Livv
Décisions

CA Grenoble, ch. com., 18 octobre 2006, n° 06-01899

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fiat Kobelco Construction Machinery Spa (Sté)

Défendeur :

Curty Matériels (SA), Nanterme (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Uran

Conseillers :

M. Bernaud, Mme Cuny

Avocats :

Mes Boudin (SCP Vogel & Vogel), Yver

T. com. Grenoble, du 7 avr. 2006

7 avril 2006

Par contrat du 1er mai 2000 d'une durée d'une année, avec clause de tacite reconduction d'année en année, la société de droit néerlandais Kobelco Construction Machinery Europe BV (ci-après KCME) a confié à la société de droit français Curty Matériels SA (ci-après Curty) la distribution de pelles hydrauliques et de pièces de rechange de marque Kobelco sur un territoire constitué de 12 départements français.

Le contrat était soumis au droit néerlandais et contenait une clause compromissoire au profit d'une juridiction arbitrale à Amsterdam désignée conformément aux règles de procédure des chambres de commerce internationales.

Par lettre du 3 septembre 2003 la société KCME a informé son distributeur qu'elle ne renouvellerait pas le contrat à sa prochaine échéance du 1er mai 2004.

La société Curty a prétendu qu'après la prise de participation majoritaire du groupe Fiat CNH dans le capital de la société KCME elle avait été concurrencée, sur le secteur qui lui avait été concédé en exclusivité, par les sociétés CNH France et Payant, qui ont commercialisé des machines Kobelco identiques peintes aux couleurs du groupe Fiat.

Elle a reproché à la société KCME, sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, l'autorisation donnée à la société CNH France de commercialiser des produits directement concurrents, l'inexécution de son obligation d' approvisionnement et d'une manière générale sa déloyauté dans l'exécution du contrat de distribution.

Elle a prétendu également que les sociétés CNH France, concédante, et Payant, concessionnaire, avaient engagé leur responsabilité délictuelle à son égard en commercialisant sur son secteur exclusif des pelles Kobelco.

Le 9 mars 2004 elle a fait assigner ces trois sociétés devant le Tribunal de commerce de Grenoble à l'effet d'obtenir leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 1 970 400 euro à titre de dommages et intérêts.

Dans le même temps elle a été placée en redressement judiciaire.

Par lettre du 30 avril 2004 le conseil de la société CNH France a rappelé à la société Curty Matériels que depuis la cession de la branche de fonds de commerce se rapportant à l'activité Pelles (acte du 14 janvier 2004) intervenue entre les sociétés KCME et Fiat Kobelco Construction Machinery Spa (FKCM), le contrat de concession avait été transféré à la société cessionnaire de droit italien.

Par jugement du 24 septembre 2004, le Tribunal de commerce de Grenoble, sur l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés CNH France et KCME, s'est déclaré territorialement compétent et a renvoyé l'affaire à l'audience du juge fixateur pour conclusions sur le fond.

Sur le contredit formé par les sociétés KCME et CNH France, la cour de céans par arrêt du 30 mars 2005 a statué en ces termes :

"Faisant partiellement droit au contredit formé par les sociétés KCME et CNH France, renvoie la SA Curty Matériels à mieux se pourvoir sur ses demandes dirigées contre la société KCME.

Dit et juge que le Tribunal de commerce de Grenoble est territorialement compétent pour connaître des demandes dirigées contre les sociétés CNH France et Payant,

Dit n'y avoir lieu à évocation et renvoie l'affaire devant cette juridiction pour jugement sur le fond à l'égard de ces deux sociétés,

Dit n'y avoir lieu à indemnité de procédure au profit de l'une ou l'autre des parties,

Donne acte à la société Curty Matériels de ce qu'elle se réserve d'attraire dans la cause la société de droit italien Fiat Kobelco,

Condamne la SA Curty Matériels aux dépens du contredit",

Par acte du 6 juillet 2005 la SA Curty Matériels assistée de Maître Nanterme, ès qualités d'administrateur judiciaire, a fait assigner en intervention forcée devant le Tribunal de commerce de Grenoble la société de droit italien FKCM Spa à l'effet d'obtenir sa condamnation solidaire avec les sociétés CNH France et Payant à lui payer la somme de 1 970 400 euro à titre de dommages-intérêts.

La société FKCM a conclu à l'incompétence du tribunal sur le fondement de la clause compromissoire contenue dans le contrat de distribution.

Par jugement du 7 avril 2006 le Tribunal de commerce de Grenoble a rejeté cette exception et a renvoyé l'affaire à l'audience du juge fixateur.

Contredit a été formé le 21 avril 2006 à l'encontre de cette décision par la société KFCM.

Vu les conclusions déposées le 12 septembre 2006 par la société FKCM Spa qui demande à la cour de :

- Dire et juger recevable le contredit formé à l'encontre du jugement du Tribunal de commerce de Grenoble,

A titre principal:

- Dire et juger que le droit néerlandais régit la question de l'opposabilité de la cession du contrat et le transfert de la clause compromissoire;

- Dire et juger que la transmission de la clause compromissoire entre la société KCME BV et elle-même est opposable à la société Curty Matériels,

A titre subsidiaire:

- Dire et juger que la transmission de la clause compromissoire est opposable à la société Curty Matériels au regard du droit interne.

En tout état de cause:

- Constater que la société Curty Matériels se prévaut du contrat dans lequel est stipulée une clause compromissoire;

- Dire et juger que le Tribunal de commerce de Grenoble n'est pas compétent pour connaître des demandes formées par la société Curty Matériels à son encontre,

- En conséquence renvoyer la société Curty Matériels à mieux se pourvoir conformément aux dispositions de l'article 96 du nouveau Code de procédure civile.

- Condamner la société Curty Matériels à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- Condamner la société Curty Matériels aux dépens;

aux motifs que dès le début de l'année 2003 la société Curty Matériels a été informée du transfert de l'activité de distribution des produits de la marque Kobelco à son profit; que le contrat de distribution du 1er mai 2000 lui a été cédé activement et passivement le 1er janvier 2004, date à partir de laquelle est elle devenue l'interlocuteur exclusif de la société Curty Matériels, qu'en application du droit néerlandais régissant tant le contrat de distribution que l'acte du 1er janvier 2004 la cession du contrat est opposable à la société Curty Matériels, que selon ce droit, en effet, le consentement du cocontractant cédé n'est soumis à aucune forme particulière et peut être tacite, ce qui est le cas en l'espèce puisque l'exécution du contrat a été poursuivie sans protestation après le 1er janvier 2004 entre le cessionnaire et le cédé, qu'en application du droit français la cession du contrat de distribution serait opposable de la même façon à la société Curty Matériels qui a poursuivi l'exécution de la convention, laquelle autorise la libre cession par le fournisseur, qu'elle est fondée à se prévaloir de la clause compromissoire alors que sa responsabilité est recherchée pour inexécution du contrat de distribution qui doit donc s'appliquer dans son intégralité, que la clause compromissoire, valablement stipulée, lui a été transmise avec la cession du contrat de distribution, et doit recevoir application même en cas de pluralité de défendeurs, à l'égard desquels le litige n'est au demeurant pas indivisible.

Vu les conclusions déposées pour l'audience du 13 septembre 2006 par la SA Curty Matériels assistée de Maître Nanterme, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement de cette dernière, qui sollicite la confirmation du jugement ayant retenu sa compétence et joint les instances, et qui demande à la cour de faire injonction à la société FKCM de conclure au fond et de condamner cette dernière au paiement d'une somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile aux motifs qu'elle n'a jamais consenti à la cession du contrat de distribution qui ne contient aucune clause de libre cessibilité, qu'à aucun moment, en effet, elle n'a été informée de la cession qu'elle n'a pas acceptée, même tacitement, qu'elle recherche la responsabilité délictuelle de la société FKCM qui s'est fautivement substituée unilatéralement à la société KCME, que dans le cadre de cette action la société FKCM ne peut donc se prévaloir du contrat de distribution et notamment de la clause d'arbitrage qui y est stipulée, que le droit néerlandais n'a pas vocation à régir la question de la cessibilité du contrat alors que l'article 12 de la convention de Rome du 19 juin 1980 n'est applicable qu'en matière de cession de créance et qu'elle n'a pas été partie à l'acte de cession, qu'en toute hypothèse, comme le droit français, le droit néerlandais reconnaît la possibilité d'une acceptation tacite qui n'a pas pu intervenir en l'espèce à défaut de toute information préalable, qu'elle était fondée à attraire la société FKCM devant le Tribunal de commerce de Grenoble déjà saisi du litige l'opposant aux sociétés CNH et Payant, et ce en application des articles 42 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile et 6-1 du règlement CE du 22 décembre 2000.

Motifs de l'arrêt

Aux termes de son assignation en intervention forcée du 6 juillet 2005 la société Curty Matériels, prenant acte de la cession du contrat de distribution, par acte du 1er janvier 2004, qu'elle prétend avoir ignorée jusqu'au 30 avril 2004, date d'expiration du contrat, soutient que la société FKCM Spa doit répondre de l'intégralité des fautes qui auraient été commises à son préjudice à l'occasion de l'exécution et de la rupture du contrat cédé.

C'est ainsi qu'elle impute à la société FKCM des manquements d'origine contractuelle qui pour l'essentiel sont le fait de la société KCME, accusée en substance d'avoir violé l'exclusivité qui lui avait été concédée, d'avoir interrompu les approvisionnements, d'avoir fait preuve de déloyauté et d'avoir rompu brusquement et abusivement le contrat.

Au motif qu'elle n'aurait pas consenti à la cession du contrat de distribution, intervenue à son insu, elle fait implicitement valoir que la société FKCM est un tiers à son égard, et que celle-ci ne peut donc répondre des manquements susvisés que sur un terrain quasi-délictuel. C'est pourquoi, arguant de l'inopposabilité de la cession, elle dénie à la société cessionnaire le droit de se prévaloir de la clause compromissoire contenue dans le contrat de distribution.

Ainsi que le soutient justement la société FKCM c'est le droit néerlandais qui détermine en l'espèce le caractère cessible du contrat de distribution et les conditions d'opposabilité de la cession au cocontractant cédé.

Tant l'article 12 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 que la règle française de conflit de lois, au cas où l'article 12 susvisé serait inapplicable à la cession de contrat, comme le soutient la société Curty Matériels, conduisent, en effet, à faire application de la loi régissant le contrat cédé, c'est-à-dire la loi du Royaume des Pays-Bas choisie par les parties à l'accord de distribution du 1er mai 2000 (article 12).

Selon l'analyse juridique non contestée effectuée par le cabinet d'avocat Van Doorne la loi civile néerlandaise, telle qu'interprétée par la Cour de cassation des Pays-Bas, ne subordonne pas l'opposabilité de la cession à son acceptation expresse par le cocontractant cédé, lequel peut manifester son consentement de manière tacite en poursuivant par exemple le contrat avec le cessionnaire.

En l'espèce, s'il ne résulte pas des courriers et lettres circulaires adressés à la société Curty Matériels au cours de l'année 2003 que le distributeur a été clairement et précisément informé de la cession prochaine du contrat à la société de droit Italien FKCM Spa (aucune des nombreuses correspondances versées au dossier ne désigne explicitement la société FKCM Spa comme étant le repreneur du contrat, même s'il est certain que la société Curty Matériels a été informée en 2003 de la réorganisation complète du circuit de distribution de la société KCME), il est établi que la société Curty Matériels a poursuivi l'exécution du contrat avec la société cessionnaire après le 1er janvier 2004 jusqu'à l'échéance du 30 avril 2004.

De nombreux courriers, télécopies, factures, bons de commande et ordres de paiement en apportent la preuve formelle, alors que la société Curty a écrit à plusieurs reprises à la société FKCM au cours des mois de février, mars et avril 2004 à propos de l'exécution de diverses commandes, qu'elle a adressé des bons de commande au cessionnaire, lequel a émis des factures les 19 mars et 13 avril 2004, et surtout qu'à deux reprises, les 23 mars et 26 avril 2004, elle a émis des ordres de virement bancaire au profit de la société FKCM Spa domiciliée à Turin ; étant observé que les opérations commerciales ont porté sur des machines complètes et non pas sur des pièces détachées, ce qui atteste de la poursuite de l'ensemble de la relation contractuelle.

C'est donc à tort que le tribunal a considéré que la cession du contrat n'avait pas été acceptée alors qu'au contraire, conformément au droit néerlandais applicable, le consentement tacite, mais dépourvu de toute équivoque, de la société Curty Matériels résultait de l'exécution du contrat entre le cessionnaire et le cocontractant cédé.

La cession par le fournisseur de l'accord de distribution, qu'aucune clause du contrat n'interdisait ou ne soumettait a un formalisme particulier (seule la cession par le distributeur était subordonnée à l'accord écrit préalable de la société KCME), est par conséquent opposable à la société Curty Matériels.

Ainsi la société FKCM est-elle en droit de se prévaloir de la clause compromissoire qui lui a été transmise avec le contrat, et dont ni la validité ni l'applicabilité au litige ne pourraient être contestées. D'une part en effet, en raison de l'acceptation de la cession l'action est nécessairement de nature contractuelle et entre dans le périmètre de la clause d'arbitrage, qui vise tout différend découlant ou en rapport avec l'accord de distribution et d'autre part, en s'en remettant aux règles de procédure des chambres de commerce internationales. Les parties ont satisfait aux exigences de l'article 1443 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile; étant observé qu'il n'est pas allégué que la clause aurait été irrégulièrement stipulée au regard de la loi du contrat.

Ni l'article 42 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile ni l'article 6-1 du règlement CE du 22 décembre 2000 n'étant de nature à faire obstacle à la clause compromissoire, y compris lorsque les litiges sont indivisibles, ce qui au demeurant n'est pas le cas en l'espèce puisque il est reproché aux sociétés CNH France et Payant des fautes distinctes, il sera par conséquent fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par la société FKCM.

En l'état de la procédure l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la société contredisante.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Faisant droit au contredit de compétence formé par la société FKCM Spa, renvoie La SA Curty Matériels à mieux se pourvoir sur ses demandes dirigées contre cette dernière, Dit n'y avoir lieu à indemnité de procédure au profit de la société FKCM, Condamne la SA Curty Matériels aux dépens du contredit.