Livv
Décisions

CA Nancy, 1re ch. civ., 27 mars 2006, n° 05-00207

NANCY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Duchesne (SA)

Défendeur :

Noirez

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Dory

Conseillers :

M. Schamber, Mme Tomasini

Avoués :

SCP Vasseur, Me Grétéré

Avocats :

Mes Lyon, Poirsan, Mery

TGI Nancy, du 16 déc. 2004

16 décembre 2004

Faits et procédure :

Exposant que par lettre du 16 octobre 2002, confirmée le 21 janvier 2003 la société TV Direct Distribution lui a annoncé comme certain le gain d'un chèque de 10 000 euro qu'elle s'est ensuite refusée de lui adresser, Madame Arlette Noirez, par acte du 27 mars 2003, a fait assigner cette société de vente par correspondance devant le Tribunal de grande instance de Nancy auquel il était demandé de condamner la défenderesse à payer:

- une somme de 10 000 euro outre intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2003, et sous astreinte de 200 euro par jour de retard à compter de la signification du jugement,

- une somme de 1 500 euro à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 16 décembre 2004, le tribunal a condamné la société de droit belge D. Duchesne, exploitant sous l'enseigne TV Direct Distribution, à payer à Madame Noirez une somme de 10 000 euro outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

Pour se déterminer ainsi, le tribunal a énoncé que par application de l'article 1371 du Code civil, l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer. Puis, après avoir analysé les documents adressés à Madame Noirez, le tribunal a constaté que les réserves formulées par l'emploi de l'expression "aléas habituels", ont été immédiatement levées par la teneur péremptoire des affirmations d'un gain définitif. Le tribunal a ensuite considéré que même si ce texte précise qu'il s'agit d'un jeu avec pré-tirage, la reproduction du règlement en un bloc compact de caractères majuscules peu lisibles n'est pas de nature à mettre en évidence le caractère aléatoire du gain annoncé.

La société Duchesne a interjeté appel par déclaration du 19 janvier 2005.

Prétentions et moyens des parties:

Par ses uniques conclusions, notifiées et déposées le 10 mai 2005, la société D. Duchesne demande à la cour, par voie de réformation du jugement déféré, de débouter Madame Noirez de l'intégralité de ses prétentions et de la condamner au paiement d'une somme de 1 500 euro au titre des frais non compris dans les dépens.

La société appelante fait valoir que le jeu publicitaire auquel Madame Noirez a participé est licite au regard de l'article L. 121-36 du Code de la consommation. Elle ajoute que le règlement de ce jeu a été imprimé sur un feuillet à l'intérieur de l'enveloppe, Madame Noirez ayant ainsi été mise en mesure de se convaincre de l'aléa entourant le gain annoncé, puisque le gagnant avait été tiré au sort avant l'envoi des documents. Elle ajoute encore que cet aléa est rappelé dans tous les autres documents constituant le "matériel publicitaire" qui a été adressé à Madame Noirez avec le catalogue des biens proposés à la vente. Elle déduit de ces éléments qu'elle a respecté l'obligation de gratuité de la participation au jeu ainsi que l'obligation d'information du client. Elle maintient donc avoir mis en évidence le caractère aléatoire du gain annoncé compte tenu de la capacité de compréhension que l'on peut attendre d'un consommateur d'attention moyenne. Elle considère que Madame Noirez qui, en raison du développement des jeux promotionnels ne pouvait ignorer le caractère aléatoire du gain, est de mauvaise foi.

Par ses uniques écritures, notifiées et déposées le 5 août 2005, Madame Noirez forme appel incident pour faire assortir d'une astreinte la condamnation prononcée en première instance.

L'intimée réplique que l'usage, dans des phrases dénuées de sens, du mot aléa, n'était pas de nature à mettre en évidence le caractère incertain du gain par ailleurs annoncé comme définitivement acquis. Elle affirme avoir cru de bonne foi à l'annonce du gain, expliquant avoir renvoyé un bon de commande dans le but de l'obtenir plus rapidement. Subsidiairement, elle invoque une faute délictuelle ainsi que la violation de l'article L. 121-36 du Code de la consommation, faisant grief à la société D. Duchesne d'avoir imposé une contrepartie financière à la participation au jeu. Pour faire assortir la condamnation d'une astreinte, elle fait valoir que la société D. Duchesne, qui a ignoré le caractère partiellement exécutoire du jugement entrepris, cherche à profiter des difficultés inhérentes à la mise en œuvre de procédure d'exécution forcée.

L'instruction a été déclarée close le 15 septembre 2005.

Motifs de la décision:

Les premiers juges ont procédé à une analyse complète et exacte des documents adressés par la société Duchesne à Madame Noirez à partir du mois d'octobre 2002. Ils ont déduit à juste titre de leurs constatations que la société de vente par correspondance, organisatrice de la loterie, a annoncé à Madame Noirez un gain de 10 000 euro, sans mettre en évidence, à première lecture, l'existence d'un aléa, l'emploi de ce terme, inséré dans des phrases dépourvues de véritable sens, ayant manifestement pour seul but de faire échec à l'application de la jurisprudence inaugurée par la Chambre mixte de la Cour de cassation le 6 septembre 2002, sans pour autant modifier en quoi que ce soit ses pratiques commerciales déloyales.

Sauf à soutenir que le destinataire de ses envois publicitaires doit présumer le caractère mensonger de leur contenu, la société Duchesne appose en vain la mauvaise foi de l'intimée alors qu'elle ne démontre pas que Madame Noirez avait été informée par d'autres voies du fait qu'elle n'était pas la véritable gagnante du chèque de 10 000 euro.

Le jugement déféré sera donc intégralement confirmé y compris en ce qu'il a refusé d'assortir la condamnation d'une astreinte, mesure qui ne s'avère pas nécessaire.

Par ces motifs, LA COUR, statuant en audience publique et contradictoirement, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré; Y ajoutant; Condamne la société Duchesne aux dépens de l'instance d'appel; Dit que les dépens seront recouvrés conformément aux dispositions régissant l'aide juridictionnelle.