Cass. crim., 26 septembre 2006, n° 05-87.681
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Guihal
Avocat général :
Mme Commaret
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, SCP Bachellier, Potier de la Varde
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par : X Bruno, la société Y, civilement responsable, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 2 décembre 2005, qui, dans la procédure suivie contre le premier du chef d'infractions à la législation sur le tabac, a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Bruno X, titulaire d'une délégation de pouvoir du président du conseil d'administration de la société Y, a été poursuivi par le Comité national contre le tabagisme (CNCT), du chef notamment de publicité illicite en faveur du tabac, ainsi que pour n'avoir pas reproduit sur un fond contrastant l'avertissement sanitaire qui doit figurer sur les emballages de cigarettes ; que la société Y a été citée en qualité de civilement responsable ; que, sur le seul appel de la partie civile du jugement qui l'avait déboutée de ses demandes après avoir relaxé le prévenu du premier chef et constaté l'amnistie des faits visés par le second, la cour d'appel a jugé, d'une part, que l'extinction de l'action publique ne pouvait bénéficier à la commercialisation, postérieurement à la date du 17 mai 2002 retenue par la loi d'amnistie du 6 août 2002, de paquets de cigarettes qui ne portaient pas l'avertissement sanitaire imprimé sur un fond contrastant, d'autre part, qu'étaient réunis les éléments constitutifs de ce délit ainsi que de celui de publicité illicite en faveur du tabac ; qu'elle a condamné Bruno X à payer au CNCT la somme de 147 600 euro à titre de dommages-intérêts et déclaré la société Y civilement responsable ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 5 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, 2, 3, 551, 463, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré régulière la citation à comparaître délivrée à Bruno X le 14 janvier 2004 ;
"aux motifs que, "l'avocat du prévenu et la société civilement responsable soutiennent que la citation fait apparaître le CNTC en qualité de civilement responsable, celui-ci étant pris en la personne de son président Yves M, professeur de médecine, alors que celui-ci n'a été nommé qu'en mai 2004, comme en attestent les documents communiqués par la préfecture ; que le CNTC rétorque qu'Yves M a été nommé président du CNTC le 1er juillet 2003 comme le prouve le procès-verbal du conseil d'administration du même jour ; qu'il résulte du compte rendu de la réunion du conseil d'administration du CNTC le 1er juillet 2003 que le professeur Yves M a été élu à l'unanimité président de l'association, à la suite de la démission du professeur Gérard D ; le document émanant de la préfecture de Paris, en date du 24 septembre 2004, mentionne la liste des membres du conseil d'administration du CNTC en mai 2004, mais n'établit pas qu'Yves M n'était pas président du CNTC le 14 janvier 2004 ; dès lors les prescriptions de l'article 551 du Code de procédure pénale sont réunies et il convient d'infirmer le jugement déféré et de constater la validité de la citation délivrée le 14 janvier 2004 à Bruno X" ;
"alors que, selon l'article 5, alinéas 5 et 6, de la loi de 1901, "les associations sont tenues de faire connaître, dans les trois mois, tous les changements survenus dans leur administration ou direction, ainsi que toutes les modifications apportées à leurs statuts" et "ces modifications et changements ne sont opposables aux tiers qu'à partir du jour où ils auront été déclarés" ; que la preuve de la capacité à agir de la personne se présentant comme le représentant légal de la personne morale appartient à cette dernière ; que, dès lors que la cour d'appel ne constatait pas que la partie civile avait fourni un récépissé ou tout autre document de la préfecture établissant qu'elle avait déclaré le changement de président de l'association, elle ne pouvait sans violer les articles précités considérer que la citation à comparaître émanait d'une personne apte à agir au nom de l'association ;
"alors qu'en tout état de cause, la cour d'appel qui constate uniquement que le document de la préfecture invoqué par les prévenus mentionne le nom des membres du conseil d'administration, ne permet pas de s'assurer qu'elle a recherché si le changement de président de l'association avait fait l'objet de la déclaration prévue par l'article précité avant la citation à comparaître, formalité indispensable pour rendre cette désignation opposable aux tiers" ;
Attendu que, l'article 551, alinéa 4, du Code de procédure pénale n'exigeant pas de mentionner l'identité de celui qui agit en justice au nom d'une personne morale, le moyen, qui ne porte que sur l'identification du président du CNCT, à la date à laquelle la citation a été délivrée, est inopérant ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 3511-3, L. 3511-4, L. 3511-6 du Code de la santé publique, de l'arrêté du 29 avril 1991 fixant les méthodes d'analyse des teneurs en nicotine et en goudron et les méthodes de vérification de l'exactitude des mentions portées sur les conditionnements, ainsi que les modalités d'inscription des messages de caractère sanitaire et des mentions obligatoires sur les unités de conditionnement du tabac et des produits du tabac et 591 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bruno X coupable de l'infraction de publicité directe ou indirecte en faveur du tabac et l'a condamné à réparer le préjudice résultant de cette infraction, et a déclaré la Y civilement responsable ;
"aux motifs qu'"il n'est pas contesté que dans la période considérée la Y a proposé à la vente des paquets de cigarettes de Gauloises blondes reproduisant sur l'emballage, outre la marque du produit et son emblème figurant le casque gaulois, une mascotte ailée représentée dans des situations imaginaires en fonction de thèmes variés évoquant les voyages, la musique ou les animaux et servant de justificatifs à une gamme de paquets multicolores composant quinze visuels différents ; que de tels emballages, conçus dans le but d'être amusants et attrayants, notamment pour les jeunes consommateurs, et qui incitent à la collection par leur diversité, constituent un mode de publicité incitant à la consommation du tabac ; que dès lors, l'infraction est constituée dans tous ses éléments" ;
"alors que, selon l'article L. 3511-4, alinéa 1er, du Code de la santé publique, la propagande et la publicité indirecte en faveur du tabac supposent l'utilisation de graphismes ou d'une présentation rappelant le tabac, ce qui vise nécessairement ce qui rappelle le conditionnement du tabac et exclut nécessairement que celui-ci soit considéré comme un support de publicité ; que l'article L. 3511-6, alinéa 2, du Code de la santé publique prévoit que le conditionnement du tabac doit comporter différentes mentions dans les conditions fixées par un arrêté ; que l'arrêté du 26 avril 1991 modifié, pris pour l'application de cette disposition impose seulement que les unités de conditionnements comportent des mentions concernant la composition du tabac et des avertissements sanitaires dans des conditions qu'il précise ; qu'il n'impose pas que les unités de conditionnement comportent uniquement, outre les avertissements sanitaires, la mention de la marque et de l'emblème de celle-ci ; que, dès lors, en considérant que les illustrations portées sur les paquets de cigarettes étaient des publicités indirectes en faveur du tabac parce qu'elles étaient une incitation à fumer, alors que les dispositions précitées ne définissent pas la publicité indirecte en faveur du tabac uniquement par référence à une telle incitation et, alors qu'elles excluent que le conditionnement du tabac soit considéré comme un support de publicité, la cour d'appel a violé les dispositions précitées" ;
Attendu que, pour déclarer réunis les éléments constitutifs du délit de publicité illicite en faveur du tabac, l'arrêt retient que la société Y a proposé à la vente, sous la marque Gauloises blondes, une gamme de quinze paquets de cigarettes, différemment illustrés par la représentation d'une mascotte ailée dans des situations imaginaires, évoquant les thèmes du voyage, de la musique ou des animaux ; que les juges ajoutent que ces emballages, conçus pour être amusants et attrayants, notamment aux yeux des jeunes consommateurs, incitent à la collection par leur diversité et constituent ainsi un mode de publicité en faveur du tabac ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision ; qu'en effet, l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique interdit toute publicité en faveur du tabac, à l'exception des enseignes des débits de tabac ainsi que des affichettes disposées à l'intérieur de ces établissements, non visibles de l'extérieur ; que se trouvent prohibées par ces dispositions toutes autres formes de communication commerciale, quel qu'en soit le support, ayant pour but ou pour effet de promouvoir, directement ou indirectement le tabac ou un produit du tabac ; qu'il en va ainsi des décorations de paquets de cigarettes qui suscitent le désir d'acquérir des cigarettes d'une marque déterminée afin de compléter des séries d'images différentes ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 3511-6 du Code de la santé publique, de l'article 9 de l'arrêté du 21 avril 1991, des articles 8, 459, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bruno X coupable du délit de défaut de fond contrastant et l'a condamné à réparer le préjudice résultant de cette infraction, et a déclaré la Y civilement responsable ;
"aux motifs que, "les intimés font valoir que les constats d'huissier des 18 et 22 octobre 2002 ne révèlent rien sur le message sanitaire et le fond (contrastant ou non) sur lequel il s'inscrit ; que ces faits, à supposer qu'ils soient établis, devraient être qualifiés d'infraction permanente instantanée, c'est-à-dire réalisée au jour de la mise sur le marché et donc amnistiée ; que sur le fond, ils contestent que le message inscrit en noir sur fond rouge ne soit pas contrastant ; qu'il s'agit en réalité d'une infraction continue qui se poursuit successivement pendant toute la durée de la mise sur le marché des paquets litigieux" ; que, par ailleurs, la cour n'est pas saisie par le constat d'huissier, mais par les citations et les paquets de cigarettes versés aux débats lui permettant d'estimer que le fond n'est pas suffisamment contrastant pour attirer l'attention des consommateurs ; que l'infraction est donc établie en tous ses éléments" ;
"alors que, d'une part, l'exigence de contraste des lettres d'impression des avertissements sanitaires avec le fond sur lequel ils sont imprimés est satisfaite si la couleur des unes et de l'autre sont d'une luminosité opposée ; que les juges du fond doivent constater l'absence de couleurs opposées pour retenir le délit de défaut de fond contrastant ; qu'en se contentant de constater que "le fond n'était pas suffisamment contrastant" sans apporter de précision sur ce point, la cour d'appel ne met pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les éléments constitutifs de l'infraction étaient réunis ;
"alors qu'en tout état de cause, il était soutenu dans les conclusions régulièrement déposées pour les prévenus et le civilement responsable que des messages noirs sur fond rouge clair impliquaient une luminosité opposée de nature à créer un fond contrastant ; que, faute d'avoir répondu à ce chef péremptoire de conclusions, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale ;
"alors que, d'autre part, l'infraction d'absence de fond contrastant consiste à ne pas porter sur les conditionnements les avertissements sur un fond contrastant ; que, s'agissant d'un délit, elle suppose une intention coupable ; que cette intention coupable n'existe qu'au jour de la conception des paquets de cigarettes sans fond contrastant ; que dès lors, l'infraction est constituée au jour de la conception des paquets, seuls ses effets continuant à se développer après la réalisation de l'infraction ; que, dès lors, la cour d'appel qui a considéré que l'infraction était continue, a violé l'article 8 du Code de procédure pénale ;
"alors qu'en tout état de cause, l'infraction d'absence de fond contrastant consiste à ne pas porter sur les conditionnements les avertissements sur un fond contrastant ; que, dès lors l'infraction est constituée au jour de la conception du conditionnement des cigarettes ou à tout le moins au jour de ce conditionnement ; qu'ainsi, en considérant que l'infraction était continue et se poursuivait pendant toute la durée de mise sur le marché, la cour d'appel a violé l'article 8 du Code de procédure pénale" ;
Attendu que, d'une part, pour juger que l'amnistie, prévue par la loi du 6 août 2002 à l'égard des faits exclusivement punis d'une amende et commis avant le 17 mai 2002, ne pouvait bénéficier à la commercialisation, postérieurement à cette date, de paquets de cigarettes qui ne satisfaisaient pas aux exigences relatives à la reproduction de l'avertissement sanitaire sur un fond contrastant, d'autre part, pour déclarer réunis les éléments constitutifs de ce délit, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a exactement décidé que l'infraction se commettait pendant toute la durée de la mise sur le marché des articles en cause, et qui a souverainement apprécié que l'exigence d'un contraste entre le message sanitaire et son support n'était pas satisfaite, a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Bruno X à payer au CNCT 147 600 euro de dommages et intérêts à la partie civile et a déclaré la Y civilement responsable ;
"aux motifs que, "tant pour cette infraction que pour la réparation de la publicité illicite, il demande à la Cour de tenir compte du nombre de paquets de cigarettes vendus pendant la période considérée (soit, pour la deuxième infraction, de mars à septembre 2002) ; que la cour tire de la procédure et des débats tous les éléments pour fixer à 147 600 euro le montant des dommages et intérêts que Bruno X devra verser à la partie civile et y ajoutant, d'allouer la somme de 12 500 euro en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale" ;
"alors que, si les juges du fond apprécient souverainement, dans les limites des conclusions de la partie civile, le montant des dommages et intérêts attribués à celle-ci en réparation du préjudice résultant pour elle de l'infraction, c'est à la condition de fonder leur décision sur l'importance réelle de ce dommage ; qu'en attribuant des dommages et intérêts sur la base du nombre de paquets de cigarettes blondes légères vendus, sans prendre en compte les conclusions qui soutenaient que la partie civile n'avait pas apporté la preuve du nombre de paquets de cigarettes incriminés vendus et sans considération de la réalité du préjudice matériel ou moral de la partie civile, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;
Attendu qu'en évaluant, comme elle l'a fait, la réparation du préjudice résultant pour la partie civile de l'atteinte portée aux intérêts qu'elle a pour mission de défendre, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage né de l'infraction ; d'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.