Livv
Décisions

CJCE, 4e ch., 16 février 1995, n° C-29/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Procédures pénales contre Jean-Louis Aubertin, Bernard Collignon, Guy Creusot, Isabelle Diblanc, Gilles Josse, Jacqueline Martin et Claudie Normand

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Kapteyn

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Kakouris, Murray

CJCE n° C-29/94

16 février 1995

LA COUR (quatrième chambre),

1 Par sept jugements du 4 octobre 1993, parvenus à la Cour le 26 janvier 1994, le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières (France), statuant en matière correctionnelle, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de la directive 82-489-CEE du Conseil, du 19 juillet 1982, comportant des mesures destinées à faciliter l'exercice effectif du droit d'établissement et de libre prestation de services des coiffeurs (JO L 218, p. 24).

2 Cette question est soulevée dans le cadre des poursuites pénales engagées par le Ministère public, en vertu de l'article 5 de la loi nº 46-1173, du 23 mai 1946, portant réglementation des conditions d'accès à la profession de coiffeur (JORF du 24 mai 1946, p. 4539), à l'encontre de MM. Aubertin, Collignon, Creusot, Mme Diblanc, M. Josse, Mmes Martin et Normand, prévenus de nationalité française résidant en France, qui ont exploité sur le territoire français des salons de coiffure sans être titulaires du brevet professionnel de coiffure ou du brevet de maîtrise et sans la présence d'un gérant technique, ainsi que l'exige l'article 3 de ladite loi, aux termes duquel "la gestion d'un salon de coiffure donne lieu à gérance technique avec contrat enregistré lorsque le propriétaire dudit salon ne sera pas titulaire du brevet professionnel de coiffure ou du brevet de maîtrise".

3 Aux fins de la transposition de la directive 82-489, précitée, la loi nº 46-1173 a été modifiée par la loi n° 87-343, du 22 mai 1987, complétant la loi n° 46-1173 en ce qui concerne les ressortissants des États membres de la Communauté économique européenne (JORF du 23 mai 1987, p. 5650).

4 Cette dernière loi a inséré après l'article 3 de la loi nº 46-1173 un article 3-1 ainsi rédigé:

"Sont dispensés de la condition de diplôme prévue à l'article 3, les ressortissants des États membres de la Communauté économique européenne ayant exercé la profession de coiffeur dans un des États de la Communauté autre que la France, si cette activité répond aux conditions suivantes:

1 L'exercice de cette activité doit avoir été effectif et licite au regard des dispositions régissant l'activité de coiffeur dans l'État du lieu d'exercice.

2 Elle doit en outre avoir été exercée à titre indépendant ou comme dirigeant chargé de la gestion de l'entreprise pendant une période continue de six ans. Cette période est ramenée à trois ans si l'intéressé justifie devant les autorités françaises chargées d'en vérifier l'authenticité:

° soit qu'il a subi une formation préalable d'au moins trois ans sanctionnée par un diplôme reconnu par l'État ou un organisme professionnel compétent, selon les dispositions qui régissent l'accès à la profession dans l'État du lieu d'exercice;

° soit qu il a exercé la profession à titre salarié pendant cinq ans au moins.

..."

5 La circulaire n° 88010, du 27 juillet 1988, relative à l'application de la loi n° 87-343 du 22 mai 1987, précise que "les dispositions de la loi du 22 mai 1987 sont également applicables aux coiffeurs de nationalité française dès lors qu'ils en ont acquis les conditions dans un État membre de la CEE autre que la France".

6 Devant la juridiction nationale, les prévenus ont fait valoir que l'article 3 de la loi nº 46-1173, précitée, qui leur a été opposé, est contraire aux articles 52 et 59 du traité. Il créerait une discrimination à l'encontre des ressortissants français, puisque l'article 3-1 de la loi nº 87-343 permettrait aux coiffeurs ressortissants des autres États membres de la Communauté d'exploiter un salon de coiffure sans posséder le diplôme exigé des Français, et ce sans obligation de recruter un gérant technique titulaire d'un tel diplôme.

7 Le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières, considérant que l'issue des procédures pénales dépendait de l'interprétation de la directive 82-489, précitée, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"Les articles 3 et 3-1 de la loi du 23 mai 1946 n° 46-1173 engendrent-ils une discrimination entre les ressortissants de la CEE et les nationaux français au regard de la loi du 22 mai 1987 n° 87-343 prise en application de la directive communautaire du 19 juillet 1982 n 82-489?"

8 Cette question doit être comprise en ce sens que le juge national demande si le droit communautaire, en particulier la directive 82-489, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui, pour l'exploitation d'un salon de coiffure, exige des ressortissants de cet État membre la possession d'un diplôme, alors qu'elle permet aux coiffeurs ressortissants des autres États membres d'exploiter un salon de coiffure sans être titulaires d'un tel diplôme et sans être tenus de confier son exploitation à un gérant technique titulaire de ce diplôme.

9 Selon une jurisprudence constante, les dispositions du traité en matière de libre circulation des personnes ne peuvent être appliquées aux activités dont tous les éléments se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre (voir, par exemple, arrêt du 28 janvier 1992, López Brea et Hidalgo Palacios, C-330-90 et C-331-90, Rec. p. I-323, point 7).

10 Or, il résulte des jugements de renvoi que les procédures pénales au principal concernent des ressortissants français qui exercent en France des activités de coiffeur et qui ne soutiennent pas avoir acquis dans un autre État membre les qualifications professionnelles requises pour l'exercice de ces activités.

11 Ces situations ne présentent dès lors aucun facteur de rattachement à l'une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire, de sorte que les règles du traité sur la liberté d'établissement ne sont pas applicables.

12 Quant à la directive 82-489, il résulte de ses quatrième et cinquième considérants qu'elle ne vise pas à harmoniser les conditions prévues par les réglementations nationales en vue de l'accès à la profession de coiffeur et de l'exercice de celle-ci.

13 Il y a donc lieu de répondre à la juridiction nationale que le droit communautaire, en particulier la directive 82-489, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui, pour l'exploitation d'un salon de coiffure, exige des ressortissants de cet État membre la possession d'un diplôme, alors qu'elle permet aux coiffeurs ressortissants des autres États membres d'exploiter un salon de coiffure sans être titulaires d'un tel diplôme et sans être tenus de confier son exploitation à un gérant technique titulaire de ce diplôme.

Sur les dépens

14 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes et le Gouvernement français, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (quatrième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières, par jugements du 4 octobre 1993, dit pour droit:

Le droit communautaire, en particulier la directive 82-489-CEE du Conseil, du 19 juillet 1982, comportant des mesures destinées à faciliter l'exercice effectif du droit d'établissement et de libre prestation de services des coiffeurs, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui, pour l'exploitation d'un salon de coiffure, exige des ressortissants de cet État membre la possession d'un diplôme, alors qu'elle permet aux coiffeurs ressortissants des autres États membres d'exploiter un salon de coiffure sans être titulaires d'un tel diplôme et sans être tenus de confier son exploitation à un gérant technique titulaire de ce diplôme.