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Décisions

CA Caen, 1re ch. sect. civ. et com., 21 octobre 2004, n° 02-03671

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cosmétique et Parfums International (SA)

Défendeur :

Algotherm-Cosmopharm (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Fevre

Conseillers :

Mme Holman, M. Hallard

Avoués :

SCP Mosquet Mialon d'Oliveira Leconte, SCP Parrot Lechevallier Rousseau

Avocats :

SCP Taurand-de Villepin, Me Chevret

T. com. Honfleur, du 8 nov. 2002

8 novembre 2002

LA COUR,

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Honfleur du 8 novembre 2002 qui a débouté la SA Cosmétique et Parfums International de ses demandes, notamment de dommages et intérêts pour prétendue rupture d'un contrat de distribution formulées à l'encontre de la SA Cosmopharm-Algotherm et accordé à cette dernière 5 000 euro HT en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu l'appel de la SA Cosmétique et Parfums International, ci-après CPI, et ses conclusions du 19 juillet 2004 par lesquelles elle demande à la cour de condamner la société Cosmopharm-Algotherm à lui payer 32 210,56 euro avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 5 juin 2000 et capitalisation des intérêts au titre de factures, 999 641,21 euro de dommages et intérêts et 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les conclusions du 11 juin 2004 de la SAS Algotherm-Cosmopharm qui demande à la cour de confirmer le jugement, débouter CPI de toutes ses demandes et réclame 7 000 euro supplémentaires en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu que CPI soutient qu'un contrat de distribution sans exclusivité est intervenu entre les parties, qu'il y a eu accord de volonté et création d'obligations réciproques, qu'il y a eu en outre des pourparlers en vue de la conclusion d'un contrat de distribution avec exclusivité, que les accords en cours d'exécution ainsi que les pourparlers ont été rompus brutalement et abusivement; que des sommes dues en exécution de la convention n'ont pas été réglées et qu'elle a subi des préjudices en raison de la résiliation anticipée des accords et de la rupture abusive des pourparlers ; qu'Algotherm soutient qu'il n'y a pas eu de contrat de distribution conclu et que la rupture des pourparlers n'est pas abusive, les raisons de celle-ci étant explicites et légitimes;

Attendu que les deux parties se réfèrent à une lettre en date du 3 mars 2000, adressée par M. Laurent Batteur, dirigeant d'Algotherm à M. Saujet, dirigeant de CPI, ainsi rédigée:

"Concerne Gamme Algotherm

Monsieur,

Je fais suite à notre entretien relatif à la promotion de la gamme Algotherm Beauté dans le réseau de parfumerie sélective.

Vous avez notre accord sur les points suivants :

Produits à promouvoir: Gamme Algotherm Beauté selon sélection à déterminer

Modalités: Mise à disposition de la force de vente de 13 à 15 formateurs ou formatrices préalablement formés au Centre de formation Algotherm à Deauville

Points de vente à promouvoir: Parfumerie sélective

Territoire : France et Suisse avec possibilité autre si accord préalable écrit

Algotherm

Rémunération : 50 % de la marge s'entendant du CA remisé net moins le prix de revient usine Algotherm

Avance sur rémunération : FRF 50 000/mois

Promotion Algotherm (échantillons et PLV) : à définir

Supervision Laurent Yon en relation avec l'équipe Algotherm et plus particulièrement avec le directeur commercial institut de beauté, thalassothérapie et centre de remise en forme, Monsieur J. Jasson.

Compte-rendu : hebdomadaire

Durée: du 1er avril 2000 au 31 décembre 2000

Que les deux entreprises se connaissaient déjà, la distribution d'une autre gamme de produits Algotherm, "la baignoire" étant distribuée par CPI et les premiers contacts pour la distribution d'une autre gamme " Algotherm Beauté ", objet du présent litige, ayant eu lieu en avril 1999 et s'étant poursuivis en juin et juillet 1999 ; que l'appelante estime que compte tenu de ces contacts préalables dont il serait résulté un accord sur la définition des objectifs, la mise en place d'un partenariat, la lettre du 3 mars 2000 constituerait la confirmation expresse d'un accord définitif; mais que la définition d'objectif ne constitue pas un contrat tant que les modalités d'exécution n'en sont pas précisément déterminées, du moins celles qui sont nécessaires à la réalisation effective de l'opération ; que la lettre précitée du 3 mars 2000 n'exprime pas un accord de principe sur la promotion et la distribution de la gamme Algotherm Beauté par CPI mais fait seulement " suite à un entretien" y relatif et donne une liste de points sur lesquels un accord est intervenu, ce qui laisse supposer qu'il y en avait d'autres sur lesquels l'accord devait encore intervenir ; que pour certains des "points", l'accord est précis, pour d'autres, il demeure vague ; qu'ainsi la sélection des produits à promouvoir est à déterminer, c'est-à-dire que l'accord n'est pas complet sur l'objet même du contrat ; que de même un point essentiel, la promotion, est "à définir" ; que le territoire, "France et Suisse avec possibilité autre", est encore imprécis, de même que les points de vente à promouvoir; que l'accord exprimé précisément porte en fait sur des points secondaires ; que CPI remarque elle-même que des contrats d'exclusivité géographique avaient déjà été consentis par le fabricant au profit de tiers, notamment dans tout le quart Nord-Est de la France ; que ceci était un facteur important d'indétermination du secteur territorial de CPI ; que ces contrats devaient être renégociés, ou le territoire sur lequel CPI pouvait opérer, réduit ; que la lettre du 3 mars 2000 a valeur de compte-rendu de réunion ou "d'entretien" et de rapport d'étape dans le cadre de la négociation mais ne constate pas un accord opérationnel ; qu'il en résulte au contraire la preuve qu'à sa date, l'accord des parties était loin d'être parfait;

Attendu que la formation des membres de la " force de vente " étant un préalable à l'exécution du contrat, la mise en place de cette formation est un acte préparatoire et non un acte d'exécution du contrat ; qu'il en est de même de l'envoi de modèles de facture, de bons de commande, liste de prix et autres éléments de documentation qui devaient nécessairement être à la disposition de CPI dès avant l'exécution du contrat, dans l'hypothèse où celui-ci serait conclu ; que de tels actes ne peuvent constituer un engagement ; que les "prospections" effectuées sont apparemment des initiatives de CPI, prises à ses frais et risques ; que permettant d'évaluer la rentabilité d'un contrat futur, elles valent aussi étude de marché et constituent des actes préparatoires, de même que la remise d'échantillons ; qu'aucune conclusion ne peut être tirée quant à l'existence de rapport contractuel entre CPI et Algotherm du fait que cette dernière ait honoré les commandes passées directement par des commerçants, même si ceux-ci avaient été "prospectés" par CPI ;

Attendu que les contrats de distribution comportent habituellement plusieurs pages et sont précis et détaillés ainsi que cela résulte du modèle de contrat versé aux débats ; que l'opération projetée était beaucoup plus importante et complexe que la distribution de la ligne "La Baignoire" ; que les négociations se sont poursuivies postérieurement à mars 2000 ; qu'un projet de contrat de distribution exclusive a été transmis en avril 2000 par les services juridiques du " groupe Batteur " c'est-à-dire Algotherm ; que les parties prévoyaient donc la formalisation écrite de leurs accords futurs et éventuels consistant en un contrat de distribution exclusive ; que ce projet n'a jamais été signé ; qu'il résulte d'un compte-rendu en date du 28 avril 2000 d'un entretien téléphonique ayant eu lieu entre M. Dobeli, responsable du service juridique d'Algotherm et M. Saujet, président de CPI, dont la véracité n'est pas précisément contestée qu'à cette date l'accord n'existait toujours pas et que la négociation se poursuivait sur des points essentiels ; qu'il est ainsi indiqué dans ce compte-rendu que dans le cas où le contrat prendrait fin en décembre 2001 M. Saujet souhaite qu'Algotherm supporte les pénalités auxquelles CPI serait soumise du fait des retraits des produits Algotherm, cette position étant "difficilement acceptable pour Algotherm" ; que M. Saujet souhaite atténuer l'article selon lequel Algotherm se réservait la faculté d'interrompre, après un préavis de quinze jours, la fabrication et donc la distribution de certains articles, que M. Saujet souhaitait ajouter en ce qui concerne le territoire Monaco, Andorre et le Luxembourg ; que des désaccords étaient encore constatés sur la responsabilité du transport, le stockage, la prise en charge des frais administratifs, le délai d'acceptation des produits, la cessibilité du contrat, et même la législation, française ou de chaque pays désigné, à laquelle les produits devaient être conformes ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas établi qu'il y ait eu accord de volontés ; que rien n'indique qu'il y ait jamais eu intention des parties de conclure deux contrats l'un sans exclusivité, puis un avec exclusivité, comme le prétend l'appelante ; que le fait que dans le projet de contrat, la rétroactivité ait été prévue, conditionnée à l'évidence par la finalisation du projet et donc la signature, n'y change rien, pas plus que l'enregistrement en comptabilité des factures émises par CPI, simple précaution d'ordre technique, qui ne vaut pas reconnaissance de l'obligation de les payer;

Attendu que par lettre du 29 mai 2000 réitérée le 5 juin signée de M. Laurent Batteur, Directeur Général d'Algotherm adressée à M. Claude Saujet, Président du Conseil d'Administration de CPI, faisant suite à une entrevue du 24 mai, Algotherm déclarait "Par les présentes je mets un terme aux pourparlers que nous avions entrepris" en donnant les raisons précises ; qu'il se référait à une étude de marché qui devait être réalisée en déclarant "de l'avis même de votre directeur commercial M. Laurent Yon, l'implantation de la gamme sera difficile et longue alors que lors de nos rencontres successives vous m'avez affirmé qu'un "décollage rapide" des ventes serait possible"; que la lettre fait état de visions très différentes concernant la stratégie commerciale des produits et rappelle certains points de désaccord " particulièrement importants " : le territoire, le secteur de clientèle, le domaine réservé d'Algotherm, la livraison, le transfert des risques, le stockage des produits, la non-cessibilité du contrat résultant de l'entretien téléphonique du 28 avril ; que les motifs invoqués pour la rupture sont légitimes, plausibles et que leur réalité est confortée par les éléments en possession de la cour ; que le contenu du compte-rendu de l'entretien téléphonique du 28 avril a été ci-dessus rappelé ; qu'il résulte de l'étude de marché ou des "prospections" consistant apparemment en des prises de contacts avec des parfumeries et pharmacies ou distributeurs de " parapharmacie ", relatées dans des comptes-rendus en majorité manuscrits versés aux débats que les réactions des commerçants contactés ont été négatives ou très dubitatives, pour des raisons diverses, dans une forte proportion ; que les comptes-rendus contiennent de nombreuses remarques telles que "ne souhaite pas référencer", "pas de référencement dans l'immédiat", "a déjà référencé" (une autre marque), " ne souhaite pas rentrer de nouvelle marque ", " n'a pas voulu s'attarder sur la présentation ", "pas prestigieux", " pas à l'écoute", " n'a même pas voulu me recevoir, prétextant qu'elle avait déjà suffisamment de marques de soins", " manque de notoriété de la marque", "ne voulait pas gérer une marque qui n'a pas encore fait ses preuves", "pas intéressée", " non favorable", " refus de référencer" ; que d'autres commerçants se sont déclarés "éventuellement" ou "moyennement" intéressés ; qu'il est manifeste que la mise en œuvre du contrat aurait été difficile et aléatoire ; que la rupture des pourparlers n'est pas abusive ; que le fait qu'Algotherm ait proposé un modeste dédommagement de 200 000 euro, correspondant en fait à des frais engagés au cours des négociations, et non pas à une perte de chance de gains, pour éviter tout litige, ne vaut pas reconnaissance de responsabilité ; que la prise en charge par Algotherm d'une partie des frais engagés par CPI dans l'intérêt commun eut été légitime, indépendamment de toute faute;

Attendu qu'il y a lieu de remarquer au surplus que l'évaluation par CPI de son prétendu préjudice à un million d'euro, calculé notamment à partir d'un chiffre d'affaires de 18 millions de francs sur deux ans, avec un doublement en 2001 par rapport à 2000 apparaît, compte-tenu des éléments du litige ci-dessus rappelés et notamment des résultats de l'étude de marché ou des "prospections", hautement fantaisiste, de même que la demande de remboursement du "coût" intégral de ses salariés pendant la période de négociation ; que CPI avoue dans ses conclusions de juillet 2004 qu'elle n'a toujours pas - au bout de quatre ans - trouvé d'autres fournisseurs, ce qui laisse supposer que ses difficultés ont une toute autre origine que le comportement d'Algotherm ; qu'en tous cas, aucune faute de cette dernière n'étant constatée, la cour ne peut même pas accorder à CPI le remboursement de ses frais tels que le proposait Algotherm, puisqu'elle ne pourrait l'accorder qu'à titre de dommages et intérêts;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède et des motifs non contraires du tribunal que le jugement doit être confirmé ; qu'il est équitable d'accorder à l'intimée les 5 000 euro au titre de ses frais irrépétibles d'appel;

Par ces motifs, - Confirme le jugement entrepris; - Déboute la SA Cosmétique et Parfums International de toutes ses demandes; - La condamne à payer à la SAS Algotherm Cosmopharm une somme supplémentaire de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et met à sa charge les dépens d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.