recevabilité d'une demande.
18 En matière de demande d'appel en garantie, l'article 6, initio et point 2, se borne ainsi à déterminer le juge compétent et ne vise aucunement les conditions de recevabilité proprement dites.
19 Il résulte d'ailleurs d'une jurisprudence constante que, s'agissant des règles de procédure, il convient de se reporter aux règles nationales applicables par la juridiction nationale (voir notamment, en ce qui concerne, d'une part, la notion de litispendance, l'arrêt du 7 juin 1984, Zelger/Salinitri, 129-83, Rec. p. 2397, et, d'autre part, les conditions d'exécution d'une décision étrangère, les arrêts du 2 juillet 1985, Deutsche Genossenschaftsbank/SA Brasseries du pêcheur, 148-84, Rec. p. 1981, et du 4 février 1988, Hoffmann/Krieg, 145-86, Rec. p. 645).
20 Il y a lieu de préciser, toutefois, que l'application des règles de procédure nationales ne saurait porter atteinte à l'effet utile de la convention. En effet, comme la Cour l'a jugé notamment dans l'arrêt du 15 novembre 1983, Duijnstee (288-82, Rec. p. 3663), le juge ne saurait appliquer des conditions de recevabilité prévues par le droit national qui auraient pour effet de limiter la mise en œuvre des règles de compétence prévues par la convention.
21 Ainsi, le rejet d'une demande en garantie ne peut être fondé de manière explicite ou implicite sur le fait que des tiers appelés en cause résident ou sont domiciliés dans un autre État contractant que celui du tribunal saisi de la demande originaire.
22 Il y a donc lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que l'article 6, initio et point 2, doit être interprété en ce sens qu'il n'oblige pas le juge national à consentir à la demande d'appel en garantie et que celui-ci peut appliquer les règles procédurales de son droit national pour apprécier la recevabilité de la demande, sous réserve de ne pas porter atteinte à l'effet utile de la convention en la matière et, en particulier, de ne pas fonder le rejet de la demande en garantie sur le fait que le garant réside ou est domicilié sur le territoire d'un État contractant autre que celui du tribunal saisi de la demande originaire.
Sur les dépens
23 Les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, le gouvernement de la République française et par la Commission des Communautés européennes, qui ont déposé des observations devant la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre),
Statuant sur les questions à elle posées par le Hoge Raad der Nederlanden, dit pour droit :
1) Dans l'hypothèse où un défendeur, qui est domicilié sur le territoire d'un État contractant, a été, au titre de l'article 5, initio et point 1, de la convention de Bruxelles, attrait devant le juge d'un autre État contractant, ce juge est également compétent, en vertu de l'article 6, initio et point 2, de la convention, pour connaître d'une demande en garantie formée contre une personne domiciliée sur le territoire d'un État contractant autre que celui du juge saisi de la demande originaire.
2) L'article 6, initio et point 2, doit être interprété en ce sens qu'il n'oblige pas le juge national à consentir à la demande d'appel en garantie et que celui-ci peut appliquer les règles procédurales de son droit national pour apprécier la recevabilité de la demande, sous réserve de ne pas porter atteinte à l'effet utile de la convention en la matière et, en particulier, de ne pas fonder le rejet de la demande en garantie sur le fait que le garant réside ou est domicilié sur le territoire d'un État contractant autre que celui du tribunal saisi de la demande originaire.