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Décisions

CJCE, 3e ch., 6 mars 1980, n° 120-79

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

De Cavel

Défendeur :

De Cavel

CJCE n° 120-79

6 mars 1980

LA COUR,

1 Par ordonnance du 27 juin 1979, parvenue à la Cour le 30 juillet 1979, le Bundesgerichtshof a saisi la Cour de justice, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la convention), de deux questions concernant l'interprétation des articles 1, alinéa 1, et 5, chiffre 2, de cette convention.

2 La première question vise à savoir si la convention, et en particulier son article 31 relatif à l'exécution des décisions rendues dans un autre état contractant, s'applique à 'l'execution d'une mesure provisoire ordonnée par un juge français dans une procédure en divorce, par laquelle l'une des parties à l'instance obtient une pension alimentaire mensuelle' ou si, au contraire, pareille décision doit être considérée comme ne relevant pas de la 'matière civile' au sens de l'article 1, alinéa 1, de la convention. Cette question est posée dans le cadre d'un litige relatif à l'exécution, en République fédérale d'Allemagne, d'une ordonnance rendue le 18 mai 1977 par le juge aux affaires matrimoniales près le Tribunal de grande instance de Paris allouant à l'épouse, en vertu des articles 253 et suivants du Code civil français, à titre provisoire, une pension alimentaire au cours de la procédure en divorce.

3 Par la deuxième question il est, de même, demandé si la convention - s'agissant en particulier des dispositions relatives à l'exécution des décisions de justice - est applicable 'à une prestation compensatoire provisoire, payable mensuellement, qu'un jugement de divorce français alloue à une partie au titre des articles 270 et suivants du Code civil'. Selon les termes de cet article 270, il s'agit d'une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. L'article 271 ajoute que la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.

4 Selon l'article 1, alinéa 1, de la convention, le champ d'application de celle-ci s'étend à la 'matière civile et commerciale'. Toutefois, certaines matières, bien que relevant de cette notion, ont par exception été écartées de ce champ par l'alinéa 2 de la même disposition. Tel est le cas, entre autres, de l'état et de la capacité des personnes physiques, des régimes matrimoniaux, des testaments et des successions.

5 Il est constant que la matière des obligations alimentaires rentre par elle-même dans la notion de 'matière civile' et que, n'étant pas reprise dans les exceptions prévues par l'alinéa 2 de l'article 1 de la convention, elle relève dès lors du champ d'application de celle-ci. L'article 5, chiffre 2, de la convention confirme, pour autant que de besoin, cette appartenance. D'autre part, les 'prestations compensatoires' prévues par les articles 270 et suivants du Code civil français et visées par la deuxième question concernent les obligations financières éventuelles entre ex-époux après le divorce fixées à raison des ressources et besoins réciproques et ont également un caractère alimentaire. Elles appartiennent ainsi à la matière civile au sens de l'article 1, alinéa 1, de la convention et, dès lors, au champ d'application de celle-ci, à défaut d'en avoir été écarté par l'alinéa 2 de ce même article.

6 Il s'agit dès lors uniquement d'examiner si la circonstance qu'une décision judiciaire en matière d'obligations alimentaires se situe dans le cadre d'une procédure en divorce - laquelle relève indiscutablement de l'état des personnes et est par conséquent soustraite du champ d'application de la convention - a pour conséquence que le litige en matière d'obligations alimentaires devrait, en tant qu'accessoire de la procédure en divorce, être, lui aussi, écarté de ce champ d'application, avec la conséquence qu'il ne pourrait bénéficier, entre autres, des formes simplifiées de reconnaissance, prévues aux articles 26 à 30, et d'exécution, prévues aux articles 31 à 45.

7 Aucune disposition de la convention ne lie, en ce qui concerne le champ d'application de celle-ci, le sort des demandes accessoires au sort des demandes principales. Différentes dispositions confirment, au contraire, que la convention ne lie pas le sort de demandes qualifiées 'accessoires' au sort de la demande principale. Tel est notamment le cas de l'article 42 selon lequel, lorsque la décision étrangère a statué sur plusieurs chefs de la demande et que l'exécution ne peut être autorisée pour le tout, l'autorité judiciaire accorde l'exécution pour un ou plusieurs d'entre eux, et de l'article 24, selon lequel des mesures provisoires et conservatoires - par définition accessoires - prévues par la loi d'un état contractant peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet état 'même si, en vertu de la présente convention, une juridiction d'un autre état contractant est compétente pour connaitre du fond'.

8 Ces dispositions témoignent de façon non-équivoque que le système général de la convention n'est pas de lier nécessairement le sort d'une demande accessoire à celui d'une demande principale. En vertu de ce principe, l'article 5, chiffre 4, de la convention confère, en ce qui concerne précisément le champ d'application de celle-ci, à une juridiction pénale, dont les décisions dans son domaine propre sont manifestement exclues du champ d'application de la convention, la compétence pour connaitre de l'action civile accessoire avec la conséquence que la décision rendue sur ce point bénéficiera, en ce qui concerne sa reconnaissance et son exécution, de la convention. Cette disposition prévoit donc expressément que relève du champ d'application de la convention une demande accessoire à un litige portant sur la matière pénale qui en est évidemment exclue.

9 Les demandes accessoires relèvent dès lors du champ d'application de la convention suivant la matière qu'elles concernent et non suivant la matière dont relève la demande principale. C'est par application de cette règle que la Cour, dans son arrêt du 27 mars 1979 (affaire n° 143-78, de Cavel, Recueil p. 1055), rendu entre les mêmes parties, a jugé qu'une demande d'apposition de scellés dans le cadre d'une procédure en divorce ne relevait pas du champ d'application de la convention, non à cause de son caractère accessoire, mais parce qu'il apparaissait que, par son objet propre, elle relevait, en l'occurrence, du régime matrimonial des époux.

10 D'autre part, la Cour a déjà reconnu dans ce même arrêt que la nature provisoire ou définitive des décisions judiciaires n'était pas pertinente en ce qui concerne leur appartenance au champ d'application de la convention. Il faut dès lors écarter l'argument tiré de ce que l'obligation alimentaire ne serait imposée qu'à titre provisoire et pour la durée du divorce.

11 Il résulte des considérations qui précèdent que le champ d'application de la convention s'étend aussi et pour les mêmes motifs aux obligations alimentaires que la loi où le juge impose à des époux pour la période postérieure au divorce.

12 Il y a donc lieu de répondre aux questions posées par le Bundesgerichtshof que la convention est applicable, d'une part, à l'exécution d'une mesure provisoire ordonnée par un juge français dans une procédure de divorce par laquelle l'une des parties à l'instance obtient une pension alimentaire mensuelle, et d'autre part, à une prestation compensatoire provisoire, payable mensuellement, qu'un jugement de divorce français accorde à une partie au titre des articles 270 et suivants du Code civil français.

Sur les dépens

13 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 27 juin 1979, enregistrée à la Cour le 30 juillet 1979, dit pour droit :

La convention du 27 septembre 1968 relative à la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO N L 299, p. 32) est applicable, d'une part, à l'exécution d'une mesure provisoire ordonnée par un juge français dans une procédure de divorce par laquelle l'une des parties à l'instance obtient une pension alimentaire mensuelle et, d'autre part, à une prestation compensatoire provisoire, payable mensuellement, qu'un jugement de divorce français accorde à une partie au titre des articles 270 et suivants du Code civil français.