CJCE, 6e ch., 26 octobre 1994, n° C-430/92
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Royaume des Pays-Bas
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents de chambre :
MM. Schockweiler, Kapteyn
Avocat général :
M. Gulmann
Juges :
MM. Mancini, Kakouris, Murray
Avocat :
Me Stuyck
LA COUR (sixième chambre),
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 décembre 1992, le Royaume des Pays-Bas a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CEE, demandé l'annulation de la décision C (92) 2655 fin, de la Commission, du 6 novembre 1992, refusant la dérogation à la définition de la notion de produits originaires en ce qui concerne les cassettes vidéo préenregistrées répondant au code 8524 de la nomenclature combinée, demandée par les Antilles néerlandaises (ci-après la "décision attaquée").
2 Sur le fondement de l'article 136 du traité CEE, le Conseil a adopté, en dernier lieu, le 25 juillet 1991, la décision 91-482-CEE relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté économique européenne (JO L 263, p. 1, et rectificatif au JO 1991 L 331, p. 23, ci-après la "décision PTOM"). Dans son article 101, paragraphe 1, cette décision prévoit que "les produits originaires des PTOM sont admis à l'importation dans la Communauté en exemption de droits de douane et de taxes d'effet équivalent".
3 La définition de la notion de "produits originaires des PTOM" fait l'objet du titre I de l'annexe II de la décision PTOM. Selon l'article 1er de cette annexe, un produit est considéré comme originaire des PTOM s'il y a été soit entièrement obtenu, soit suffisamment transformé.
4 Les conditions qui doivent être remplies pour que des produits puissent être considérés comme suffisamment transformés dans les PTOM sont fixées à l'article 3 de la même annexe. Pour une série de produits, cette disposition renvoie toutefois à l'annexe 2 de l'annexe II, qui précise, pour chacun d'entre eux, le degré des ouvraisons ou des transformations opérées dans les PTOM sur des matières non originaires, qui confère au produit considéré le caractère de produit originaire.
5 L'article 30 de l'annexe II comporte des dérogations à ces règles d'origine, qui donnent la possibilité de conférer le statut de produits originaires d'un PTOM à des produits qui ne pourraient être considérés comme tels sur la base des règles précitées. Son paragraphe 1 est rédigé comme suit:
"Des dérogations à la présente annexe peuvent être adoptées lorsque le développement d'industries existantes ou l'implantation d'industries nouvelles le justifient.
L'État membre ou, le cas échéant, les autorités compétentes du PTOM concerné informent la Communauté sur la base d'un dossier justificatif établi conformément au paragraphe 2.
La Communauté accède à toutes les demandes qui sont dûment justifiées au sens du présent article, notamment lorsqu'une ouvraison ou transformation substantielle est effectuée dans les PTOM demandeurs, et qui ne peuvent causer un grave préjudice à une industrie établie de la Communauté."
Au paragraphe 2 sont énumérés les points sur lesquels doivent notamment porter les renseignements que l'État membre ou le PTOM demandeur doit fournir. Ce paragraphe renvoie à un formulaire figurant à l'annexe 9 de l'annexe II, qui doit être rempli par le pays demandeur.
6 Aux termes du paragraphe 8 de cet article 30,
"a) Le Conseil et la Commission prennent toutes les dispositions nécessaires pour qu'une décision intervienne dans les meilleurs délais et en tout cas soixante jours ouvrables au plus tard après la réception de la demande par le président du comité de l'origine. A cette fin, la décision 90-523-CEE s'applique mutatis mutandis aux PTOM.
b) Si une décision n'est pas prise dans le délai visé au point a), la demande est considérée comme acceptée."
7 La décision 90-523-CEE du Conseil, du 8 octobre 1990, établissant la procédure relative aux dérogations aux règles d'origine fixées dans le protocole n 1 de la quatrième convention ACP-CEE (JO L 290, p. 33), à laquelle se réfère le paragraphe 8, sous a), précité, prévoit, en son article 2, que le représentant de la Commission soumet au comité de l'origine, institué par le règlement (CEE) n 802-68 du Conseil, du 27 juin 1968, relatif à la définition commune de la notion d'origine des marchandises (JO L 148, p. 1), modifié en dernier lieu par le règlement (CEE) n 1769-89 (JO L 174, p. 11), un projet de position commune dans les vingt jours ouvrables suivant la réception d'une demande de dérogation. L'avis du comité est émis à la majorité prévue à l'article 148, paragraphe 2, du traité CEE. La position commune de la Communauté est adoptée par la Commission, lorsqu'elle est conforme à l'avis du comité.
8 En l'espèce, il ressort du dossier que, par une lettre du 27 mai 1992, le Gouvernement des Antilles néerlandaises a introduit auprès du président du comité de l'origine, par l'intermédiaire de la représentation permanente des Pays-Bas auprès des Communautés, une demande de dérogation, au sens de l'article 30 de l'annexe II de la décision PTOM. Cette demande, qui est parvenue à son destinataire le 1er juin 1992, concernait des vidéocassettes préenregistrées qui seraient produites à Curaçao à partir de matières importées de la Corée, du Japon et des États-Unis et exportées ensuite dans la Communauté et aux États-Unis. La demande contenait le formulaire, dûment rempli, figurant à l'annexe 9 de l'annexe II de la décision PTOM et faisait mention de l'effet bénéfique de l'investissement projeté sur l'économie antillaise, ainsi que des raisons pour lesquelles la règle d'origine ne pouvait être satisfaite pour le produit fini.
9 A la suite de cette demande, la Commission a transmis au comité de l'origine, le 5 juin 1992, une note dans laquelle elle formulait certaines réticences qui avaient trait notamment au caractère sensible du produit en cause et à la considération que les travaux qui seraient effectués aux Antilles néerlandaises ne semblaient constituer qu'une opération relativement mineure. En outre, l'attention du comité était attirée sur le fait que le délai de soixante jours ouvrables, prévu dans la réglementation, avait pris cours le 1er juin 1992.
10 Le 31 juillet 1992, la Commission a adressé au Gouvernement néerlandais une lettre dans laquelle elle signalait qu'il y avait lieu d'éclaircir certaines questions avant qu'une décision sur la demande de dérogation ne puisse intervenir. Elle y observait également que le délai de soixante jours ouvrables commencerait à courir dès qu'elle aurait obtenu des informations satisfaisantes sur ces questions.
11 Par lettre du 18 août 1992, le Gouvernement néerlandais a renvoyé la Commission, quant à certains points soulevés dans la lettre du 31 juillet 1992, aux informations contenues dans le formulaire type joint à la demande de dérogation et a souligné que les observations de la Commission relevaient de l'appréciation du fond de la demande. Par ailleurs, lors de la réunion du comité de l'origine du 7 octobre 1992, le représentant néerlandais a fait une déclaration suivant laquelle le délai de soixante jours ouvrables avait expiré le 31 août 1992 et que la demande de dérogation devait être considérée comme tacitement acceptée.
12 Par la décision attaquée dont les Pays-Bas et les Antilles néerlandaises étaient les destinataires, la Commission a rejeté la demande de dérogation en question.
13 Le Gouvernement néerlandais fait valoir à titre principal dans sa requête que l'article 30, paragraphe 8, de l'annexe II de la décision PTOM, cité ci-dessus, ne prévoit pas la possibilité de prorogation du délai de soixante jours ouvrables, qui est, du reste, largement suffisant pour permettre au comité de l'origine et à la Commission de demander des renseignements supplémentaires. Le président du comité de l'origine ayant reçu la demande le 1er juin 1992, celle-ci devrait être considérée comme ayant été tacitement acceptée à l'expiration du délai en question, soit bien avant le 6 novembre 1992, date d'adoption de la décision attaquée.
14 La Commission soutient en revanche que, selon l'article 30, paragraphe 1, troisième alinéa, précité, les demandes de dérogation doivent être dûment justifiées pour être acceptées et que ce n'est qu'à partir du moment où elles comportent tous les éléments nécessaires pour permettre à la Communauté de les examiner que le délai en question commence à courir. En l'occurrence, la demande introduite par le Gouvernement des Antilles néerlandaises n'aurait pas comporté toutes les informations nécessaires.
15 Au vu de ces positions divergentes, se pose la question de l'interprétation de l'article 30, paragraphe 8, sous a), de l'annexe II de la décision PTOM, dont il ressort que le délai de soixante jours ouvrables commence à courir après "la réception de la demande par le président du comité de l'origine".
16 De la lettre de cette disposition, il apparaît qu'il suffit, pour que le délai de soixante jours prenne cours, que la demande ait été reçue par le président dudit comité, pourvu toutefois qu'elle soit complète du point de vue formel.
17 L'article 30, paragraphe 1, deuxième alinéa, de l'annexe II, lu en combinaison avec le paragraphe 2, précise quand une demande doit être considérée comme formellement complète. Celle-ci doit être accompagnée d'un dossier justificatif comportant des renseignements aussi complets que possible, notamment sur divers points énumérés au paragraphe 2. Ces renseignements doivent être fournis par l'État membre ou le PTOM demandeur au moyen du formulaire figurant à l'annexe 9 de l'annexe II.
18 Ce formulaire contient 21 cases à remplir par le pays demandeur. Les informations exigées portent notamment sur la dénomination commerciale, la classification douanière et la valeur des matières à utiliser originaires de pays tiers, de pays ACP, de la CEE ou de PTOM, sur les ouvraisons ou transformations à effectuer dans ces mêmes pays, sur la valeur ajoutée de ce fait, sur le volume annuel escompté des exportations vers la Communauté, sur la valeur départ usine du produit fini, sur les raisons pour lesquelles la règle d'origine ne peut être satisfaite pour le produit fini, sur la valeur des investissements réalisés ou envisagés, sur les effectifs prévus, sur la durée de la dérogation demandée et, enfin, sur les solutions envisagées pour éviter à l'avenir la nécessité d'une dérogation.
19 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de considérer que, pour que le délai de soixante jours ouvrables prenne valablement cours, il suffit que la demande comporte, de manière complète d'un point de vue formel, les informations requises, de manière à ce que le comité de l'origine et la Commission soient en mesure de décider quant au fond s'ils doivent l'accueillir ou la rejeter. Dès lors, il n'est pas nécessaire que les renseignements fournis soient considérés par la Commission comme justifiant la demande pour que le délai en question puisse commencer à courir. En effet, la question de savoir si une demande est formellement complète se distingue de son appréciation quant au fond.
20 Lorsque la demande est formellement complète au sens précisé ci-dessus et le délai en question a valablement commencé à courir, la décision sur l'acceptation ou le rejet de la demande doit être prise dans ce délai. Les dispositions considérées n'excluent cependant pas la faculté, pour la Commission, de demander des renseignements supplémentaires, sans que cette faculté puisse interrompre ou prolonger le délai en question et, si ces renseignements ne sont pas fournis en temps utile, de décider sur la base des éléments qu'elle possède. Toutefois, au cas où aucune décision n'est adoptée dans ce délai, la demande est considérée comme acceptée, conformément à l'article 30, paragraphe 8, sous b), précité.
21 L'interprétation qui précède est corroborée par le fait que le délai en cause a été introduit pour la première fois dans le cadre du régime d'association par la décision PTOM du 25 juillet 1991.
22 Ce régime d'association avec les pays et territoires d'outre-mer, prévu par les articles 131 à 136 du traité CEE, est favorable à ces pays et territoires dont il vise à promouvoir le développement économique et social. Cette attitude favorable se reflète tant dans l'exemption douanière valable pour les marchandises originaires des PTOM lors de leur importation dans la Communauté que dans l'introduction de dérogations aux règles d'origine par l'article 30 de l'annexe II de la décision PTOM, qui prévoit notamment dans son paragraphe 1, troisième alinéa, susmentionné, que la Communauté "accède à toutes les demandes qui sont dûment justifiées..." Les dispositions relatives à la définition de la notion de produits originaires doivent ainsi être interprétées à la lumière de cette attitude fondamentalement favorable de la Communauté à l'égard des PTOM et à l'égard des demandes qui ne sont pas de nature à causer un préjudice grave à un secteur économique de la Communauté.
23 Par ailleurs, il y a lieu de relever que les objectifs de l'instauration du délai en question ne sauraient être autres que le traitement efficace et rapide, par les instances communautaires, des demandes de dérogation aux règles d'origine, ainsi que la sauvegarde de la sécurité juridique.
24 Seule l'interprétation livrée ci-dessus est de nature à assurer une clarification rapide de la situation par l'acceptation ou le rejet de la demande dans le délai. Elle est par ailleurs conforme à l'intérêt des PTOM concernés, dans la mesure où ceux-ci ont la faculté, en cas de rejet, soit de soumettre immédiatement la décision de rejet au contrôle de la Cour, soit d'introduire rapidement une nouvelle demande, complétée en fonction des indications contenues dans la motivation de la décision de rejet.
25 Au contraire, l'interprétation préconisée par la Commission comporte une confusion entre le moment auquel le délai considéré prend cours et l'appréciation de la demande quant au fond. Elle donne, par ailleurs, aux instances communautaires la possibilité de faire traîner la procédure et laisse subsister, jusqu'à l'adoption de la décision au fond, une ambiguïté quant à la question de savoir si le délai a déjà pris cours. De telles conséquences seraient contraires aux objectifs du régime d'association, exposés ci-dessus, ainsi qu'aux exigences de la sécurité juridique.
26 En l'occurrence, la motivation de l'acte attaqué n'établit pas que la demande en question était incomplète du point de vue formel, mais elle fait apparaître que la Commission, ayant déjà procédé à l'examen au fond de la demande, a éprouvé des doutes quant à sa justification et a demandé des renseignements supplémentaires aux intéressés. Cette dernière demande n'ayant pu interrompre le délai de soixante jours ouvrables, la demande introduite par le Gouvernement des Antilles néerlandaises devait être considérée, en application de l'article 30, paragraphe 8, sous b), précité, comme tacitement acceptée à l'expiration du délai en question.
27 Il y a lieu par conséquent de constater que la décision attaquée est illégale du fait que la Commission n'était plus compétente ratione temporis pour rejeter la demande à la suite de son acceptation tacite, et doit dès lors être annulée.
Sur les dépens
28 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (sixième chambre)
Déclare et arrête:
1) La décision C (92) 2655 fin. de la Commission, du 6 novembre 1992, refusant la dérogation à la définition de la notion de produits originaires en ce qui concerne les cassettes vidéo préenregistrées répondant au code 8524 de la nomenclature combinée, demandée par les Antilles néerlandaises, est annulée.
2) La Commission est condamnée aux dépens.