Livv
Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 2, 24 octobre 2006, n° 04-07475

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Renault France Automobiles Nord (SAS)

Défendeur :

Vilcot (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Goselin

Conseillers :

Mmes Laplane, Degouys

Avoués :

SCP Deleforge Franchi, Selarl Eric Laforce

Avocats :

Mes Henry (SCP Vogel & Vogel), Cockenpot, Lensel

TGI Valenciennes, du 28 oct. 2004

28 octobre 2004

Par jugement rendu le 28 octobre 2004, le Tribunal de grande instance de Valenciennes a:

- déclaré la société Renault France Automobile Nord responsable sur le fondement des articles L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce, des préjudices causés aux consorts Vilcot en qualité d'anciens associés de la société JPV par un abus d'état de dépendance économique,

- condamné la société Renault France Automobile Nord à payer aux consorts Vilcot:

* la somme de 121 959 euro en réparation du préjudice économique,

* la somme de 15 000 euro à titre d'indemnisation du préjudice moral,

* la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par déclaration du 24 novembre 2004, la société RFA Nord a fait appel de cette décision;

Par conclusions déposées le 7 février 2006, la société RFA Nord " Renault France Automobile Nord " SAS:

- sollicite l'infirmation du jugement déféré,

- sollicite le rejet des demandes formées par les consorts Vilcot,

- subsidiairement demande qu'il soit dit que les consorts Vilcot ne rapportent pas la preuve du préjudice qu'ils allèguent, et, en tout état de cause que celui dont ils excipent n'est pas recevable,

- très subsidiairement, dans l'hypothèse où par impossible la cour d'appel prononcerait une quelconque condamnation à son encontre, elle réclame que soit ordonnée la compensation de la somme mise à sa charge avec la somme restant due par les consorts Vilcot à la société RFA Nord au titre de la garantie du passif, soit 65 400,63 euro;

Enfin elle sollicite la condamnation solidaire des consorts Vilcot au paiement de la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 9 février 2006, les consorts Vilcot, vu les articles L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce, réclament la confirmation du jugement déféré;

A titre principal, ils réclament la condamnation de la société RFA Nord, sur le fondement de l'abus de dépendance économique, au paiement de la somme de 121 959 euro pour la réparation de leur préjudice économique, de la somme de 15 000 euro pour la réparation de leur préjudice moral, étant précisé qu'ils se répartiront le montant de la condamnation à proportion de leurs engagements dans la société JPV Automobiles;

Vu les articles 1134 et 1382 du Code civil, ils sollicitent, subsidiairement, la condamnation de la société RFA, sur le fondement de manque de loyauté contractuelle, au paiement des sommes reprises ci-dessus, avec répartition entre eux du montant de ces condamnations à proportion de leurs engagements dans la société JPV Automobiles;

Enfin en toutes hypothèses, ils réclament la condamnation de la société Renault France Automobiles au paiement, sous les mêmes conditions de répartition, de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SARL JPV dont le siège social était fixé à Denain a passé avec la société Renault France Automobiles puis avec la société RFA Nord un contrat d'agent agréé ; ensuite le 2 novembre 2000, la SARL JPV devenait agent Major Renault ; le 8 février 2001, la société RFA Nord rachetait aux associés de la société JPV, les consorts Vilcot, leurs parts sociales pour un franc; et les consorts Vilcot lui accordaient une garantie de passif;

Les consorts Vilcot sollicitent la réparation du préjudice constitué par la perte de valeur de leurs parts sociales et la mise en jeu de la garantie de passif par la société RFA Nord;

Ils estiment que ce préjudice résulte d'un abus de position dominante pratiquée par la société RFA;

La victime de telle pratique peut exercer une action fondée sur l'article 1382 du Code civil, la faute apparaissant du seul fait de la violation de l'article L. 420-2 du Code de commerce;

En conséquence les consorts Vilcot sont recevables à exercer leur action autonome;

Les consorts Vilcot reprochent à la société RFA Nord une exploitation abusive de l'état de dépendance économique dans lequel se trouvait la société JPV, visée à l'alinéa 2 de l'article susvisé;

Toutefois l'abus de l'état de dépendance économique n'est pas sanctionné en lui-même, indépendamment de ses effets sur la concurrence;

Cet abus doit constituer une entrave à la concurrence sur un marché;

Les consorts Vilcot, à qui en incombe la charge, ne rapportent pas la preuve d'une telle entrave;

Ils doivent donc être déboutés de leur demande de ce chef;

D'autre part les consorts Vilcot fondent leur action eu dommages-intérêts sur l'existence de pratiques restrictives de concurrence au visa de l'article L. 442-6 2e b) du Code de commerce;

Cet article ouvre l'action à toute personne justifiant d'un intérêt;

Les consorts Vilcot estiment que leur préjudice dont la teneur est reprise ci-dessus est la conséquence d'un abus de dépendance; ils justifient donc d'un intérêt et leur action doit être déclarée recevable;

La société JPV rachetait à la société SDAN par acte du 30 novembre 1997 son fonds de commerce de négoce de véhicules, commerce automobile;

Elle passait avec la société RFA un contrat de vendeur agréé, qui précisait qu'il se substituait à tout contrat de vendeur agréé Renault ayant été signé antérieurement par les parties, pour se conformer au règlement (CE) n° 1475-95 du 28 juin 1995;

Ce contrat interdisait à la société JPV d'appartenir à plusieurs réseaux puisqu'il exigeait que la vente des véhicules neufs d'une autre marque soit faite sous la forme d'une entité juridique distincte et dans des locaux séparés;

Par contre il y était stipulé que le vendeur agréé pouvait commercialiser en toute indépendance les véhicules d'occasion de toutes marques;

Les consorts Vilcot affirment que l'essentiel du chiffre d'affaires était assuré par la vente des véhicules neufs Renault;

Toutefois ils ne le démontrent pas;

En conséquence ils n'établissent pas que la société JPV se trouvait dans une situation de dépendance vis-à-vis de la société RFA Nord;

Les consorts Vilcot soutiennent d'autre part que la société RFA lui a imposé des conditions commerciales ou obligations injustifiées;

Si la société SDAN était concessionnaire, la société JPV avait le statut de vendeur agréé;

Cette modification s'inscrit dans le cadre d'une politique menée par Renault, comme d'autres constructeurs automobiles, tendant à restructurer son réseau de distributeurs en diminuant le nombre de concessions;

Les consorts Vilcot se contentent d'affirmer que le changement de statut ne pouvait permettre à la société JPV de survivre;

Il ne sauraient le démontrer en se livrant à une simple comparaison des chiffres d'affaires et bénéfices réalisés par la société SDAN et ceux réalisés par la société JPV et en soutenant que l'amputation du chiffre d'affaires effectué par JPV a joué sur la marge commerciale, alors que les charges d'exploitation demeuraient les mêmes;

En effet tout d'abord les charges d'exploitation de la société SDAN demeurent inconnues ; en conséquence les consorts Vilcot ne peuvent justifier du bien fondé de leur raisonnement;

Ensuite l'audit établi enfin d'année 2000 à la demande de la société RFA Nord a montré une présentation erronée des comptes 1999 avec une absence de provision pour dépréciation des stocks et créances clients ainsi qu'une majoration des aides à recevoir ; il révélait également l'absence de tout élément de gestion, le retard dans la mise à jour de la comptabilité;

Il concluait que cette situation ne pouvait permettre à Monsieur Vilcot de mettre en place les mesures nécessaires au redressement de l'activité;

Ainsi il n'est pas établi que la baisse d'activité de la société JPV par rapport à la société SDAN soit imputable à sa condition de vendeur agréé et non à des problèmes de gestion, ou encore à la structure même de l'entreprise;

De même les consorts Vilcot soutiennent que la société JPV va perdre une prime à l'immatriculation, sans établir ce fait;

D'autre part les consorts Vilcot versent aux débats des attestations de deux anciens salariés;

L'un, Monsieur Tournon, indique qu'en 1999, il constatait que la société RFA livrait moins de pièces détachées à la société JPV, qu'il y avait moins de véhicules neufs et d'occasion dans le hall d'exposition, ceux-ci n'était plus mis à disposition de SPV;

Monsieur Sénéchal, dans une première attestation du 26 janvier 2004, rapportait que sur les années 2000-2001 l'activité de JPV se réduisait, du fait de l'absence de mise en dépôt de véhicules neufs et d'occasion dans le hall d'exposition, des difficultés de livraison de pièces détachées;

Il rédigeait une seconde attestation le 16 juin 2005 où il reprenait les mêmes constatations mais en les situant à partir de 1999;

Le fait que ces témoignages aient été établis en 2004/2005 et donc pour les besoins de la cause, que Monsieur Sénéchal ait rectifié son premier témoignage, l'imprécision de ces attestations, l'absence d'autre élément de preuve enlève toute valeur probante à ces attestations;

Surtout la comparaison des chiffres d'affaires réalisés en 1998/1999 montre qu'ils ont été équivalents, alors que Monsieur Sénéchal et Monsieur Tournon ne font état en 1998 d'aucune difficulté semblable à celles évoquées pour les années 1999 et suivantes;

D'autre part en mars 2000 il était révélé que la trésorerie de JPV était dans un "piteux état", avec 2 millions de francs de créances, des retards dans les règlements de véhicules neufs et des achats de pièces très en dessous de la normale;

Ainsi il n'est pas établi que la baisse de véhicules neufs en dépôt dans les locaux de la société JPV soit due à la volonté délibérée de la société RFA Nord d'étrangler la société JPV en ne lui livrant plus de véhicules;

De même il ne saurait être tiré aucune conclusion négative sur le comportement de la société RFA Nord d'un courrier de celle-ci en date du 11 juillet 2000 par lequel elle reconnaît certes des retards dans la livraison des pièces de rechange mais qui apparaissent ponctuels, ni du tract de l'amicale des vendeurs agréés Renault aux termes généraux et imprécis;

Face aux difficultés qui se confirmaient : traites de mai, juin et août impayées, impayés d'un montant global de 542 206,61 F au 20 septembre 2000 puis de 934 092 F au 31 octobre 2000, encours total au 29 juin 2000 de 1 027 367 F, la société RFA Nord revoyait les facilités de caisse accordées à JPV et la repassait au comptant (cf. courrier du 20 septembre 2000 de RFA Nord) et pour pallier ses problèmes de trésorerie, Monsieur Vilcot, par courrier du 18 septembre 2000, demandait une modification de son contrat d'agent agréé en agent major;

Ainsi il n'avait plus d'avances de trésorerie à faire puisqu'il n'avait plus qu'un rôle d'intermédiaire dans la vente des véhicules neufs et n'achetait donc pas de véhicules neufs;

Il apparaît donc que les mesures prises par la société RFA Nord courant 2000 étaient justifiées par la dégradation de la situation de la société JPV.

En conséquence les conditions d'application des dispositions de l'article 442-6 2e b) ne sont pas réunies en l'espèce;

Par ailleurs il résulte de l'ensemble de ces développements qu'il n'est pas établi que les mesures appliquées par la société RFA Nord à la société JPV tant initialement qu'au cours de son activité constituent des manœuvres déloyales utilisées pour racheter la société JPV à vil prix;

Il s'ensuit que les époux Vilcot doivent être déboutés de leur demande de dommages-intérêts;

Le jugement déféré sera donc infirmé;

Eu égard aux circonstances de la cause, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société RFA Nord ses frais irrépétibles;

Par ces motifs, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Déboute Messieurs Jean-Pierre Vilcot, Paul Vilcot, Madame Chantal Vilcot née Villeval, Mesdemoiselles Catherine Vilcot, Carole Vilcot de toutes leurs demandes, Déboute la SAS RFA Nord de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne in solidum Messieurs Jean-Pierre Vilcot, Paul Vilcot, Madame Chantai Vilcot, Mesdemoiselles Catherine Vilcot et Carole Vilcot aux dépens d'instance et d'appel avec distraction au profit de la SCP Deleforge Franchi, avoués associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.