CJCE, 5e ch., 22 janvier 2002, n° C-447/00
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Holto Ltd
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Jann
Juges :
MM. Edward, La Pergola, Wathelet, Timmermans
Avocat général :
M. Alber
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par ordonnance du 27 novembre 2000, parvenue à la Cour le 4 décembre suivant, le Landesgericht Salzburg a posé, en vertu de l'article 234 CE, cinq questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 43 CE et 48 CE.
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une demande formée par la société de droit anglais Holto Ltd (ci-après "Holto"), tendant à l'inscription de sa succursale établie en Autriche au registre du commerce de cet État membre.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
3. Holto a été créée le 19 octobre 2000 sous la forme d'une "private limited company" conformément aux dispositions de la Companies Act 1985 (loi de 1985 sur les sociétés). Elle est inscrite au registre des sociétés d'Angleterre et du Pays de Galles sous le numéro 4093079. Dans l'acte constitutif, le siège statutaire ("registered office") est déclaré comme se trouvant à Southampton (Royaume-Uni). Son capital social s'élève à 100 GBP, divisé en 100 parts d'un montant unitaire de 1 GBP.
4. Au moment de sa constitution, Mme et M. Lohse, deux actionnaires résidant à Southampton, avaient respectivement la qualité de directeur et de secrétaire de Holto.
5. Le 20 octobre 2000, Mme et M. Lohse ont cédé leurs parts à M. Holzer et à Mme Tockner, domiciliés à Hallein (Autriche), qui ont par ailleurs été nommés directeurs de Holto. Il a été décidé que le secrétaire de cette dernière, M. Lohse, devait envoyer le formulaire 288 A, relatif à la désignation d'un directeur ou d'un secrétaire, à la "Companies House" à des fins d'enregistrement et que le siège statutaire de Holto serait: Mede House, Salisbury Street, Southampton SO 15 2TZ. Il a également été décidé que Holto serait dorénavant dirigée à partir de l'Autriche, où serait également tenue sa comptabilité.
6. En outre, le Landesgericht Salzburg précise que, Holto n'exerçant aucune activité au Royaume-Uni, une immatriculation à des fins fiscales dans cet État membre n'a pas été jugée nécessaire, ladite société devant être imposée en Autriche.
7. Par demande écrite du 30 octobre 2000, parvenue au Landesgericht Salzburg le 2 novembre 2000, M. Holzer et Mme Tockner ont sollicité l'inscription au registre du commerce autrichien de Holto ainsi que de sa succursale autrichienne, établie à Hallein.
8. Le Landesgericht Salzburg se demande si, eu égard à ces circonstances de fait, l'inscription sollicitée relève de la liberté d'établissement à titre secondaire, garantie par l'article 43, premier alinéa, seconde phrase, CE, ou de la liberté d'établissement à titre principal, garantie par l'article 43, premier alinéa, première phrase, CE.
9. Dans l'hypothèse où l'une des libertés d'établissement garanties par l'article 43 CE serait applicable, il se demande si les dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement s'opposent à des règles nationales selon lesquelles, en application de la théorie dite "du siège", la capacité juridique d'une société est appréciée au regard du droit de l'État dans lequel celle-ci dispose du siège effectif de sa "principale administration", en sorte que la reconnaissance de la capacité juridique d'une société constituée conformément au droit dudit État est subordonnée à certaines conditions dans un État membre autre que celui dans lequel elle jouit d'une telle capacité.
10. Le Landesgericht Salzburg expose à cet égard que les règles autrichiennes pertinentes résultent du Bundesgesetz über das internationale Privatrecht (loi fédérale autrichienne relative au droit international privé, ci-après l'"IPRG"). Selon l'article 12 de l'IPRG, la capacité juridique d'une personne doit être appréciée au regard de son statut personnel, lequel, en application de l'article 10 de l'IPRG, est déterminé par "la loi de l'État dans lequel le sujet de droit dispose du siège effectif de son administration principale".
11. La juridiction de renvoi fait valoir que, sur le fondement de ces dispositions, les juridictions autrichiennes ont, jusqu'à un arrêt de l'Oberster Gerichtshof du 15 juillet 1999 (affaire 6 Ob 123-99 b), appliqué les dispositions du droit interne à des sociétés constituées en conformité avec la législation d'un autre État, mais disposant en Autriche du siège effectif de leur administration principale (théorie du siège). Selon cesdispositions, une société n'acquerrait le caractère de personne morale et la capacité juridique qu'à partir de son immatriculation au registre autrichien des sociétés. Il en résulterait qu'une société valablement constituée conformément à un droit étranger, mais disposant en Autriche du siège effectif de son administration principale, n'est pas reconnue par les juridictions autrichiennes comme une personne morale dotée de la capacité juridique et que l'inscription au registre du commerce lui est refusée pour ce motif tant qu'elle n'a pas satisfait à toutes les conditions de forme et de fond imposées pour la constitution des sociétés par le droit autrichien.
12. Toutefois, saisi d'une affaire dont les circonstances de fait étaient comparables à celles ayant donné lieu à l'arrêt du 9 mars 1999, Centros (C-212-97, Rec. p. I-1459), l'Oberster Gerichtshof a estimé qu'un renvoi préjudiciel à la Cour n'était pas nécessaire et a jugé que l'article 10 de l'IPRG n'était plus applicable aux situations intracommunautaires en raison de la primauté du droit communautaire (arrêt du 15 juillet 1999, précité). Selon cette juridiction, il conviendrait par conséquent, s'agissant de la création d'une succursale en Autriche, d'apprécier la capacité juridique d'une personne morale constituée conformément au droit d'un autre État membre selon le droit de l'État dans lequel la personne morale a été constituée, dans la mesure où son siège statutaire ou son administration principale, ou encore son principal établissement, se trouvent dans un État membre.
13. Or, le Landesgericht Salzburg considère que, dans l'arrêt Centros, précité, la Cour ne s'est pas prononcée sur l'applicabilité de la théorie du siège ni, plus généralement, sur l'appréciation de la capacité juridique de sociétés dans la Communauté au regard de règles de conflit. Selon lui, l'affaire ayant donné lieu audit arrêt Centros concernant deux État membres appliquant la théorie dite "de la constitution", le problème de la non-reconnaissance de la capacité juridique du fait de règles nationales de conflit ne se posait pas.
14. En revanche, selon la juridiction nationale, les considérations émises par la Cour aux points 19 à 21 de l'arrêt du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust (81-87, Rec. p. 5483), semblent présenter une certaine pertinence aux fins de la présente affaire, dans la mesure où il pourrait être déduit de cet arrêt qu'est conforme au droit communautaire la règle de droit international privé d'un État membre qui, par un rattachement au siège effectif de l'administration principale, refuserait, sous certaines conditions, de reconnaître comme personne morale dotée de la capacité juridique une société valablement constituée conformément au droit d'un autre État membre. Toutefois, pour le Landesgericht Salzburg, ces indications ne sont pas directement transposables à l'affaire dont il est saisi.
15. La juridiction de renvoi juge nécessaire, pour rendre sa décision, d'interroger la Cour afin qu'elle dise si les articles 43 CE et 48 CE s'opposent à des dispositions nationales telles que celles résultant de la théorie du siège, la jurisprudence de la Cour, en particulier les arrêts précités Daily Mail and General Trust et Centros, ne permettant pas de répondre à cette question. Dans ces conditions, le Landesgericht Salzburg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) L'article 43, premier alinéa, seconde phrase, CE doit-il être interprété en ce sens qu'une succursale peut exister alors même qu'une société au sens de l'article 48 CE ne dispose à aucun autre endroit d'un principal établissement dans lequel elle exercerait au moins une partie substantielle de son activité?
En cas de réponse affirmative à cette question:
2) L'article 43, paragraphe 1, seconde phrase, CE doit-il être interprété en ce sens que l'exigence d'établissement est remplie dès lors qu'une société ne dispose que de son siège statutaire dans l'État membre dans lequel elle a été valablement constituée, mais qu'elle n'y exerce aucune activité.
En cas de réponse affirmative à cette question:
3) La création d'une succursale autrichienne d'une société constituée conformément au droit anglais, qui ne dispose que d'un siège statutaire en Angleterre, sans y exercer d'activité, figure-t-elle au nombre des droits garantis par les articles 43, premier alinéa, seconde phrase, et 48 CE?
En cas de réponse négative à l'une des questions sous 1), 2) ou 3):
4) La création d'une succursale autrichienne et son immatriculation au registre autrichien des sociétés (registre du commerce), par une société constituée conformément au droit anglais, qui ne dispose que d'un siège statutaire en Angleterre, sans y exercer d'activité, figurent-elles au nombre des droits garantis par les articles 43, premier alinéa, première phrase, et 48 CE?
En cas de réponse affirmative à la question sous 3) ou sous 4):
5) Les articles 43 et 48 CE font-ils obstacle à l'application d'une règle de conflit nationale qui apprécie la capacité juridique d'une société au regard du droit de l'État dans lequel la société a le siège effectif de sa principale administration (théorie du siège), alors même que la reconnaissance comme personne morale et, en conséquence, l'immatriculation au registre des sociétés (registre du commerce) est ainsi refusée à une société constituée conformément au droit anglais, qui ne dispose que d'un siège statutaire en Angleterre, sans y exercer d'activité?"
Sur la compétence de la Cour
16. Aux termes de l'article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure, lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d'une requête ou lorsque celle-ci est manifestement irrecevable, la Cour, l'avocat général entendu, peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d'ordonnance motivée.
17. Selon une jurisprudence constante, il résulte de l'article 234 CE que les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel (ordonnances du 5 mars 1986, Greis Unterweger, 318-85, Rec. p. 955, point 4, et du 10 juillet 2001, HSB-Wohnbau, C-86-00, non encore publiée au Recueil, point 11; arrêts du 19 octobre 1995, Job Centre, dit "Job Centre I", C-111-94, Rec. p. I-3361, point 9; du 12 novembre 1998, Victoria Film, C-134-97, Rec. p. I-7023, point 14, et du 14 juin 2001, Salzmann, C-178-99, Rec. p. I-4421, point 14).
18. Dans l'arrêt Job Centre I, précité, le renvoi préjudiciel émanait du Tribunale civile e penale di Milano (Italie) et concernait une demande d'homologation des statuts d'une société, laquelle est examinée, en Italie, dans le cadre d'une procédure de "giurisdizione volontaria". Au point 11 de cet arrêt, la Cour a jugé qu'elle était incompétente pour connaître du renvoi au motif que le Tribunale civile e penale, lorsqu'il statue selon les dispositions nationales applicables et dans le cadre d'une procédure de "giurisdizione volontaria" sur une demande d'homologation des statuts d'une société aux fins de l'inscription de celle-ci au registre, exerce une fonction non juridictionnelle qui, dans d'autres États membres, est confiée à des autorités administratives. Elle a, en effet, considéré que ce juge faisait acte d'autorité administrative sans être en même temps appelé à trancher un litige.
19. Au même point 11 dudit arrêt, la Cour a encore précisé que ce n'est qu'au cas où la personne habilitée par la loi nationale à demander l'homologation introduit un recours à l'encontre d'un refus d'homologation et, par conséquent, d'enregistrement, que la juridiction saisie peut être considérée comme exerçant, au sens de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une fonction de nature juridictionnelle ayant pour objet l'annulation d'un acte lésant un droit du demandeur.
20. Dans la présente affaire, il ressort de l'ordonnance de renvoi que le Landesgericht Salzburg a saisi la Cour à titre préjudiciel en sa qualité d'autorité chargée de la tenue du registre du commerce et dans le cadre d'une affaire relative à une inscription audit registre. Rien dans le dossier n'indique qu'un litige soit pendant devant ladite juridiction nationale entre Holto et une éventuelle partie défenderesse.
21. En outre, il ne ressort nullement du dossier soumis à la Cour que la situation de Holto ait, avant la saisine de la Cour par le Landesgericht Salzburg, donné lieu à une décision à l'encontre de laquelle un recours aurait été formé devant cette juridiction. Celle-ci est donc la première autorité à connaître de la demande d'inscription au registre du commerce de la succursale de Holto en Autriche.
22. Il en résulte que, dans l'affaire au principal, le Landesgericht Salzburg, qui a saisi la Cour afin de savoir si la décision qu'il doit prendre en application du droit autrichienest ou non conforme au droit communautaire, agit dans l'exercice d'une fonction non juridictionnelle.
23. Il y a lieu dès lors de faire application de l'article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure et de constater que la Cour est manifestement incompétente pour statuer sur les questions posées par le Landesgericht Salzburg.
Sur les dépens
24. Les frais exposés par les Gouvernements allemand, italien, néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission et l'Autorité de surveillance AELE, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
Ordonne:
La Cour de justice des Communautés européennes est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par le Landesgericht Salzburg dans son ordonnance du 27 novembre 2000.