CJCE, 2e ch., 19 mars 1992, n° C-60/91
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
José António Batista Morais
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Schockweiler
Avocat général :
M. Jacobs
Juges :
MM. Mancini, Murray
Avocats :
Mes Casinha, Macnab, John
LA COUR (deuxième chambre),
1 Par ordonnance du 10 décembre 1990, parvenue à la Cour le 13 février 1991, le Tribunal de Relação de Lisboa a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, quatre questions préjudicielles relatives à l'interprétation des règles du traité sur la libre circulation des personnes et des services et sur la concurrence, ainsi que de la directive 80-1263-CEE du Conseil, du 4 décembre 1980, relative à l'instauration d'un permis de conduire communautaire (JO L 375, p. 1).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une poursuite pénale engagée par le Ministère public contre M. José António Batista Morais, moniteur d'une auto-école établie à Lisbonne, prévenu d'avoir donné des leçons de conduite automobile sur une autoroute située sur le territoire d'une commune limitrophe de Lisbonne. En effet, la législation portugaise érige en contravention le fait de donner des leçons de conduite sur le territoire d'une commune autre que celle où l'auto-école est établie.
3 Contre le jugement de première instance, qui l'avait condamné à une amende, M. Batista Morais a interjeté appel en faisant valoir que la réglementation nationale était contraire à la directive 80-1263, en ce qu'elle ne permettait pas d'assurer l'enseignement sur les autoroutes.
4 C'est dans le cadre de cette instance que le Tribunal de Relação de Lisboa a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée à titre préjudiciel sur les questions suivantes:
"1) L'article 7, paragraphe 1, du décret-loi portugais n° 6-82 peut-il ou doit-il être considéré comme non applicable en droit interne parce que contraire aux règles sur la libre circulation des personnes et des services, et notamment aux dispositions des articles 52, 53 et 54, paragraphes 2 et 3, sous c), 56 et 57 du traité (sur le droit d'établissement), aux articles 60, sous a), 63, paragraphe 2, et 65 du même traité (sur la libre circulation des services), ainsi qu'à son article 85, paragraphe 1, sous a) (sur les règles de concurrence)?
5 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire au principal, du déroulement de la procédure et des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
6 Pour des considérations tenant à la logique du raisonnement, il y a lieu d'examiner d'abord la deuxième question tendant, en substance, à savoir si les règles du traité relatives à la libre circulation des personnes et des services visent les entraves qui s'appliquent à des ressortissants d'un État membre sur le territoire de celui-ci.
7 Pour répondre à cette question, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les dispositions du traité en matière de libre circulation des personnes et des services ne peuvent être appliquées aux activités dont tous les éléments se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre (voir, en dernier lieu, arrêt du 28 janvier 1992, Lopez Brea, C-330-90 et C-331-90, Rec. p. I-0000).
8 Or, il résulte des faits, tels qu'établis par la juridiction nationale dans son ordonnance de renvoi, que le litige au principal concerne un ressortissant portugais qui exerce au Portugal une activité de moniteur d'une école de conduite automobile et que la situation dans laquelle il se trouve ne présente aucun facteur de rattachement à l'une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire.
9 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la deuxième question préjudicielle que les règles du traité en matière de libre circulation des personnes et des services ne visent pas les entraves qui s'appliquent à des ressortissants d'un État membre sur le territoire de celui-ci, lorsque la situation dans laquelle ils se trouvent ne présente aucun facteur de rattachement à l'une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire.
10 Compte tenu de la réponse donnée à la deuxième question, la première question doit être comprise en ce sens que la juridiction de renvoi cherche à savoir si l'article 85, paragraphe 1, du traité s'oppose à une réglementation nationale qui limite les activités d'une école de conduite automobile au territoire de la commune où elle est établie.
11 A cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les États sont tenus, en vertu de l'article 5, deuxième alinéa, du traité, de ne pas porter préjudice, par leur législation nationale, à l'application pleine et uniforme du droit communautaire et de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises (voir, notamment, arrêt du 29 janvier 1985, Cullet, point 16, 231-83, Rec. p. 305).
12 Sans qu'il y ait lieu d'examiner si, et dans quelle mesure, une réglementation du type de celle en cause dans l'affaire au principal favorise, rend obligatoire ou inévitable l'une quelconque des pratiques d'entreprise visées à l'article 85 du traité, il suffit de relever que cette disposition ne saurait s'appliquer que dans la mesure où les pratiques prétendument anticoncurrentielles sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres.
13 Or, cette condition ne serait remplie que s'il était établi que la législation nationale, à l'instar d'un réseau de contrats similaires conclus sur un marché de référence, aurait pour effet de fermer l'accès au marché pour de nouveaux concurrents nationaux et étrangers (voir arrêt du 28 février 1991, Delimitis, C-234-89, Rec. p. I-935). Force est cependant de constater qu'une législation nationale du type de celle en cause dans l'affaire au principal n'est pas susceptible d'avoir un tel effet.
14 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question que l'article 85 du traité ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui limite les activités d'une école de conduite automobile au territoire de la commune où elle est établie.
15 Par la troisième question, la juridiction nationale cherche, en substance, à savoir si la directive 80-1263 impose aux États membres d'organiser l'examen de conduite sur des autoroutes, chaque fois que celles-ci sont accessibles à partir du centre d'examen, et de garantir, dès lors, également que l'enseignement de la conduite automobile puisse être assuré sur ce type de routes.
16 Pour répondre à cette question, il convient de relever d'abord que la directive 80-1263 se situe dans le cadre d'un processus d'harmonisation progressive des systèmes nationaux d'examens de conduite automobile et se borne à imposer, à l'annexe II, un certain nombre d'exigences minimales, sans viser à opérer une harmonisation totale des réglementations concernant les examens de conduite.
17 Il y a lieu de rappeler ensuite que l'annexe II, intitulée "Exigences minimales pour l'examen de conduite", prévoit, à son point 9, en ce qui concerne le lieu de l'examen de conduite automobile, que la partie de l'examen relative au comportement en circulation du candidat aura lieu, si possible, sur des routes situées en dehors des agglomérations et sur des autoroutes ainsi que dans la circulation urbaine.
18 Il résulte à la fois de l'objectif de la directive et du libellé du point 9 de l'annexe II que les États membres disposent, en ce qui concerne la détermination du lieu de l'examen de conduite automobile, d'un pouvoir discrétionnaire qui leur permet de tenir compte, outre de l'accessibilité d'un certain type de routes, de considérations liées à la nécessité d'assurer un examen uniforme sur tout le territoire de l'État ou de la sauvegarde de la sécurité routière.
19 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la troisième question que la directive 80-1263 n'impose pas aux États membres d'organiser l'examen de conduite automobile sur des autoroutes, chaque fois que celles-ci sont accessibles à partir du centre d'examen, et qu'ils n'ont, dès lors, pas davantage l'obligation de garantir que l'enseignement de la conduite automobile puisse être assuré sur ce type de routes.
20 Compte tenu de la réponse donnée à la troisième question, il n'y a pas lieu de répondre à la quatrième question.
Sur les dépens
21 Les frais exposés par le Gouvernement portugais, le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal de Relação de Lisboa, par ordonnance du 10 décembre 1990, dit pour droit:
1) Les règles du traité CEE en matière de libre circulation des personnes et des services ne visent pas les entraves qui s'appliquent à des ressortissants d'un État membre sur le territoire de celui-ci, lorsque la situation dans laquelle ils se trouvent ne présente aucun facteur de rattachement à l'une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire.
2) L'article 85 du traité CEE ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui limite les activités d'une école de conduite automobile au territoire de la commune où elle est établie.
3) La directive 80-1263-CEE du Conseil, du 4 décembre 1980, relative à l'instauration d'un permis de conduire communautaire, n'impose pas aux États membres d'organiser l'examen de conduite automobile sur des autoroutes, chaque fois que celles-ci sont accessibles à partir du centre d'examen, et ils n'ont, dès lors, pas davantage l'obligation de garantir que l'enseignement de la conduite automobile puisse être assuré sur ce type de routes.