CJCE, 22 mars 1983, n° 34-82
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Martin Peters Bauunternehmung GmbH (SARL)
Défendeur :
Zuid Nederlandse Aannemers Vereniging
LA COUR,
1 Par arrêt du 15 janvier 1982, parvenu à la Cour le 21 janvier suivant, le Hoge Raad des Pays-Bas a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après, la convention), deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 5, alinéa 1, de la convention.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la Zuid Nederlandse Aannemers Vereniging (ci-après la ZNAV), association de droit néerlandais, dont le siège statutaire est à Maastricht et le siège administratif à Heeze (Nord-Brabant), à l'un de ses adhérents, la société de droit allemand Martin Peters Bauunternehmung Gmbh (ci-après Peters), établie à Aachen, République fédérale d'Allemagne, pour le recouvrement de sommes mises à la charge de cette dernière, en application d'une règle interne édictée par les organes de l'association et obligatoire pour les membres de celle-ci.
3 L'Arrondissementsrechtbank de 'S-Hertogenbosch, saisi d'une demande de la ZNAV, a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par Peters. Il a fondé sa compétence sur la circonstance qu'à son avis, le litige avait une origine contractuelle et que, partant, il était compétent en vertu de l'article 5, alinéa 1, de la convention, selon lequel un défendeur, en l'espèce Peters, domicilié sur le territoire d'un autre état contractant peut être attrait, en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée.
4 Saisi de l'appel de Peters, le Gerechtshof de 'S-Hertogenbosch a confirmé le jugement rendu en première instance en considérant que l'obligation de payer la créance réclamée par la ZNAV à Peters doit être considérée comme une obligation contractuelle au sens de l'article 5, alinéa 1, de la convention.
5 Peters s'est pourvu en cassation devant le Hoge Raad des Pays-Bas en contestant l'analyse faite par le Gerechtshof de 'S-Hertogenbosch en ce qui concerne la nature des liens l'unissant à la ZNAV.
6 Le Hoge Raad a décidé, avant de statuer au fond, de poser à la Cour les deux questions suivantes relatives à l'interprétation de la convention de Bruxelles :
'1. L'article 5, initio et 1, de la convention est-il applicable aux créances qu'une association de droit privé ayant la personnalité juridique possède sur un de ses membres à titre d'obligation ayant pour objet le versement d'une somme d'argent et trouvant leur fondement dans le lien d'affiliation existant entre les parties, tel qu'il s'est crée du fait que la partie, qui est invitée à s'exécuter, a adhéré à cette association en qualité de membre par un acte juridique accompli dans cette perspective ?
2. Faut-il, à cet égard, distinguer selon que les obligations en question découlent directement de cette adhésion où résultent de celle-ci, considérée en combinaison avec une ou plusieurs décisions des organes de l'association ?'
1. En ce qui concerne la première question
7 L'article 5 de la convention prévoit des attributions de compétences spéciales dont le choix dépend d'une option du demandeur, par dérogation à la règle de compétence générale édictée par l'article 2, alinéa 1, de la convention.
8 Aux termes de l'article 5, alinéa 1, de la convention : 'le défendeur domicilié sur le territoire d'un état contractant peut être attrait, dans un autre état contractant : 1) - en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée'.
9 Ainsi, la notion de matière contractuelle sert de critère pour délimiter le champ d'application d'une des règles de compétences spéciales ouvertes au demandeur. Compte tenu des objectifs et de l'économie générale de la convention, il importe, en vue d'assurer dans la mesure du possible l'égalité et l'uniformité des droits et obligations qui découlent de la convention pour les états contractants et les personnes intéressées, de ne pas interpréter cette notion comme un simple renvoi au droit interne de l'un ou de l'autre des états concernés.
10 Dès lors, et ainsi d'ailleurs que la Cour l'a jugé pour des motifs analogues, en ce qui concerne les notions 'd'exploitation d'une succursale, d'une agence ou de tout autre établissement ' visées à l'article 5, alinéa 5, de la convention (arrêt du 22.11.1978, Somafer/Saar-Ferngas AG, affaire 83-78, Recueil 1978, p. 2183), il y a lieu de considérer la notion de matière contractuelle comme une notion autonome qu'il faut interpréter, pour l'application de la convention, en se référant principalement au système et aux objectifs de ladite convention, en vue d'assurer à celle-ci sa pleine efficacité.
11 Il faut relever, de ce point de vue, que si l'article 5 prévoit des attributions de compétences spéciales dont le choix dépend d'une option du demandeur, c'est en raison de l'existence, dans certaines hypothèses bien déterminées, d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre une contestation et la juridiction qui peut être appelée à en connaitre en vue de l'organisation utile d'un procès.
12 Dans cette perspective, la désignation par l'article 5, alinéa 1, de la convention du tribunal du lieu où une obligation contractuelle a été ou doit être exécutée, exprime le souci qu'en raison des liens étroits crées par un contrat entre les parties à ce contrat, l'ensemble des difficultés susceptibles de naitre à l'occasion de l'exécution d'une obligation contractuelle puissent être portées devant un même tribunal : celui du lieu de cette exécution.
13 Il apparait, à cet égard, que l'adhésion à une association crée entre les associés des liens étroits de même type que ceux qui s'établissent entre les parties à un contrat, et qu'il est, par suite, légitime de considérer comme des obligations contractuelles, pour l'application de l'article 5, alinéa 1, de la convention, les obligations auxquelles se réfère le juge de renvoi.
14 Du fait que les systèmes de droit nationaux désignent le plus souvent le lieu du siège de l'association comme lieu d'exécution des obligations résultant de l'acte d'adhésion, l'application de l'article 5, alinéa 1, de la convention présente, en outre, des avantages pratiques : le juge du lieu du siège de l'association est, en effet, normalement le mieux de comprendre les statuts, les règlements et les décisions de l'association, ainsi que les circonstances qui se rapportent à la naissance du litige.
15 Il convient, dans ces conditions, de répondre à la première question posée que les obligations ayant pour objet le versement d'une somme d'argent et trouvant leur fondement dans le lien d'affiliation existant entre une association et ses adhérents doivent être regardées comme relevant de la 'matière contractuelle' au sens de l'article 5, alinéa 1, de la convention.
2. En ce qui concerne la seconde question
16 Le juge national demande à la Cour de préciser si, pour déterminer si une obligation d'un adhérent à l'égard d'une association relève ou non de la 'matière contractuelle' il y a lieu de distinguer selon que l'obligation en question découle directement de l'adhésion ou résulte tout à la fois de celle-ci et d'une décision d'un organe de l'association.
17 Il importe de faire observer qu'une multiplication des chefs de compétence pour un même type de litige n'est pas de nature à favoriser la sécurité juridique et l'efficacité de la protection juridictionnelle sur l'ensemble des territoires formant la Communauté. Il convient donc d'interpréter les dispositions de la convention de telle façon que la juridiction saisie ne se trouve pas amenée à se déclarer compétente pour statuer sur certaines demandes mais incompétente pour connaitre de certaines autres pourtant très voisines. Le respect des finalités et de l'esprit de la convention exige en outre une interprétation de son article 5 qui permette au juge national de se prononcer sur sa propre compétence sans être contraint de procéder à un examen de l'affaire au fond.
18 Pour ces raisons, il y a lieu de répondre que la circonstance que l'obligation litigieuse découle directement de l'adhésion ou résulte tout à la fois de celle-ci et d'une décision d'un organe de l'association est sans incidence sur l'application des stipulations de l'article 5, alinéa 1, de la convention à un litige relatif à ladite obligation.
Sur les dépens
19 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, le Gouvernement italien et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur la question à elle soumise par le Hoge Raad des Pays-Bas, par arrêt du 15 janvier 1982, dit pour droit :
1) Les obligations ayant pour objet le versement d'une somme d'argent et trouvant leur fondement dans le lien d'affiliation existant entre une association et ses adhérents relèvent de la 'matière contractuelle' au sens de l'article 5, alinéa 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.
2) Il est indifférent, à cet égard, que les obligations en question découlent directement de l'adhésion ou résultent tout à la fois de celle-ci et d'une ou plusieurs décisions arrêtées par des organes de l'association.