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Décisions

CJCE, 3e ch., 19 janvier 2006, n° C-265/04

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Margaretha Bouanich

Défendeur :

Skatteverket

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Rosas

Avocat général :

Mme Kokott

Juges :

MM. Malenovský, von Bahr, Barthet, Lõhmus

CJCE n° C-265/04

19 janvier 2006

LA COUR (troisième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 43 CE, 48 CE, 56 CE et 58 CE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Mme Bouanich, ressortissante française et actionnaire d'une société anonyme suédoise, la Förvaltnings AB Ratos (ci-après "Ratos"), au Skatteverket (administration fiscale suédoise) au sujet du refus de ce dernier de lui rembourser l'intégralité de l'impôt prélevé lors du rachat de ses actions par ladite société dans le cadre d'une réduction de capital social.

Le cadre juridique national

La loi relative à l'impôt sur les dividendes

3 La réglementation suédoise opère une distinction entre les actionnaires résidents et non-résidents en ce qui concerne l'imposition des versements à l'actionnaire lors du rachat d'actions en vue de leur annulation. Pour les actionnaires résidents, le rachat d'actions est imposé comme plus-value mobilière avec un droit à déduction des frais d'acquisition des actions rachetées. Le solde est imposé au taux de 30 %. Toutefois, pour les actionnaires ne résidant pas en Suède, le rachat est considéré comme une distribution de dividendes ne donnant pas droit à ladite déduction.

4 Le régime de distribution de dividendes est prévu par la loi relative à l'impôt sur les dividendes [lag (1970:624) om kupongskatt, ci-après la "loi de 1970"] qui est seulement applicable aux personnes physiques ou morales non-résidentes en Suède ou n'y ayant pas une résidence permanente (ci-après les "actionnaires non-résidents").

5 L'article 1er de la loi de 1970 dispose que l'impôt doit être acquitté, au profit de l'État, pour toute distribution au titre d'actions émises par une société suédoise. L'article 2, deuxième alinéa, de cette loi précise que, par "distribution", il faut entendre tout versement à un actionnaire, notamment en cas de réduction du capital social.

6 L'article 5 de la même loi fixe à 30 % le taux de l'impôt sur les distributions, lequel est souvent réduit en application de conventions fiscales préventives de la double imposition. Au cas où le prélèvement aurait été perçu à un taux supérieur à celui prévu par une telle convention, l'article 27 de la loi de 1970 prévoit le droit à remboursement.

7 Ladite loi n'autorise pas la déduction des frais d'acquisition des actions rachetées. Un actionnaire qui entre dans le champ d'application de cette même loi est donc soumis à un prélèvement de 30 % sur la totalité des sommes qu'il perçoit au titre du rachat. Toutefois, les dispositions de conventions fiscales préventives de la double imposition en vigueur peuvent conduire à une autre solution.

La convention franco-suédoise préventive de la double imposition

8 La convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune a été signée le 27 novembre 1990 et est entrée en vigueur le 1er avril 1992 (ci-après la "convention franco-suédoise").

9 L'article 10, paragraphe 1, de cette convention prévoit:

"Les dividendes payés par une société qui est un résident d'un État contractant à un résident de l'autre État contractant sont imposables dans cet autre État."

10 Selon le paragraphe 2 dudit article:

"Ces dividendes sont aussi imposables dans l'État contractant dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet État, mais si la personne qui reçoit les dividendes en est le bénéficiaire effectif, l'impôt ainsi établi ne peut excéder 15 % du montant brut des dividendes."

11 Conformément à l'article 10, paragraphe 5, de la convention franco-suédoise, le terme "dividendes" employé dans cet article désigne, entre autres, les revenus provenant d'actions ainsi que les revenus soumis au régime des distributions par la législation applicable, à la date d'entrée en vigueur de cette convention, dans l'État contractant dont la société distributrice est un résident.

12 Il ressort de l'article 13, paragraphe 6, de ladite convention que les types de gains en capital provenant de l'aliénation d'actions dont il est question dans l'affaire au principal ne sont imposables que dans l'État contractant dont le cédant est un résident.

13 La même convention est fondée sur le modèle de convention de double imposition élaboré par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) modèle au sujet duquel cette dernière a également rédigé des commentaires.

14 Le point 28 des commentaires relatifs à l'article 10 du modèle de convention de l'OCDE indique que sont considérés comme des dividendes, non seulement les distributions de bénéfice décidées par l'assemblée annuelle des actionnaires, mais également les autres avantages appréciables en argent, tels que les actions gratuites, les bonus, les bénéfices de liquidation et les distributions cachées de bénéfices. Les allègements prévus à cet article s'appliquent pour autant que l'État dont la société débitrice est résidente impose ces prestations comme des dividendes.

15 Le point 31 des commentaires relatifs à l'article 13 du modèle de convention de l'OCDE précise que, si des actions sont vendues par un actionnaire à la société qui les a émises, lors de la liquidation de cette société ou de la réduction du capital social libéré de celle-ci, la différence entre le prix de vente et la valeur nominale des actions peut être traitée, dans l'État dont la société est résidente, comme une distribution de bénéfices mis en réserve et non comme un gain en capital. Ledit article ne s'oppose pas à ce que l'État de résidence de la société impose de telles distributions aux taux prévus à l'article 10 du modèle de convention de l'OCDE. Une telle imposition est permise parce que cette différence est comprise dans la définition du terme "dividendes" donnée au paragraphe 3 dudit article 10, tel qu'il est interprété au point 28 des commentaires qui s'y rapportent.

16 Selon la juridiction de renvoi, les dispositions de la convention franco-suédoise, interprétées à la lumière du modèle de convention de l'OCDE et de ses commentaires, ont conduit à la modification du régime fiscal prévu par la loi de 1970 en ce qu'elles fixent pour les non-résidents le taux de prélèvement à 15 % et prévoient un droit à déduction correspondant à la valeur nominale des actions rachetées.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

17 Dans le cadre d'une opération de réduction de son capital social, Ratos a, le 2 décembre 1998, racheté des actions de catégorie B détenues par Mme Bouanich, résidente en France, pour un montant d'environ 8 640 000 SEK (917 000 euro). Lors du paiement, un impôt de 15 % a été prélevé sur la totalité de cette somme, à savoir un montant de près de 1 300 000 SEK (138 000 euro), en application de la loi de 1970 combinée à la convention franco-suédoise.

18 Mme Bouanich a demandé à l'administration fiscale compétente le remboursement, à titre principal, de l'intégralité de l'impôt prélevé et, à titre subsidiaire, de la partie de l'impôt prélevé sur la base de la valeur nominale des actions rachetées.

19 Ladite administration fiscale a, le 28 septembre 1999, fait droit à sa demande subsidiaire et lui a remboursé un montant d'environ 167 000 SEK (18 000 euro).

20 Mme Bouanich a formé un recours contre cette décision devant le länsrätten i Dalarnas län, concluant au remboursement du solde de l'impôt prélevé à la source. Ce recours ayant été rejeté par jugement du 29 mars 2001, la requérante au principal a interjeté appel devant la juridiction de renvoi.

21 Considérant que le traité CE et la jurisprudence de la Cour n'apportent pas de réponse claire aux questions soulevées par le litige dont il est saisi, le Kammarrätten i Sundsvall a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Les articles 56 CE et 58 CE permettent-ils à un État membre d'imposer les sommes reçues pour le rachat de titres en vue de leur annulation, versées par une société par action y établie, sous le régime des distributions sans ouvrir droit à déduction des frais d'acquisition des titres ainsi rachetés, si elles sont versées à un actionnaire qui n'y est ni domicilié, ni y a de résidence permanente, alors que les sommes versées à un actionnaire domicilié ou ayant sa résidence permanente dans cet État membre pour le rachat de titres en vue de leur annulation sont imposées sous le régime des plus-values ouvrant droit à déduction des frais d'acquisition desdits titres?

2) Dans la négative, si la convention fiscale en vue d'éviter les doubles impositions conclue entre l'État membre du siège de la société par action et celui de résidence de l'actionnaire prévoit un taux de prélèvement inférieur à celui appliqué aux sommes versées à un actionnaire du premier État membre et à un actionnaire de l'autre État membre en cas de rachat de titres en vue de leur annulation, renvoyant aux commentaires du modèle de convention fiscale de l'OCDE, permettant en outre de déduire un montant correspondant à la valeur nominale des actions rachetées, les articles précités permettent-ils alors à un État membre d'appliquer une réglementation telle que décrite ci-dessus?

3) Les articles 43 CE et 48 CE permettent-ils à un État membre d'appliquer une réglementation telle que décrite ci-dessus?"

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

22 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 56 CE et 58 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que, en cas de réduction du capital social, le montant du rachat d'actions versé à un actionnaire non-résident est imposé comme distribution de dividendes sans droit à déduction des frais d'acquisition desdites actions, alors que le même montant versé à un actionnaire résident est imposé comme plus-value mobilière avec le droit à déduction des frais d'acquisition.

23 Mme Bouanich soutient que la loi de 1970 constitue une restriction à l'investissement dans des sociétés suédoises par des investisseurs étrangers et une discrimination contraire à l'article 56 CE, qui ne saurait se justifier même au regard des dispositions de l'article 58 CE.

24 Le Gouvernement suédois ne conteste pas l'existence de l'incompatibilité alléguée entre la loi de 1970 et le droit communautaire. Il admet que la réglementation suédoise sur la fiscalité des versements de rachat d'actions a pour effet que les actionnaires contribuables sont traités différemment selon qu'ils aient une obligation fiscale limitée ou illimitée en Suède. Par conséquent, ce régime pourrait conduire à ce qu'un actionnaire dont l'obligation fiscale est limitée soit parfois imposé plus lourdement que celui dont l'obligation fiscale est illimitée.

25 Ce gouvernement ajoute qu'il envisage de modifier cette réglementation pour qu'un actionnaire ayant l'obligation fiscale limitée soit autorisé à déduire du montant du rachat d'actions les frais d'acquisition de celles-ci.

26 La Commission des Communautés européennes considère évident que la réglementation suédoise relative à l'imposition du prix de rachat, en cas de réduction de capital, établit une distinction entre les actionnaires résidents et non-résidents. Le droit à déduction des frais d'acquisition des actions rachetées constituerait un avantage fiscal qui serait refusé aux actionnaires non-résidents. Cette différence de traitement des actionnaires provoquerait une discrimination en ce que des situations analogues sont traitées différemment alors qu'il n'existe aucune différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement sur ce point entre les deux catégories de contribuables.

27 Par conséquent, la Commission est d'avis que la discrimination qu'entraîne la loi de 1970 constitue une restriction à la libre circulation des capitaux contraire à l'article 56 CE. Aucune circonstance susceptible de justifier une telle restriction en vertu de l'article 58 CE ne ressortirait de l'ordonnance de renvoi.

28 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 11 août 1995, Wielockx, C-80-94, Rec. p. I-2493, point 16, et du 7 septembre 2004, Manninen, C-319-02, Rec. p. I-7477, point 19).

29 Une revente des actions à la société émettrice, telle que celle effectuée par Mme Bouanich, constitue un mouvement de capital au sens de l'article 1er de la directive 88-361-CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l'article 67 du traité [article abrogé par le traité d'Amsterdam] (JO L 178, p. 5), et de la nomenclature des mouvements de capitaux figurant à l'annexe I de cette directive. Ladite nomenclature a conservé sa valeur indicative pour définir la notion de "mouvement de capitaux" (voir arrêts du 23 septembre 2003, Ospelt et Schlössle Weissenberg, C-452-01, Rec. p. I-9743, point 7, et du 5 juillet 2005, D., C-376-03, non encore publié au Recueil, point 24). Dès lors, une telle opération relève du champ d'application des règles communautaires relatives à la libre circulation des capitaux.

30 L'article 56 CE interdit toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres sous réserve des justifications visées à l'article 58 CE.

31 Pour répondre à la première question, il convient de vérifier tout d'abord si le fait, pour un État membre, de refuser aux actionnaires non-résidents, lors du rachat d'actions, la déduction des frais d'acquisition de celles-ci constitue une restriction aux mouvements de capitaux.

32 À cet égard, il y a lieu de relever que la loi de 1970 soumet les actionnaires qui ont acquis des actions d'une société suédoise à des règles différentes selon qu'ils résident ou non en Suède. Ainsi, l'actionnaire résident en Suède est autorisé, lors du rachat d'actions en cas de réduction du capital social, à déduire les frais d'acquisition desdites actions, alors que ceci n'est pas permis à l'actionnaire non-résident. Le droit à déduction constitue dès lors un avantage fiscal réservé uniquement aux actionnaires résidents.

33 Il n'est pas contesté qu'un tel avantage fiscal représente pour les bénéficiaires un allègement de la charge fiscale, de sorte que les actionnaires non-résidents qui ne peuvent pas en bénéficier sont imposés plus lourdement et se trouvent, dès lors, dans une situation moins favorable que les actionnaires résidents.

34 Il convient de constater, ainsi que l'a relevé Mme l'avocat général aux points 33 et 34 de ses conclusions, qu'une telle réglementation a pour effet de rendre le transfert frontalier de capitaux moins attrayant, à la fois en dissuadant les investisseurs ne résidant pas en Suède d'acheter des actions de sociétés résidant en Suède et en restreignant, par voie de conséquence, les possibilités pour les sociétés suédoises de lever des capitaux auprès d'investisseurs ne résidant pas en Suède.

35 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que le fait de refuser, lors du rachat d'actions, la déduction des frais d'acquisition de celles-ci aux actionnaires non-résidents constitue une restriction aux mouvements de capitaux au sens de l'article 56 CE.

36 Il convient d'examiner, ensuite, si cette restriction peut être justifiée par des raisons visées à l'article 58, paragraphe 1, CE. Il résulte de cette dernière disposition, lue en combinaison avec le paragraphe 3 de ce même article, que les États membres peuvent établir, dans leur réglementation nationale, une distinction entre les contribuables résidents et les contribuables non-résidents pour autant que cette distinction ne constitue pas un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux.

37 Ainsi qu'il a déjà été constaté au point 34 du présent arrêt, la loi de 1970 établit une distinction entre les actionnaires résidents et non-résidents en imposant différemment le montant qu'ils reçoivent lors du rachat d'actions.

38 Cependant, il y a lieu de distinguer les traitements inégaux permis au titre de l'article 58, paragraphe 1, sous a), CE et les discriminations arbitraires interdites par le paragraphe 3 de ce même article. Or, il ressort de la jurisprudence que, pour qu'une réglementation fiscale nationale telle que celle en cause au principal puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou soit justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général (voir arrêts du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35-98, Rec. p. I-4071, point 43; Manninen, précité, points 28 et 29, et du 8 septembre 2005, Blanckaert, C-512-03, non encore publié au Recueil, point 42.

39 À cet égard, il convient d'examiner si la différence d'imposition des revenus obtenus du fait du rachat d'actions d'actionnaires résidents et d'actionnaires non-résidents se rapporte à des situations qui ne sont pas objectivement comparables.

40 Il y a lieu de constater que les frais d'acquisition sont directement liés au montant versé lors du rachat d'actions, de telle sorte que les résidents et les non-résidents sont, à cet égard, placés dans une situation comparable. Il n'existe aucune différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement sur ce point entre les deux catégories de contribuables.

41 Dans ces conditions, une réglementation nationale, telle que la loi de 1970, constitue une discrimination arbitraire à l'encontre des actionnaires non-résidents dans la mesure où elle les impose plus lourdement que les actionnaires résidents dans une situation objectivement comparable.

42 S'agissant enfin des autres justifications visées à l'article 58 CE ou dans la jurisprudence de la Cour, il y a lieu de relever qu'elles n'ont pas été invoquées.

43 Il convient donc de répondre à la première question que les articles 56 CE et 58 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que, en cas de réduction du capital social, le montant du rachat d'actions versé à un actionnaire non-résident est imposé comme distribution de dividendes sans droit à déduction des frais d'acquisition desdites actions, alors que le même montant versé à un actionnaire résident est imposé comme plus-value mobilière avec le droit à déduction des frais d'acquisition.

Sur la deuxième question

44 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si la réponse donnée à la première question serait différente dans l'hypothèse où le régime fiscal applicable résulte d'une convention préventive de la double imposition, telle que la convention franco-suédoise, qui fixe un plafond d'imposition des dividendes pour les actionnaires non-résidents inférieur à celui applicable aux actionnaires résidents, et autorise, en interprétant cette convention à la lumière des commentaires de l'OCDE sur son modèle de convention applicable, la déduction de la valeur nominale de ces actions du montant du rachat d'actions.

45 Mme Bouanich souligne que, en vertu de la convention franco-suédoise, la République française a le droit exclusif d'imposer les plus-values réalisées lors de l'opération de rachat de titres. L'impôt prélevé à tort selon le régime des dividendes devrait donc lui être intégralement restitué.

46 La Commission invoque la jurisprudence relative à l'avoir fiscal (arrêt du 28 janvier 1986, Commission/France, 270-83, Rec. p. 2773) et aux avantages fiscaux (arrêt du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN, C-307-97, Rec. p. I-6161), pour soutenir que le respect du droit communautaire ne saurait pas dépendre du contenu d'une convention de double imposition conclue entre deux États membres.

47 La Commission considère qu'un régime, tel que celui décrit dans l'affaire au principal, applicable en vertu d'une convention fiscale et interprété à la lumière des commentaires du modèle de convention de l'OCDE, est contraire aux articles 56 CE et 58 CE.

48 À cet égard, il convient d'examiner s'il y a lieu de prendre en compte la convention franco-suédoise afin d'apprécier la conformité d'une réglementation fiscale avec les règles communautaires sur la libre circulation de capitaux. En cas de réponse affirmative, il convient ensuite de vérifier si cette convention élimine la restriction à la liberté fondamentale établie.

49 Il doit être constaté que l'élimination des doubles impositions est un des objectifs de la Communauté dont la réalisation dépend des États membres en vertu de l'article 293, deuxième tiret, CE. En l'absence de mesures d'unification ou d'harmonisation communautaire visant à éliminer les doubles impositions, les États membres demeurent compétents pour déterminer les critères d'imposition des revenus et de la fortune en vue d'éliminer, le cas échéant par la voie conventionnelle, les doubles impositions. Dans ce contexte, les États membres sont libres, dans le cadre des conventions bilatérales, de fixer les facteurs de rattachement aux fins de la répartition de la compétence fiscale (voir arrêts du 12 mai 1998, Gilly, C-336-96, Rec. p. I-2793, points 24 et 30; Saint-Gobain ZN, précité, point 57, et D., précité, point 52).

50 Toutefois, cette répartition de la compétence fiscale ne permet pas aux États membres d'introduire une discrimination contraire aux règles communautaires.

51 Dès lors que le régime fiscal qui résulte de la convention franco-suédoise, interprétée à la lumière des commentaires du modèle de convention de l'OCDE, fait partie du cadre juridique applicable à l'affaire au principal et qu'il a été présenté comme tel par la juridiction de renvoi, la Cour doit le prendre en compte afin de donner une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national. Il n'appartient pas à la Cour d'interpréter le droit national ni d'examiner son application au cas d'espèce (voir, notamment, arrêts du 24 octobre 1996, Dietz, C-435-93, Rec. p. I-5223, point 39, et du 30 avril 1998, Thibault, C-136-95, Rec. p. I-2011, point 21).

52 S'agissant du traitement fiscal qui résulte de la convention franco-suédoise, il convient de rappeler qu'un actionnaire non-résident, tel que Mme Bouanich, est autorisé, en vertu de cette convention, interprétée à la lumière des commentaires du modèle de convention de l'OCDE, à déduire la valeur nominale des actions du montant imposable lors du rachat de celles-ci. Il est, dès lors, imposé au taux de 15 % du solde restant.

53 Étant donné que les actionnaires résidents sont imposés au taux de 30 % sur le montant du rachat d'actions après déduction des frais d'acquisition, il y a lieu de vérifier si ces actionnaires sont traités plus favorablement que les actionnaires non-résidents. Pour effectuer une telle vérification, il est nécessaire de connaître le montant des frais d'acquisition des actions, ainsi que la valeur nominale de celles-ci.

54 À cet égard, il doit être rappelé que l'établissement et l'appréciation des faits ne relèvent pas de la compétence de la Cour mais de celle du juge national (arrêts du 15 novembre 1979, Denkavit, 36-79, Rec. p. 3439, point 12; du 5 octobre 1999, Lirussi et Bizzaro, C-175-98 et C-177-98, Rec. p. I-6881, point 37, et du 22 juin 2000, Fornasar e.a., C-318-98, Rec. p. I-4785, point 31).

55 Il incombe, dès lors, à la juridiction de renvoi de vérifier, dans le cadre du litige dont elle est saisie, si la déduction de la valeur nominale et l'application du plafond d'imposition de 15 % pour les actionnaires non-résidents aboutit à un traitement de ces derniers qui n'est pas moins favorable que celui des résidents ayant droit à la déduction des frais d'acquisition et à l'application d'un taux de 30 %.

56 Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question que les articles 56 CE et 58 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui résulte d'une convention préventive de la double imposition, telle que la convention franco-suédoise, qui fixe un plafond d'imposition des dividendes pour les actionnaires non-résidents inférieur à celui applicable aux actionnaires résidents et autorise, en interprétant cette convention à la lumière des commentaires de l'OCDE sur son modèle de convention applicable, la déduction de la valeur nominale de ces actions du montant du rachat d'actions, sauf dans les cas où, en application de ladite réglementation nationale, les actionnaires non-résidents ne sont pas traités moins favorablement que les actionnaires résidents. Il appartient à la juridiction de renvoi d'établir si tel est le cas dans le cas spécifique de l'affaire au principal.

Sur la troisième question

57 Compte tenu des réponses apportées aux première et deuxième questions, il n'y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

58 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre),

dit pour droit:

1) Les articles 56 CE et 58 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit que, en cas de réduction du capital social, le montant du rachat d'actions versé à un actionnaire non-résident est imposé comme distribution de dividendes sans droit à déduction des frais d'acquisition desdites actions, alors que le même montant versé à un actionnaire résident est imposé comme plus-value mobilière avec le droit à déduction des frais d'acquisition.

2) Les articles 56 CE et 58 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui résulte d'une convention préventive de la double imposition, telle que la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Suède en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 27 novembre 1990, qui fixe un plafond d'imposition des dividendes pour les actionnaires non-résidents inférieur à celui applicable aux actionnaires résidents et autorise, en interprétant cette convention à la lumière des commentaires de l'Organisation de coopération et de développement économiques sur son modèle de convention applicable, la déduction de la valeur nominale de ces actions du montant du rachat d'actions, sauf dans les cas où, en application de ladite réglementation nationale, les actionnaires non-résidents ne sont pas traités moins favorablement que les actionnaires résidents. Il appartient à la juridiction de renvoi d'établir si tel est le cas dans le cas spécifique de l'affaire au principal.