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Décisions

CJCE, 4e ch., 3 octobre 1985, n° 119-84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Capelloni, Aquilini

Défendeur :

Pelkmans

CJCE n° 119-84

3 octobre 1985

LA COUR,

1 Par ordonnance du 9 novembre 1983, parvenue à la Cour le 8 mai 1984, la Corte suprema di Cassazione a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la convention), trois questions portant sur l'interprétation de l'article 39 de ladite convention.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant MM. Capelloni et Aquilini à M. Pelkmans. Il ressort du dossier de l'affaire que ce dernier avait obtenu de la Cour d'appel de Brescia une décision en date du 19 décembre 1980, qui autorisait, aux termes des articles 31 et suivants de la convention, l'exécution en Italie d'un arrêt rendu le 8 mai 1979 par le Tribunal de Breda (Pays-Bas) et portant condamnation de MM. Capelloni et Aquilini au paiement en faveur de M. Pelkmans de la somme de 127 400 HFL, outre intérêts et dépens.

3 Contre cette décision, MM. Capelloni et Aquilini introduisaient, devant la même cour d'appel, un recours au sens de l'article 36 de la convention. Le 13 mars 1981, alors qu'aucune décision n'était encore intervenue sur ce recours, M. Pelkmans faisait procéder, en vertu de l'article 39 de la convention, à une saisie conservatoire sur des immeubles appartenant à MM. Capelloni et Aquilini.

4 M. Pelkmans demandait ensuite à la Cour d'appel de Brescia de valider, aux termes de l'article 680 du Code de procédure civile italien, la saisie ainsi effectuée. MM. Capelloni et Aquilini s'étant opposés à cette validation, en invoquant le non-respect de certaines dispositions dudit Code en matière de saisies conservatoires, la Cour d'appel a considéré, dans son arrêt du 14 juillet 1981, que les dispositions du Code de procédure civile italien précitées n'étaient pas applicables à une saisie exécutée en vertu de l'article 39 de la convention. Pour la même raison, la Cour d'appel a, en outre, déclaré non-admissible la demande de validation de M. Pelkmans, en précisant que l'article 680 du Code de procédure civile italien, qui prévoit une telle validation, ne couvre pas des saisies comme celle dont il était question.

5 L'affaire ayant été portée devant la Corte suprema di Cassazione, celle-ci a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions suivantes :

'1) Les mesures conservatoires sur les biens du débiteur auxquelles il est possible de procéder en cas de recours formé par celui-ci contre les décisions qui revêtent de la formule exécutoire les décisions prononcées dans un autre état adhérant à la Communauté économique européenne, sont-elles soumises aux règles de procédure du droit interne quant aux modalités d'application, aux conditions de validité et aux effets de l'obligation provisoire ou les états adhérant à la convention de Bruxelles ont-ils voulu adopter un instrument juridique unique, uniforme dans tous les États membres contractants, visant à assurer à moyen terme l'indisponibilité des biens de l'oblige, objectif rempli par la mise en œuvre de l'exécution forcée après l'issue négative du recours formé au titre de l'article 37 de la convention de Bruxelles, sans qu'il soit nécessaire, en particulier, d'obtenir un jugement validant la mesure conservatoire ?

2) Bien que la décision rendue dans un état étranger ait déjà été déclarée exécutoire dans un état contractant, une autorisation de cette même autorité juridictionnelle est-elle nécessaire pour pouvoir procéder aux actes conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l'exécution est demandée, ou le requérant peut-il entreprendre directement des actes conservatoires sans être tenu d'obtenir une autorisation spécifique ?

3) Y a-t-il lieu d'appliquer également aux cas régis par l'article 39 de la Convention de Bruxelles les règles de procédure de l'état dans lequel il est procédé à des mesures conservatoires, lesquelles prévoient pour entamer ou conclure les actes conservatoires un délai péremptoire qui court à compter de la date à laquelle le requérant a la possibilité de procéder à ces actes, ou ce dernier peut-il procéder à ces actes dans n'importe quel délai, jusqu'à ce que l'autorité judiciaire compétente ait statué sur le recours visé par l'article 37 de la convention ?'

6 Sur ces questions, le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission des Communautés européennes ont présenté des observations en vertu de l'article 20 du protocole sur le statut de la Cour.

7 Par ordonnance de la Cour du 12 décembre 1984, l'affaire a été renvoyée devant la quatrième chambre.

8 L'article 39 de la convention est ainsi libellé :

'Pendant le délai du recours prévu à l'article 36 et jusqu'à ce qu'il ait été statué sur celui-ci, il ne peut être procédé qu'à des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l'exécution est demandée. La décision qui accorde l'exécution emporte l'autorisation de procéder à ces mesures.'

9 Par la première partie de sa première question, la juridiction nationale cherche, en substance, à savoir si et dans quelle mesure il y a lieu, afin de déterminer les règles régissant les mesures conservatoires visées par l'article précité, de se référer aux dispositions prévues, dans les différents droits nationaux, pour des mesures analogues.

10 Par les autres questions posées à la Cour, la juridiction nationale s'interroge plus particulièrement sur l'applicabilité, aux mesures conservatoires dont il est question à l'article 39, des dispositions du Code de procédure civile italien qui posent, en matière de saisies conservatoires, les principes suivants :

- Toute saisie de ce type doit être autorisée par une décision du juge compétent, de sorte qu'il ne peut pas y être procédé directement par la partie intéressée ;

- Une saisie conservatoire doit être exécutée dans un délai péremptoire qui court de la date à laquelle la partie intéressée a eu la possibilité d'y procéder ;

- Une telle saisie doit être soumise, après son exécution, à une procédure de validation.

Sur l'applicabilité aux mesures conservatoires visées par l'article 39 des dispositions nationales prévues pour des mesures analogues

11 Concernant la question de savoir si, en général, le juge saisi peut se référer à son propre droit procédural interne pour déterminer les règles applicables aux mesures conservatoires visées par l'article 39, la Commission fait remarquer que les prescriptions contenues dans cet article n'ont pas un caractère complet. Plus précisément, selon la Commission, ni l'article 39 ni aucune autre disposition de la convention ne précisent la liste des mesures en question, le type et la valeur des biens sur lesquels celles-ci peuvent porter, les conditions de validité de ces mesures, ainsi que les modalités pour leur exécution et pour le contrôle de leur régularité. Pour ces questions et pour toute autre question qui ne serait pas réglée de façon uniforme par la convention elle-même, la Commission estime que le juge national ne peut qu'appliquer les dispositions pertinentes de son Code de procédure interne, auxquelles la convention ferait implicitement renvoi.

12 Le Gouvernement du Royaume-Uni partage l'avis de la Commission et considère que la question de savoir comment une juridiction nationale doit exercer le pouvoir, prévu à l'article 39, d'accorder des mesures conservatoires relève entièrement du domaine de son droit procédural interne. Ledit Gouvernement estime que toutes les questions soulevées par la juridiction nationale sont à résoudre par application du droit procédural de celle-ci, la convention ne prévoyant pas de règles spécifiques.

13 Avant de répondre à la question posée, à cet égard, par la juridiction nationale, il y a lieu d'examiner le contexte dans lequel l'article 39 se situe, ainsi que le but qu'il poursuit.

14 L'article 39 figure dans la section II du titre III de la convention, qui a pour objet l'exécution dans un état contractant des décisions rendues dans un autre état contractant.

15 Comme la Cour l'a déjà rappelé dans l'arrêt du 27 novembre 1984 (Brennero, 258-83, Rec. p. 3971), la convention vise à limiter les exigences auxquelles l'exécution d'une décision judiciaire peut être soumise dans un autre état contractant et prévoit, à cet effet, une procédure très sommaire afin d'obtenir l'autorisation d'exécution, tout en donnant à la partie contre laquelle l'exécution est demandée la possibilité de former un recours contre cette autorisation.

16 La convention se borne toutefois à régler la procédure pour obtenir l'autorisation d'exécution, mais n'édicte pas de dispositions concernant l'exécution proprement dite, qui reste soumise, comme il a été précisé dans l'arrêt du 2 juillet 1985 (Deutsche Genossenschaftsbank, 148-84, Rec. p. 1987), au droit national du juge saisi.

17 Dans ce contexte, l'article 39 régit les droits de la partie ayant demandé et obtenu l'autorisation d'exécution, pendant le délai du recours prévu à l'article 36 et jusqu'à ce qu'il ait été statué sur ce recours.

18 Comme il résulte de son alinéa 1, la partie en question ne peut pas, pendant ce temps, procéder à des mesures d'exécution proprement dites, mais doit se limiter à faire effectuer, si elle l'estime nécessaire, des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l'exécution est demandée. L'autorisation de procéder à ces mesures conservatoires découle, ainsi qu'il est précisé par l'alinéa 2, de la décision qui accorde l'exécution.

19 Le but poursuivi par cette disposition est manifestement celui d'offrir à la partie qui a obtenu l'autorisation à l'exécution mais qui ne peut pas encore procéder à des mesures d'exécution, un instrument lui permettant d'éviter que la partie contre laquelle l'exécution est demandée ne dispose entre-temps de ses biens, de façon à rendre infructueuse, voire impossible, l'exécution future.

20 Toutefois, comme pour l'exécution proprement dite, également en ce qui concerne les mesures conservatoires visées à l'article 39, la convention se limite à poser le principe que la partie ayant demandé l'exécution peut procéder, pendant le temps indiqué dans cet article, a de telles mesures. La convention laisse par contre au droit procédural du juge saisi la tache de régler toute question qui ne fait pas l'objet de dispositions spécifiques de la convention.

21 Il est néanmoins à préciser que l'application des prescriptions du droit procédural interne du juge saisi ne saurait en aucun cas avoir pour effet de faire échec aux principes posés en la matière, que ce soit de façon expresse ou implicite, par la convention elle-même, et notamment par son article 39. Dès lors, la question de savoir si telle ou telle autre disposition du droit procédural interne du juge saisi est applicable à des mesures conservatoires prises en vertu de l'article 39 dépend du contenu de chaque disposition nationale et de sa compatibilité avec les principes posés par l'article précité.

22 Il en résulte qu'il n'est pas possible de répondre en des termes généraux à la question de la juridiction nationale, mais qu'il faut examiner, cas par cas, si les dispositions nationales que cette juridiction mentionne dans ses autres questions sont compatibles avec la portée de l'article 39.

Sur la nécessite d'obtenir une décision spécifique autorisant les mesures conservatoires

23 La juridiction nationale demande, par sa deuxième question, si est applicable à des mesures conservatoires prises en exécution de l'article 39 le principe, existant dans son ordre juridique national, selon lequel, pour pouvoir procéder à une saisie conservatoire, la partie intéressée doit préalablement y être autorisée par une décision spécifique du juge compétent.

24 Comme la Commission l'a fait valoir à juste titre, l'article 39 exclut que la partie ayant obtenu l'autorisation d'exécution doive, pour pouvoir procéder à des mesures conservatoires pendant le temps indiqué dans cet article, obtenir une autorisation judiciaire spécifique et distincte à cet effet, alors même qu'une telle autorisation serait normalement requise par le droit procédural interne du juge saisi.

25 Cette conclusion ressort du libellé même de l'alinéa 2 de l'article 39, où il est dit que la décision qui accorde l'exécution 'emporte' l'autorisation de procéder à des mesures conservatoires. Cette phrase révèle que le droit de procéder à de telles mesures trouve son origine dans la décision accordant l'exécution et que, dès lors, une deuxième décision, qui en aucun cas ne pourrait remettre en question l'existence de ce droit, ne serait pas justifiée.

26 Il faut donc répondre à la deuxième question de la juridiction nationale en ce sens qu'aux termes de l'article 39 de la convention, la partie qui a demandé et obtenu l'autorisation d'exécution peut, en vertu de cet article et pendant le délai y indique, faire procéder directement à des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l'exécution est demandée, sans être tenue d'obtenir une autorisation spécifique.

Sur le délai dans lequel les actes d'exécution des mesures conservatoires peuvent être accomplis

27 Par sa troisième question, la juridiction nationale demande s'il y a lieu d'appliquer aux mesures conservatoires visées par l'article 39 la règle, existant dans son droit national, selon laquelle les actes d'exécution d'une mesure conservatoire doivent être accomplis dans un délai péremptoire qui court à compter de la date à laquelle la partie intéressée a la possibilité de procéder à ces actes.

28 Conformément à l'opinion défendue par la Commission, il convient d'observer que la réponse à cette question peut être déduite du texte même de l'alinéa 1 de l'article 39. En effet, du moment que la convention dispose que, 'pendant le délai de recours prévu à l'article 36 et jusqu'à ce qu'il ait été statué sur celui-ci, il ne peut être procédé qu'à des mesures conservatoires', on ne saurait admettre que la possibilité de procéder aux mesures en question soit restreinte dans le temps par application des dispositions nationales prévoyant un délai plus court.

29 Il en résulte que de telles dispositions ne sont pas applicables aux cas couverts par l'article 39.

30 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la troisième question de la juridiction nationale en ce sens que la partie ayant obtenu l'exécution peut procéder aux mesures conservatoires visées par l'article 39 jusqu'à l'échéance du délai de recours prévu à l'article 36 et, si un tel recours est formé, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur celui-ci.

Sur la nécessité d'un jugement de validation des mesures conservatoires

31 Par la deuxième partie de sa première question, la juridiction nationale demande si la partie qui a procédé à des mesures conservatoires aux termes de l'article 39 doit obtenir, pour lesdites mesures, un jugement de validation tel que prévu par son droit procédural interne.

32 La Commission estime, à ce propos, que ni le libellé ni le but de l'article en question n'excluent que l'exigence d'un tel jugement de validation s'étende également aux mesures conservatoires prises en vertu de l'article 39. Selon la Commission, pour autant que ces mesures sont octroyées de façon automatique et sans contrôle préalable de la part de l'autorité judiciaire, une procédure de contrôle a posteriori, telle la procédure de validation prévue par le droit italien, constitue le seul moyen pour éviter le risque de mesures conservatoires inutiles ou vexatoires.

33 Il convient, à cet égard, de rappeler que les procédures de validation prévues par le droit de plusieurs états contractants ont pour objet de contrôler a posteriori le bien-fondé de la décision ayant autorisé les mesures conservatoires, compte tenu du caractère normalement sommaire de la procédure qui précède l'adoption de cette décision.

34 Un tel contrôle serait injustifié et même superflu dans le cas de mesures conservatoires prises en vertu de l'article 39. En effet, ces mesures sont accordées, non pas sur la base d'une procédure d'autorisation sommaire, mais sur la base de l'effet juridique que la convention confère à une décision intervenue dans un autre état contractant.

35 Il est à rappeler, à cet égard, que le seul moyen prévu par la convention pour contester la décision qui autorise l'exécution est le recours visé à l'article 36. Par conséquent, tout autre moyen prévu par le droit national du juge saisi, fut-il limité à la seule partie de la décision qui autorise implicitement les mesures conservatoires, reste exclu.

36 Quant à l'argument exposé par la Commission, selon lequel la procédure de contrôle a posteriori permettrait d'éliminer les éventuels irrégularités ou abus commis lors de la mise à exécution des mesures conservatoires en question, il convient d'observer que l'article 39 ne s'oppose pas à ce que la partie ayant subi l'exécution de ces mesures puisse agir en justice pour obtenir, à travers les procédures appropriées prévues par le droit national du juge saisi, une protection adéquate de ses droits qu'elle prétend avoir été lésés par les mesures en question.

37 Il y a, dès lors, lieu de répondre à la deuxième partie de la première question de la juridiction nationale en ce sens que la partie ayant procédé aux mesures conservatoires visées par l'article 39 de la convention ne doit pas obtenir, pour les mesures en question, un jugement de validation, tel que prévu par le droit national du juge saisi.

Sur les dépens

38 Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (quatrième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par la Corte suprema di Cassazione, par ordonnance du 9 novembre 1983, dit pour droit :

1) Aux termes de l'article 39 de la convention, la partie qui a demandé et obtenu l'autorisation d'exécution peut, pendant le délai indiqué dans cet article, faire procéder directement à des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l'exécution est demandée, sans être tenue d'obtenir une autorisation spécifique.

2) La partie ayant obtenu l'exécution peut procéder aux mesures conservatoires visées par l'article 39 jusqu'à l'échéance du délai de recours prévu à l'article 36 et, si un tel recours est formé, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur celui-ci.

3) La partie ayant procédé aux mesures conservatoires visées par l'article 39 de la convention ne doit pas obtenir, pour les mesures en question, un jugement de validation, tel que prévu par le droit national du juge saisi.