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Décisions

Cass. com., 19 septembre 2006, n° 04-14.907

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Canal + (SA), Canal Satellite (SA), Canal + Régie (SA)

Défendeur :

AEPM (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

T. com. Paris, 8e ch., du 25 sept. 2002

25 septembre 2002

LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 24 mars 2004), que les sociétés Canal + et Canal Satellite (les sociétés Canal), qui distribuent des services audiovisuels, éditent deux magazines mensuels contenant des informations sur les programmes des chaînes de télévision qu'elles distribuent et confient à la société Canal + Régie la vente d'espaces publicitaires dans ces magazines ; que, se plaignant du fait que la société Audiences études sur la presse magazine (AEPM), après modification de son règlement le 23 octobre 2000, refuse d'intégrer ces magazines dans les enquêtes d'audience qu'elle réalise, les sociétés Canal l'ont assignée afin de faire juger illicite au regard des dispositions des articles L. 442-6-1 et L. 420-1 du Code commerce la définition d'un "magazine" stipulée dans son nouveau règlement et d'obtenir le maintien des deux mensuels qu'elle édite dans les études AEPM ;

Attendu que les sociétés Canal font grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'ensemble de leurs demandes, alors, selon le moyen : 1°) que manque[nt] d'objectivité et sont dès lors discriminatoires, les critères de distinction qu'une entreprise pratique à l'égard de ses partenaires et qu'elle n'est pas en mesure de justifier au regard de son objet social et de son activité ; qu'en l'espèce, la société AEPM, dont l'objet social et la principale activité sont de réaliser des études d'audience de la presse magazine, aux fins d'orienter les investissements de publicité et la détermination du prix de l'espace publicitaire, ne pouvait exclure de ses études "les magazines de marque" pour réserver celles-ci aux "magazines de presse" sans justifier d'une différence établie entre ces deux types de magazine, soit au regard des attentes du marché publicitaire, soit au regard de la faisabilité de ses études ; qu'en estimant que de telles considérations étaient inopérantes pour s'en tenir au fait que les distinctions faites par la société AEPM étaient clairement identifiées et de la sorte légitimes, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6-1 du Code commerce ; 2°) que les aides publiques apportées aux publications présentant "un caractère d'intérêt général quant à la diffusion de la pensée", si elles sont attentatoires au libre jeu de la concurrence sur le marché de la presse, sont néanmoins justifiées dans la mesure où elles ont la nature d'aide à finalité culturelle ; qu'une société commerciale, telle que l'AEPM, n'est cependant pas habilitée à se faire juge de l'intérêt général pour réserver aux "magazines de presse", censés présenter un tel intérêt, les avantages que ces études procurent sur le marché publicitaire ; qu'en procédant de la sorte, l'AEPM met en œuvre une pratique nécessairement discriminatoire qu'elle n'est nullement en mesure de justifier ès qualité de personne publique apportant son soutien "à la diffusion de la pensée" ; qu'ainsi, en considérant que la société AEPM pouvait légitimement exclure de ses études les "magazines de marque", parmi lesquels les magazines des sociétés Canal, non bénéficiaires des aides publiques, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6-1 du Code commerce ; 3°) que les critères d'attribution de la carte de journaliste obéissent par ailleurs à des considérations d'intérêt général, liées notamment aux avantages sociaux et fiscaux qui découlent du statut de journaliste ; que ces critères d'appréciation par nature restrictifs, ne sauraient conduire une société commerciale, dont l'objet est de réaliser des études d'audience destinées aux marchés publicitaires, à exclure de l'accès à ses services un opérateur au seul motif que la commission d'attribution de la carte de journaliste a refusé d'attribuer la qualité de journaliste à l'un des rédacteurs de magazine que cet opérateur édite, en sorte qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé derechef le texte susvisé ; 4°) que constitue une entente illicite, pour les principaux éditeurs de "presse magazine kiosque" de s'associer au sein d'une société, en l'espèce, la société AEPM, dont l'objet est de réaliser des études d'audience destinées au marché publicitaire et, par la voie d'un règlement interne, d'exclure du champ de ces études les magazines dits de marque ; qu'en effet, dès lors que ces études d'audience constituent une référence pour le marché publicitaire, l'exclusion des magazines de marque n'a d'autre but que de créer un désavantage commercial au détriment des société éditrices desdits magazines ; qu'en l'état d'une entente dont l'objet et l'effet potentiel étaient de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché publicitaire, la cour ne pouvait admettre la validité du règlement de l'AEPM aux motifs inopérants que les sociétés Canal pouvaient faire réaliser des études d'audience sans passer par l'AEPM, sauf à violer l'article L. 420-1 du Code de commerce ; 5°) qu'en l'état d'une absence de contestation sur l'importance des études AEPM pour l'accès au marché publicitaire, la cour ne pouvait se borner à relever que les sociétés Canal avaient tout le loisir de faire réaliser des études d'audience par d'autres sociétés sans s'expliquer sur l'impact de ces dernières au regard des attentes du marché publicitaire, sauf à priver sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé que la société AEPM, qui a pour objet la promotion de la presse magazine, réalise et commercialise des enquêtes permettant de dénombrer et de qualifier les lecteurs de la presse magazine en France, enquêtes dont les résultats renseignent les éditeurs sur les évolutions de leur lectorat et constituent pour les professionnels de l'achat d'espaces publicitaires un outil de référence, c'est à juste titre que la cour d'appel a vérifié que la définition du magazine retenue par le règlement de l'AEPM comme permettant de déterminer quels types de publication ont vocation à être intégrés dans les enquêtes réalisées par cette société, répond à des critères précis et objectifs ; qu'après avoir constaté que ce règlement définit un tel magazine comme toute publication périodique répondant à plusieurs critères parmi lesquels d'un côté son caractère d'intérêt général quant à la diffusion de la pensée, par opposition aux publications, dites magazines de marque, ayant pour objet principal la promotion de services, de marque ou d'enseigne et de l'autre une vente effective au public à un prix marqué correspondant à au moins 50 % de sa diffusion France totale, la cour d'appel a pu retenir qu'une telle définition, fondée sur des critères précis et objectifs, n'est pas constitutive d'une discrimination illicite et par conséquent que la société AEPM avait pu refuser d'intégrer dans ses enquêtes les magazines édités par les sociétés Canal et adressés gratuitement et accessoirement à leurs abonnés, magazines dont l'objet principal est la présentation et la promotion des seuls services de la chaîne Canal + et du bouquet de chaînes Canal Satellite ;

Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé l'existence de solutions alternatives permettant à un éditeur, dont le magazine ne répond pas aux critères du règlement de l'AEPM, de faire étudier l'audience de ses magazines, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que l'exclusion des magazines de marques des enquêtes AEPM n'avait ni pour objet ni pour effet d'empêcher ces magazines d'accéder au marché de la publicité, a pu statuer comme elle a fait et a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.