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Décisions

CJCE, 3e ch., 13 juillet 1995, n° C-474/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hengst Import BV

Défendeur :

Anna Maria Campese

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Gulmann

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Moitinho de Almeida, Edward

Avocats :

Mes Hoogeveen, Renken, Fiumara

CJCE n° C-474/93

13 juillet 1995

LA COUR (troisième chambre),

1 Par jugement du 15 décembre 1993, parvenu à la Cour le 20 décembre suivant, l'Arrondissementsrechtbank te Zwolle (ci-après l'"Arrondissementsrechtbank") a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 concernant l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 27, point 2, de ladite convention (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et ° texte modifiée ° p. 77, ci-après la "convention").

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Mme Campese, domiciliée en Italie, à la société Hengst BV (ci-après "Hengst"), établie aux Pays-Bas, à propos de factures partiellement impayées concernant des livraisons de chaussures au cours des années 1987 et 1988.

3 Faisant usage du "procedimento d'ingiunzione" (procédure d'injonction), une procédure sommaire de recouvrement, Mme Campese a demandé, le 28 mars 1989, au président du Tribunale di Trani de délivrer un "decreto ingiuntivo" (injonction de payer) enjoignant à Hengst de lui payer la somme de 11 214 875 LIT, majorée des intérêts légaux et des dépens.

4 Le "procedimento d'ingiunzione" est une procédure sommaire, qui permet au créancier, sur requête non communiquée initialement à la partie adverse, d'obtenir un titre exécutoire à l'encontre du débiteur.

5 Pièces justificatives à l'appui, le créancier demande au juge de délivrer à l'encontre de son débiteur une injonction de payer la somme réclamée ou de livrer les marchandises dans un délai d'en principe 20 jours (article 641 du Code de procédure civile, ci-après "CPC"). En vertu de l'article 643, deuxième alinéa, du CPC, une copie de l'injonction et une copie de la requête sont signifiées au défendeur. Le troisième alinéa de cette disposition prévoit que cette double signification constitue le point de départ de l'instance. A partir de cette signification, le défendeur peut former opposition jusqu'à l'expiration du délai qui lui a été imparti, conformément à l'article 641 du CPC, pour s'exécuter volontairement.

6 En principe, l'injonction n'est pas exécutoire par elle-même, une autorisation du juge, donnée après l'expiration du délai d'opposition, à la requête du demandeur, étant nécessaire à cette fin. Toutefois, à la demande du créancier, l'injonction est susceptible d'exécution provisoire lorsque la créance est fondée sur une traite, un chèque bancaire, un chèque circulaire, un certificat de liquidation en bourse ou un acte reçu par un notaire ou un autre officier public autorisé (article 642, paragraphe 1, du CPC). Le juge peut également accorder l'exécution provisoire s'il y a un risque de préjudice grave en cas de retard (article 642, paragraphe 2, du CPC).

7 Si le débiteur fait opposition à l'injonction dans le délai imparti, la procédure civile contradictoire de droit commun est suivie (article 645 du CPC). Dans le cas contraire, le juge déclare l'injonction exécutoire à la requête du créancier. Il doit toutefois ordonner au préalable une nouvelle signification lorsqu'il est probable que le débiteur n'a pas eu connaissance de l'injonction (article 647 du CPC).

8 En l'espèce au principal, le président du Tribunale di Trani a rendu une injonction de payer le 1er avril 1989. Le 23 mai suivant, cette injonction, accompagnée de la requête, a été signifiée aux Pays-Bas, à Hengst à l'intervention du parquet près l'Arrondissementsrechtbank te Zwolle, conformément à la convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et à la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale.

9 Le 31 juillet 1989, après avoir constaté que le "decreto ingiuntivo" avait été dûment signifié à la défenderesse et que le délai de 20 jours s'était écoulé sans que Hengst ait fait opposition, le président du Tribunale di Trani a conféré force exécutoire à l'injonction. Cette décision a été consignée, le 27 septembre 1989, sous la forme d'une déclaration du greffier du Tribunale di Trani, apposée sur le "decreto ingiuntivo".

10 Par ordonnance du 20 novembre 1990, le président de l'Arrondissementsrechtbank te Zwolle a autorisé l'exécution du "decreto ingiuntivo", conformément à l'article 31 de la convention de Bruxelles, qui prévoit que "Les décisions rendues dans un État contractant et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État contractant après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée." Le 6 décembre suivant, Mme Campese a fait notifier cette ordonnance à Hengst.

11 Cette dernière a formé opposition devant l'Arrondissementsrechtbank te Zwolle en invoquant l'article 27, point 2, de la convention aux termes duquel les décisions ne sont pas reconnues si l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent n'a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant, régulièrement et en temps utile, pour qu'il puisse se défendre. Selon Hengst, la signification de la copie de l'injonction accompagnée de celle de la requête ne peut être considérée comme constituant un acte introductif d'instance ou un acte équivalent au sens de cette disposition. Dès lors, l'injonction de payer prononcée par le Tribunale di Trani ne pourrait être reconnue et exécutée sur la base de la convention.

12 Doutant de l'interprétation à donner à la convention, l'Arrondissementsrechtbank a posé à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Le 'decreto ingiuntivo'visé au livre quatre du code de procédure civile italien (articles 633-656) doit-il être considéré, seul ou accompagné de la requête introductive d'instance, comme un 'acte introductif d'instance ou un acte équivalent'au sens des articles 27, initio et point 2, 46, initio et point 2, ou 20, deuxième alinéa, de la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale?"

13 A titre liminaire, il y a lieu d'observer, d'une part, que seul l'article 27, point 2, de la convention doit être interprété, les articles 20 et 46, paragraphe 2, de la convention, également visés par la question préjudicielle, étant étrangers au litige au principal. En effet, l'article 20 s'adresse au juge de l'État d'origine et non à celui de l'État requis. Quant à l'article 46, il ne semble pas que le litige au principal porte sur la question de savoir si, comme le requiert cette disposition pour les décisions rendues par défaut, Mme Campese a produit, au cours de la procédure de reconnaissance et d'exequatur, un document prouvant que l'acte introductif d'instance avait été dûment signifié dans le cadre de la procédure d'origine.

14 Il y a lieu de relever, d'autre part, que la décision en cause est bien une décision susceptible d'être reconnue et exécutée en vertu du titre III de la convention, étant donné qu'elle aurait pu faire l'objet d'une instruction contradictoire dans l'État d'origine avant le moment où sa reconnaissance et son exécution ont été demandées aux Pays-Bas (voir arrêt du 21 mai 1980, Denilauler, 125-79, Rec. p. 1553, point 13).

15 En effet, en vertu de l'article 645 du CPC, Hengst aurait pu former opposition devant le Tribunale di Trani dans les 20 jours de la signification du "decreto ingiuntivo", ce qui aurait transformé l'instance en une procédure contentieuse ordinaire.

16 Afin d'interpréter la notion d'acte introductif d'instance ou d'acte équivalent visée à l'article 27, point 2, de la convention, il y a d'abord lieu de rappeler que l'ensemble des dispositions de la convention, tant celles du titre II, relatives à la compétence, que celles du titre III, relatives à la reconnaissance et à l'exécution, expriment l'intention de veiller à ce que, dans le cadre des objectifs de celle-ci, les procédures menant à l'adoption de décisions judiciaires se déroulent dans le respect des droits de la défense (arrêt Denilauler, précité, point 13).

17 Cette exigence est particulièrement cruciale en cas de défaut du défendeur. L'article 27, point 2, vise précisément à assurer qu'une décision rendue par défaut ne puisse être reconnue ou exécutée selon la convention que si le défendeur a eu la possibilité de se défendre devant le juge d'origine (arrêts du 16 juin 1981, Klomps, 166-80, Rec. p. 1593, point 9, et du 12 novembre 1992, Minalmet, C-123-91, Rec. p. I-5661, point 18). A cette fin, cette disposition requiert que l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent ait été signifié ou notifié régulièrement et en temps utile au défendeur.

18 Ensuite, comme il ressort de l'arrêt Minalmet, précité, points 19 et 20, pour que le défendeur puisse se défendre, la signification ou la notification de l'acte introductif d'instance ou d'un acte équivalent au sens de l'article 27, point 2, de la convention doit avoir lieu avant qu'un jugement exécutoire soit rendu dans l'État d'origine.

19 Des considérations qui précèdent, il résulte que la notion d'acte introductif d'instance ou d'acte équivalent au sens de l'article 27, point 2, de la convention désigne le ou les actes, dont la signification ou la notification au défendeur, effectuée régulièrement et en temps utile, met celui-ci en mesure de faire valoir ses droits avant qu'un jugement exécutoire ait été rendu dans l'État d'origine.

20 Étant donné, d'une part, que leur signification conjointe fait courir un délai pendant lequel le défendeur peut former opposition et, d'autre part, que le demandeur ne peut obtenir une décision exécutoire avant l'expiration de ce délai, le "decreto ingiuntivo" et la requête du demandeur constituent un acte introductif d'instance ou un acte équivalent au sens de l'article 27, point 2, de la convention.

21 Il importe de souligner qu'en l'espèce l'acte introductif d'instance est constitué de la réunion de l'injonction de payer et de la requête. En effet, le "decreto ingiuntivo" est un simple formulaire qui, pour pouvoir être compris, doit être lu avec la requête. Réciproquement, la signification de la seule requête ne permettrait pas au défendeur de déterminer s'il doit organiser sa défense puisque, sans le "decreto ingiuntivo", il ignorerait si le juge a accueilli ou a rejeté la requête. Au demeurant, la nécessité de la double signification du "decreto ingiuntivo" et de la requête est confirmée par l'article 643 du CPC, dont il ressort qu'elle constitue le point de départ de l'instance.

22 Dans ses observations écrites déposées devant la Cour, la Commission a invoqué contre la reconnaissance et l'exécution de la décision du Tribunale di Trani un argument qui n'avait pas été soulevé devant les juridictions nationales. En vertu de l'article 633, paragraphe 3, dernier alinéa, du CPC, "l'injonction ne peut être prononcée si la signification au défendeur visée à l'article 643 doit être effectuée hors de l'Italie ou des territoires soumis à la souveraineté italienne". Relevant que, dans l'affaire en cause, la signification a été opérée aux Pays-Bas, la Commission soutient qu'elle ne peut constituer un acte introductif d'instance au sens de l'article 27, point 2, de la convention. Dès lors, le juge néerlandais pourrait refuser la reconnaissance de la décision du Tribunale di Trani pour défaut de signification régulière de l'acte introductif d'instance.

23 Cette position ne peut être adoptée.

24 En premier lieu, l'article 27, point 2, a uniquement pour but d'assurer qu'un acte introductif d'instance ou un acte équivalent a été signifié régulièrement et en temps utile au défendeur afin qu'il puisse se défendre. Il ne permet pas au juge de l'État requis de refuser la reconnaissance et l'exécution d'une décision en raison d'une éventuelle violation d'autres dispositions du droit de l'État d'origine que celles relatives à la régularité de la signification.

25 En second lieu, l'éventuelle méconnaissance par le juge d'origine de l'article 633, paragraphe 3, dernier alinéa, du CPC ne constitue ni une des causes de refus de reconnaissance prévues par les autres dispositions de l'article 27 ni une des hypothèses limitativement énumérées à l'article 28 de la convention dans lesquelles le juge de l'État requis est autorisé à vérifier la compétence du juge de l'État d'origine.

26 Il y a donc lieu de répondre à la juridiction nationale que le "decreto ingiuntivo" visé au livre quatre du code de procédure civile italien (articles 633-656), accompagné de la requête introductive d'instance, doit être considéré comme un "acte introductif d'instance ou un acte équivalent" au sens de l'article 27, point 2, de la convention.

Sur les dépens

27 Les frais exposés par le Gouvernement italien et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par l'Arrondissementsrechtbank te Zwolle, par jugement du 15 décembre 1993, dit pour droit:

Le "decreto ingiuntivo" visé au livre quatre du code de procédure civile italien (articles 633-656) doit être considéré, accompagné de la requête introductive d'instance, comme un "acte introductif d'instance ou un acte équivalent" au sens de l'article 27, point 2, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord.