Cass. 2e civ., 5 février 2004, n° 01-14.394
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Défendeur :
Edi 7, France Dimanche
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ancel
Rapporteur :
Mme Crédeville
Avocat général :
M. Domingo
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Delaporte, Briard, Trichet
LA COUR : - Sur le premier moyen pris en sa première branche : - Vu les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 et 1382 du Code civil ; - Attendu que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que dans son numéro 2628 daté du 11 au 17 janvier 1997, l'hebdomadaire France Dimanche a publié, en première page, sous le titre "PP.DA. Il souffre d'une étrange maladie" et le sous-titre "Y..., sa femme, la mort de son enfant, ses déchirures... Pour la première fois il parle même de viol", l'annonce d'un article consacré, en pages 24 et 25, à M. X Z et à son livre intitulé "Lettre ouverte aux violeurs de vie privée" ; que cet article était illustré de photographies, dont l'une, qui figurait en première page, était un portrait de M. X Z assorti d'une légende ainsi libellée : "A trop donner des leçons à tout le monde, vous ne voyez plus vos incohérences", et deux autres, qui illustraient l'article lui-même, représentaient M. X Z marchant dans la rue en compagnie d'une jeune femme qu'il tenait par la main, avec la légende suivante : "Tout au long de son livre, il se dit traqué comme du gibier mais il s'affiche parfois publiquement, comme sur ces photos" ; que s'estimant diffamé et victime d'un abus de la liberté d'expression ainsi que d'une atteinte à sa vie privée et au droit à son image, M. X Z a fait assigner, le 2 avril 1997, devant le tribunal de grande instance, la société Edi 7, éditrice de l'hebdomadaire France Dimanche, en réparation de son préjudice sur le fondement des articles 29 de la loi du 29 juillet 1881, 9 et 1382 du Code civil ; que le tribunal a prononcé la nullité de l'assignation introductive d'instance, qui ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, et débouté M. X Z de ses demandes relatives aux atteintes à la vie privée et au droit à l'image ; que M. X Z a interjeté appel de cette décision, sauf en ce qu'elle avait prononcé la nullité de l'assignation du chef de la diffamation ;
Attendu que pour juger que la société Hachette Filipacchi associés, venant aux droits de la société Edi 7, s'était livrée, par la publication de l'article litigieux, à un abus dans la liberté d'expression devant être réparé sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, l'arrêt retient qu'indépendamment des propos constitutifs d'atteintes à l'honneur et à la considération de M. X Z et qui ne sauraient effectivement être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, la publication incriminée ne se borne pas à répondre et à commenter les accusations portées par M. X Z contre les journalistes qu'il qualifie dans son livre de "violeurs de vie privée", mais cherche et trouve dans la parution de ce livre l'opportunité de régler ses comptes avec son auteur, dans l'intention évidente de lui nuire, comme en atteste notamment le rappel d'événements de sa vie personnelle, totalement étrangers à l'objet du livre et inutiles aux besoins de la démonstration que la société Hachette Filipacchi associés aurait été légitimement en droit de rapporter dans le cadre d'une réponse aux accusations dirigées contre elle ; qu'il y a lieu de retenir à cet égard que contrairement à la thèse de la société Edi 7 l'annulation des poursuites fondées sur la diffamation n'interdit pas la prise en compte de l'intention de nuire qui se déduit des propos contenus dans l'article litigieux, dans le cadre de l'appréciation des mérites de la demande présente, fondée sur l'abus dans la liberté d'expression imputé au journal ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'article incriminé imputait à un journaliste de renom, qui avait dénoncé, dans un livre dont il était l'auteur, l'intrusion de la presse dans sa vie privée, d'avoir suscité lui-même cette intrusion, manqué à la déontologie et mené une vie personnelle qui ne serait pas "simple, propre et claire", ce qui caractérisait une diffamation envers ce journaliste, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autre griefs du pourvoi ; Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mai 2001, entre les parties, par la Cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris.