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Décisions

CJCE, 29 juin 1994, n° C-288/92

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Custom Made Commercial Ltd

Défendeur :

Stawa Metallbau GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Moitinho de Almeida, Diez de Velasco

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Kakouris, Schockweiler, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn, Murray

Avocats :

Mes Fiumara, Krause-Ablass

CJCE n° C-288/92

29 juin 1994

LA COUR,

1 Par ordonnance du 26 mars 1992, parvenue à la Cour le 30 juin suivant, le Bundesgerichtshof (Allemagne) a posé en vertu du protocole du 3 juin 1971 concernant l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32, ci-après "convention"), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77), plusieurs questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 5, point 1, et 17, premier alinéa, de la convention.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la société Stawa Metallbau GmbH (ci-après "Stawa"), ayant son siège à Bielefeld (Allemagne) à la société Custom Made Commercial Ltd (ci-après "Custom Made"), ayant son siège à Londres, au sujet du paiement seulement partiel effectué par cette dernière en exécution d'un contrat de fourniture de fenêtres et de portes que Stawa devait fabriquer.

3 Il résulte de l'ordonnance de renvoi que le 6 mai 1988, à Londres, à la suite des négociations menées en langue anglaise, Stawa s'était engagée verbalement à livrer les marchandises à Custom Made. Les marchandises étaient destinées à un complexe immobilier situé à Londres. Le contrat, le premier conclu entre les parties, stipulait que le paiement serait effectué en livres sterling anglaises.

4 Stawa a confirmé la conclusion du contrat au moyen d'une lettre du 9 mai 1988 rédigée en anglais, à laquelle elle avait annexé pour la première fois ses conditions générales de vente rédigées en allemand. L'article 8 de ces conditions générales indiquait que pour tout litige entre les parties, le lieu d'exécution et la juridiction compétente se trouveraient à Bielefeld. Custom Made n'a soulevé aucune objection concernant ces conditions générales.

5 Custom Made n'ayant effectué qu'un paiement partiel, Stawa a introduit une action en paiement du solde auprès du Landgericht Bielefeld. Cette juridiction a rendu le 13 décembre 1989 un jugement par défaut condamnant Custom Made à verser à Stawa la somme de 144 742, 08 UKL, avec intérêts.

6 Custom Made a formé opposition à ce jugement en soulevant, notamment, l'incompétence internationale des juridictions allemandes. Le Landgericht Bielefeld a rendu le 9 mai 1990 un jugement avant dire droit déclarant la demande de Stawa recevable.

7 Custom Made a introduit un recours contre ce jugement devant l'Oberlandesgericht Hamm et a de nouveau invoqué l'incompétence internationale des juridictions allemandes.

8 L'Oberlandesgericht a rejeté ce recours par décision du 8 mars 1991, en fondant la compétence internationale des juridictions allemandes sur l'article 5, point 1, de la convention, en combinaison avec l'article 59, paragraphe 1, premier membre de phrase, de la loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels, annexée à la convention de La Haye du 1er juillet 1964 (834, Rec. des traités des Nations unies, 1972, p. 107 et suiv.), lequel prévoit que l'acheteur doit payer le prix au vendeur à son établissement ou, à défaut, à sa résidence habituelle.

9 Custom Made contestant la décision de l'Oberlandesgericht, a introduit un pourvoi en cassation devant le Bundesgerichtshof.

10 Considérant que le litige soulevait des problèmes d'interprétation de la convention, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

"1) a) Lorsqu'il s'agit d'une demande en paiement de la rétribution formée au titre d'un contrat d'entreprise par un fournisseur à l'encontre d'un client, que ce contrat est soumis, d'après les règles de conflit de la juridiction saisie, au droit uniforme de la vente et qu'en conséquence le lieu d'exécution de l'obligation de paiement de la rétribution est le lieu d'établissement du fournisseur demandeur à l'action, le lieu d'exécution au sens de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles sur la compétence judiciaire doit-il être déterminé conformément au droit matériel qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie?

b) En cas de réponse négative de la Cour de justice à la question nº 1, point a):

Comment, dans un tel cas, le lieu d'exécution au sens de l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles sur la compétence judiciaire doit-il être déterminé?

2) Au cas où il résulterait des réponses données aux questions nº 1, point a), et nº 1, point b), que la compétence internationale des juridictions allemandes ne pourrait se fonder sur l'article 5, point 1, de la convention de Bruxelles sur la compétence judiciaire:

a) Une convention attributive de juridiction peut-elle avoir été valablement conclue au sens de l'article 17, premier alinéa, deuxième phrase, troisième branche de l'alternative, de la convention de Bruxelles sur la compétence judiciaire, lorsqu'un fournisseur, après la conclusion verbale du contrat, a confirmé par écrit à son client cette conclusion et que, pour la première fois, il a joint à cette lettre de confirmation ses conditions générales de vente contenant une clause attributive de juridiction, que le client n'a pas élevé d'objections contre cette clause, qu'au lieu du siège du client il n'existe aucun usage selon lequel le silence faisant suite à une telle lettre devrait être considéré comme une acceptation de la clause attributive de juridiction, qu'un tel usage est également inconnu du client et qu'il s'agit du premier contact professionnel entre les parties?

b) En cas de réponse affirmative de la Cour de justice à la question nº 2, point a):

Cette réponse est-elle également valable lorsque les conditions générales de vente contenant la clause attributive de juridiction sont rédigées dans une langue inconnue du client et différente de celle des négociations et du contrat, et lorsque, dans la lettre de confirmation rédigée dans la langue des négociations et du contrat, il est fait référence de manière globale aux conditions générales de vente jointes, mais pas de manière spécifique à la clause attributive de juridiction?

3) En cas de réponse affirmative de la Cour de justice aux questions nº 2, point a), et nº 2, point b):

Dans le cas d'une clause attributive de juridiction contenue dans des conditions générales de vente et satisfaisant aux conditions de validité d'une telle clause posées par l'article 17 de la convention de Bruxelles sur la compétence judiciaire, cet article interdit-il en outre de vérifier, sur la base du droit matériel national applicable en vertu des règles de conflit de la juridiction saisie, si la clause attributive de juridiction a été valablement comprise dans l'accord des parties?"

Sur la première question, sous a)

11 Par cette question, éclairée à la lumière des motifs de l'ordonnance de renvoi, la juridiction nationale demande si l'article 5, point 1, de la convention doit être interprété en ce sens que, en cas de demande en paiement dirigée par le fournisseur contre son client au titre d'un contrat d'entreprise, le lieu d'exécution de l'obligation de payer doit être déterminé conformément au droit matériel régissant l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie, même lorsque ces règles renvoient à l'application au contrat de dispositions comme celles de la loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels, annexée à la convention de La Haye du 1er juillet 1964.

12 La convention édicte dans son article 2 la règle générale selon laquelle la compétence du juge est fondée sur le lieu du domicile du défendeur, mais son article 5 attribue également compétence à d'autres juridictions, dont le choix dépend d'une option du demandeur. Cette liberté d'option a été introduite en considération de l'existence, dans certaines hypothèses bien déterminées, d'un lien de rattachement particulièrement étroit entre une contestation et la juridiction qui peut être appelée à en connaître, en vue de l'organisation utile du procès (voir arrêt du 6 octobre 1976, Tessili, 12-76, Rec. p. 1473, point 13). Toutefois, l'article 5 n'institue pas comme critère de l'option du for compétent le lien de rattachement lui-même. Le demandeur ne dispose pas de la possibilité d'attraire le défendeur devant toute juridiction qui a un lien de rattachement avec la contestation, l'article 5 énumérant limitativement les critères de rattachement d'une contestation à une juridiction déterminée.

13 L'article 5, point 1, prévoit en particulier que le défendeur peut, en matière contractuelle, être attrait devant le tribunal du lieu "où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée". Ce lieu constitue normalement le lien de rattachement le plus étroit entre la contestation et la juridiction compétente et a motivé ce for en matière contractuelle (voir arrêt du 15 janvier 1987, Shenavai, 266-85, Rec. p. 239, point 18).

14 Si le lien de rattachement est la raison ayant conduit à l'adoption de l'article 5, point 1, de la convention, le critère retenu par cette disposition n'est pas le lien de rattachement avec le for saisi, mais le seul lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à l'action judiciaire.

15 Le lieu d'exécution de l'obligation a été choisi comme critère de compétence parce que, précis et clair, il s'intègre dans l'objectif général de la convention, qui consiste à instaurer des règles garantissant une certitude quant à la répartition des compétences entre les différentes juridictions nationales susceptibles d'être saisies d'un litige en matière contractuelle.

16 Il est vrai qu'il a été soutenu que le critère du lieu d'exécution de l'obligation qui sert concrètement de base à l'action du demandeur, critère expressément retenu par l'article 5, point 1, de la convention, peut aboutir dans certains cas à attribuer compétence à un tribunal n'ayant aucun lien de rattachement avec la contestation et que, dans un tel cas, il y a lieu de s'écarter du critère formellement prévu, parce que le résultat obtenu serait contraire à l'objectif de l'article 5, point 1, de la convention.

17 Ce dernier argument ne peut cependant être retenu.

18 En effet, l'utilisation d'autres critères que le lieu d'exécution, lorsque celui-ci attribue compétence à un for sans connexité avec l'affaire, pourrait compromettre la prévisibilité du for compétent et serait ainsi incompatible avec l'objectif de la convention.

19 Retenir comme seul critère de compétence l'existence d'un lien de rattachement entre les faits objet du litige et une juridiction déterminée aurait pour résultat de contraindre le juge saisi, en vue de vérifier si ce lien existe, à prendre en considération d'autres éléments, en particulier les moyens invoqués par le défendeur, et aboutirait ainsi à vider de son contenu l'article 5, point 1.

20 Un tel examen serait, en outre, contraire aux finalités et à l'esprit de la convention qui exige une interprétation de son article 5 permettant au juge national de se prononcer sur sa propre compétence sans être contraint de procéder à un examen de l'affaire au fond (voir arrêt du 22 mars 1983, Peters, 34-82, Rec. p. 987, point 17).

21 Il résulte de ce qui précède qu'au sens de l'article 5, point 1, le défendeur peut, en matière contractuelle, être attrait devant le tribunal du lieu où l'obligation servant de base à la demande a été ou doit être exécutée, même dans des cas où le for ainsi désigné n'est pas celui qui a le lien de rattachement le plus étroit avec la contestation.

22 Il y a donc lieu d'identifier l'"obligation" visée à l'article 5, point 1, de la convention, et de déterminer son "lieu d'exécution".

23 La Cour a précisé que l'obligation ne saurait être n'importe quelle obligation découlant du contrat en cause, mais celle correspondant au droit contractuel sur lequel se fonde l'action du demandeur (voir arrêt du 6 octobre 1976, De Bloos, 14-76, Rec. p. 1497, points 10 et 13).

24 Après avoir admis une exception pour les contrats de travail, qui présentent certaines spécificités (voir, notamment, arrêt du 26 mai 1982, Ivenel, 133-81, Rec. p. 1891), la Cour a confirmé dans son arrêt Shenavai, précité, point 20, que l'obligation visée à l'article 5, point 1, de la convention est l'obligation contractuelle qui sert concrètement de base à l'action judiciaire.

25 Cette interprétation a été confortée lors de la conclusion de la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du Royaume d'Espagne et de la République portugaise à la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO L 285, p. 1). A cette occasion, la règle édictée par l'article 5, point 1, de la convention a, en effet, été maintenue dans les mêmes termes et complétée par une exception unique relative aux contrats de travail, exception déjà admise par voie d'interprétation par la jurisprudence précitée de la Cour.

26 Quant au "lieu d'exécution", la Cour a dit qu'il revient au juge saisi d'établir, en vertu de la convention, si le lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée, est localisé dans le domaine de sa compétence territoriale et qu'à cet effet il doit déterminer, en vertu de ses propres règles de conflit, quelle est la loi applicable au rapport juridique en cause et définir, conformément à cette loi, le lieu d'exécution de l'obligation contractuelle litigieuse (voir arrêt Tessili, précité, point 13, rappelé dans l'arrêt Shevanai, précité, point 7).

27 Cette interprétation doit également être retenue dans le cas où les règles de conflit du for saisi renvoient à l'application, au rapport contractuel, d'une "loi uniforme" telle que celle en cause en l'espèce au principal.

28 Cette interprétation n'est pas remise en cause par une disposition comme celle de l'article 59, paragraphe 1, de la loi uniforme, en application de laquelle le lieu d'exécution de l'obligation de l'acheteur de payer le prix au vendeur est celui de son établissement ou, à défaut, de sa résidence habituelle, sous la seule réserve que les parties au contrat n'aient pas stipulé un autre lieu d'exécution de cette obligation, en vertu de l'article 3 de la même loi.

29 Il résulte de l'ensemble des considérations précédentes que l'article 5, point 1, de la convention doit être interprété en ce sens que, en cas de demande en paiement dirigée par le fournisseur contre son client au titre d'un contrat d'entreprise, le lieu d'exécution de l'obligation de payer la rétribution doit être déterminé conformément au droit matériel régissant l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie, même lorsque ces règles renvoient à l'application au contrat de dispositions comme celles de la loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels, annexée à la convention de La Haye du 1er juillet 1964.

30 Eu égard à la réponse donnée à la première question, sous a), les autres questions posées par la juridiction de renvoi ne nécessitent pas de réponse.

Sur les dépens

31 Les frais exposés par les Gouvernements allemand et italien ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur une question à elle soumise par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 26 mars 1992, dit pour droit:

L'article 5, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, doit être interprété en ce sens que, en cas de demande en paiement dirigée par le fournisseur contre son client au titre d'un contrat d'entreprise, le lieu d'exécution de l'obligation de payer la rétribution doit être déterminé conformément au droit matériel régissant l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie, même lorsque ces règles renvoient à l'application au contrat de dispositions comme celles de la loi uniforme sur la vente internationale des objets mobiliers corporels, annexée à la convention de La Haye du 1er juillet 1964.