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Décisions

CJCE, 6e ch., 19 octobre 2000, n° C-216/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République hellénique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

(faisant fonction) : M. Puissochet

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Schintgen, Macken

CJCE n° C-216/98

19 octobre 2000

LA COUR (sixième chambre),

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 11 juin 1998, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en instituant et en maintenant en vigueur des dispositions législatives qui prévoient la détermination des prix minimaux de vente au détail des tabacs manufacturés par arrêté ministériel, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 9 de la directive 95-59-CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d'affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés (JO L 291, p. 40).

2. La directive 95-59 a codifié la directive 72-464-CEE du Conseil, du 19 décembre 1972 (JO L 303, p. 1), telle que modifiée par la directive 92-78-CEE du Conseil, du 19 octobre 1992 (JO L 316, p. 5, ci-après la "directive 72-464").

3. L'article 9, paragraphe 1, de la directive 95-59, qui correspond à l'article 5, paragraphe 1, de la directive 72-464, dispose :

"Est considérée comme fabricant la personne physique ou morale établie dans la Communauté, qui transforme le tabac en produits manufacturés confectionnés pour la vente au détail.

Les fabricants ou, le cas échéant, leurs représentants ou mandataires dans la Communauté ainsi que les importateurs de pays tiers déterminent librement les prix maximaux de vente au détail de chacun de leurs produits pour chaque État membre dans lequel ils sont destinés à être mis à la consommation.

La disposition du deuxième alinéa ne peut, toutefois, faire obstacle à l'application des législations nationales sur le contrôle du niveau des prix ou le respect des prix imposés, pour autant qu'elles soient compatibles avec la réglementation communautaire."

4. La détermination des prix de vente au détail des tabacs manufacturés est régie en Grèce par la loi n° 2127-1993, du 5 avril 1993, relative à l'harmonisation avec le droit communautaire du régime fiscal des produits pétroliers, de l'alcool éthylique et des boissons alcooliques ainsi que des tabacs manufacturés, telle que modifiée par l'article 2 de la loi n° 2187-1994, du 8 février 1994, dont l'article 45 dispose :

"1. Les prix de vente au détail des tabacs manufacturés qui sont consommés sur le territoire national sont, sous réserve des dispositions du paragraphe 3, déterminés librement par les fabricants ou par les mandataires des fabricants des autres États membres qui sont établis en Grèce, ainsi que par leurs importateurs, qui sont tenus d'inscrire en drachmes le prix de vente au détail sur les paquets ou les emballages plus petits destinés à la vente au détail ou sur les bandelettes fiscales qui sont apposées sur ces derniers.

2. ...

3. Le ministre des Finances détermine, par arrêté publié au Journal officiel du gouvernement, les prix minimaux de vente au détail des produits visés au paragraphe 1, qui seront au moins égaux aux prix de ces produits au 1er décembre 1993, conformément aux dispositions du paragraphe 2, majorés de 20 %. D'autres prix minimaux peuvent également être déterminés par arrêté du ministre des Finances. En cas de mise en vente de nouveaux types de tabacs manufacturés, leur prix minimal de vente au détail sera égal au prix en vigueur pour le type qualitativement le plus proche qui sera prévu par l'arrêté ministériel susmentionné. Dans le même arrêté, le ministre des Finances détermine les prix minimaux de vente au détail des cigares ou cigarillos, du tabac fin coupe destiné à rouler les cigarettes et des autres tabacs à fumer.

..."

5. Considérant que cette dernière disposition était contraire au droit communautaire, en particulier à l'article 5 de la directive 72-464, la Commission a, le 21 février 1994, adressé aux autorités helléniques une lettre dans laquelle elle attirait leur attention sur ce fait.

6. Le 31 mars 1994, les autorités helléniques ont répondu que la loi n° 2127-1993 n'affecte pas le droit des fabricants et des importateurs de déterminer librement le prix de vente au détail de leurs produits, et ce au motif :

- que la détermination des prix minimaux de vente au détail - sur la base des prix que les fabricants ont déterminés librement - ne peut être considérée comme contraire aux dispositions de l'article 5 de la directive 72-464, qui n'exige pas la libre détermination des prix minimaux de vente au détail, mais prévoit uniquement la libre détermination des prix maximaux,

- que la directive 72-464 permet l'application des législations nationales en ce qui concerne le contrôle du niveau des prix et le respect des prix imposés,

- et que la détermination du prix minimal ne peut être critiquée qu'en invoquant une éventuelle infraction à l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et non pas à la directive 72-464.

7. Le 15 juillet 1994, la Commission a adressé une nouvelle lettre aux autorités helléniques dans laquelle elle indiquait qu'il ne saurait y avoir à la fois détermination ministérielle des prix minimaux de vente au détail des tabacs manufacturés et libre détermination de ces prix par les fabricants ou les importateurs.

8. La Commission soulignait en outre que la Cour avait à maintes reprises confirmé que l'article 5 de la directive 72-464 établit un principe de libre détermination des prix des tabacs par les fabricants ou par les importateurs et qu'un système national de contrôle du niveau des prix ne saurait faire obstacle à ce principe.

9. Enfin, la Commission relevait que, même si la directive 72-464 fait partie du droit dérivé, elle fournit une base juridique suffisante pour constater le caractère illégal d'une disposition nationale prévoyant la détermination obligatoire des prix de vente au détail des tabacs.

10. Par lettre du 14 septembre 1994, les autorités helléniques ont réitéré leur précédente argumentation.

11. Étant insatisfaite de cette réponse, la Commission a décidé, le 22 mars 1996, d'engager la procédure prévue à l'article 169 du traité, en sorte qu'elle a adressé une lettre de mise en demeure au Gouvernement hellénique et l'a invité à lui présenter ses observations.

12. Par lettre du 29 mai 1996, le Gouvernement hellénique a répondu à cette lettre de mise en demeure en reprenant les arguments qu'il avait précédemment développés.

13. Le 17 juin 1997, la Commission a adressé un avis motivé au Gouvernement hellénique. Après avoir exposé les raisons pour lesquelles elle rejetait ses arguments, la Commission indiquait que, en maintenant en vigueur l'article 45 de la loi n° 2127-1993, la République hellénique avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 5 de la directive 72-464, devenu, entre-temps, l'article 9 de la directive 95-59, et invitait la République hellénique à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l'avis motivé dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

14. Par lettre du 25 mars 1998, le Gouvernement hellénique réitérait sa position et indiquait, par ailleurs, qu'il exerçait le droit que lui conférait l'article 9, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 95-59 de contrôler le niveau des prix, en déterminant un niveau minimal de prix dans le but d'assurer un minimum de recettes fiscales provenant de la vente des tabacs sur le marché hellénique. Il invoquait également la possibilité pour l'État d'intervenir afin de réduire la consommation de ces produits pour des raisons de santé publique, soulignant que l'article 45 de la loi n° 2127-1993 est appliqué indistinctement aux fabricants et importateurs qu'ils soient nationaux ou communautaires.

15. Cette réponse n'ayant pas satisfait la Commission, celle-ci a décidé d'introduire le présent recours.

16. La Commission considère que la législation hellénique empêche les producteurs et les importateurs de déterminer librement le prix de vente de leurs produits puisqu'il existe un prix minimal fixé par le ministre des Finances qui doit être respecté.

17. Le Gouvernement hellénique considère, en revanche, que l'article 9 de la directive 95-59 se limite à prévoir que le fabricant doit être libre en ce qui concerne la détermination du prix maximal et non pas du prix minimal de vente au détail. Il relève, à cet égard, que le Comité économique et social, dans son avis sur la proposition de la Commission (JO 1991, C 69, p. 25), qui a débouché sur l'adoption de la directive 92-78, avait proposé d'indiquer que le fabricant ou l'importateur de tabacs manufacturés doit déterminer le "prix de vente au détail" et, par conséquent, de faire disparaître la référence aux prix maximaux. Or, cette proposition n'a pas été retenue, ce qui signifie, selon le Gouvernement hellénique, que la liberté de fixation des prix est limitée aux prix maximaux.

18. Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, qu'il résulte des troisième et septième considérants de la directive 95-59 que celle-ci s'inscrit dans le cadre d'une politique d'harmonisation des structures des accises sur les tabacs manufacturés ayant pour but d'éviter que la concurrence entre différentes catégories de tabacs manufacturés appartenant à un même groupe ne soit faussée et, ainsi, de réaliser l'ouverture des marchés nationaux des États membres.

19. À cet effet, l'article 8 de la directive 95-59 prévoit, en son paragraphe 1, que les cigarettes fabriquées dans la Communauté et celles importées de pays tiers sont soumises dans chaque État membre à une accise proportionnelle calculée sur le prix maximal de vente au détail, droits de douane inclus, ainsi qu'à une accise spécifique calculée par unité de produit.

20. Quant à l'article 9 de cette même directive, il prévoit, en son paragraphe 1, que les fabricants ou, le cas échéant, leurs représentants ou mandataires dans la Communauté ainsi que les importateurs de pays tiers déterminent librement le prix maximal de vente au détail pour chacun de leur produit, ce afin de garantir que la concurrence puisse effectivement jouer entre eux.

21. Or, force est de constater que la fixation d'un prix minimal de vente au détail par les autorités publiques a inévitablement pour effet de limiter la liberté des producteurs et des importateurs de déterminer leur prix maximal de vente au détail puisque, en toute hypothèse, celui-ci ne pourra être inférieur au prix minimal obligatoire.

22. Par ailleurs, l'absence de prise en compte de la proposition du Comité économique et social suggérant l'abandon du qualificatif "maximal" ne saurait être interprétée comme un indice de ce que le législateur communautaire a entendu accorder aux États membres la liberté d'imposer un prix minimal de vente au détail. Une telle modification était en effet sans objet puisque, d'une part, la directive 95-59 ne s'intéresse, pour le calcul des accises proportionnelles, qu'au prix maximal de vente au détail et, d'autre part, la fixation par les autorités d'un État membre d'un prix de vente au détail, fût-il minimal, porte, par nature, atteinte à la liberté des opérateurs de fixer leur prix maximal de vente au détail.

23. Le Gouvernement hellénique relève ensuite que, en toute hypothèse, la liberté de fixer le prix maximal de vente au détail peut être limitée par la législation nationale sur le contrôle du niveau des prix ou le respect des prix imposés, pour autant qu'elle soit compatible avec la réglementation communautaire.

24. Il considère que, en instituant, au départ, une détermination totalement libre des prix des tabacs manufacturés par les fabricants et les importateurs et en limitant, par la suite, de manière uniforme et proportionnée cette liberté uniquement pour ce qui concerne les prix minimaux sans aucune distinction entre les produits helléniques et les produits communautaires et sans, de manière générale, enfreindre une quelconque autre disposition du droit communautaire, l'article 45 de la loi n° 2127-1993 n'a pas violé la directive 95-59.

25. À cet égard, il convient tout d'abord de relever qu'il ressort de l'arrêt du 21 juin 1983, Commission/France (90-82, Rec. p. 2011, point 22), que l'expression "contrôle du niveau des prix" ne saurait être interprétée comme réservant aux États membres un pouvoir discrétionnaire de fixer autre chose que les législations nationales de caractère général, destinées à enrayer la hausse des prix.

26. Il résulte par ailleurs de l'arrêt du 16 novembre 1977, GB-Inno-BM (13-77, Rec. p. 2115, point 64), que, dans le cadre du mécanisme de l'imposition du tabac, l'expression "respect des prix imposés" doit être comprise comme désignant un prix qui, une fois déterminé par le fabricant ou l'importateur et approuvé par l'autorité publique, s'impose en tant que prix maximal et doit être respecté comme tel à tous les échelons du circuit de distribution jusqu'à la vente au consommateur. Ce mécanisme de fixation du prix a pour fonction d'éviter que, par le dépassement du prix imposé, une atteinte puisse être portée à l'intégrité des recettes fiscales.

27. En l'espèce, force est de constater que la législation litigieuse ne peut être considérée comme portant sur le contrôle général des prix ou sur le respect des prix imposés puisque, d'une part, elle n'a pas pour objet, ce que le Gouvernement hellénique n'a d'ailleurs pas contesté, d'enrayer la hausse des prix et que, d'autre part, le prix imposé par le ministre des Finances n'a pas été préalablement déterminé par le fabricant ou l'importateur et qu'il s'agit en outre d'un prix minimal.

28. Le Gouvernement hellénique affirme encore que le principe de la libre détermination des prix des tabacs manufacturés par les fabricants ou les importateurs peut être limité au titre de la protection de la santé publique visée à l'article 36 du traité CE (devenu, après modification, article 30 CE).

29. Selon lui, en effet, la fixation d'un prix minimal est nécessaire pour décourager la consommation de tabacs, les fabricants et importateurs pouvant choisir, en cas d'augmentation des accises, de ne pas répercuter celle-ci sur les consommateurs en diminuant leur marge bénéficiaire.

30. À cet égard, il y a lieu de relever que l'article 36 du traité permet aux États membres de faire application de dispositions nationales restrictives du commerce intracommunautaire afin de protéger la santé et la vie des personnes. Toutefois, des mesures prises sur le fondement de l'article 36 du traité ne sauraient être justifiées que si elles sont nécessaires pour atteindre l'objectif visé par cet article et si cet objectif ne peut pas être atteint par des mesures restreignant d'une manière moindre les échanges intracommunautaires (voir, notamment, arrêts du 10 juillet 1984, Campus Oil e.a., 72-83, Rec. p. 2727, point 37; du 23 février 1988,Commission/France, 216-84, Rec. p. 793, point 7, et du 13 décembre 1990, Commission/Grèce, C-347-88, Rec. p. I-4747, point 58).

31. Or, en l'espèce, il y a lieu de constater que l'objectif de protection de la santé publique peut adéquatement être poursuivi par une taxation accrue des produits du tabac manufacturé qui préserverait le principe de libre détermination des prix.

32. En effet, la capacité des fabricants et des importateurs de ne pas répercuter les augmentations d'accise frappant leurs produits est en toute hypothèse limitée par l'ampleur de leur marge bénéficiaire, de sorte que les augmentations d'accise sont tôt ou tard répercutées sur les prix de vente au détail.

33. Il résulte de ce qui précède que, en instituant et en maintenant en vigueur des dispositions législatives qui prévoient la détermination des prix minimaux de vente au détail des tabacs manufacturés par arrêté ministériel, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 9 de la directive 95-59.

Sur les dépens

34. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique aux dépens et celle-ci ayant succombé en sa défense, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre)

Déclare et arrête:

1) En instituant et en maintenant en vigueur des dispositions législatives qui prévoient la détermination des prix minimaux de vente au détail des tabacs manufacturés par arrêté ministériel, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 9 de la directive 95-59-CE du Conseil, du 27 novembre 1995, concernant les impôts autres que les taxes sur le chiffre d'affaires frappant la consommation des tabacs manufacturés.

2) La République hellénique est condamnée aux dépens.