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Décisions

Cass. crim., 4 avril 2006, n° 05-86.245

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Farge (faisant fonction)

Rapporteur :

M. Delbano

Avocat général :

Mme Commaret

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Masse-Dessen, Thouvenin

Aix-en-Provence, du 7 sept. 2005

7 septembre 2005

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par : X Lucien, Y Claude, épouse X, Z Félix, parties civiles, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5e chambre, en date du 7 septembre 2005, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie contre Serge A, des chefs d'escroqueries et infractions à la législation sur le démarchage à domicile, a prononcé sur les intérêts civils ; Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs, ainsi que le mémoire en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Serge A, qui avait démarché des clients à domicile pour leur vendre des timbres de collection et des ouvrages de bibliophilie, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs d'escroqueries et infractions à la législation sur le démarchage à domicile, pour avoir omis d'informer les acquéreurs de leur faculté de rétractation, délit prévu et réprimé par les articles L. 121-23, L. 121-25 et L. 121-28 du Code de la consommation ; que le tribunal l'a relaxé du premier chef et condamné pour le second ; que, constitués parties civiles, les époux X et Félix Z ont été déboutés de leurs demandes en dommages-intérêts ; que, sur leurs seuls appels, la juridiction du second degré, après avoir estimé que les éléments constitutifs du délit d'escroquerie étaient réunis, a condamné Serge A à des réparations civiles ; que, le 29 juin 2004, la Cour de cassation a cassé cette décision en ses seules dispositions civiles ; que, par l'arrêt attaqué, la juridiction de renvoi, après avoir estimé que les éléments constitutifs du délit d'escroquerie n'étaient pas réunis et après avoir constaté le caractère définitif de la condamnation de Serge A pour infractions à la législation sur le démarchage, a débouté les époux X et Félix Z de leurs demandes de dommages-intérêts ;

En cet état :

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 405 de l'ancien Code pénal, 313-1 du nouveau Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur les intérêts civils, a rejeté les demandes des époux X et de Félix Z ;

"aux motifs que Serge A vendait à ses clients les livres anciens et lettres autographes, qu'il achetait lui-même à Alain B, soit directement, soit par l'intermédiaire de Patrick C ; que la valeur et l'authenticité de ces articles étaient attestées par des certificats établis par Alain B, qui n'avait aucune qualité pour le faire et dont la fraude a précisément consisté en leur surévaluation ; que cependant, malgré la durée des relations professionnelles entre Alain B et Serge A, il n'est pas démontré que celui-ci ait eu conscience du caractère mensonger des évaluations émanant de celui-là ; que le fait qu'il ait placé de tels produits auprès de ses proches et qu'il ait communiqué à l'un de ses clients le nom d'un expert pour procéder à l'évaluation des biens vendus, tend à accréditer son absence d'intention dolosive ; qu'il en résulte que les éléments constitutifs du délit d'escroquerie ne sont pas réunis à l'encontre de Serge A, lequel doit à tout le moins bénéficier de l'existence du doute ;

"alors, d'une part, qu'il y a manœuvre frauduleuse constitutive de l'escroquerie à produire un écrit, même authentique et non altéré, émanant d'un tiers, attestant de la véracité du mensonge initial ; que l'arrêt énonce que Serge A vendait à ses clients des documents dont la valeur était attestée par des certificats établis par Alain B qui n'avait aucune qualité pour le faire et dont la fraude a précisément consisté en leur surévaluation, ce dont il résulte que le prévenu a communiqué à ses clients des écrits destinés à attester de la véracité du mensonge initial, consistant en une surévaluation de la valeur des pièces qu'il leur proposait ; qu'en déboutant les parties civiles de leur demande de dommages-intérêts, après avoir cependant ainsi caractérisé l'escroquerie, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"alors, d'autre part, que l'escroquerie ne requiert pas un dol spécial mais seulement un dol général ; qu'en déduisant l'absence d'intention dolosive de Serge A de l'absence de preuve de ce qu'il aurait eu conscience du caractère mensonger des évaluations d'Alain B, c'est-à-dire de l'absence de dol spécial, sans se prononcer sur la connaissance par Serge A du caractère frauduleux des placements qu'il proposait, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve du délit d'escroquerie n'était pas rapportée à la charge de Serge A, en l'état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant les parties civiles de leurs prétentions ; d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-23, L .121-24, L. 121-25, L. 121-26, L. 121-28 et L. 121-31 du Code de la consommation, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur les intérêts civils, a rejeté les demandes des époux X et de Félix Z ;

"aux motifs que le tribunal a déclaré Serge A coupable d'infraction à la législation sur le démarchage à domicile, pour avoir omis de faire bénéficier ses clients de la faculté de renonciation à leur engagement d'achat ; que de ce chef, le jugement déféré est définitif ; que les parties civiles demandent, chacune en ce qui la concerne, réparation du préjudice résultant de l'impossibilité de revendre les articles litigieux à un prix comparable à celui versé pour les acquérir, jusqu'à dix fois supérieur à leur valeur vénale ; mais attendu qu'un tel préjudice, qui n'est pas sérieusement contestable, ne résulte pas en l'espèce de l'infraction à la législation sur le démarchage à domicile, reprochée à Serge A ; qu'en effet, aucune des parties civiles n'établit, ni même n'allègue, avoir eu l'intention de renoncer à son engagement d'achat dans le délai prévu par l'article L. 121-25 du Code de la consommation ; que la moins-value subie par chacune d'entre elles est indépendante de l'absence d'information de la part du vendeur sur le délai dans lequel elle pouvait exercer son droit de rétractation ; qu'ainsi, il n'existe pas de lien de causalité entre l'infraction et le préjudice ;

"alors, d'une part, qu'à l'occasion des poursuites pénales exercées contre le vendeur, le prestataire de services ou le démarcheur pour infraction à la législation sur le démarchage à domicile, le client qui s'est constitué partie civile est recevable à demander devant la juridiction répressive une somme égale au montant des paiements effectués ou des effets souscrits, sans préjudice de tous dommages-intérêts ; qu'en rejetant les demandes de restitution des sommes versées et de dommages-intérêts présentées par les parties civiles, aux motifs inopérants qu'il n'existe pas de lien de causalité entre l'infraction et le préjudice, et que la moins-value subie par chacune des parties civiles est indépendante de l'absence d'information de la part du vendeur sur le délai dans lequel elle pouvait exercer son droit de rétractation, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision ;

"alors, d'autre part, que l'action civile a pour objet la réparation d'un préjudice qui trouve directement sa source dans l'infraction poursuivie ; que le préjudice subi par les parties civiles a trouvé directement sa source dans l'infraction à la législation sur le démarchage à domicile dont le prévenu a été déclaré coupable, dès lors que sans ce démarchage irrégulier, elles n'auraient pas été convaincues d'acquérir à un prix dix fois supérieur à leur valeur vénale les articles qui leur ont été proposés à cette occasion ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision ;

"alors enfin, et en tout état de cause, qu'en s'abstenant de rechercher si l'absence d'information de la part du vendeur aux parties civiles sur le délai dans lequel elles pouvaient exercer leur droit de rétractation n'avait pas fait perdre à ces dernières une chance de renoncer à leur achat et donc de ne pas subir le préjudice dont elles demandaient réparation, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision" ;

Vu l'article L. 121-31 du Code de la consommation ;

Attendu que, selon ce texte, à l'occasion des poursuites pénales exercées en application, notamment, de l'article L. 121-23 contre le vendeur, le prestataire de services ou le démarcheur, le client qui s'est constitué partie civile est recevable à demander devant la juridiction répressive une somme égale au montant des paiements effectués ou des effets souscrits, sans préjudice de tous dommages-intérêts ;

Attendu que, pour écarter les demandes d'indemnisation des parties civiles, l'arrêt, après avoir énoncé que celles-ci réclamaient réparation du préjudice résultant de l'impossibilité de revendre les articles litigieux à un prix comparable à celui mis pour les acquérir, relève l'absence de lien de causalité entre l'infraction et le préjudice, dès lors qu'aucun des demandeurs n'a allégué avoir eu l'intention de renoncer à son engagement d'achat dans le délai de rétractation prévu par l'article L. 121-25 du Code de la consommation ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que les demandes des parties civiles étaient nécessairement fondées sur les dispositions de l'article L. 121-31 susvisé, au demeurant expressément invoqué dans les conclusions des époux X, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée dudit texte ; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs, Casse et annule l'arrêt susvisé de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 7 septembre 2005, en ses seules dispositions ayant rejeté les demandes tendant à l'indemnisation du préjudice résultant des infractions à la législation sur le démarchage à domicile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.