CJCE, 26 mai 1982, n° 133-81
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Roger Ivenel
Défendeur :
Helmut Schwab
LA COUR,
1 Par arrêt du 2 avril 1981, parvenu à la Cour le 3 juin suivant, la Cour de cassation de France a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la convention), une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 5, 1, de la convention.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige entre M. Ivenel, domicilié à Strasbourg, et l'entreprise Schwab Maschinenbau, établie à Oettingen, en Bavière, en raison de la rupture alléguée d'un contrat de représentation qui a donné lieu à une demande en paiement de commissions et d'indemnités de clientèle, de préavis et de congés payés.
3 Le Conseil de prud'hommes de Strasbourg, saisi de la demande, a rejeté les deux exceptions d'incompétence soulevées par Schwab. Il a fondé sa compétence ratione materiae sur la circonstance que, à son avis, le contrat entre les parties devait être qualifié de contrat de travail. En ce qui concerne sa compétence ratione loci, il a considéré que, d'après l'article 5, 1, de la convention, un défendeur domicilié sur le territoire d'un autre État membre peut être attrait, en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée et que, en l'espèce, l'obligation à prendre en considération serait celle de la prestation du travail par le représentant qui avait ses bureaux à Strasbourg, où il centralisait les commandes et d'où il expédiait les ordres.
4 Saisie de l'appel de Schwab, la Cour d'appel de Colmar, tout en confirmant le jugement du Conseil de prud'hommes pour autant qu'il a constaté l'existence d'un contrat de travail, l'a infirmé pour incompétence ratione loci. La Cour d'appel a en effet estimé que l'obligation à prendre en considération pour l'application de l'article 5, 1, de la convention est celle qui sert de fondement à l'action judiciaire ; en l'occurrence, cette obligation serait celle tendant au versement des commissions et autres indemnités réclamées à Schwab, sommes dont le paiement serait quérable et non portable.
5 M. Ivenel s'est pourvu en cassation contre cet arrêt, en soutenant que la Cour d'appel avait ainsi violé l'article 5, 1, de la convention.
6 La Cour de cassation, après avoir rappelé les motifs invoqués par la Cour d'appel pour estimer que les juridictions françaises n'étaient pas compétentes en l'espèce, a cependant considéré que le litige portant sur l'exécution d'un contrat de représentation, lequel comportait des obligations réciproques dont certaines au moins s'exécutaient en France, la question de savoir quel est le lieu où l'obligation au sens de l'article 5, 1, précité, doit être exécutée, soulève un problème d'interprétation. Elle a donc sursis à statuer pour demander à la Cour de se prononcer sur l'interprétation à donner à cette disposition.
7 Il y a lieu d'observer que, comme la Cour de justice l'a déjà indiqué notamment dans l'arrêt du 6 octobre 1976 (Tassili, 12-76, Recueil p. 1473), le 'lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée', au sens de l'article 5, 1, de la convention, est déterminé conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie.
8 La question posée par la juridiction nationale vise à savoir quelle est l'obligation litigieuse à prendre en considération aux fins de cette définition, lorsque la demande dont le juge est saisi se fonde sur différentes obligations résultant d'un seul contrat de représentation lequel a été qualifié de contrat de travail par les juridictions de fond.
9 Dans son arrêt du 6 octobre 1976 (De Bloos, 14-76, Recueil p. 1497), la Cour a déjà précisé que l'obligation à prendre en considération, au sens de l'article 5, 1, de la convention, en cas d'une demande fondée sur un contrat de concession exclusive de vente conclu entre deux entreprises commerciales, est celle qui sert de base à l'action judiciaire. Le problème soulevé par la présente affaire consiste à savoir s'il y a lieu d'appliquer le même critère aux cas qui présentent les caractéristiques décrites par la juridiction nationale.
10 Il convient d'examiner ce problème à la lumière des objectifs qui sont propres à la convention ainsi que de l'économie générale de ses dispositions.
11 L'introduction des règles de compétence spéciales telles qu'elles figurent aux articles 5 et 6 de la convention trouve sa justification, notamment, dans la considération qu'il existe un lien de rattachement étroit entre la contestation et le tribunal qui est appelé à en connaitre. Le rapport établi par le Comité des experts ayant élaboré le texte de la convention (JO C 59, 1979, p. 1) souligne ce lien en indiquant, entre autres, que le for du lieu où l'obligation a été ou doit être exécutée présente un intérêt pour des actions en recouvrement d'honoraires, étant donné que le créancier aura, dans ce cas, le choix entre les tribunaux de l'état du domicile du défendeur en vertu de la disposition générale de l'article 2 de la convention, et le tribunal d'un autre état dans le ressort duquel la prestation a été effectuée, notamment lorsque, selon la loi applicable, l'obligation de payer doit être exécutée au lieu de la prestation des services.
12 Le rapport précité évoque également les raisons pour lesquelles les rédacteurs de la convention n'ont pas cru opportun d'insérer dans la convention une disposition qui établirait une compétence exclusive en matière de contrats de travail. Selon ce même rapport, il serait souhaitable que, dans toute la mesure du possible, les contestations en cette matière soient localisées devant les tribunaux de l'état dont la loi est appelée à régir le contrat, alors que, à l'époque de la rédaction de la convention, des travaux étaient en Cours en vue d'harmoniser l'application des normes du droit du travail dans les États membres de la Communauté. Le rapport conclut que, pour le moment, les dispositions existantes de la convention, tels les articles 2, for du défendeur, et 5, 1, for de l'exécution de l'obligation, seraient de nature à donner satisfaction aux intérêts en présence.
13 Il y a lieu de signaler que le 19 juin 1980, une convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles a été ouverte à la signature des États membres (JO L 266, 1980, p. 1). Son article 6 prévoit que le contrat de travail est régi, à défaut de choix de la loi applicable, par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, à moins qu'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays.
14 Le rapport d'experts concernant la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles (JO C 282, 1980, p. 1) explique à cet égard que l'introduction d'une règle spécifique de conflits en matière de contrats de travail avait pour but de donner une réglementation appropriée à des matières où les intérêts d'un des contractants ne se posent pas sur le même plan que ceux de l'autre et d'assurer, par le biais d'une telle réglementation, une protection adéquate à la partie qui est à considérer, d'un point de vue sociologique, comme la plus faible dans la relation contractuelle.
15 Il résulte de cet exposé qu'en matière contractuelle, l'article 5, 1, de la convention vise en particulier à établir la compétence de la juridiction du pays qui a un lien étroit avec le litige ; que, dans le cas d'un contrat portant sur la prestation d'un travail dépendant, ce lien consiste notamment dans la loi applicable au contrat ; et que, d'après l'évolution des règles de conflit à ce sujet, cette loi est déterminée par l'obligation qui caractérise le contrat en question et qui est normalement celle d'accomplir le travail.
16 Un examen des dispositions de la convention fait apparaitre que celles-ci, en établissant des compétences spéciales ou même exclusives en matière d'assurances, de vente à tempérament et de baux d'immeubles, reconnaissent que la réglementation des compétences judiciaires est, elle aussi, inspirée par le souci de fournir une protection adéquate à la partie contractante qui est la plus faible du point de vue social.
17 C'est en tenant compte de ces éléments qu'il y a lieu de répondre à la question posée.
18 Dans un cas comme celui de l'espèce, où le juge se trouve saisi de demandes portant sur des obligations résultant d'un contrat de représentation, dont certaines concernent la rémunération qui serait due au travailleur par une entreprise établie dans un état, et certaines autres des indemnités fondées sur la façon dont le travail a été effectué dans un autre état, il importe d'interpréter les dispositions de la convention de telle façon que la juridiction saisie ne se trouve pas amenée à se déclarer compétente pour statuer sur certaines demandes mais incompétente pour connaitre de certaines autres.
19 Un tel résultat serait d'autant moins conforme aux objectifs et à l'économie générale de la convention qu'il s'agit d'un contrat portant sur la prestation d'un travail dépendant pour lequel, en règle générale, la loi applicable comporte des dispositions protégeant le travailleur, cette loi étant normalement celle du lieu de l'accomplissement du travail qui constitue la prestation caractérisant le contrat.
20 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'obligation à prendre en considération pour l'application de l'article 5, 1, de la convention en cas de demandes fondées sur différentes obligations résultant d'un contrat de représentation qui lie un travailleur dépendant à une entreprise, est celle qui caractérise ce contrat.
Sur les dépens
21 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur la question à elle soumise par la Cour de cassation de France, par arrêt du 2 avril 1981, dit pour droit :
L'obligation à prendre en considération pour l'application de l'article 5, 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, en cas de demandes fondées sur différentes obligations résultant d'un contrat de représentation qui lie un travailleur dépendant à une entreprise, est celle qui caractérise ce contrat.