CA Paris, 4e ch. B, 23 juin 2006, n° 05-05454
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Prisma Presse (SNC)
Défendeur :
Editions de la Une (SARL), Groupe Entreprendre (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
Mme Regniez, M. Marcus
Avoués :
SCP Bommart-Forster, Me Blin
Avocats :
Mes Bertheux Scotté, Dominguez
LA COUR est saisie de l'appel interjeté par la société en nom collectif Prisma Presse (ci-après la société Prisma Presse) à l'encontre du jugement contradictoire rendu le 11 février 2005 par la vingtième chambre du Tribunal de commerce de Paris qui a :
- dit hors de cause la société à responsabilité limitée Publications du Jour;
- dit que la société à responsabilité limitée Editions de la Une n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ou parasitaire;
- débouté la société Prisma Presse de l'ensemble de ses demandes;
- condamné la société Prisma Presse à payer à la société à responsabilité limitée Editions de la Une la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 47,61 euro TTC (TVA : 7,49 euro);
Il convient de rappeler que :
La société Prisma Presse édite un magazine mensuel intitulé " Ça M'intéresse " et diffuse depuis le début de l'année 2001 un numéro hors série "Ça M'intéresse - Questions & Réponses - Hors Série".
En novembre 2004 une filiale de la société anonyme Groupe Entreprendre (ci-après Groupe Entreprendre) dirigé par Monsieur Robert Lafont a fait paraître le n° 1 d'un magazine intitulé "Questions Réponses ?" dont l'ours indique qu'il est édité par les Editions de la Une.
Sur requête unilatérale soumise au Président du Tribunal de commerce de Paris, la société Prisma Presse a été autorisée par ordonnance du 8 décembre 2004 à assigner à bref délai les sociétés Les Editions la Une et Publication d'un Jour.
Par exploit introductif d'instance en date du 10 décembre 2004, la société Prisma Presse a fait assigner les deux dites sociétés pour le 17 décembre 2004.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 4 mai 2006, la société Prisma Presse, appelante, demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Et statuant à nouveau,
- dire et juger que l'édition et la diffusion du magazine "Questions Réponses ?" par la société anonyme Groupe Entreprendre sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société Prisma Presse,
- interdire à la société anonyme Groupe Entreprendre de poursuivre la commission des ses agissements déloyaux et parasitaires à savoir l'édition et la diffusion du, magazine intitulé " Questions Réponses?" sous le titre Questions Réponses, et selon les présentations de page de couverture telles qu'elles résultent des magazines n° 1 décembre 2004-janvier 2005 à n° 14 mai-juin 2006, et ce sous astreinte de 500 euro par infraction constatée, c'est-à-dire par magazine proposé à la vente ou distribué au public, dès la signification de l'arrêt rendu,
- condamner la société anonyme Groupe Entreprendre, à verser à la société Prisma Presse la somme de 500 000 euro sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
- ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq revues ou journaux, au choix de la société Prisma Presse et aux frais de la société anonyme Groupe Entreprendre, à concurrence de 4 500 euro HT par insertion, et ce au besoin à titre de dommages et intérêts complémentaires,
- condamner la société anonyme Groupe Entreprendre, à payer à la société Prisma Presse la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens;
Le Groupe Entreprendre, intimé, venant aux droits de la société à responsabilité limitée Editions de la Une (ci-après la société La Une) suite à sa dissolution sans liquidation avec confusion de patrimoine au profit du groupe, prie la cour, dans ses dernières conclusions signifiées le 27 avril 2006, de:
- donner acte au Groupe Entreprendre qu'il vient aux droits de la société La Une,
- de recevoir le Groupe Entreprendre en ses conclusions, l'y dire bien fondé et y faisant droit,
En conséquence,
- débouter la société Prisma Presse de l'ensemble de ses demandes,
- confirmer en son intégralité le jugement à elle référé,
- la condamner à verser la somme de 6 000 euro au Groupe Entreprendre au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
A titre subsidiaire, conformément à la définition des produits de presse édictée par le Conseil supérieur des messagerie de presse,
constater que les magazines "Questions Réponses ?" et "Ça M'intéresse - Questions & Réponses - Hors Série" n'interviennent pas sur le même marché et ne peuvent donc pas être considérés comme concurrents car le premier est un produit presse et le second un produit hors presse,
A titre infiniment subsidiaire ai par extraordinaire la cour devait dire et juger la défenderesse auteur d'actes de concurrence déloyale ou de parasitisme,
- dire et juger que la société Prisma Presse ne rapporte pas la preuve de son préjudice,
En conséquence et en tout état de cause,
- la débouter de sa demande de dommages et intérêts ainsi que de sa demande d'insertion qui constitue une double sanction,
- condamner la société Prisma Presse aux entiers dépens;
Cela étant exposé,
Considérant qu'il convient de constater l'intervention volontaire du Groupe Entreprendre dans la mesure où la société La Une a fait l'objet d'une dissolution sans liquidation avec confusion de patrimoine au bénéfice dudit groupe ; que quand bien même la société Prisma Presse évoque la confusion qui semble régner dans l'organisation du groupe, elle n'en tire pas les conséquences légales et demande la condamnation du Groupe Entreprendre aux lieux et place de la société La Une;
Que dans ces conditions, il y a lieu de recevoir le Groupe Entreprendre en son intervention volontaire;
Sur la concurrence déloyale
Considérant que la société Prisma Presse, appelante, demande l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il n'a pas condamné le Groupe Entreprendre en concurrence déloyale alors que le magazine "Ça M'intéresse - Questions & Réponses - Hors Série" se caractérise par un ensemble d'éléments spécifiques ; que leur reproduction par le Groupe Entreprendre dans le magazine "Questions Réponses ?" provoque un risque de confusion dans l'esprit du lecteur qui s'apprécie en tenant compte des ressemblances et non des différences;
Considérant que le Groupe Entreprendre, intimé, sollicite la confirmation du jugement ; qu'il argue d'une part, que la formulation de l'intitulé "Questions Réponses ?" est une expression du langage courant insusceptible d'appropriation et d'autre part, que les typologies ou polices sont différentes ; qu'il fait valoir que la taille du logo du Groupe Entreprendre est suffisamment visible pour attirer l'attention du lecteur; qu'il prétend que la société Prisma Presse met en exergue,l'expression " Ça M'intéresse " sur un fond rouge et l'expression "Questions & Réponses" sur un bandeau blanc alors qu'il a préféré un unique bandeau rouge sur lequel figure le titre "Questions Réponses ?"; que la référence aux "300 questions" s'inscrit dans un phénomène de mode qui se réfère aux tests et autres jeux de questions/réponses et que l'interdire reviendrait à porter atteinte à la libre concurrence ; qu'il en est de même quant aux thèmes abordés par le magazine litigieux et qu'il ne saurait lui être reproché de traiter des sujets qui l'ont été également au cours des dix-huit derniers mois par la société Prisma Presse dès lors qu'ils sont relativement classiques et habituellement abordés dans ce type de publications;
Considérant que les deux magazines s inscrivent dans la même thématique, ce qui n'est pas contesté par les parties, qu'ils sont présentés côte à côte dans les rayonnages des marchands de journaux et qu'ils visent la même tranche de lecteurs ; que partant, peu importe que l'un soit "presse" et l'autre "hors presse" qu'en conséquence, les deux sociétés se trouvent en situation de concurrence;
Que, comme le retient le tribunal, la référence à un nombre de questions posées par les magazines et l'actualité ou la généralité des sujets traités ne peuvent être appréciées comme des éléments pouvant porter confusion auprès des lecteurs ; que la page de présentation du numéro i du magazine litigieux constituée par une unique photo diffère totalement des numéros hors-série de "Ça M'intéresse" ; qu'il est effectivement courant d'utiliser dans la page de présentation, en matière de presse, des encarts photographiques de différentes formes ; qu'en l'espèce, le magazine "Questions Réponses ?" a opté pour des formes trapézoïdales à compter de son numéro 3 contrairement aux hors-série de "Ça M'intéresse" qui lui ont préféré des formes carrées et rectangulaires;
Que toutefois, le premier magazine litigieux de décembre 2004, - janvier 2005 est paru postérieurement au premier numéro hors-série de "Ça M'intéresse"; qu'il a pour intitulé la même expression que son concurrent et reprend les mêmes codes couleurs caractéristiques du magazine (rouge et blanc) ; qu'il utilise l'expression "Je m'intéresse à tout !" proche du terme "Ça M'intéresse" dans son numéro I ; que dès lors, contrairement à ce qu'ont retenu les juges de première instance, même ai les termes "Questions Réponses ?" ou "Questions & Réponses" mais encore "Ça M'intéresse" et "Je m'intéresse à tout !" sont des termes du langage courant et insusceptibles d'appropriation, il n'en demeure pas moins que la proximité de ces expressions utilisées dans un même secteur d'activité et ciblées pour une même tranche de lecteurs engendre un risque de confusion dont le consommateur moyen peut être victime;
Qu'en conséquence, le Groupe Entreprendre sera condamné pour concurrence déloyale ; que le jugement sur ce chef sera infirmé;
Sur le préjudice
Considérant que la société Prisma Presse fait valoir que le préjudice est notamment fonction des ventes réalisées par son concurrent et qu'à ce titre, il n'y a pas lieu de les comparer avec ses propres ventes effectives ai ce n'est que pour constater une baisse concomitante de ces dernières ; qu'il a été porté atteinte également au magazine " Ça M'intéresse " en ce qu'il constitue un support publicitaire, source de revenus importants ; qu'au surplus, il convient de tenir compte de la dépréciation de l'image du magazine de la société Prisma Presse et de sa banalisation aux yeux du consommateur;
Considérant que le Groupe Entreprendre soutient que si la société Prisma Presse a subi un préjudice, ce dernier ne peut être évalué qu'en comparaison des chiffres de vente de la revue incriminée et de ceux du hors-série " Ça M'intéresse " ; que l'appelante ne rapporte pas la preuve d'un manque à gagner ou d'une quelconque influence sur son volume des ventes ; qu'en ce qui concerne les recettes des publicités, l'intimée oppose que le prix d'insertion de celles-ci est fonction de l'impact potentiel sur le public, déterminé par le nombre d'exemplaires vendus du magazine " Ça M'intéresse - Questions & Réponses - Hors Série " lequel a fortement baissé; que cette baisse concerne également le magazine "Questions Réponses ?" qui n'est la résultante que d'un chute des ventes sectorielle dont la responsabilité ne peut être imputée au Groupe Entreprendre;
Considérant que l'appelante ne rapporte pas la preuve que le Groupe Entreprendre a profité de ses investissements ; que les pièces versées aux débats ne démontrent pas que la fluctuation des ventes du magazine "Ça M'intéresse - Questions & Réponses - Hors Série" est significative d'un préjudice résultant de quelconques actes parasitaires
Que l'atteinte portée à la société Prisma Presse est relativement faible dans la mesure où le risque de confusion porte sur le titre ; qu'ainsi, seuls des lecteurs inattentifs ont pu confondre les deux magazines, leur page de présentation différant; qu'au surplus, pour atténuer la confusion, le Groupe Entreprendre a remplacé, à partir de son numéro 3, l'expression "Je m'intéresse à tout !" par "Pour savoir tout sur tout!";
Qu'en l'absence d'éléments probants sur l'atteinte portée au magazine " Ça M'intéresse " entant que support publicitaire et à son image, l'appelante ne saurait être indemnisée sur ce point;
Que compte tenu des éléments versés aux débats, et notamment du manque à gagner résultant pour la société Prisma de la mise en vente des premiers numéros de son concurrent, le préjudice subi par cette société sera justement évalué à 60 000 euro, le Groupe Entreprendre condamné à lui payer cette somme à titre de dommages et intérêts;
Sur les mesures réparatrices
Considérant qu'au vu des faits de l'espèce, il n'y a pas lieu d'ordonner une mesure de publication ; qu'en conséquence, la société Prisma Presse sera déboutée de sa demande ;
Considérant que par lettre du 20 avril 2006, le Groupe Entreprendre a confirmé sa volonté de mettre fin à la publication du magazine "Questions Réponses 7"; que dans ces conditions, la demande d'interdiction de la société Prisma Presse tendant à sanctionner la poursuite des agissements déloyaux par astreinte de 500 euro par infraction constatée est devenue sans objet; que la société Prisma Presse sera déboutée de sa demande;
Considérant que l'équité commande de laisser à celui qui succombe la charge des frais irrépétibles au titre de l'article 700 dont le montant s'évalue à 5 000 euro; qu'il convient, en sus, de condamner le Groupe Entreprendre en tous les dépens de première instance et d'appel;
Par ces motifs, Infirme le jugement en toutes ses dispositions; Et statuant à nouveau, Condamne le Groupe Entreprendre à payer à la société Prisma Presse la somme de 60 000 euro en réparation des actes de concurrence déloyale; Rejette toutes autres demandes ; Condamne le Groupe Entreprendre à verser la somme de 5 000 euro à la société Prisma Presse au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne le Groupe Entreprendre en tous les dépens et admet la SCP d'avoués Bommart Forster Fromantin au bénéfice de l'article 699 du NCPC.