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Décisions

CJCE, 1re ch., 7 mars 1985, n° 48-84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Spitzley

Défendeur :

Sommer Exploitation (SA)

CJCE n° 48-84

7 mars 1985

LA COUR,

1 Par ordonnance du 3 février 1984, parvenue à la Cour le 24 février 1984, l'Oberlandesgericht Koblenz a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation, par la Cour de justice, de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la convention), des questions préjudicielles portant sur l'interprétation des articles 17 et 18 de cette convention.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la firme Sommer Exploitation SA (ci-après Sommer), ayant son siège à Neuilly (France), fabricant d'étoffes en feutre, à Mme H. Spitzley, propriétaire d'une firme installée en République fédérale d'Allemagne, quant au paiement de certaines fournitures d'étoffes achetées à Sommer par Mme Spitzley.

3 Assignée devant le Landgericht Koblenz, Mme Spitzley n'a pas contesté le bien-fondé de la demande de Sommer. Elle a, toutefois, opposé la compensation des sommes dont son mari, M. W. Spitzley, serait créancier à l'égard de Sommer.

4 Ces sommes seraient dues à M. Spitzley par Sommer à titre de commissions liées à l'exécution d'un contrat de représentation commerciale conclu en 1976. Elles auraient été cédées ultérieurement à Mme Spitzley.

5 Devant le Landgericht, Sommer s'est opposée à la demande de compensation avancée par Mme Spitzley pour des raisons de fond. Le Landgericht, statuant au fond, n'a admis la compensation que pour un montant limité et a condamné Mme Spitzley au paiement du restant de la somme réclamée par Sommer.

6 Saisi du litige sur appel interjeté tant par Mme Spitzley que par Sommer, l'Oberlandesgericht Koblenz s'est posé le problème de savoir si les tribunaux allemands étaient compétents pour connaitre de la demande de compensation présentée par Mme Spitzley. Il a, à cet égard, relevé que le contrat de représentation commerciale conclu entre M. Spitzley et Sommer contenait, en son article VII, une clause attributive de juridiction en faveur des tribunaux du siège de Sommer, c'est-à-dire en faveur des tribunaux français, pour tout litige découlant dudit contrat.

7 Dans son ordonnance de renvoi, l'Oberlandesgericht a souligné cependant que, si l'existence et l'interprétation de cette clause semblent impliquer l'incompétence des tribunaux allemands, le comportement de Sommer, qui n'a jamais invoqué ladite clause, mais a, par contre, développé des défenses touchant au fond, pourrait avoir comporté une attribution de compétence en faveur des tribunaux allemands, conformément à la règle de l'article 18 de la convention.

8 L'Oberlandesgericht a, par conséquent, estimé nécessaire de poser à la Cour les questions suivantes :

'1) Le fait que la partie requérante ait accepté de débattre, sans soulever l'exception d'incompétence, d'une demande de compensation fondée sur un contrat ou une situation de fait autre que celui ou celle se trouvant à la base des prétentions du recours, et pour laquelle une attribution de compétence exclusive a été valablement convenue au titre de l'article 17 de la convention, élimine-t-il l'interdiction de compensation procédurale qui résulte de cette attribution de compétence et de son interprétation (Cour de justice des Communautés européennes, arrêt du 9 novembre 1978, dans l'affaire 23-78, Meeth/Glacetal),

Ou au contraire

2) L'attribution de compétence et l'interdiction de compensation qu'elle comporte font-elles obstacle dans de telles circonstances à ce que le tribunal se prononce sur la demande de compensation, malgré le fait que la partie requérante ait accepté de débattre de la demande de compensation sans soulever l'exception d'incompétence ?'

9 Le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission des Communautés européennes, qui ont présenté des observations en vertu de l'article 20 du protocole sur le statut de la Cour, ont tous exprimé l'avis qu'il faudrait répondre à ces questions dans le premier sens suggéré par la juridiction nationale.

10 Par les questions posées, la juridiction nationale vise à savoir, en substance, si l'effet de prorogation de compétence découlant, aux termes de l'article 18 de la convention, de la comparution du défendeur non-accompagnée d'une contestation de la compétence du juge saisi se produit :

- Lorsque l'incompétence du juge saisi concerne non pas la demande présentée par le demandeur, mais la demande de compensation avancée par le défendeur ;

- Lorsque l'incompétence du juge saisi découle d'une clause d'attribution de compétence conforme aux exigences de l'article 17 de la convention.

11 L'article 18 de la convention est ainsi libellé :

'Outre les cas où sa compétence résulte d'autres dispositions de la présente convention, le juge d'un état contractant devant lequel le défendeur comparait est compétent. Cette règle n'est pas applicable si la comparution a pour objet de contester la compétence ou s'il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l'article 16.'

12 L'article 17, pour sa part, dispose que :

'Si, par une convention écrite, ou par une convention verbale confirmée par écrit, les parties, dont l'une au moins à son domicile sur le territoire d'un état contractant, ont désigné un tribunal ou les tribunaux d'un état contractant pour connaitre des différends nés ou à naitre à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet état sont seuls compétents.

Les conventions attributives de juridiction sont sans effet si elles sont contraires aux dispositions des articles 12 et 15 ou si les tribunaux à la compétence desquels elles dérogent sont exclusivement compétents en vertu de l'article 16.

Si la convention attributive de juridiction n'a été stipulée qu'en faveur de l'une des parties, celle-ci conserve le droit de saisir tout autre tribunal compétent en vertu de la présente convention.'

13 Il convient de rappeler que ces deux dispositions constituent la section 6 du titre II de la convention, intitulée : 'prorogation de compétence'. Alors que l'article 17 a pour objet la prorogation conventionnelle de compétence, l'article 18 vise la prorogation tacite résultant de la comparution du défendeur non-accompagnée d'une contestation de la compétence du juge saisi.

14 La présence de ces deux dispositions indique que la convention laisse aux parties, dans toute la mesure du possible et sous réserve des limites prévues respectivement à l'article 17, alinéa 2, et à l'article 18, deuxième phrase, la faculté de choisir le juge auquel elles entendent s'en remettre pour la solution de leurs litiges.

15 L'article 18, en particulier, repose sur l'idée que, en comparaissant devant le juge saisi par le demandeur sans en contester la compétence, le défendeur manifeste implicitement son consentement à la saisine d'un juge autre que celui désigné par les autres dispositions de la convention.

16 La juridiction nationale demande, en premier lieu, si l'article 18 est applicable à un cas comme celui dont elle est saisie, c'est-à-dire à un cas où c'est le demandeur qui accepte de débattre au fond, devant le juge qu'il a lui-même saisi, d'une demande de compensation présentée par le défendeur et pour laquelle le juge saisi ne serait pas compétent.

17 Les doutes exprimés à cet égard par la juridiction nationale résultent de la formulation de l'article 18. Cette disposition, en effet, ne vise expressément que la prorogation de compétence résultant de la comparution du défendeur devant le juge saisi par le demandeur.

18 Toutefois, une interprétation de l'article 18 fondée sur le but poursuivi par cette disposition ainsi que sur le contexte dans lequel elle se situe, tels que décrits ci-dessus, permet de conclure qu'un cas comme celui visé par la juridiction nationale est également couvert par le champ d'application de l'article 18.

19 En effet, un demandeur qui, confronté à une demande de compensation présentée par le défendeur et pour laquelle le juge saisi ne serait pas compétent, présente des défenses quant au fond de cette demande, sans pour autant contester la compétence du juge saisi, se trouve dans une position équivalant à celle, expressément visée par l'article 18, d'un défendeur qui comparait devant le juge saisi par le demandeur et omet d'exciper de l'incompétence de ce juge.

20 Par conséquent, il y a lieu de considérer que, dans un cas comme celui visé par la juridiction nationale, le comportement du demandeur entraine, conformément à l'article 18 de la convention, une prorogation de compétence en faveur du juge saisi, pour autant que les autres conditions pour l'application de cette disposition, telles que précisées, notamment par l'arrêt du 24 juin 1981 (Elefanten Schuh, 150-80, Rec. 1981, p. 1671), soient remplies.

21 Cette interprétation répond d'ailleurs, comme le Gouvernement du Royaume-Uni l'a fait remarquer à juste titre, aux besoins de l'économie de procédure qui, ainsi que la Cour l'a reconnu dans son arrêt du 9 novembre 1978 (Meeth, 23-78, Rec. p. 2133), sont à la base de l'ensemble de la convention dans laquelle l'article 18 se trouve inséré.

22 La conclusion que l'on vient de tirer ne saurait être remise en cause en raison de la circonstance, soulignée dans l'ordonnance de renvoi, que la demande de compensation présentée par le défendeur est fondée sur un contrat ou sur une situation de fait autre que celui ou celle se trouvant à la base de la demande principale. En effet, cette circonstance a trait aux conditions dans lesquelles une demande de compensation est recevable et qui dépendent des dispositions législatives en vigueur dans l'état du juge saisi.

23 La juridiction nationale s'interroge, en second lieu, sur la possibilité d'appliquer l'article 18 alors que l'incompétence du juge saisi dérive du fait qu'il existe, quant à l'objet de la demande de compensation, une clause attributive de compétence en faveur des juges d'un état contractant autre que celui du juge saisi.

24 Il convient, à cet égard, de rappeler que, aux termes de la deuxième phrase de l'article 18, cette règle n'est pas applicable s'il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l'article 16 de la convention. Le cas visé par l'article 17 ne figure donc pas parmi les exceptions que l'article 18 admet à la règle qu'il établit.

25 Comme la Cour l'a déjà dit dans son arrêt du 24 juin 1981 précité, il n'y a pas de motif tenant à l'économie générale ou aux objectifs de la convention pour considérer que des parties à une clause attributive de compétence au sens de l'article 17 seraient empêchées de soumettre volontairement leur litige à une autre juridiction que celle prévue par ladite clause.

26 Il s'ensuit que le fait qu'il existe un juge désigné comme compétent en vertu d'une clause attributive conforme aux termes de l'article 17 n'exclut pas que, si un autre juge est saisi, l'article 18 soit, le cas échéant, applicable.

27 Dès lors, il y a lieu de répondre aux questions posées par l'Oberlandesgericht Koblenz en ce sens que le juge d'un état contractant, devant lequel le demandeur a accepté de débattre, sans soulever l'exception d'incompétence, d'une demande de compensation fondée sur un contrat ou une situation de fait autre que celui ou celle se trouvant à la base des prétentions du recours, et pour laquelle une attribution de compétence exclusive en faveur des juges d'un autre état contractant a été valablement convenue au titre de l'article 17 de la convention, est, en vertu de l'article 18 de cette convention, compétent.

Sur les dépens

28 Les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par l'Oberlandesgericht Koblenz, ordonnance du 3 février 1984, dit pour droit.