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Décisions

CJCE, 16 décembre 1980, n° 814-79

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

État néerlandais

Défendeur :

Rüffer

CJCE n° 814-79

16 décembre 1980

LA COUR,

1 Par arrêt du 14 décembre 1979, parvenu à la Cour le 17 décembre 1979, le Hoge Raad a saisi la Cour d'une procédure fondée sur l'article 1 du 'protocole concernant l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale'.

2 Cette saisine a été décidée dans le cadre d'un litige ayant pour objet une action récursoire intentée par l'État néerlandais contre un batelier, propriétaire d'un bateau fluvial à moteur allemand, l''Otrate', qui, le 26 octobre 1971, a heurté le bateau à moteur néerlandais 'Vechtborg', dans la baie de Watum, et, à la suite de cet abordage, a coulé sur place.

3 La baie de Watum est une voie d'eau publique, dans l'embouchure de l'EMS, située dans une zone sur laquelle tant le Royaume des Pays-Bas que la République Fédérale d'Allemagne font valoir des droits de souveraineté. La coopération dans cette voie d'eau entre les deux états riverains est réglée par le traité Ems-Dollart du 8 avril 1960. L'article 19, paragraphe 1, a), de ce traité prévoit que le Royaume des Pays-Bas assume entre autres, dans la baie de Watum, les taches de police fluviale qui, aux termes de l'article 20, paragraphe 2, d), comprennent 'l'enlèvement des épaves'. L'article 21 de ce même traité précise en outre que 'lorsqu'elle assure la police fluviale, chaque partie contractante applique ses propres règlements', qui 'doivent être communiqués à la Commission de l'EMS'.

4 Conformément à ce traité et sur la base des dispositions de la loi néerlandaise sur les épaves du 19 juin 1934 (ci-après 'Wrakkenwet'), le Royaume des Pays-Bas a fait enlever, par une firme néerlandaise, l'épave du bateau allemand coulé dans la baie de Watum. Les parties du bateau récupérées ainsi que son chargement ont été vendus, en application de l'article 6 de la Wrakkenwet, par voie d'offre au public, en vue du recouvrement par l'état néerlandais des frais inhérents à l'enlèvement de l'épave. Déduction faite du prix obtenu de cette vente et eu égard au montant desdits frais, il est resté un solde négatif dont l'État néerlandais a demandé le remboursement au batelier-propriétaire du bateau en question par l'action récursoire précitée.

5 Le Tribunal d'arrondissement de la Haye, saisi en première instance, s'est déclaré incompétent pour connaitre de la demande. Il se fonde sur la constatation qu'en raison du pavillon allemand du bateau coulé, le lieu où s'est produit le fait dommageable, à savoir le naufrage de l''Otrate', devrait être considéré comme étant en l'espèce la République fédérale d'Allemagne, si bien que la compétence pour connaître de la demande appartiendrait au juge allemand, en vertu de l'article 5, alinéa 3, de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après 'Convention de Bruxelles'). La décision de ce tribunal ayant été confirmée par le Gerechtshof de la Haye, l'État néerlandais s'est pourvu en cassation devant le Hoge Raad des Pays-Bas. Cette dernière juridiction a décidé, avant de statuer au fond, de poser à la Cour plusieurs questions relatives à l'interprétation de la Convention de Bruxelles.

En ce qui concerne la première question

6 Par la première question, le Hoge Raad demande à la Cour de dire, tout d'abord, si la notion de 'matière civile et commerciale', au sens de l'article 1 de la convention, doit être interprétée comme englobant une action récursoire telle que celle en l'espèce engagée par l'État néerlandais.

7 Il ressort de la jurisprudence de la Cour (arrêt du 14 octobre 1976, LTU, 29-76, Recueil p. 1541 ; arrêt du 14 juillet 1977, Bavaria-Germanair, 9 et 10-77, Recueil p. 1517 ; arrêt du 22 février 1979, Gourdain, 133-78, Recueil p. 733) que la notion de 'matière civile et commerciale' utilisées à l'article 1 de la convention de Bruxelles doit être considérée comme une notion autonome qu'il faut interpréter en se référant, d'une part, aux objectifs et au système de la convention et, d'autre part, aux principes généraux qui se dégagent de l'ensemble des systèmes de droit nationaux.

8 A la lumière de ces considérations, la Cour a précisé dans cette même jurisprudence que, si certaines décisions rendues dans un litige opposant une autorité publique à une personne de droit privé peuvent entrer dans le champ d'application de la convention, il en est autrement lorsque l'autorité publique agit dans l'exercice de la puissance publique.

9 Tel est notamment le cas d'un litige relatif au recouvrement des frais inhérents à l'enlèvement d'une épave dans une voie d'eau publique, opéré par l'état gestionnaire en exécution d'une obligation internationale et sur la base de dispositions de droit interne qui lui attribuent, dans la gestion de cette voie d'eau, la position de puissance publique vis-à-vis des particuliers.

10 Il est constant qu'en l'espèce l'État néerlandais a fait enlever l'épave de l''Otrate' en exécution d'une obligation assumée en vertu des articles 19, paragraphe 1, a), et 20, paragraphe 2, d), du traité EMS-Dollart, dans le cadre des taches de police fluviale qui lui sont conférées dans cette voie d'eau par ledit traité, et qu'il a dès lors agi, dans le cas d'espèce, en tant qu'investi de la puissance publique.

11 La reconnaissance d'une telle position au gestionnaire responsable de la police des voies d'eau publiques, aux fins de l'enlèvement des épaves situées dans ces voies, répond, par ailleurs, aux principes généraux qui se dégagent de l'ensemble des systèmes nationaux des États membres, dont les dispositions concernant la gestion des voies d'eau publiques font précisément ressortir que le gestionnaire de ces voies intervient, aux fins de l'enlèvement des épaves, dans l'exercice de la puissance publique.

12 Au vu de ces éléments, l'action intentée par l'État néerlandais devant la juridiction nationale doit être considérée comme exclue du champ d'application de la convention de Bruxelles, tel que défini par la notion de 'matière civile et commerciale', au sens de l'article 1, alinéa 1, de cette convention, dès lors qu'il est constaté que l'État néerlandais a agi, en l'occurrence, dans l'exercice de la puissance publique.

13 La circonstance qu'en l'espèce le litige pendant devant la juridiction nationale ne porte pas sur les opérations d'enlèvement de l'épave elles-mêmes, mais sur le recouvrement des frais inhérents à cet enlèvement, et que le recouvrement de ces frais soit poursuivi par l'État néerlandais au moyen d'une action récursoire et non, ainsi que le prévoit le droit interne d'autres États membres, par voie administrative, ne saurait suffire pour faire tomber la matière litigieuse dans le champ d'application de la convention de Bruxelles.

14 Ainsi que la Cour l'a affirmé dans sa jurisprudence précitée, la convention de Bruxelles doit être appliquée de manière à assurer, dans la mesure du possible, l'égalité et l'uniformité des droits et obligations qui en découlent pour les États membres contractants et les personnes intéressées. Selon cette même jurisprudence, une telle exigence exclut que la convention puisse être interprétée en fonction de la seule répartition de compétences entre les différents ordres juridictionnels existant dans certains états : elle implique, en revanche, que le champ d'application de la convention soit déterminé essentiellement en raison des éléments qui caractérisent la nature des rapports juridiques entre les parties au litige ou l'objet de celui-ci.

15 Le fait que le gestionnaire, en poursuivant le recouvrement desdits frais, agit sur la base d'un droit de créance qui a sa source dans un acte de puissance publique suffit pour que son action soit considérée, quelle que soit la nature de la procédure que lui ouvre à ces fins le droit national, comme exclue du champ d'application de la convention de Bruxelles.

16 Pour ces raisons, il y a lieu de répondre à la première question que la notion de 'matière civile et commerciale' au sens de l'article 1, alinéa 1, de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, n'englobe pas les litiges tels que celui visé par la juridiction nationale, engagés par le gestionnaire des voies d'eau publiques contre la personne légalement responsable, en vue du recouvrement des frais exposés pour l'enlèvement d'une épave, que le gestionnaire a effectué ou a fait effectuer dans l'exercice de la puissance publique.

Sur les autres questions

17 Les autres questions ont été posées par la juridiction nationale pour le cas où il serait répondu affirmativement à la première question. Compte tenu de la réponse négative donnée à celle-ci, leur examen est devenu sans objet.

Sur les dépens

Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad par arrêt du 14 décembre 1979, dit pour droit :

La notion de 'matière civile et commerciale' au sens de l'article 1, alinéa 1, de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, n'englobe pas les litiges tels que celui visé par la juridiction nationale, engagés par le gestionnaire des voies d'eau publiques contre la personne légalement responsable, en vue du recouvrement des frais exposés pour l'enlèvement d'une épave, que le gestionnaire a effectué ou a fait effectuer dans l'exercice de la puissance publique.