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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 4 avril 1996, n° 1411-94

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Automobiles Citroën (SA)

Défendeur :

Winterthur (SA), Tiercin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mmes Laporte, Rousset

Avoués :

SCP Lissarrague & Dupuis, SCP Lefevre & Tardy

Avocats :

Mes Turbeau du Cote, Morel

TGI Nanterre, 6e ch., du 7 sept. 1993

7 septembre 1993

Faits et procédure:

Par acte sous seing privé en date du 5 décembre 1989, Madame Tiercin a acquis au Sénégal, auprès de la société La Sénégalaise de l'Automobile, un véhicule Citroën BX 19 GTI modèle 1990.

Ce véhicule a été mis en circulation le 26 décembre 1989, sous le n° 426 TTC 75 et livré à l'aéroport de Roissy le 30 décembre 1989.

Le 29 mars 1990, Madame Tiercin a fait effectuer la révision du véhicule.

Le 6 juillet 1990, les vitres du véhicule ont été tatouées et une alarme de type Cobra a été installée.

Le 22 septembre 1990, Madame Tiercin a effectué un plein d'essence et quelques minutes plus tard, alors qu'elle circulait sur une route nationale, le véhicule a pris feu.

Par ordonnance de référé en date du 14 février 1992, Monsieur Bellouard a été désigné en qualité d'expert à la demande de Madame Tiercin et de son assureur, la Compagnie Winterthur.

L'expert a déposé son rapport le 22 juillet 1992, concluant que :

- "le véhicule pratiquement neuf n'a jamais fait l'objet de déclaration d'accident",

- "seuls les représentants du réseau Citroën ont travaillé sur le véhicule",

- "la cause de l'incendie ne pourrait, en aucun cas, provenir d'un fait extérieur",

- "nous sommes en mesure d'affirmer que le foyer a pris naissance dans le compartiment moteur côté gauche pour se propager par la suite dans l'habitacle",

- "Il nous est difficile, voir impossible, malgré nos investigations auprès des différents représentants de la marque, d'émettre une affirmation quant à l'origine du début d'incendie"

- "Nous émettons la possibilité d'une fuite de l'alimentation en carburant du système d'injection au niveau du distributeur",

- "cette hypothèse nous a été confirmée par le représentant Citroën sur les véhicules approchant les 100 000 kilomètres alors que la BX de Madame Tiercin avait parcouru seulement 7 027 kilomètres."

Au vu de ses conclusions, la Compagnie Winterthur et Madame Tiercin ont saisi le Tribunal de grande instance de Nanterre pour voir prononcer la résolution de la vente sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil et obtenir de la société des automobiles Citroën, la première, remboursement des indemnités versées à son assurée en conséquence du sinistre, et la seconde, réparation de son préjudice personnel.

Par jugement en date du 7 septembre 1993, le tribunal a condamné la société des automobiles Citroën à payer :

- à la Compagnie Winterthur la somme de 95 750,87 F ainsi que celle de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- à Madame Tiercin la somme de 11 205 F, et dit que la société des automobiles Citroën supportera les entiers dépens.

Appelante de cette décision, la société automobiles Citroën soutient que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges pour entrer en voie de condamnation à son encontre, la preuve de l'existence d'un vice caché n'est nullement rapportée en l'espèce. A cet égard, elle rappelle que l'expert a émis diverses hypothèses sans pouvoir n'en étayer aucune. Elle ajoute que, pour le même motif, la garantie contractuelle du constructeur ne saurait lui être opposée, pas plus qu'un manquement à l'obligation contractuelle de sécurité. Elle ajoute encore qu'une cause extérieure ne peut être totalement exclue telle que l'oubli d'un chiffon lors des opérations du contrôle du niveau d'huile en station-service. Elle demande, en conséquence, à être déchargée des condamnations prononcées à son encontre et sollicite la condamnation de ses adversaires à lui payer une indemnité de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La Compagnie Winterthur et Madame Tiercin concluent, pour leur part, à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré sauf en ce qui concerne le préjudice personnel subi par Madame Tiercin.

Sur ce point, cette dernière demande que lui soit allouée la somme de 41 000 F en réparation de son préjudice matériel et celle de 20 000 F en réparation de son préjudice moral. Les intimées sollicitent également la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une indemnité complémentaire du même montant en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Ils font essentiellement valoir en réplique qu'il est suffisamment démontré par les constatations de l'expert, que le sinistre ne peut trouver sa cause dans un fait extérieur et qu'il a nécessairement son origine dans une des trois hypothèses émises par ledit expert à savoir:

- un court-circuit entraînant la défaillance du système électronique,

- une fuite de carburant à hauteur du distributeur,

- une fuite de carburant en provenance d'une durite.

Ils en déduisent que, quelle que soit la cause retenue, celle-ci est constitutive d'un vice caché et d'un manquement du constructeur à l'obligation contractuelle de sécurité qui pèse sur lui.

Enfin, Madame Tiercin fait grief aux premiers juges, dans le cadre de son appel incident, de n'avoir pas suffisamment pris en compte son préjudice réel.

Sur ce, LA COUR

Sur l'existence d'un vice caché

Considérant qu'il appartient à celui qui se prévaut de l'application de la garantie légale du constructeur d'un véhicule automobile de supporter la charge de la preuve et d'établir l'existence d'un vice caché antérieur à la vente, de nature à rendre ce véhicule impropre à sa destination.

Considérant qu'en l'espèce, la société des automobiles Citroën soutient que l'incertitude existant sur le mécanisme et la cause du sinistre suffit à exclure la garantie pour vice caché puisqu'il n'est pas possible d'affirmer l'existence d'un vice précis et déterminé affectant le véhicule au moment de la vente.

Considérant que, si effectivement le seul fait que le véhicule se soit enflammé spontanément pendant la marche, après quelques mois d'utilisation et alors qu'il n'avait parcouru qu'un faible kilométrage, n'est pas suffisant en lui-même pour affirmer qu'il n'était pas conforme à l'usage auquel il était destiné, il n'en reste pas moins que, après des investigations approfondies, l'expert a constaté, sans être utilement contredit, qu'il s'agissait d'un véhicule pratiquement neuf, jamais accidenté, sur lequel seuls les représentants du réseau Citroën sont intervenus ; que l'incendie a pris naissance dans le compartiment moteur, côté gauche, pour se propager ensuite dans l'habitacle que la cause de l'incendie ne pouvait en aucun cas provenir d'un fait extérieur; que ces constatations suffisent à démontrer que l'incendie a pour origine la défaillance d'un organe mécanique du moteur, même si l'expert n'a pu déterminer avec précision, compte tenu de l'état de l'épave, si cette défaillance provenait d'une fuite de carburant à hauteur du distributeur ou d'une durite ou d'une défaillance du système électronique, l'homme de l'art privilégiant toutefois, dans ses conclusions, l'hypothèse d'une fuite d'alimentation en carburant ; qu'il suit de là que se trouve suffisamment caractérisé en l'espèce, l'existence d'un vice non apparent d'un élément d'alimentation en carburant ou en électricité du moteur du véhicule vendu lequel vice, compte tenu de l'âge et de l'état du véhicule, relève nécessairement d'un vice de fabrication; que la société des automobiles Citroën, qui n'a déposé aucun dire en réplique à celui déposé par l'expert du BCA qui, après avoir participé à l'examen du véhicule, a exclu que l'incendie puisse être lié à l'oubli d'un chiffon lors de l'arrêt en station-service, motifs pris notamment que les seuls éléments susceptibles d'enflammer un chiffon se trouvaient à l'arrière du moteur dans un endroit inaccessible et que les insonorisants en feutre ne sont pratiquement pas endommagés à cet endroit, est mal venue à invoquer à nouveau dans ses écritures cette hypothèse contraire aux conclusions formelles de l'expert judiciaire, lequel a exclu toute intervention extérieures ou acte de malveillance en adoptant les dires de l'expert du BCA ; que le jugement déféré sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil et dit la société Citroën tenue d'indemniser tant Madame Tiercin que son assureur du préjudice subi.

Sur l'évaluation du préjudice

Considérant que la condamnation prononcée au profit de la Compagnie Winterthur n'est pas remise en cause; que le jugement dont appel sera confirmé de ce chef.

Considérant que Madame Tiercin verse aux débats une facture d'achat de vêtements pour un montant de 10 205 F ; que les constatations de l'expert sur l'épave révèlent que celle-ci contenait d'autres objets personnels ; que Madame Tiercin a, par ailleurs, été privée de l'usage de son véhicule pendant plusieurs jours et qu'elle a subi de surcroît, comme le révèle l'expert, une grande frayeur lors du sinistre; qu'en fonction de ces éléments d'appréciation, la cour fixera l'indemnisation des dommages subis à titre personnel par Madame Tiercin à la somme de 25 000 F, toutes causes confondues au lieu de celle de 11 205 F retenue en première instance.

Sur les demandes complémentaires

Considérant que les intimées ne justifient pas que le recours exercé à leur encontre par la société des automobiles Citroën ait dégénéré en abus de droit; que la demande en dommages et intérêts qu'elles forment de ce chef, sera rejetée.

Considérant, en revanche, qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la Compagnie Winterthur les sommes qu'elle a été contrainte d'exposer en cause d'appel ; que l'appelante sera condamnée à lui payer une indemnité complémentaire de 8 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Considérant enfin que la société des automobiles Citroën, qui succombe, supportera les entiers dépens.

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit la société des automobiles Citroën en son appel principal et Madame Odette Tiercin ainsi que la Compagnie Winterthur en leur appel incident, Dit le premier mal fondé et fait droit partiellement au second, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré sauf en celle concernant l'indemnisation du préjudice personnel subi par Madame Odette Tiercin, Infirmant de ce seul chef et statuant à nouveau, Condamne la société des automobiles Citroën à payer à Madame Odette Tiercin la somme de 25 000 F en réparation de son préjudice personnel, toutes causes confondues, au lieu de celle de 11 205 F retenue en première instance, Ajoutant au jugement, Rejette la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive formée par les intimées, Condamne l'appelante à payer à la Compagnie Winterthur une indemnité complémentaire de 8 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne également l'appelante aux entiers dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP d'avoués Lefèvre et Tardy à recouvrer directement la part la concernant comme il est dit à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.