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Décisions

CJCE, 1re ch., 27 juin 1996, n° C-293/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rechtbank van eerste aanleg Turnhout

Défendeur :

Brandsma

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Edward

Avocat général :

M. Fennelly

Juges :

MM. Sevón, Wathelet

Avocats :

Mes van Hille, Jones, Ryckman

CJCE n° C-293/94

27 juin 1996

LA COUR (première chambre),

1 Par jugement du 20 octobre 1994, parvenu à la Cour le 28 octobre suivant, le Rechtbank van eerste aanleg te Turnhout a posé, en application de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 30 et 36 de ce même traité.

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'une procédure pénale dirigée contre Mme Brandsma, en sa qualité de responsable du magasin HEMA à Turnhout, pour avoir enfreint l'article 8 de l'arrêté royal belge du 5 juin 1975 relatif à la conservation, au commerce et à l'utilisation des pesticides et des produits phytopharmaceutiques. Mme Brandsma est poursuivie pour avoir vendu un produit dénommé "HEMA Tegelreiniger", servant à prévenir la formation d'algues sur les murs ou les dalles. Ce produit n'a pas fait l'objet d'une demande d'autorisation auprès du ministère de la Santé publique belge, mais comporte un numéro d'autorisation aux Pays-Bas, où il est vendu dans les diverses grandes surfaces du groupe HEMA.

3 Estimant que l'affaire posait un problème d'interprétation du droit communautaire, la juridiction de renvoi a sursis à statuer et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Une disposition légale d'un État membre qui interdit de mettre dans le commerce, d'acquérir, d'offrir, d'exposer ou de mettre en vente, de détenir, de préparer, de transporter, de vendre, de remettre à titre onéreux ou à titre gratuit, d'importer ou d'utiliser des pesticides à usage non agricole qui n'ont pas été autorisés préalablement par le ministre qui a la Santé publique dans ses attributions doit-elle être considérée comme une restriction quantitative ou une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité CEE si elle a pour effet qu'un pesticide à usage non agricole, qui est légalement commercialisé dans un autre État membre, ne peut pas être importé puis vendu dans le premier État membre sans l'autorisation préalable du ministre qui a la Santé publique dans ses attributions?

2) Si la première question appelle une réponse positive et qu'une telle disposition est contraire à l'article 30 du traité CEE, le premier État membre peut-il, dans les circonstances précitées, invoquer valablement l'exception prévue à l'article 36 du traité CEE et la protection de la santé publique qui y est évoquée pour maintenir cette disposition et écarter l'application de l'interdiction instituée par l'article 30 du traité CEE?"

4 S' agissant de la première question, toutes les parties conviennent que la loi belge doit être considérée comme une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité.

5 A cet égard, il y a lieu en effet de constater que, selon une jurisprudence constante, une réglementation telle que celle applicable en l'espèce constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité, dès lors qu'elle est susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce entre les États membres (voir, notamment, arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837).

6 Dans ces conditions, il convient de répondre à la première question que constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité une disposition légale d'un État membre qui interdit de mettre dans le commerce, d'acquérir, d'offrir, d'exposer ou de mettre en vente, de détenir, de préparer, de transporter, de vendre, de remettre à titre onéreux ou à titre gratuit, d'importer ou d'utiliser des pesticides à usage non agricole qui n'ont pas été préalablement autorisés.

7 S'agissant de la seconde question, Mme Brandsma affirme que le produit qu'elle vend a été agréé aux Pays-Bas et répond à toutes les exigences des directives applicables en la matière. Elle cite à cet égard les directives du Conseil 67-548-CEE, du 27 juin 1967, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l'emballage et l'étiquetage des substances dangereuses (JO 1967, 196, p. 1), 76-769-CEE, du 27 juillet 1976, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la limitation de la mise sur le marché et de l'emploi de certaines substances et préparations dangereuses (JO L 262, p. 201), et 78-631-CEE, du 26 juin 1978, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la classification, l'emballage et l'étiquetage des préparations dangereuses (pesticides) (JO L 206, p. 13). L'article 36 ne peut donc entrer en ligne de compte que pour autant que l'exigence d'un nouvel agrément aille au-delà de ce qui est prévu par ces directives. Par ailleurs, il ne serait pas admissible, au regard de l'article 36 du traité, d'exiger que ce produit fasse l'objet d'une nouvelle procédure d'agrément en Belgique, dès lors que la santé publique dans cet État y est suffisamment protégée par la délivrance de l'autorisation aux Pays-Bas. Le conseil de Mme Brandsma a d'ailleurs précisé à l'audience que ni HEMA ni sa cliente n'avait introduit de demande d'agrément du produit en Belgique. Enfin, il appartiendrait en tout état de cause au Ministère public de démontrer que la formalité belge est essentielle pour la santé publique et que l'agrément néerlandais serait à cet égard insuffisant.

8 Les Gouvernements néerlandais, autrichien, suédois et du Royaume-Uni ainsi que la Commission relèvent que le produit fait partie de la catégorie des biocides, pour lesquels il n'existe pas actuellement de directive d'harmonisation, mais seulement une proposition de directive prévoyant des procédures nationales d'agrément (JO 1995, C 261, p. 5).

9 Ils considèrent que cette affaire est analogue à celle tranchée par la Cour dans l'arrêt du 17 décembre 1981, Frans-Nederlandse Maatschappij voor Biologische Producten (272-80, Rec. p. 3277), et concluent qu'une mesure nationale imposant une autorisation préalable à la mise sur le marché d'un produit est justifiée par la protection de la santé publique, au sens de l'article 36 du traité. Les Gouvernements du Royaume-Uni et suédois mentionnent également la protection de l'environnement comme cause de justification.

10 Il convient en effet de constater que, en l'état actuel de la réglementation communautaire, il n'existe pas encore de disposition relative à la mise sur le marché des produits biocides. Pour les motifs indiqués par M. l'Avocat général aux points 16 à 18 de ses conclusions, les directives invoquées par la défenderesse dans l'affaire au principal ne sont pas pertinentes en ce qui concerne la mise sur le marché d'un produit tel que le HEMA Tegelreiniger. C'est donc au regard des dérogations visées à l'article 36 du traité qu'il importe de vérifier si une disposition nationale telle que celle applicable dans l'affaire au principal peut être justifiée.

11 Dès lors que les produits biocides sont utilisés pour lutter contre les organismes nuisibles pour la santé humaine ou animale et ceux susceptibles d'endommager les produits naturels ou manufacturés, ils contiennent nécessairement des substances dangereuses. Ainsi que l'ont relevé à juste titre les gouvernements néerlandais, autrichien, suédois et du Royaume-Uni ainsi que la Commission, en l'absence de règles d'harmonisation, les États membres restent libres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes et de l'exigence d'une autorisation préalable à la mise sur le marché de tels produits.

12 Toutefois, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt Frans-Nederlandse Maatschappij voor Biologische Producten, précité, point 14, si un État membre est libre de soumettre un produit du type de celui en cause ayant déjà fait l'objet d'un agrément dans un autre État membre à une nouvelle procédure d'examen et d'agrément, les autorités des États membres sont néanmoins tenues de contribuer à un allégement des contrôles dans le commerce intracommunautaire et de prendre en considération les analyses techniques ou chimiques ou les essais de laboratoire déjà effectués dans un autre État membre.

13 Il y a donc lieu de répondre à la seconde question qu'est justifiée au regard de l'article 36 du traité une législation nationale qui interdit la mise sur le marché d'un produit biocide contenant des substances dangereuses tel que le produit en l'espèce sans autorisation préalable des autorités compétentes, même si ce produit a déjà fait l'objet d'une autorisation de vente dans un autre État membre. Les autorités compétentes ne sont toutefois pas en droit d'exiger sans nécessité des analyses techniques ou chimiques ou des essais de laboratoire lorsque les mêmes analyses et essais ont déjà été effectués dans cet autre État membre et que leurs résultats sont à la disposition de ces autorités ou peuvent sur leur demande être mis à leur disposition.

Sur les dépens

14 Les frais exposés par les Gouvernements néerlandais, autrichien, suédois et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Rechtbank van eerste aanleg te Turnhout, par jugement du 20 octobre 1994, dit pour droit :

1) Constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité CE une disposition légale d'un État membre qui interdit de mettre dans le commerce, d'acquérir, d'offrir, d'exposer ou de mettre en vente, de détenir, de préparer, de transporter, de vendre, de remettre à titre onéreux ou à titre gratuit, d'importer ou d'utiliser des pesticides à usage non agricole qui n'ont pas été préalablement autorisés.

2) Est justifiée au regard de l'article 36 du traité CE une législation nationale qui interdit la mise sur le marché d'un produit biocide contenant des substances dangereuses tel que le produit en l'espèce sans autorisation préalable des autorités compétentes, même si ce produit a déjà fait l'objet d'une autorisation de vente dans un autre État membre. Les autorités compétentes ne sont toutefois pas en droit d'exiger sans nécessité des analyses techniques ou chimiques ou des essais de laboratoire lorsque les mêmes analyses et essais ont déjà été effectués dans cet autre État membre et que leurs résultats sont à la disposition de ces autorités ou peuvent sur leur demande être mis à leur disposition.