CJCE, 1re ch., 4 mars 1982, n° 38-81
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Effer SPA
Défendeur :
Kantner
LA COUR,
1 Par ordonnance du 29 janvier 1981, parvenue à la Cour le 19 février 1981, le Bundesgerichtshof a posé, en application du protocole du 3 juin 1971 concernant l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une question préjudicielle visant à obtenir l'interprétation de l'article 5, paragraphe 1, de cette convention, ainsi libellé :
'Le défendeur domicilié sur le territoire d'un état contractant peut être attrait, dans un autre état contractant :
1. En matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée ;...'
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant la firme Effer Spa de Castel Maggiore (Bologna - Italie) à M. Kantner, ingénieur-conseil en matière de brevets, établi à Darmstadt (République fédérale d'Allemagne).
3 Effer Spa, demanderesse en révision de la procédure au principal, est une entreprise qui fabrique des grues. Celles-ci étaient commercialisées, en République fédérale d'Allemagne, par la firme Hydraulikkran (ci-après : Hykra). Effer ayant inventé un nouvel appareil, il fallait établir si la vente de cet appareil portait atteinte à des droits de brevet déjà existants. A cette fin, Hykra, après un entretien avec Effer, en décembre 1971, chargea M. Kantner, ingénieur-conseil, d'effectuer des recherches en Allemagne. Le différend entre les parties au principal porte sur le point de savoir si Hykra, qui a fait faillite entre-temps, avait mandaté M. Kantner au nom d'Effer ou en son propre nom. Pour obtenir le paiement de ses honoraires - dont le montant n'est pas contesté - M. Kantner a formé un recours devant un tribunal allemand en décembre 1974. La firme Effer a contesté que des relations contractuelles se soient établies entre elle et l'ingénieur-conseil. De la prétendue absence de contrat, Effer déduit l'incompétence des tribunaux allemands. Les juridictions allemandes de première et deuxième instance ont fait droit au recours de M. Kantner. Effer a alors saisi d'un pourvoi en révision le Bundesgerichtshof qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
'Le requérant bénéficie-t-il du for du lieu d'exécution du contrat selon l'article 5, paragraphe 1, de la convention, même si la formation du contrat à l'origine du recours est litigieuse entre les parties ?'.
4 M. Kantner, défendeur en révision de la procédure au principal, et la Commission des Communautés européennes expriment l'opinion qu'il faut donner à cette question une réponse positive. Le Gouvernement du Royaume-Uni, bien qu'il ne se rallie pas totalement à cette thèse, estime toutefois que la contestation de l'existence du contrat n'empêche pas l'application de la règle de l'article 5, paragraphe 1, de la convention, à condition que l'obligation ait, à première vue, un caractère contractuel et que la demande soit formée de bonne foi par le demandeur. Seule la firme Effer est d'avis que le requérant ne bénéficie pas du for du lieu de l'exécution du contrat lorsque l'existence du contrat à l'origine du recours est litigieuse.
5 Il est constant que le texte de l'article 5, paragraphe 1, de la convention ne présente pas, sur le point en question, une rédaction univoque. Si le libellé de cette disposition contient, dans la version allemande, l'expression '... Vertrag oder anspruche aus einem vertrag ', les versions française et italienne comportent l'expression '... En matière contractuelle ' et, respectivement, ' ... In materia contrattuale'. Dans ces conditions, eu égard à l'absence d'uniformité entre les différentes versions linguistiques de l'article précité, il y a lieu, pour dégager l'interprétation demandée par la juridiction nationale, de considérer cette disposition à la lumière tant de l'objet et du but de la convention que de son contexte.
6 Il ressort des dispositions de la convention, et notamment de son préambule, que celle-ci a essentiellement pour objet de renforcer dans la Communauté la protection juridique des personnes qui y sont établies. A cette fin, la convention prévoit un ensemble de règles visant entre autres à éviter la multiplication, en matière civile et commerciale, des procédures judicaires concurrentes dans deux ou plusieurs États membres, et permettant, dans l'intérêt de la sécurité juridique et dans celui des parties, la détermination de la juridiction nationale territorialement la plus qualifiée pour connaitre d'un litige.
7 Il découle de l'ensemble des dispositions de la convention, notamment de celles de la section 7, que, dans les cas visés à l'article 5, paragraphe 1, de la convention, la compétence du juge national pour décider des questions relatives à un contrat inclut celle pour apprécier l'existence des éléments constitutifs du contrat lui-même, une telle appréciation étant indispensable pour permettre à la juridiction nationale saisie de vérifier sa compétence en vertu de la convention. Si tel ne devait pas être le cas, les dispositions de l'article 5 de la convention risqueraient d'être privées de leur portée juridique, puisqu'on admettrait qu'il suffit à l'une des parties d'alléguer que le contrat n'existe pas pour déjouer la règle contenue dans ces dispositions. Au contraire, le respect des finalités et de l'esprit de la convention exige une interprétation des dispositions précitées telle que le juge appelé à trancher un litige issu d'un contrat puisse vérifier, même d'office, les conditions essentielles de sa compétence, au vu d'éléments concluants et pertinents fournis par la partie intéressée, établissant l'existence ou l'inexistence du contrat. Cette interprétation est d'ailleurs conforme à celle de l'arrêt du 14 décembre 1977 (Sanders/Van Der Putte, 73-77, Recueil 1977, p. 2383) concernant la compétence des tribunaux de l'état où l'immeuble est situé, en matière de baux d'immeubles (articles 16, paragraphe 1, de la convention), où la Cour a dit pour droit qu'une telle compétence subsiste même si l'objet du litige concerne 'l'existence' d'un contrat de bail.
8 Il y a donc lieu de répondre à la question posée par le Bundesgerichtshof que le requérant bénéficie du for du lieu d'exécution du contrat selon l'article 5, paragraphe 1, de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, même si la formation du contrat qui est à l'origine du recours est litigieuse entre les parties.
Sur les dépens
Les frais exposés par le Royaume-Uni et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement ; la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Bundesgerichtshof par ordonnance du 29 janvier 1981, dit pour droit :
Le requérant bénéficie du for du lieu d'exécution du contrat selon l'article 5, paragraphe 1, de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, même si la formation du contrat qui est à l'origine du recours est litigieuse entre les parties.