CA Colmar, 3e ch. civ. A, 13 mars 2006, n° 04-00277
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Hagenbourger (Epoux)
Défendeur :
Beyrath, Lejeal
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Waltz
Conseillers :
Mme Mazarin, M. Steinitz
Avocats :
Mes Chevallier-Gaschy, Alexandre, Schneider
Monsieur et Madame Hagenbourger ont acquis par acte du 28 octobre 1999, un immeuble sis à Obersteigen et appartenant à Monsieur Pierre Beyrath et Madame Gabrielle Lejeal.
Faisant valoir que les parties en bois de la façade de la maison étaient pourries, que cette pourriture avait été cachée par du mastic puis recouverte d'une peinture blanche plastifiée et que les frais de remise en état s'élevaient à 6 862,36 euro, Monsieur et Madame Hagenbourger ont assigné les consorts Beyrath/Lejeal devant le Tribunal d'instance de Molsheim en paiement de ce montant en leur reprochant d'avoir fait preuve de déloyauté lors de la vente de l'immeuble et de s'être rendus coupables de manœuvres dolosives en masquant les dégâts.
Par jugement en date du 14 octobre 2003, le tribunal les a déboutés de leur demande et condamnés aux dépens.
Ils ont interjeté appel de ce jugement et font valoir au soutien de leur appel :
- que la clause de non-garantie inscrite dans l'acte de vente doit être réputée non écrite en raison de la qualité professionnelle de Mme Lejeal au moment où elle a contracté ; que même si l'acte de vente a été passé par elle à titre privé, il n'en demeure pas moins qu'elle était professionnelle de l'immobilier ce qui résulte de la carte de visite qui leur a été remise et du document publicitaire versé aux débats;
- que Mme Hagenbourger n'a commencé à travailler dans le secteur immobilier qu'à compter de juillet 2002 ; qu'elle n'avait au moment de la vente aucune connaissance dans le domaine de l'immobilier ;
- que la clause de non-garantie doit en tout état de cause être écartée en raison de la mauvaise foi des vendeurs;
- que la mauvaise foi peut se traduire par une simple réticence à informer soit par une dissimulation frauduleuse
- que le vice est antérieur à la vente et que les vendeurs en avaient connaissance
- que l'expert a certes noté que l'action de la mérule est particulièrement virulente et rapide mais a relevé également que le mastic dont la présence massive a été constatée sur les poutres avait été mis en œuvre 5 à 8 ans avant son intervention;
- qu'il ne saurait être tiré argument du fait que le peintre Reeg n'a pu constater la présence de mastic lorsqu'il est intervenu en 1996
- que lors des travaux d'extensions en 1997 a été utilisée de la peinture blanche pour les boiseries et qu'apparemment Monsieur Beyrath a lui-même effectué les travaux ; qu'il lui était donc loisible d'appliquer également le mastic
- qu'il résulte de l'attestation du charpentier Hamm que celui-ci a été sollicité en mai 1999 pour refaire entièrement le balcon ; que la structure était à cette époque déjà bien abîmée;
- que dans une nouvelle attestation Monsieur Reeg confirme avoir mis en œuvre en 1996 une peinture micro-poreuse
- que le témoin Doerfer atteste que le 11 novembre 1999 les peintures extérieures apparaissaient en bon état et que par la suite la peinture cloquait;
- que l'expert a constaté la présence d'une peinture glycérophtalique alors que Monsieur Reeg avait mis en œuvre une peinture micro-poreuse ; qu'il y a donc bien eu des travaux de peinture entre 1996 et 1999;
- qu'il ressort de ces éléments que les vendeurs leur ont volontairement dissimulé les vices cachés dont était affecté l'immeuble
- que par application des articles 1134 et 1641, est réclamée la condamnation des intimés en paiement d'un montant de 3 862,36 euro au titre des frais de réfection ainsi que 3 000 euro à titre de dommages et intérêts.
Ils concluent :
- de déclarer l'appel recevable et, bien fondé,
- y faisant droit,
- d'infirmer le jugement entrepris,
- statuant à nouveau,
- de condamner solidairement Monsieur Beyrath et Madame Lejeal à un montant de 6 862,36 euro à titre de dommages et intérêts,
- de débouter les consorts Beyrath - Lejeal de l'ensemble de leurs fins et conclusions, en particulier s'agissant de la charge des frais d'exécution contraire aux dispositions légales applicables,
- de les condamner aux entiers frais et dépens des deux instances y compris de la procédure de référé et aux frais d'expertise,
- de les condamner à un montant de 1 200 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Madame Gabrielle Lejeal réplique :
- que l'immeuble a été, avant son acquisition par les appelants, visité à de nombreuses reprises par ces derniers qui ont vérifié scrupuleusement l'état des boiseries ; qu'ils ont notamment constaté le mauvais état de la planche constituant la lisse supérieure du garde corps du balcon Nord et obtenu l'accord de M. Beyrath de procéder à son remplacement;
- que figure dans l'acte de vente une clause de non-garantie et que la vente n'a pas été réalisée dans le cadre de ses activités professionnelles ; que Madame Hagenbourger exerce d'ailleurs la même profession qu'elle ;
- que, pour faire échec à cette clause, doit être démontrée la mauvaise foi des vendeurs et leur réticence, voire un agissement dolosif de leur part;
- que cette preuve n'est pas rapportée ;
- que les dommages touchant le balcon Nord de l'immeuble proviennent de l'attaque d'un champignon, le "mérule", attaque qualifiée par l'expert de "relativement fulgurante';
- que Monsieur Reeg a précisé que lors de l'exécution des travaux de peinture en 1996, il n'a pas constaté la présence anormale de mastic;
- qu'il est exact qu'en 1999 Monsieur Hamm a été contacté pour réaliser des travaux d'extension mais qu'il n'a établi aucun devis;
- que l'expert a relevé que la présence de mastic remonterait même 5 à 8 ans avant la vente; qu'il n'est pas démontré que le rebouchage avec du mastic aurait été l'œuvre des vendeurs;
- que selon les demandeurs le phénomène serait apparu en janvier 2001 soit 1 an et demi après la vente et que rien ne permet d'affirmer qu'il existait déjà lors de la vente ;
- que les injections de mastic n'auraient pas pu mettre fin à l'attaque de mérule ni la camoufler compte tenu du caractère fulgurant de la propagation;
Elle conclut:
- de rejeter l'appel des époux Hagenbourger,
- de les débouter de toutes leurs fins et conclusions,
- de confirmer le jugement entrepris,
- de condamner les époux Hagenbourger à payer à Madame Gabrielle Lejeal la somme de 1 200 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- de les condamner aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel, y compris à l'intégralité des frais, émoluments et honoraires pouvant être liés à l'exécution par voie d'huissier de la décision à intervenir et en particulier tous les droits de recouvrement ou d'encaissement visés au décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996, sans exclusion du droit proportionnel dégressif à la charge du créancier stipulé à l'article 10 dudit décret, modifié par le décret n° 2001-210 du 8 mars 2001, ainsi qu'aux frais et dépens de la procédure de référé expertise.
Monsieur Pierre Beyrath fait valoir :
- que l'acte de vente comporte une clause de non-garantie des vices cachés, parfaitement licite et opposable aux acheteurs;
- que Madame Hagenbourger est elle-même devenue professionnelle de l'immobilier quelques mois après la vente et qu'à supposer que Madame Lejeal puisse se voir attribuer la qualité de professionnelle, Madame Hagenbourger disposait de la même qualité à la date de la vente;
- que lui-même ne saurait se voir opposer l'argument de sa profession de dentiste;
- qu'entre août 1992 à octobre 1999 il n'a fait réaliser aucun travail de camouflage ; que la maison a simplement été entretenue et repeinte en 1996 par Monsieur Reeg qui n'a pas constaté de bois en mauvais état ni la présence anormale de mastic ;
- que l'expert a daté approximativement la mise en œuvre du mastic entre 5 et 8 ans avant la vente et incontestablement antérieurement à l'intervention de Monsieur Reeg;
- que la destruction du bois par la mérule est, selon l'expert, relativement fulgurante et que le vice n'est apparu que deux ans après la vente;
- que les époux Hagenbourger ont eux-mêmes vérifié les boiseries avant la vente et obtenu son engagement de remplacer une des poutres du balcon supérieur Nord;
- que la bonne foi des vendeurs ne saurait être mise en cause et qu'il n'est pas établi que le vice était antérieur à la vente;
Il conclut :
- de déclarer l'appel irrecevable et en tout état de cause mal fondé,
- en débouter les époux Hagenbourger,
- de les condamner à payer une indemnité de 1 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- de les condamner aux entiers frais et dépens,
- de réserver à conclure.
Sur quoi LA COUR :
Vu les conclusions des parties en date des 17 août 2004, 10 novembre 2004 et 15 mars 2005 auxquelles il est expressément envoyé pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens;
Attendu que l'appel, interjeté dans les formes légales, apparaît recevable au vu des éléments fournis à la cour;
Au fond :
Attendu que Monsieur et Madame Hagenbourger se sont plaints en janvier et avril 2001 du pourrissement du balcon Nord;
Attendu que l'acte de vente conclu entre les parties le 28 octobre 1999 comporte une clause de non-garantie, rédigée en ces termes :
" Il ne pourra être exercé aucun recours ni répétition contre toute personne tenue à garantie pour quelque motif que ce soit et notamment pour raisons... de vice apparents ou cachés..."
Attendu que les appelants soutiennent que cette clause doit être déclarée non écrite en raison de la qualité professionnelle d'agent immobilier de Madame Lejeal au moment où la vente a été conclue ;
Mais attendu qu'il n'y a pas lieu de considérer comme professionnel un agent immobilier co-vendeur d'une maison dès lors que l'opération se situe dans le cadre de la gestion de son patrimoine propre (Cass 3e civ. 10.10.1978 D. 1979, page 60) que tel est le cas en l'espèce Madame Lejeal n'ayant pas agi en tant que marchand de biens mais à titre privé, Monsieur Beyrath exerçant par ailleurs la profession de chirurgien-dentiste (Cass 3e civ. 3.01.1984, Bull. civ. n° 4) ;
Attendu que pour faire échec à cette clause de non-garantie contractuelle, il appartient à Monsieur et Madame Hagenbourger, qui ne contestent d'ailleurs pas avoir visité la maison à plusieurs reprises, de prouver la mauvaise foi des vendeurs, leur réticence ou des agissements dolosifs, de même que l'existence d'un vice caché antérieur à la vente ;
Attendu que Monsieur et Mme Hagenbourger soutiennent que les vendeurs avaient connaissance du vice affectant déjà le bien cédé au moment de la vente, à savoir le pourrissement du balcon Nord nécessitant son entière réfection ; qu'ils auraient volontairement omis de le leur signaler et qu'ils l'auraient en outre camouflé;
Attendu que dans un rapport en date du 7 mai 2002, l'expert désigné par le juge des référés a confirmé la dégradation importante de la structure du balcon Nord, liée selon lui à la conception de l'ouvrage et à la mérule, nécessitant la dépose et la remise à neuf de l'ouvrage. ; qu'il a constaté également la présence de mastic mou et parfois même coulant sur le bois;
Mais attendu que l'affirmation de l'expert "on peut difficilement conclure à l'ignorance des vendeurs de l'état de leur maison" est contestable dans la mesure où elle est contredite par certains éléments du dossier ou fournis par ce même expert;
Attendu en effet que Monsieur Reeg, exploitant l'entreprise Reeg, qui a repeint le balcon Nord en 1996 a déclaré à l'expert qu'il n'avait à cette occasion constaté aucune dégradation des poutres ni aucune présence anormale de mastic, qu'il a simplement repeint le bois après l'avoir lessivé et sans l'avoir poncé au préalable ;
que l'expert a daté approximativement la mise en œuvre du mastic entre 5 et 8 ans avant la vente, soit en tout état de cause antérieurement à l'intervention de Monsieur Reeg qui en sa qualité de professionnel n'a rien constaté d'anormal ;
que l'expert a précisé on outre dans son rapport que la destruction du bois par la mérule est relativement fulgurante alors que la mise en place de mastic qui aurait été destinée à masquer les dégradations dues à la mérule ressortirait selon lui à 5 ou 8 ans ;
que ce n'est finalement que plus de 18 mois après la vente que Monsieur et Madame Hagenbourger ont fait état, dans une lettre en date du 24 janvier 2001, avoir constaté la pourriture du bois du balcon Nord;
que compte-tenu du caractère fulgurant de la destruction du bois par la mérule telle que relevée par l'expert, il n'est ainsi démontré ni que le vice invoqué serait effectivement préexistant à la vente ni en tout état de cause, à supposer que tel aurait été le cas, ce qui n'est pas démontré, que les vendeurs en auraient eu connaissance ;
Attendu certes que l'expert a relevé que la peinture glycérophtalique se trouvant sur la boiserie n'était pas la peinture micro-poreuse facturée par l'entreprise Reeg ; que le fait que Monsieur Reeg ait effectivement facturé une peinture micro-poreuse et justifié avoir acheté à l'époque des travaux une telle peinture n'est pas toutefois de nature à démontrer que c'est bien cette peinture micro-poreuse qui a été utilisée; que l'attestation en ce sens établie par Monsieur Reeg plus de 7 ans après les travaux et ses déclarations devant l'expert plus de cinq ans après les travaux ne sauraient à elles seules être de nature à l'établir et à démontrer que les vendeurs auraient mis en œuvre, avant la vente aux époux Hagenbourger, une peinture plastifiée pour cacher un vice qu'ils auraient connu;
Que par ailleurs le charpentier Monsieur Hamm, qui a déclaré à l'expert avoir été consulté par Monsieur Beyrath pour des travaux dont il ne se souvient plus de la nature ni de la date en raison de l'ancienneté de l'affaire tout en disant avoir constaté que la structure était déjà bien abîmée, ce dont il aurait avisé les propriétaires, a curieusement affirmé dans l'attestation datée du 24 avril 2001 "avoir été consulté par Monsieur Beyrath et Madame Lejeal aux alentours du mois de mai 1999 afin d'établir un devis pour refaire entièrement le balcon Nord de leur maison" puis à nouveau dans l'attestation du 10 février 2004, d'avoir été consulté par Monsieur Beyrath et Madame Lejeal aux alentours du mois de mai 1999, afin d'établir un devis pour refaire entièrement le balcon Nord de leur maison" ; que manifestement il a varié dans ses déclarations, qui de ce fait n'apparaissent pas probantes; qu'elles ne sauraient de toute manière établir que la mérule, dont l'action est fulgurante, était déjà présente au moment de la vente et connue des vendeurs dès lors que le terme "abîmé", employé de surcroît par un professionnel du bois, est trop vague pour le démontrer;
que ne sont pas davantage de nature à établir l'antériorité du vice et sa connaissance par les vendeurs les deux attestations produites par les appelants, faisant état du bon état des peintures extérieures de l'immeuble en novembre 1999;
Attendu que partant, c'est à juste titre que le premier juge a retenu que malgré les termes de l'expert selon lesquels "on peut difficilement conclure à l'ignorance des vendeurs de l'état de leur maison", il n'est justifié par les demandeurs ni que les défendeurs auraient eu connaissance de l'état de pourrissement du bois au moment de la vente ni qu'ils auraient tenté de le camoufler ni même que le pourrissement aurait préexisté à la vente ;
Attendu que la décision dont appel sera en conséquence confirmée en toutes ses dispositions;
Attendu que l'issue du litige conduit à condamner les appelants aux entiers dépens d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 950 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, l'équité le commandant.
Par ces motifs, Déclare l'appel recevable en la forme; Le dit non fondé et le rejette; Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions; Condamne les appelants aux entiers dépens d'appel; Les condamne à payer aux intimés la somme de 950 euro (neuf cent cinquante euro) par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.