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Décisions

CJCE, 4 février 1988, n° 145-86

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Horst Ludwig Martin Hoffmann

Défendeur :

Adelheid Krieg

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

MM. Stuart

Présidents de chambre :

MM. Bosco, Iglesias

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

MM. Koopmans, Bahlmann, Joliet, O'Higgins

Avocats :

Mes Altes, Venema, Bronkhorst, Drijber

CJCE n° 145-86

4 février 1988

LA COUR,

1 Par jugement du 6 juin 1986, parvenu à la Cour le 13 juin suivant, le Hoge Raad a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 concernant l'interprétation, par la Cour de justice, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après "convention"), cinq questions relatives à l'interprétation de plusieurs articles de cette convention.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. H. L. M. Hoffmann (ci-après "mari") à Mme A. Krieg (ci-après "femme"), au sujet de l'exécution aux Pays-Bas d'un jugement de l'Amtsgericht Heidelberg, condamnant le mari à verser une pension alimentaire mensuelle à la femme.

3 Il ressort du dossier que les parties au principal sont des ressortissants allemands qui se sont mariés en 1950 et qu'en 1978 le mari a quitté le domicile conjugal en République Fédérale d'Allemagne et s'est installé aux Pays-Bas. A la demande de la femme, le mari a été condamné, le 21 août 1979, par une décision de l'Amtsgericht Heidelberg, à lui verser une pension alimentaire entre époux séparés.

4 Sur demande du mari, l'Arrondissementsrechtbank de Maastricht a prononcé le divorce par jugement par défaut du 1er mai 1980, en appliquant, selon les règles néerlandaises de conflit de lois, le droit allemand. Le 19 août 1980, le divorce est devenu effectif aux Pays-Bas par l'inscription au registre de l'état civil à la Haye. Ce jugement de divorce, qui ne relève pas du champ d'application de la convention, n'avait pas fait l'objet d'une reconnaissance en République Fédérale d'Allemagne au moment que la juridiction nationale estimé déterminant pour les besoins de l'affaire.

5 Sur requête de la femme, le président de l'Arrondissementsrechtbank d'Almelo, par ordonnance du 29 juillet 1981, a accordé l'exequatur de la décision de l'Amtsgericht Heidelberg, conformément à l'article 31 de la convention. Cette autorisation d'exécution a été notifiée en avril 1982 au mari, qui n'a pas formé de recours contre elle.

6 Le 28 février 1983, la femme a fait procéder à une saisie-arrêt exécutoire entre les mains de l'employeur du mari. Celui-ci a saisi le président de l'Arrondissementsrechtbank d'Almelo en référé dans le but de voir prononcer la mainlevée, au moins à titre provisoire, de la saisie. Il a obtenu gain de cause en première instance ; en seconde instance, cependant, le Gerechtshof d'Arnhem a rejeté sa demande. Cet arrêt a fait l'objet d'un pourvoi en cassation devant le Hoge Raad.

7 Estimant que la solution du litige dépendait de l'interprétation de plusieurs articles de la convention, le Hoge Raad a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes :

1) "L'obligation de reconnaitre la décision rendue dans un état contractant (article 26) impose-t-elle aux autres états contractants de reconnaitre à cette décision le même effet que celui qu'elle a selon le droit de l'état où elle a été rendue, et cela implique-t-il qu'elle peut donc être exécutée chaque fois qu'elle peut également l'être dans ledit état?"

2) En cas de réponse affirmative à la première question :

"Les dispositions combinées des articles 26 et 31 de la Convention de Bruxelles doivent-elles être interprétées en ce sens que l'obligation de reconnaitre une décision rendue dans un état contractant implique que cette décision, parce qu'elle reste susceptible d'exécution selon le droit de l'état où elle a été rendue, peut également être exécutée dans les mêmes cas dans l'autre état contractant?"

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question :

"Peut-on, dans un cas comme celui de l'espèce, invoquer l'incompatibilité de la condamnation prononcée par le juge allemand à payer des aliments avec le jugement de divorce néerlandais rendu ultérieurement, où peut-on invoquer l'ordre public" (article 27, points 1 et 3)?

4) "(Le système mis en place par) la Convention de Bruxelles oblige-t-il à admettre la règle selon laquelle, si la partie contre laquelle l'exécution d'une décision rendue dans un autre état contractant est demandée néglige de se prévaloir, dans son recours contre l'exequatur, d'une raison valable qui fait obstacle à l'exécution ultérieure de ladite décision et qui avait été portée à sa connaissance avant l'expiration du délai vise à l'alinéa 1 de l'article 36 de la Convention de Bruxelles, elle n'est plus recevable à se prévaloir de cette raison valable au cours d'un recours ultérieur par lequel elle fait opposition à (la poursuite de) l'exécution?"

5) En cas de réponse affirmative a la quatrième question :

"(Le système mis en place par) la Convention de Bruxelles oblige-t-il à admettre que le juge de l'état dans lequel l'exequatur est accordé est tenu d'appliquer d'office, dans un recours ultérieur contre l'exécution, la règle visée dans la (quatrième) question, même si son droit national ne prévoit pas une pareille application?"

8 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire au principal ainsi que du déroulement de la procédure et des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

9 La première question de la juridiction nationale vise en substance à savoir si une décision étrangère reconnue en vertu de l'article 26 de la convention doit déployer en principe, dans l'état requis, les mêmes effets que ceux qu'elle a dans l'état d'origine.

10 A cet égard, il convient de rappeler que la convention "tend à faciliter, dans toute la mesure du possible, la libre circulation des jugements" et que "c'est dans cet esprit qu'elle doit être interprétée". La reconnaissance doit donc "avoir pour effet d'attribuer aux décisions l'autorité et l'efficacité dont elles jouissent dans l'état où elles ont été rendues" (rapport sur la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, JO 1979, C 59, p. 42 et 43).

11 Par conséquent, il convient de répondre à la première question de la juridiction nationale qu'une décision étrangère reconnue en vertu de l'article 26 de la convention doit déployer en principe, dans l'état requis, les mêmes effets que ceux qu'elle a dans l'état d'origine.

12 Au vu des circonstances du litige au principal qui résultent du dossier, la deuxième question posée par la juridiction nationale vise en substance à savoir si une décision étrangère, qui a été revêtue de la formule exécutoire dans un état contractant en application de l'article 31 de la convention, doit continuer à être exécutée dans tous les cas où elle resterait susceptible d'exécution dans l'état d'origine, alors même que, selon la législation de l'état de l'exécution, celle-ci ne peut plus avoir lieu pour des raisons qui échappent au champ d'application de la convention.

13 En l'espèce, la décision dont l'exécution est en cause condamne un époux à verser des aliments à son conjoint au titre de ses obligations d'entretien résultant du mariage. Une telle décision présuppose nécessairement l'existence du lien matrimonial.

14 Il y a lieu, en conséquence, d'examiner si la dissolution de ce lien matrimonial résultant d'un jugement de divorce prononcé par une juridiction de l'état requis peut mettre fin à l'exécution de la décision étrangère, même au cas où cette dernière reste exécutoire dans l'état d'origine, faute de reconnaissance du jugement de divorce.

15 A cet égard, il convient de constater que la convention, dans son article 1, alinéa 2, point 1, exclut de son champ d'application, notamment, l'état des personnes physiques et qu'elle ne contient aucune règle qui obligerait le juge de l'état requis à subordonner les effets d'un jugement national prononçant le divorce à la reconnaissance de ce jugement dans l'état d'origine de la décision étrangère sur les aliments.

16 Cette constatation est confirmée par la disposition de l'article 27, point 4, de la convention, qui exclut, en principe, la reconnaissance des décisions étrangères comportant la méconnaissance d'une règle de droit international privé de l'état requis relative, entre autres, à l'état des personnes physiques. En effet, cette disposition montre bien que, en ce qui concerne l'état des personnes physiques, la convention n'entend pas déroger aux règles applicables en vertu du droit national du juge saisi.

17 Il s'ensuit que la convention ne s'oppose pas à ce que le juge de l'état requis tire les conséquences d'un jugement national prononçant le divorce dans le cadre de l'exécution de la décision étrangère sur les aliments.

18 Il convient donc de répondre à la juridiction nationale qu'une décision étrangère, qui a été revêtue de la formule exécutoire dans un état contractant en application de l'article 31 de la convention et qui reste susceptible d'exécution dans l'état d'origine, ne doit pas continuer à être exécutée dans l'état requis lorsque, selon la législation de ce dernier état, l'exécution ne peut plus avoir lieu pour des raisons qui échappent au champ d'application de la convention.

19 La troisième question posée par la juridiction nationale vise en substance à savoir si une décision étrangère condamnant un époux à verser des aliments à son conjoint au titre de ses obligations d'entretien résultant du mariage est inconciliable au sens de l'article 27, point 3, de la convention avec une décision nationale ayant prononcé le divorce entre les époux concernés, ou encore si une telle décision étrangère est contraire à l'ordre public de l'état requis au sens du même article, point 1.

20 Les dispositions dont l'interprétation est demandée énoncent des motifs de non-reconnaissance des décisions étrangères. En vertu de l'article 34, alinéa 2, ce sont les mêmes motifs qui justifient le refus de l'exequatur.

21 En ce qui concerne la deuxième branche de la troisième question, il convient de relever que, dans le système de la convention, le recours à la clause de l'ordre public, qui "ne doit jouer que dans des cas exceptionnels" (rapport sur la convention, précité, p. 44), est en tout cas exclu lorsque, comme en l'espèce, le problème posé est celui de la compatibilité d'une décision étrangère avec une décision nationale, ce problème devant être résolu sur la base de la disposition spécifique de l'article 27, point 3, qui vise le cas où la décision étrangère est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'état requis.

22 Afin d'établir s'il y a inconciliabilité au sens de ladite disposition, il convient de rechercher si les décisions en cause entrainent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement.

23 Il résulte du dossier qu'en l'espèce la décision étrangère sur les aliments a été revêtue de la formule exécutoire, alors que la décision nationale prononçant le divorce avait été déjà rendue et avait acquis la force de la chose jugée, et que le litige au principal concerne la période postérieure au divorce.

24 Dans ces conditions, les décisions en cause entrainent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement. En effet, la décision étrangère, qui présuppose nécessairement l'existence du lien matrimonial, devrait être mise à exécution, alors que ce lien a été dissous par une décision rendue entre les mêmes parties dans l'état requis.

25 Il convient donc de répondre à la troisième question posée par la juridiction nationale qu'une décision étrangère condamnant un époux à verser des aliments à son conjoint au titre de ses obligations d'entretien résultant du mariage est inconciliable, au sens de l'article 27, point 3, de la convention, avec une décision nationale ayant prononcé le divorce entre les époux concernés.

26 Les quatrième et cinquième questions posées par la juridiction nationale visent à savoir si l'article 36 de la convention doit être interprété en ce sens que la partie qui n'a pas intenté le recours contre l'exequatur prévu par cette disposition ne peut plus faire valoir, au stade de l'exécution de la décision, une raison valable qu'elle aurait pu invoquer dans le cadre de ce recours contre l'exequatur, et si cette règle doit être appliquée d'office par les juridictions de l'état requis.

27 En vue de répondre à ces questions, il convient de rappeler d'abord que, afin de limiter les exigences auxquelles l'exécution des décisions rendues dans les états contractants peut être soumise dans un autre état contractant, la convention prévoit une procédure très sommaire pour la délivrance de l'exequatur, lequel ne peut être refusé que pour les motifs limitativement énoncés aux articles 27 et 28. Néanmoins, la convention se borne à régler la procédure d'exequatur des titres exécutoires étrangers et ne touche pas à l'exécution proprement dite qui reste soumise au droit national du juge saisi (arrêt du 2 juillet 1985, Deutsche Genossenschaftsbank, 148-84, Rec. p. 1981).

28 Par conséquent, l'exécution d'une décision estrangère revêtue de la formule exécutoire intervient selon les règles de procédure du droit national du juge saisi, y compris celles relatives aux voies de recours.

29 L'application des règles de procédure de l'état requis dans le cadre de l'exécution ne saurait toutefois porter atteinte à l'effet utile du système de la convention en matière d'exequatur.

30 Il s'ensuit que les voies de recours ouvertes par le droit national doivent être exclues lorsque le recours contre l'exécution d'une décision étrangère revêtue de la formule exécutoire est formé par la même personne qui aurait pu intenter un recours contre l'exequatur et est fondé sur une raison qui aurait pu être invoquée dans le cadre de ce recours. En effet, dans ces circonstances, la contestation de l'exécution aboutirait à une remise en cause de l'exequatur hors du délai rigoureux fixé à l'article 36, alinéa 2, de la convention et partant à priver d'effet utile cette disposition.

31 Le caractère impératif du délai fixé à l'article 36 de la convention comporte pour le juge national l'obligation de veiller à son respect. Il lui appartient donc d'écarter d'office la recevabilité d'un recours intenté sur la base du droit national lorsque ce recours aboutit à une remise en cause dudit délai.

32 Cette règle, qui découle du système de la convention, ne saurait toutefois s'appliquer lorsque, comme en l'espèce, elle aurait pour résultat d'obliger le juge national à ignorer les effets d'un jugement national de divorce, exclu du domaine d'application de la convention, au motif que ce jugement ne serait pas reconnu dans l'état d'origine de la décision étrangère dont l'exécution est en cause.

33 En effet, ainsi qu'il a été constaté dans le cadre de la réponse à la deuxième question, la convention ne contient aucune règle qui obligerait le juge de l'état requis à subordonner les effets d'un jugement national prononçant le divorce à la reconnaissance de ce jugement dans l'état d'origine d'une décision étrangère sur les aliments qui relève du domaine d'application de la convention.

34 Il convient donc de répondre aux quatrième et cinquième questions posées par la juridiction nationale que l'article 36 de la convention doit être interprété en ce sens que la partie qui n'a pas intenté le recours contre l'exequatur prévu par cette disposition ne peut plus faire valoir au stade de l'exécution de la décision une raison valable qu'elle aurait pu invoquer dans le cadre de ce recours contre l'exequatur, et que cette règle doit être appliquée d'office par les juridictions de l'état requis. Toutefois, cette règle ne s'applique pas lorsqu'elle a pour conséquence d'obliger le juge national à subordonner les effets d'un jugement national exclu du domaine d'application de la convention à sa reconnaissance dans l'état d'origine de la décision étrangère dont l'exécution est en cause.

Sur les dépens

35 Les frais exposés par le Gouvernement de la République Fédérale d'Allemagne, par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Hoge Raad, par arrêt du 6 juin 1986, dit pour droit :

1) Une décision étrangère reconnue en vertu de l'article 26 de la convention doit déployer en principe dans l'état requis les mêmes effets que ceux qu'elle a dans l'état d'origine.

2) Une décision étrangère, qui a été revêtue de la formule exécutoire dans un état contractant en application de l'article 31 de la convention et qui reste susceptible d'exécution dans l'état d'origine, ne doit pas continuer à être exécutée dans l'état requis lorsque, selon la législation de ce dernier état, l'exécution ne peut plus avoir lieu pour des raisons qui échappent au champ d'application de la convention.

3) Une décision étrangère condamnant un époux à verser des aliments à son conjoint au titre de ses obligations d'entretien résultant du mariage est inconciliable au sens de l'article 27, point 3, de la convention avec une décision nationale ayant prononcé le divorce entre les époux concernés.

4) L'article 36 de la convention doit être interprété en ce sens que la partie qui n'a pas intenté le recours contre l'exequatur prévu par cette disposition ne peut plus faire valoir au stade de l'exécution de la décision une raison valable qu'elle aurait pu invoquer dans le cadre de ce recours contre l'exequatur, et que cette règle doit être appliquée d'office par les juridictions de l'état requis. Toutefois, cette règle ne s'applique pas lorsqu'elle a pour conséquence d'obliger le juge national à subordonner les effets d'un jugement national exclu du domaine d'application de la convention à sa reconnaissance dans l'état d'origine de la décision étrangère dont l'exécution est en cause.