CJCE, 5e ch., 26 octobre 1995, n° C-36/94
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Siesse - Soluções Integrais em Sistemas Software e Aplicações Ldª
Défendeur :
Director da Alfândega de Alcântara
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Edward
Avocat général :
M. Elmer
Juges :
MM. Puissochet, Gulmann, Jann, Sevón
Avocat :
Me João Teixeira Alves
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par ordonnance du 20 janvier 1994, parvenue à la Cour le 26 du même mois, le Tribunal Fiscal Aduaneiro de Lisboa a posé, en application de l'article 177 du traité CE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation du règlement (CEE) nº 4151-88 du Conseil, du 21 décembre 1988, fixant les dispositions applicables aux marchandises introduites sur le territoire douanier de la Communauté (JO L 367, p. 1).
2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant la société Siesse ° Soluções Integrais em Sistemas Software e Aplicações Ld.a (ci-après "Siesse") au Director da Alfândega de Alcântara-Lisboa (directeur de la douane d'Alcântara à Lisbonne), au sujet de la perception d'une majoration pour dépassement du délai prévu pour le dédouanement de marchandises.
3 Le règlement nº 4151-88 prévoit notamment, dans ses articles 14 à 19, que les marchandises présentées en douane doivent faire l'objet, dans les délais fixés par l'autorité douanière, qui ne doivent pas excéder, selon le mode d'acheminement, 20 ou 45 jours, d'une déclaration pour la mise en libre pratique ou d'une demande pour une autre destination douanière. Il précise qu'en attendant de recevoir une destination douanière les marchandises sont placées en dépôt temporaire et que l'autorité douanière, qui peut autoriser une prolongation des délais, prend toute mesure nécessaire, y compris la vente, pour régler la situation des marchandises pour lesquelles les formalités n'ont pas été engagées dans ces délais.
4 En droit interne, l'article 638 du Regulamento das Alfândegas (règlement portugais de douanes) dispose que les marchandises placées en dépôt sont normalement vendues par les bureaux de douane, après accomplissement des formalités légales, lorsque les délais ont été dépassés. L'article 639 du même règlement prévoit, cependant, que les propriétaires de ces marchandises peuvent encore les dédouaner s'ils en font la demande dans un délai de six mois à compter de la soumission de la marchandise au régime de la vente aux enchères. Les marchandises ainsi dédouanées sont soumises au paiement de toutes les taxes et impositions applicables, majorées d'un pourcentage de 5 % de leur valeur.
5 Siesse, dont le siège est à Lisbonne, a importé en 1993 un lot de matériel informatique qui a fait l'objet d'une déclaration sommaire et a été placé en dépôt temporaire pour une durée de 20 jours. N'ayant déclaré ce lot pour aucun régime douanier dans ce délai, l'entreprise n'a pu en obtenir ultérieurement le dédouanement que moyennant le paiement d'une somme correspondant à 5 % de la valeur des marchandises, conformément à l'article 639 du règlement portugais des douanes. Elle a, alors, introduit un recours devant le Tribunal Fiscal Aduaneiro de Lisboa contre l'acte de liquidation de cette somme, en soutenant que celle-ci était incompatible avec le droit communautaire.
6 Estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation de la réglementation communautaire, la juridiction saisie a décidé de poser à la Cour les questions suivantes:
"1) Une fois expirés les délais prévus à l'article 15, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement (CEE) nº 4151-88 du Conseil, du 21 décembre 1988, l'autorité douanière peut-elle encore autoriser les propriétaires des marchandises à déclarer celles-ci pour la libre pratique?
2) Est-ce que seuls les droits de douane et autres taxes dus à l'importation, majorés d'éventuelles dépenses occasionnées par le dépôt temporaire, sont exigibles dans cette hypothèse?
3) En cas de réponse affirmative à la première question, la même autorité peut-elle, au titre des dispositions de l'article 19, paragraphe 1, du même règlement communautaire, subordonner cette autorisation au paiement d'une certaine somme d'argent, autre que les droits, taxes et dépenses visés dans la deuxième question et constituant une recette pour l'État membre?"
Sur la première question
7 Par sa première question, le juge national cherche à savoir si le règlement nº 4151-88 s' oppose à ce que l'autorité douanière accepte, après l'expiration des délais prévus à son article 15, paragraphe 1, une déclaration pour la mise en libre pratique de marchandises introduites sur le territoire douanier de la Communauté.
8 Ainsi que le proposent le gouvernement portugais et la Commission, cette question appelle une réponse négative.
9 En vertu de l'article 15, paragraphe 1, du règlement précité, lorsque les marchandises ont fait l'objet d'une déclaration sommaire, elles doivent ensuite être déclarées pour la libre pratique ou pour un autre régime douanier ou faire l'objet d'une demande pour recevoir l'une des autres destinations douanières dans les délais fixés par l'autorité douanière. Ces délais ne doivent pas excéder 45 jours à compter de la date du dépôt de la déclaration sommaire en ce qui concerne les marchandises acheminées par voie maritime et 20 jours en ce qui concerne les marchandises acheminées par une autre voie. Le paragraphe 2 du même article permet à l'autorité douanière d'autoriser une prolongation de ces délais, sans toutefois que cette prolongation puisse excéder les besoins réels justifiés par les circonstances.
10 En outre, l'article 19, paragraphe 1, du même règlement dispose que l'autorité douanière doit prendre sans délai toute mesure nécessaire, y compris la vente des marchandises, pour régler la situation des marchandises pour lesquelles les formalités n'ont pas été engagées dans les délais prévus. Selon le paragraphe 2 de cet article, l'autorité douanière peut, aux risques et frais de la personne qui les détient, faire transférer les marchandises en cause dans un lieu spécial placé sous sa surveillance jusqu'à ce qu'il soit procédé à la régularisation de leur situation.
11 Il ressort de ces dispositions que l'autorité douanière, d'une part, peut autoriser une prolongation des délais prévus lorsque les circonstances le justifient et, d'autre part, doit procéder à la régularisation de la situation des marchandises après l'expiration de ces délais. A cet égard, si l'article 19 prévoit la vente comme mesure ultime, il n'exclut nullement la possibilité de régulariser la situation par l'acceptation d'une déclaration pour la mise en libre pratique.
12 Il y a donc lieu de répondre à la première question que le règlement nº 4151-88 ne s'oppose pas à ce que l'autorité douanière accepte, après l'expiration des délais prévus à son article 15, paragraphe 1, une déclaration pour la mise en libre pratique, de marchandises introduites sur le territoire douanier de la Communauté.
Sur les deuxième et troisième questions
13 Par ces questions, la juridiction de renvoi demande si l'article 19 du règlement nº 4151-88 s'oppose à ce que l'autorité douanière exige le paiement d'une somme autre que les droits de douane et les charges éventuelles occasionnées par le dépôt temporaire des marchandises pour accepter une déclaration visant à leur mise en libre pratique après l'expiration des délais prévus à l'article 15, paragraphe 1, du même règlement. Cette interrogation porte précisément, ainsi que cela ressort des motifs de l'ordonnance de renvoi, sur la possibilité, au regard de la réglementation communautaire, d'imposer une taxe telle que la majoration de 5 % prévue par la réglementation portugaise sur la valeur des marchandises dédouanées après l'expiration des délais légaux.
14 Le gouvernement portugais estime que cette majoration constitue une mesure nécessaire et adéquate pour sanctionner le non-respect des formalités et délais prévus par le règlement nº 4151-88 et pour inciter les opérateurs économiques à les respecter. Il fait valoir, en outre, que ladite majoration ne peut pas être regardée comme une taxe d'effet équivalant à un droit de douane, au sens des articles 9 et suivants du traité, dès lors qu'elle ne trouve pas son origine dans le franchissement de la frontière par les marchandises mais seulement dans le non-respect des délais légaux de dédouanement.
15 La Commission est, au contraire, d'avis que la majoration litigieuse doit être qualifiée de taxe d'effet équivalent dès lors qu'elle s'applique seulement à des produits importés, qu'elle ne correspond pas à la prestation d'un service quelconque et qu'elle ne constitue pas non plus une mesure nécessaire pour régler la situation des marchandises, au sens de l'article 19 du règlement nº 4151-88.
16 La question de savoir si une telle majoration constitue une taxe d'effet équivalent interdite par les articles 9 et suivants du traité ne se pose pas dans les circonstances décrites par la juridiction de renvoi. En effet, celle-ci interroge la Cour sur l'interprétation de la réglementation communautaire applicable aux marchandises introduites sur le territoire douanier de la Communauté avant leur mise en libre pratique dans les États membres. Ainsi que cela ressort de l'article 9, paragraphe 2, du traité, les dispositions interdisant, entre les États membres, les droits de douane et les taxes d'effet équivalent ne sont pas applicables à de telles marchandises.
17 En ce qui concerne les échanges avec les pays tiers, le traité ne contient pas de dispositions explicites analogues à celles qui, dans les échanges entre les États membres, interdisent les taxes d'effet équivalant aux droits de douane (voir arrêt du 1er juillet 1969, Sociaal Fonds voor de Diamantarbeiders, 2-69 et 3-69, Rec. p. 211, point 28). Cependant, l'établissement du tarif douanier commun implique que, à partir de la mise en place de ce tarif, les États membres ne peuvent pas introduire unilatéralement de nouvelles taxes sur les importations en provenance directe de pays tiers ou relever le niveau de celles existant à cette date (voir arrêt du 13 décembre 1973, Sociaal Fonds voor de Diamantarbeiders, 37-73 et 38-73, Rec. p. 1609, point 22).
18 Ainsi que l'a relevé l'avocat général au point 24 de ses conclusions, un droit tel que la majoration litigieuse ne s' applique que dans des situations particulières caractérisées par la circonstance que l'importateur n'a pas respecté certaines règles douanières et souhaite lui-même faire usage d'une possibilité de régularisation. Il ne peut donc pas être regardé comme un droit de douane ou une taxe frappant d'une manière générale les produits importés des pays tiers et portant ainsi atteinte à l'unité du tarif douanier commun.
19 Le règlement nº 4151-88 n'a pas prévu de sanction administrative spécifique en cas de violation des dispositions de son article 15, qui imposent que la déclaration pour la libre pratique ou la demande pour une autre destination douanière soit présentée dans les délais fixés. Ainsi qu'il a été relevé au point 10 du présent arrêt, l'article 19 de ce règlement laisse, cependant, à l'autorité douanière le soin de prendre toute mesure nécessaire, y compris la vente, pour régler la situation des marchandises après l'expiration de ces délais.
20 A cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, confirmée par les arrêts du 8 juin 1994, Commission/Royaume-Uni (C-382-92, Rec. p. I-2435, point 55, et C-383-92, Rec. p. I-2479, point 40), lorsqu'une réglementation communautaire ne prévoit pas de sanction spécifique en cas de violation de ses dispositions ou renvoie, sur ce point, aux dispositions nationales, l'article 5 du traité impose aux États membres de prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l'efficacité du droit communautaire. A cet effet, tout en conservant un pouvoir discrétionnaire quant au choix des sanctions, ils doivent veiller à ce que les violations de la réglementation communautaire soient sanctionnées dans des conditions de fond et de procédure analogues à celles applicables aux violations du droit national d'une nature et d'une importance similaires et qui, en tout état de cause, confèrent à la sanction un caractère effectif, proportionné et dissuasif.
21 En ce qui concerne les infractions douanières, la Cour a précisé qu'en l'absence d'harmonisation de la législation communautaire dans ce domaine les États membres sont compétents pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriées. Ils sont toutefois tenus d'exercer cette compétence dans le respect du droit communautaire et de ses principes généraux et, par conséquent, dans le respect du principe de proportionnalité (voir arrêt du 16 décembre 1992, Commission/Grèce, C-210-91, Rec. p. I-6735, point 19).
22 L'objet d'un droit tel que la majoration litigieuse, qui vise à pénaliser les opérateurs économiques n'ayant pas respecté les formalités et délais prévus par l'article 15 du règlement nº 4151-88, n'apparaît pas contraire au droit communautaire. Ainsi que le fait valoir le gouvernement portugais, en l'absence d'une telle mesure, le non-respect des formalités prévues n'entraînerait finalement aucune conséquence pour l'opérateur admis à régulariser sa situation après l'expiration des délais. La pénalité encourue est donc destinée à inciter les opérateurs économiques à agir dans les délais prévus et à sanctionner ceux qui, ne l'ayant pas fait, mettent les autorités douanières dans la situation de devoir procéder, comme les y invite l'article 19 du règlement nº 4151-88, à la mesure ultime de la vente, avec les risques de pertes qui en découlent.
23 La subordination de la régularisation de la situation des marchandises au paiement d'un droit ainsi prévu à titre de sanction n'apparaît pas non plus contraire au droit communautaire. Une telle exigence ne constitue, en effet, qu'une mesure de sûreté destinée à garantir le paiement effectif du droit correspondant.
24 Quant au montant de la sanction, il importe qu'il soit fixé, conformément à la jurisprudence précitée, dans des conditions analogues à celles qui prévalent en droit national pour des infractions de même nature et de même gravité et qui, en tout état de cause, confèrent à la sanction un caractère effectif, proportionné et dissuasif. Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier si le droit de 5 % prévu par la réglementation portugaise sur la valeur des marchandises dédouanées après l'expiration des délais légaux est conforme à ces principes.
25 Il y a donc lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que l'article 19 du règlement nº 4151-88 ne s' oppose pas à ce que l'autorité douanière exige le paiement d'une somme autre que les droits de douane et les charges éventuelles occasionnées par le dépôt temporaire des marchandises pour accepter une déclaration visant à leur mise en libre pratique après l'expiration des délais prévus à l'article 15, paragraphe 1, du même règlement, à condition que le montant de cette somme soit fixé dans le respect du principe de proportionnalité et dans des conditions analogues à celles qui prévalent en droit national pour des infractions de même nature et de même gravité. Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier si la majoration litigieuse est conforme à ces principes.
Sur les dépens
26 Les frais exposés par le gouvernement portugais et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal Fiscal Aduaneiro de Lisboa, par ordonnance du 20 janvier 1994, dit pour droit:
1) Le règlement (CEE) nº 4151-88 du Conseil, du 21 décembre 1988, fixant les dispositions applicables aux marchandises introduites sur le territoire douanier de la Communauté, ne s'oppose pas à ce que l'autorité douanière accepte, après l'expiration des délais prévus à son article 15, paragraphe 1, une déclaration pour la mise en libre pratique, de marchandises introduites sur le territoire douanier de la Communauté.
2) L'article 19 du règlement nº 4151-88, précité, ne s' oppose pas à ce que l'autorité douanière exige le paiement d'une somme autre que les droits de douane et les charges éventuelles occasionnées par le dépôt temporaire des marchandises pour accepter une déclaration visant à leur mise en libre pratique après l'expiration des délais prévus à l'article 15, paragraphe 1, du même règlement, à condition que le montant de cette somme soit fixé dans le respect du principe de proportionnalité et dans des conditions analogues à celles qui prévalent en droit national pour des infractions de même nature et de même gravité. Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier si la majoration litigieuse est conforme à ces principes.