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Décisions

CA Rouen, 1re ch. 1er cabinet, 28 juin 2006, n° 05-00150

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Saunier (SARL)

Défendeur :

Fécamp

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouché

Conseillers :

M. Perignon, Mme Holman

Avoués :

SCP Gallière Lejeune Marchand Gray, Me Couppey

Avocats :

Mes Lagarde, Thevenin

TGI Rouen, du 26 oct. 2004

26 octobre 2004

Les faits et la procédure :

Suivant un bon de commande en date du 26 juin 2001, M. Fécamp a acquis auprès des Établissements Saunier, exerçant sous l'enseigne "Caravanes Loisirs", une caravane d'occasion de marque Hobby, modèle Prestige, immatriculée 371 AAJ 78, moyennant le prix de 50 000 F TTC.

Ayant constaté des bruits suspects et suite à l'éclatement de deux pneus les 2 août et 11 octobre 2001, il a été procédé à une expertise amiable en présence d'une part des Établissements Saunier et de M. Gallois expert du BCA, intervenant pour Azur Assurances (assureur responsabilité civile de Saunier) et, d'autre part, de M. Dalloz, mandaté par l'assureur protection juridique de M. Fécamp.

Au vu du rapport de M. Dalloz, M. Fécamp a sollicité et obtenu par jugement du Tribunal d'instance de Rouen du 8 octobre 2002, une mesure d'expertise judiciaire qui a été confiée à M. Prieur.

M. Prieur a conclu que le véhicule avait subi un grave accident qui l'avait conduit à la casse avant d'être réparé par un non-professionnel et remis en vente.

Soutenant qu'il n'aurait jamais acquis ce véhicule s'il avait su que son vendeur se l'était procuré dans une casse à l'état d'épave, M. Fécamp a fait assigner la SARL Caravanes Loisirs pour obtenir, principalement sous le visa des articles 1116, 1117 et 1304 du Code civil et subsidiairement, en application des articles 1641, 1643 et 1645 du même Code, la nullité de la vente et le paiement de la somme de 15 260,59 euro avec les intérêts au taux légal à compter de l'assignation, outre une indemnité de procédure de 1 500 euro.

Par jugement rendu le 26 octobre 2004, le Tribunal de grande instance de Rouen a:

- prononcé la résolution de la vente intervenue le 26 juin 2001 entre M. Fécamp et la SARL Établissements Saunier portant sur une caravane Hobby Prestige,

- condamné la SARL Etablissements Saunier à payer à M. FEC'AMP les sommes de :

• 12 468,71 euro, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

• 1 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire, sauf en ce qui concerne l'indemnité de procédure,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

Condamné la SARL Établissements Saunier aux dépens comprenant les frais d'expertise.

Le 23 décembre 2004, la SARL Etablissements Saunier a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 25 avril 2005, la SARL Établissements Saunier demande à la cour d'infirmer la décision déférée et de:

- dire n'y avoir lieu à entérinement du rapport de l'expert judiciaire M. Prieur,

- débouter M. Fécamp de sa demande en résolution de la vente de la caravane et de l'ensemble de ses prétentions,

- condamner M. Fécamp à lui payer une indemnité de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC,

- le condamner aux dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 7 octobre 2005, M. Fécamp demande à la cour de:

- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, s'agissant de la résolution de la vente,

- confirmer les condamnations pécuniaires prononcées à l'encontre des Etablissement Saunier sauf en ce qui concerne les frais de garde du véhicule,

- condamner la SARL Etablissement Saunier à rembourser à Monsieur Fécamp les frais de garde du véhicule d'un montant journalier de 6,40 euro pour la période du 11 octobre 2001 jusqu'à la date de la reprise effective par la SARL Etablissements Saunier de la caravane après le prononcé de l'arrêt,

- ordonner à la SARL Etablissement Saunier de reprendre possession de la caravane et ce sous astreinte de 100 euro par jour de retard passé un délai de huit jours après la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner la SARL Etablissement Saunier à payer à Monsieur Fécamp une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC,

- la condamner aux dépens de première instance et d'appel.

Sur ce, LA COUR :

Vu les conclusions et les pièces:

La SARL Établissements Saunier fait valoir essentiellement que le rapport d'expertise, critiquable tant dans sa forme qu'au fond, ne permet pas de mettre en évidence l'existence de défauts préexistants à la vente et, partant, de vices cachés imputables au vendeur. Elle soutient que les désordres allégués par M. Fécamp résulteraient plutôt de l'usage qu'il a fait de la caravane de la date de son acquisition jusqu'à son immobilisation, en octobre 2001.

Aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus. L'article 1642 prévoit que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même.

Il est par ailleurs de principe que le vendeur professionnel ne peut ignorer les vices de la chose vendue, même à un professionnel.

En l'espèce, il résulte du rapport d'expertise judiciaire que la caravane litigieuse présentait les défauts suivants:

- à l'extérieur : bon état apparent mais légère déformation de la façade en partie haute à gauche, traces de réparation sur façade et flanc gauche, affaissement de l'ensemble de la caravane côté gauche.

- à l'intérieur : pas d'usure apparente mais le passage de roue gauche est cassé, " explosé " et la roue et le sol sont visibles, les meubles en partie avant gauche sont désolidarisés entre eux et décollés de la cloison, le plancher est cassé au dessus du longeron gauche de l'essieu.

- sous le plancher, après démontage de la roue gauche : le longeron principal gauche est déformé sur toute la longueur et vrillé, la bride de fixation de l'essieu sur le longeron est déformée et oxydée, le longeron droit est bien rectiligne, en avant du passage de roue, un morceau de bois de la structure du plancher est pourri, délité et en extrémité arrière, le plancher est poinçonné de l'extérieur vers l'intérieur.

L'expert conclut que le châssis est faussé, le plancher est cassé, la structure supérieure est désolidarisée et en partie délitée de telle sorte que la caravane n'est plus en état de rouler.

S'étant livré, conformément à sa mission, à une recherche sur les antécédents du véhicule litigieux, M. Prieur a appris qu'il a été acquis neuf le 15 novembre 1994 et gravement accidenté le 15 août 1995 (choc avant gauche violent). Jugée irréparable, la caravane a été remboursée à son propriétaire de l'époque et transportée dans un garage de Tours qui n'existe plus actuellement. Le 8 décembre 1995, le véhicule a été racheté en l'état dans une casse par Mme Peaudecerf en vue de l'utiliser en poste fixe après des réparations sommaires. La caravane a été reprise en décembre 1999 par la société Paris Caravane lors de l'achat par Mme Peaudecerf d'un mobil-home auprès de cette société. La SARL Etablissements Saunier a ensuite racheté ce véhicule à la société Paris Caravane et procédé à une remise en état avant de la vendre à M. Fécamp.

L'expert précise que les deux professionnels contactés, celui qui a fait le dépannage le jour de l'accident et celui qui a convoyé la caravane accidentée à Tours, ont été formels : le choc a été violent et les dommages importants.

Il conclut que la caravane est affectée de deux vices : choc violent mal réparé par un non-professionnel et délitement de la structure par défaut d'étanchéité, ces deux vices étant antérieurs à la vente et rendant le véhicule impropre à l'usage auquel il est destiné.

La SARL Établissements Saunier critique ce rapport notamment en ce que l'expert aurait manqué à son obligation de respecter les règles de la contradiction. Cependant, postérieurement à ses constatations initiales et à ses premières conclusions, l'expert a adressé le 3 mars 2003 aux parties une note qui n'a alors donné lieu à aucune réaction de leur part malgré son invitation expresse, Il apparaît également que l'expert a toujours convoqué les parties aux différents stades de ses investigations. Il ne peut donc être valablement soutenu que l'expert aurait violé, au cours de ses opérations, les règles du contradictoire.

Par ailleurs, les conclusions de l'expert sur la nature et les causes des désordres constatés ne sont pas critiquables en ce qu'elles résultent d'un examen approfondi du véhicule litigieux, d'une enquête minutieuse de l'historique de celui-ci et d'une analyse particulièrement complète et détaillée des éléments techniques qui lui ont été soumis. Il doit être également relevé que ses conclusions coïncident avec celles du rapport non judiciaire mais contradictoire de M. Dalloz.

En outre, les explications fournies à la demande de la SARL Établissements Saunier par le BCA sur la déformation du châssis (passage sur un nid de poule postérieurement à l'acquisition du véhicule), outre le fait qu'elles relèvent d'hypothèses ou de suppositions, sont insuffisantes pour justifier des désordres d'une telle gravité et, en particulier, le délitement du plancher et la présence de bois pourri au niveau des éléments tordus du châssis, une telle dégradation des matériaux ne pouvant intervenir en trois mois d'utilisation par M. Fécamp et ne pouvant s'expliquer que par l'ancienneté des désordres et leur antériorité par rapport à la vente du véhicule à ce dernier.

Au vu de ces éléments, le rapport d'expertise doit être entériné et ainsi que le tribunal l'a justement décidé, la responsabilité des Établissements Saunier, vendeur professionnel de caravanes, doit être retenue sur le fondement des vices cachés. Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente sur le fondement des articles 1641 et 1644 du Code civil.

Le tribunal a également relevé à juste titre qu'en sa qualité de professionnel, la SARL Etablissements Saunier était tenue de connaître les vices affectant la caravane vendue et qu'elle devait en conséquence être tenue, conformément à l'article 1645 du Code civil, outre la restitution du prix reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.

En l'absence de toute critique pertinente sur ces chiffres, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SARL Établissements Saunier à payer à M. Fécamp les sommes suivantes:

• prix de la caravane : 7 622,45 euro,

• pneumatiques : 156,51 euro,

• location d'une caravane en 2002 et 2003 : 760 euro,

• frais de garde justifiés du 11 octobre 2001 au 30 avril 2003 : 6,40 euro x 564 jours = 3 609, 60 euro

• frais de carte grise : 51,83 euro,

• frais de déplacement : 268,32 euro,

Soit, au total, une somme de 12 468,71 euro.

En revanche, M. Fécamp n'apporta pas la preuve de dépenses supplémentaires liées au stationnement du véhicule litigieux ni même de sa conservation, il doit être en effet observé que le jugement déféré qui a prononcé la résolution de la vente et partant, la restitution de la caravane, était assorti de l'exécution provisoire et que dès lors, rien ne justifiait une telle conservation au-delà de la mise à exécution. M. Fécamp sera en conséquence débouté de ses demandes formées à ce titre.

Il y a lieu de mettre les dépens d'appel à la charge de la SARL Etablissements Saunier.

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. Fécamp les frais exposés en marge des dépens en cause d'appel; en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, il y a donc lieu de lui allouer une somme qu'au vu des éléments de la cause, la cour arbitre à 2 000 euro.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement : Reçoit l'appel en la forme. Au fond : Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions. Déboute la SARL Établissements Saunier de l'ensemble de ses demandes. Déboute M. Fécamp du surplus de ses demandes. Condamne la SARL Etablissements Saunier aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la SARL Établissements Saunier à payer à M. Fécamp la somme de 2 000 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.