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Décisions

CJCE, 30 avril 1996, n° C-194/94

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

CIA Security International SA

Défendeur :

Signalson SA, Securitel SPRL

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Kakouris, Edward, Puissochet

Avocat général :

M. Elmer

Juges :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Kapteyn, Gulmann, Murray, Ragnemalm, Sevón

Avocats :

Mes van Rutten, Dehin, Brandenberg, Sharpston

CJCE n° C-194/94

30 avril 1996

LA COUR,

1 Par jugement du 20 juin 1994, parvenu à la Cour le 4 juillet suivant, le Tribunal commerce de Liège a posé à la Cour, en vertu de l'article 177 du traité CE, six questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 30 du même traité et de la directive 83-189-CEE du Conseil, du 28 mars 1983, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO L 109, p. 8, ci-après la "directive 83-189"), telle que modifiée par la directive 88-182-CEE du Conseil, du 22 mars 1988 (JO L 81, p. 75).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre des litiges opposant la société CIA Security International (ci-après "CIA Security") aux sociétés Signalson (ci-après "Signalson") et Securitel (ci-après "Securitel"), ces trois sociétés étant des entreprises de sécurité au sens de la loi belge du 10 avril 1990 sur les entreprises de gardiennage, sur les entreprises de sécurité et sur les services internes de gardiennage (ci-après la "loi sur les entreprises de sécurité").

3 Aux termes de l'article 1er, paragraphe 3, de cette loi, "Est considérée comme entreprise de sécurité au sens de la présente loi toute personne physique ou morale exerçant une activité consistant à fournir à des tiers, de manière permanente ou occasionnelle, des services de conception, d'installation et d'entretien de systèmes et de centraux d'alarme".

4 Selon l'article 1er, paragraphe 4, de la loi sur les entreprises de sécurité, "Les systèmes et centraux d'alarme visés au présent article sont ceux destinés à prévenir ou constater des délits contre des personnes ou des biens".

5 L'article 4 de cette même loi dispose que "Nul ne peut exploiter une entreprise de sécurité s'il n'est agréé préalablement par le ministre de l'Intérieur. L'agrément n'est accordé que si l'entreprise satisfait aux dispositions de la présente loi et aux conditions relatives aux moyens financiers et à l'équipement technique, fixées par le Roi...".

6 L'article 12 de la loi sur les entreprises de sécurité prévoit que "Les systèmes et centraux d'alarme visés à l'article 1er, paragraphe 4, et leurs composants ne peuvent être commercialisés ou mis de tout autre manière à disposition des usagers qu'après avoir été préalablement approuvés selon une procédure à fixer par le Roi...".

7 Cette procédure a été fixée par l'arrêté royal du 14 mai 1991 fixant la procédure d'approbation des systèmes et centraux d'alarme, visés dans la loi du 10 avril 1990 sur les entreprises de gardiennage, sur les entreprises de sécurité et sur les services internes de gardiennage (ci-après l'"arrêté du 14 mai 1991").

8 L'article 2, paragraphe 1, de cet arrêté prévoit qu'"Aucun fabricant, importateur, grossiste ou autre personne physique ou morale ne peut en Belgique commercialiser ou mettre de tout autre manière à disposition des usagers du nouveau matériel, si celui-ci n'a pas été préalablement approuvé par une commission instituée à cette fin, ci-après dénommée 'commission matériel'".

9 Il ressort des articles 4 à 7 de l'arrêté du 14 mai 1991 que l'approbation éventuelle du matériel est précédée d'un examen du matériel et de tests.

10 Selon l'article 5, l'examen consiste en l'identification du matériel, la vérification des circuits électroniques en comparaison avec les documents remis par le fabricant et la vérification des fonctions minimales requises. Les épreuves effectuées sur le matériel, prévues par l'article 6 de l'arrêté du 14 mai 1991, concernent l'adéquation fonctionnelle, l'aspect mécanique, la fiabilité du fonctionnement mécanique et/ou électronique, l'insensibilité aux fausses alertes, la protection contre la fraude ou les tentatives de neutralisation du matériel. A cette fin, le matériel est soumis aux tests requis aux annexes 3 et 4 dudit arrêté.

11 L'article 8 de l'arrêté du 14 mai 1991 dispose que "Si le requérant établit au moyen des documents nécessaires que son matériel a déjà été soumis à des épreuves au moins équivalentes à celles décrites à l'article 7 dans un laboratoire agréé dans un autre État membre de la CEE selon les normes CEE et qu'il y a été approuvé au maximum trois ans avant la date de la demande actuelle, un organisme visé à l'article 4, paragraphe 1, n'effectue plus sur le matériel que les épreuves qui n'ont pas encore été réalisées dans l'autre État membre de la CEE".

12 Il ressort, en outre, du dossier que l'arrêté du 14 mai 1991 n'a pas été notifié à la Commission conformément à la procédure d'information des règles techniques prévue par la directive 83-189 et que, à la suite d'un avis motivé émis par la Commission conformément à l'article 169 du traité CEE, le Gouvernement belge a, au mois de février 1993, notifié un nouveau projet d'arrêté royal fixant la procédure d'approbation des systèmes et centraux d'alarme. Ce projet, adopté le 31 mars 1994, est en substance identique à l'arrêté du 14 mai 1991 qu'il a abrogé, étant cependant relevé que l'article 8 de l'arrêté du 14 mai 1991 a été amendé conformément à des suggestions faites par la Commission.

13 Les trois sociétés au principal sont des concurrents ayant notamment comme activité commerciale la fabrication et la vente de systèmes et de centraux d'alarme.

14 Le 21 janvier 1994, CIA Security a introduit devant le Tribunal commerce de Liège des demandes tendant à obtenir condamnation de Signalson et de Securitel à cesser leurs agissements déloyaux entrepris en janvier 1994. Elle a fondé ses demandes sur les articles 93 et 95 de la loi belge du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce, qui interdisent les actes contraires aux usages honnêtes en matière de commerce. CIA Security reproche en effet à Signalson et à Securitel de l'avoir diffamée, en prétendant notamment qu'un système anti-effraction qu'elle commercialise - le système Andromède - ne remplissait pas les conditions de la législation belge en matière de systèmes de sécurité.

15 Signalson et Securitel ont déposé des conclusions reconventionnelles tendant principalement à ce qu'il soit fait interdiction à CIA Security de poursuivre ses activités au motif qu'elle n'est pas agréée en tant qu'entreprise de sécurité et qu'elle commercialise un système d'alarme non approuvé.

16 Le Tribunal commerce de Liège a, dans son jugement avant dire droit, considéré que, si les actions principales et reconventionnelles visent à faire sanctionner des pratiques déloyales interdites par la loi sur les pratiques du commerce, il n'en demeure pas moins que ces pratiques doivent être appréciées en fonction des dispositions de la loi sur les entreprises de sécurité et de l'arrêté du 14 mai 1991.

17 La juridiction de renvoi a ensuite constaté, d'une part, que, si CIA Security a enfreint la loi sur les entreprises de sécurité et l'arrêté du 14 mai 1991, ses actions en justice pourront être déclarées irrecevables pour défaut de qualité et d'intérêt à agir et, d'autre part, que, si la loi sur les entreprises de sécurité et l'arrêté du 14 mai 1991 sont incompatibles avec le droit communautaire, Signalson et Securitel ne pourront fonder leurs actions reconventionnelles en cessation sur des infractions à ces normes.

18 Doutant de la compatibilité de la réglementation belge en cause avec l'article 30 du traité et ayant constaté que cette réglementation n'avait pas été, préalablement à son adoption, notifiée à la Commission conformément à la directive 83-189, le Tribunal commerce de Liège a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) La loi du 10 avril 1990 sur les entreprises de gardiennage, sur les entreprises de sécurité et sur les services internes de gardiennage, plus particulièrement ses articles 4 et 12, crée-t-elle des restrictions quantitatives à l'importation ou contient-elle des mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative interdite par l'article 30 du traité CEE?

2) L'arrêté royal du 14 mai 1991 fixant la procédure d'approbation des systèmes et centraux d'alarme visée dans la loi du 10 avril 1990, notamment en ses articles 2 et 8, est-il compatible avec l'article 30 du traité interdisant les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que les mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative?

3) La loi du 10 avril 1990 précitée, notamment ses articles 4 et 12, contient-elle des règles techniques qui devaient être préalablement communiquées à la Commission en application de l'article 8 de la directive 83-189-CEE?

4) L'arrêté royal du 14 mai 1991, notamment ses articles 2 et 8, contient-il des règles techniques qui devaient être préalablement communiquées à la Commission en application de l'article 8 de la directive 83-189-CEE?

5) Les dispositions de la directive 83-189-CEE du Conseil, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et, notamment, ses articles 8 et 9, sont-elles inconditionnelles et suffisamment précises pour être invoquées par des particuliers devant un juge national?

6) Le droit communautaire et la protection due à un particulier en application de celui-ci imposent-ils à une juridiction nationale de refuser l'application d'une règle technique nationale qui n'a pas été communiquée à la Commission par l'État membre qui l'a adoptée, conformément à l'obligation prévue à l'article 8 de la directive 83-189-CEE du Conseil?"

Observations préliminaires

19 A titre liminaire, il convient de relever que, selon le Gouvernement belge, Signalson et Securitel, toute question concernant la compatibilité de l'arrêté du 14 mai 1991 avec le droit communautaire est devenue sans objet dès lors que le juge national doit, dans le type de procédure dont il est saisi, appliquer la loi en vigueur au moment où il statue et que, depuis l'introduction de l'instance, l'arrêté du 14 mai 1991 a été remplacé par l'arrêté royal du 31 mars 1994, lequel serait, également selon la Commission, conforme au droit communautaire.

20 Ce point de vue ne saurait être admis. En effet, il résulte de la jurisprudence de la Cour qu'il appartient au juge national d'apprécier la portée des dispositions nationales et la manière dont elles doivent être appliquées (voir, notamment, arrêt du 7 décembre 1995, Ayuntamiento de Ceuta, C-45-94, non encore publié au Recueil, point 26). Le juge national étant le mieux placé pour apprécier, au regard des particularités des litiges, la nécessité d'une décision préjudicielle pour rendre son jugement, les questions préjudicielles ne peuvent pas être considérées comme devenues sans objet du fait que l'arrêté du 14 mai 1991 a été remplacé par l'arrêté royal du 31 mars 1994.

21 Cela étant, il convient d'abord de répondre aux troisième, quatrième, cinquième et sixième questions préjudicielles.

Sur les troisième et quatrième questions

22 Par ses troisième et quatrième questions, la juridiction nationale demande en substance si des règles telles que les articles 4 et 12 de la loi sur les entreprises de sécurité et l'arrêté du 14 mai 1991 constituent des règles techniques qui auraient dû, préalablement à leur adoption, être notifiées à la Commission conformément à l'article 8 de la directive 83-189.

23 La notion de "règle technique" est définie à l'article 1er, point 5, de la directive 83-189 comme visant "les spécifications techniques, y compris les dispositions administratives qui s'y appliquent, dont l'observation est obligatoire, de jure ou de facto, pour la commercialisation ou l'utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, à l'exception de celles fixées par les autorités locales". Conformément au point 1 du même article, on entend par "' spécifications techniques', la spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques requises d'un produit, telles que les niveaux de qualité ou de propriété d'emploi, la sécurité, les dimensions, y compris les prescriptions applicables au produit en ce qui concerne la terminologie, les symboles, les essais et méthodes d'essai, l'emballage, le marquage et l'étiquetage...".

24 Il convient d'abord de vérifier si une disposition telle que l'article 4 de la loi sur les entreprises de sécurité constitue une règle technique au sens de la directive 83-189.

25 Cette question doit recevoir une réponse négative, dès lors que les règles techniques sont, au sens de la directive 83-189, des spécifications définissant les caractéristiques des produits et que l'article 4 se limite à prévoir les conditions pour l'établissement des entreprises de sécurité.

26 En ce qui concerne les dispositions de l'arrêté du 14 mai 1991, il y a lieu de rappeler qu'il contient des règles détaillées définissant notamment les conditions concernant les tests relatifs à leur qualité et à leur bon fonctionnement qui doivent être remplies pour qu'un système ou central d'alarme puisse être agréé et commercialisé en Belgique. Ces règles constituent donc des règles techniques au sens de la directive 83-189.

27 S'agissant de l'article 12 de la loi sur les entreprises de sécurité, il y a lieu de rappeler qu'il prévoit que les produits en cause ne peuvent être commercialisés qu'après avoir été préalablement approuvés selon une procédure à fixer par le roi, laquelle a été fixée par l'arrêté du 14 mai 1991.

28 Selon la Commission et CIA Security, l'article 12 de la loi constitue une règle technique au sens de la directive, tandis que Signalson, le Gouvernement du Royaume-Uni et le Gouvernement belge, dans leurs observations écrites, font valoir que cet article n'est qu'une loi-cadre ne comprenant aucune règle technique au sens de la directive 83-189.

29 À cet égard, il importe de constater qu'une règle est qualifiée de règle technique au sens de la directive 83-189 lorsqu'elle comporte des effets juridiques propres. Si, d'après le droit national, la règle se limite à fournir une base d'habilitation pour l'adoption de règlements administratifs contenant des règles contraignantes pour les intéressés, de sorte qu'elle n'a en soi aucun effet juridique pour les particuliers, la règle ne constitue pas une règle technique au sens de la directive (voir arrêt du 1er juin 1994, Commission/Allemagne, C-317-92, Rec. p. I-2039, point 26). Il convient, dans ce contexte, de rappeler que, selon l'article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 83-189, les États membres doivent communiquer, en même temps que le projet de règle technique, sa base d'habilitation, lorsque la connaissance de celle-ci est nécessaire pour apprécier la portée du projet.

30 En revanche, une règle doit être qualifiée de règle technique au sens de la directive 83-189 dès lors que, comme le Gouvernement belge l'a indiqué lors de l'audience, elle oblige les entreprises intéressées à demander une approbation préalable pour leur matériel, même si les règles administratives prévues n'ont pas été adoptées.

31 Il y a donc lieu de répondre aux troisième et quatrième questions qu'une règle telle que l'article 4 de la loi sur les entreprises de sécurité ne constitue pas une règle technique au sens de la directive 83-189, alors que des dispositions telles que celles contenues dans l'arrêté royal du 14 mai 1991 constituent des règles techniques, et que la qualification d'une règle telle que l'article 12 de la loi sur les entreprises de sécurité dépend de ses effets juridiques selon le droit national.

Les cinquième et sixième questions

32 Par ses cinquième et sixième questions, la juridiction nationale demande en substance si les dispositions de la directive 83-189, et particulièrement ses articles 8 et 9, sont inconditionnelles et suffisamment précises de sorte que les particuliers peuvent s'en prévaloir devant un juge national, auquel il incombe de refuser d'appliquer une règle technique nationale qui n'a pas été notifiée conformément à la directive.

33 L'article 8, paragraphes 1 et 2, de la directive dispose:

"1. Les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit; ils adressent également à la Commission une brève notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une telle règle technique est nécessaire à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet. Le cas échéant, les États membres communiquent simultanément le texte des dispositions législatives et réglementaires de base principalement et directement concernées, si la connaissance de ce texte est nécessaire pour apprécier la portée du projet de règle technique.

La Commission porte aussitôt le projet à la connaissance des autres États membres; elle peut aussi le soumettre pour avis au comité visé à l'article 5 et, le cas échéant, au comité compétent dans le domaine en question.

2. La Commission et les États membres peuvent adresser à l'État membre qui a fait part d'un projet de règle technique des observations dont cet État membre tiendra compte dans la mesure du possible lors de la mise au point ultérieure de la règle technique."

34 Selon l'article 9 de la directive,

"1. Sans préjudice des paragraphes 2 et 2 bis, les États membres reportent l'adoption d'un projet de règle technique de six mois à compter de la date de la communication visée à l'article 8, paragraphe 1, si la Commission ou un autre État membre émet, dans les trois mois qui suivent cette date, un avis circonstancié selon lequel la mesure envisagée doit être modifiée afin d'éliminer ou de limiter les entraves à la libre circulation des biens qui pourraient éventuellement en découler. L'État membre concerné fait rapport à la Commission sur la suite qu'il a l'intention de donner à de tels avis circonstanciés. La Commission commente cette réaction.

2. Le délai visé au paragraphe 1 est de douze mois si la Commission, dans les trois mois qui suivent la communication visée à l'article 8, paragraphe 1, fait part de son intention de proposer ou d'arrêter une directive sur cette question.

2 bis. Lorsque la Commission constate qu'une communication telle que celle visée à l'article 8, paragraphe 1, porte sur une matière couverte par une proposition de directive ou de règlement présentée au Conseil, elle notifie, dans les trois mois qui suivent cette communication, cette constatation à l'État membre concerné.

Les États membres s'abstiennent d'adopter des règles techniques portant sur une matière couverte par une proposition de directive ou de règlement présentée par la Commission au Conseil avant la communication visée à l'article 8, paragraphe 1, pendant un délai de douze mois à compter de la date de présentation de ladite proposition.

Le recours aux paragraphes 1, 2 et 2 bis du présent article ne peut pas être cumulatif.

3. Les paragraphes 1, 2 et 2 bis ne sont pas applicables lorsqu'un État membre, pour des raisons urgentes ayant trait à la protection de la santé des personnes et des animaux, à la préservation des végétaux ou à la sécurité, doit élaborer à très bref délai des règles techniques pour les arrêter et les mettre en vigueur aussitôt, sans qu'une consultation soit possible. L'État membre indique dans la communication visée à l'article 8 les motifs qui justifient l'urgence des mesures. La Commission prend les mesures appropriées en cas de recours abusif à cette procédure."

35 L'article 10 de la directive dispose que "Les articles 8 et 9 ne sont pas applicables lorsque les États membres s'acquittent de leurs obligations découlant des directives et des règlements communautaires; cela vaut également pour les engagements découlant d'un accord international qui ont pour effet l'adoption de spécifications techniques uniformes dans la Communauté".

36 Il convient de rappeler que, dès 1986, dans une communication (86-C 245-05, JO 1986, C 245, p. 4), la Commission a défini sa position sur le point soulevé par le Tribunal commerce de Liège dans ses deux dernières questions. Dans cette communication, elle a constaté, d'une part, que la directive lui donne, ainsi qu'aux États membres, un rôle important en lui permettant d'empêcher l'apparition de nouvelles entraves techniques aux échanges et, d'autre part, que les obligations des États membres créées par la directive sont claires et sans équivoque, dans la mesure où:

- les États membres doivent communiquer tous les projets de règles techniques relevant de la directive;

- ils doivent reporter l'adoption des projets de règles techniques de trois mois automatiquement, sauf dans les cas particuliers repris à l'article 9, paragraphe 3;

- ils doivent reporter l'adoption de projets de règles techniques de trois à neuf mois supplémentaires, selon que des objections ont été émises ou qu'un texte législatif communautaire est envisagé.

La Commission a enfin constaté que, si les États membres ne respectaient pas les obligations découlant de la directive, cela entraverait sérieusement le dispositif d'achèvement du marché intérieur avec le risque d'effets négatifs sur les échanges.

37 Il ressort de la communication que la Commission déduit de ces constatations que, "si un État membre adopte une règle technique tombant sous le coup des dispositions de la directive 83-189 sans communiquer le projet à la Commission et sans respecter l'obligation de statu quo, la règle ainsi adoptée ne peut pas être rendue exécutoire à l'égard de tiers en vertu du système législatif de l'État membre considéré. La Commission estime donc que les parties en litige ont le droit d'attendre des tribunaux nationaux qu'ils refusent la mise en application de règles techniques nationales qui n'ont pas été communiquées comme l'exige la législation communautaire".

38 Dans la présente affaire, la Commission a maintenu cette interprétation de la directive 83-189, à laquelle CIA Security s'est ralliée.

39 Les Gouvernements allemand, néerlandais et du Royaume-Uni s'opposent à cette interprétation et estiment, au contraire, que les règles techniques au sens de la directive 83-189 peuvent être opposées aux particuliers, même si elles ont été adoptées sans que les obligations de la directive aient été respectées. L'argumentation sur laquelle cette interprétation est fondée sera examinée ci-après.

40 A titre liminaire, il convient de souligner que la directive 83-189 vise, par un contrôle préventif, à protéger la libre circulation des marchandises, qui est un des fondements de la Communauté. Ce contrôle est utile dans la mesure où des règles techniques relevant de la directive peuvent constituer des entraves aux échanges des marchandises entre États membres, ces entraves ne pouvant être admises que si elles sont nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives poursuivant un but d'intérêt général. Le contrôle institué par la directive est efficace dans la mesure où tous les projets de règles techniques en relevant doivent être notifiés et où l'adoption et la mise en vigueur de ces règles - sauf celles pour lesquelles l'urgence des mesures justifie une exception - doivent être suspendues pendant les périodes déterminées par l'article 9.

41 La notification et la période de suspension donnent donc l'occasion à la Commission et aux autres États membres, d'une part, d'examiner si le projet en cause crée des entraves aux échanges contraires au traité CE ou des entraves qu'il faut éviter par l'adoption de mesures communes ou harmonisées et, d'autre part, de proposer des modifications aux mesures nationales envisagées. Cette procédure permet par ailleurs à la Commission de proposer ou d'adopter des normes communautaires réglant la matière faisant l'objet de la mesure envisagée.

42 Il convient de constater ensuite que, selon une jurisprudence constante, dans tous les cas où les dispositions d'une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, elles peuvent être invoquées à l'encontre de toute disposition nationale non conforme à la directive (voir arrêts du 19 janvier 1982, Becker, 8-81, Rec. p. 53, et du 19 novembre 1991, Francovich e.a., C-6-90 et C-9-90, Rec. p. I-5357).

43 Selon le Gouvernement du Royaume-Uni, les dispositions de la directive 83-189 ne satisfont pas à ces critères, étant donné notamment que la procédure de notification comporte un nombre d'éléments imprécis.

44 Ce point de vue ne peut être adopté. En effet, les articles 8 et 9 de la directive 83-189 prescrivent une obligation précise pour les États membres de notifier à la Commission les projets de règles techniques avant leur adoption. Étant, par conséquent, du point de vue de leur contenu, inconditionnels et suffisamment précis, ces articles peuvent être invoqués par les particuliers devant les juridictions nationales.

45 Encore faut-il examiner les conséquences juridiques qu'il y a lieu de tirer d'une méconnaissance par les États membres de leur obligation de notification et, plus précisément, si la directive 83-189 doit être interprétée en ce sens que la méconnaissance de l'obligation de notification, constituant un vice de procédure dans l'adoption des règles techniques concernées, entraîne l'inapplicabilité de ces règles techniques, de sorte qu'elles ne peuvent pas être opposées aux particuliers.

46 Les Gouvernements allemand, néerlandais et du Royaume-Uni considèrent à cet égard que la directive 83-189 vise exclusivement les relations entre les États membres et la Commission, qu'elle se limite à créer des obligations de procédure que les États membres doivent respecter lors de l'adoption de règles techniques, leur compétence pour adopter les règles en question après la période de suspension n'étant toutefois pas remise en cause, et, enfin, qu'elle ne comporte aucune disposition expresse relative aux effets éventuels sanctionnant le non-respect desdites obligations de procédure.

47 Il convient d'abord de relever dans ce contexte qu'aucun de ces éléments ne fait obstacle à ce que la méconnaissance de la directive 83-189 entraîne l'inapplicabilité des règles techniques en cause.

48 Une telle conséquence de la violation des obligations résultant de la directive 83-189 ne dépend pas d'une disposition expresse en ce sens. Comme il a déjà été relevé, il est constant que l'objectif de la directive est la protection de la libre circulation des marchandises par un contrôle préventif et que l'obligation de notification constitue un moyen essentiel pour la réalisation de ce contrôle communautaire. L'efficacité de ce contrôle sera d'autant renforcée que la directive est interprétée en ce sens que la méconnaissance de l'obligation de notification constitue un vice de procédure substantiel de nature à entraîner l'inapplicabilité des règles techniques en cause aux particuliers.

49 Il y a lieu de relever ensuite que cette interprétation de la directive est conforme à l'arrêt du 13 juillet 1989, Enichem Base e.a. (380-87, Rec. p. 2491, points 19 à 24). Dans cet arrêt, dans lequel la Cour statuait sur l'obligation, pour les États membres, de communiquer à la Commission les projets de réglementation nationale dans le domaine d'application d'un article de la directive 75-442-CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), la Cour a constaté que ni le libellé ni le but de la disposition examinée ne permettaient de considérer que le non-respect de l'obligation de communication qui incombait aux États membres entraînait à lui seul l'illégalité des réglementations ainsi adoptées. A cet égard, la Cour a expressément relevé que la disposition en cause s'était bornée à imposer une obligation de communication préalable qui ne subordonnait pas la mise en vigueur des réglementations envisagées à l'accord ou à la non-opposition de la Commission et qui ne fixait pas de procédure de contrôle communautaire des projets en question. La Cour a donc conclu que la disposition examinée concernait les relations entre les États membres et la Commission, mais qu'elle n'engendrait, en revanche, aucun droit dans le chef de particuliers qui soit susceptible d'être lésé en cas de violation par un État membre de l'obligation de communication préalable à la Commission de ses projets de réglementation.

50 Dans le cas d'espèce, au contraire, le but de la directive n'est pas simplement d'informer la Commission, mais précisément, comme il a déjà été constaté au point 41 de cet arrêt, dans un dessein plus général, d'éliminer ou de restreindre les entraves aux échanges, d'informer les autres États des réglementations techniques envisagées par un État, d'accorder à la Commission et aux autres États membres le temps nécessaire pour réagir et proposer une modification permettant d'amoindrir les restrictions à la libre circulation des marchandises découlant de la mesure envisagée et de laisser à la Commission le temps nécessaire pour proposer une directive d'harmonisation. Par ailleurs, le libellé des articles 8 et 9 de la directive 83-189 est clair dès lors qu'ils prévoient une procédure de contrôle communautaire des projets de réglementations nationales et la subordination de la date de leur mise en œuvre à l'accord ou à la non-opposition de la Commission.

51 Il convient enfin d'examiner s'il existe, ainsi que le Gouvernement du Royaume-Uni l'a notamment observé, des raisons spécifiques tenant à la directive 83-189 qui s'opposent à ce que celle-ci puisse être interprétée comme impliquant l'inapplicabilité aux tiers des règles techniques adoptées en méconnaissance de la directive.

52 Il a notamment été relevé à cet égard que l'inopposabilité de telles règles aux tiers créerait un vide réglementaire dans l'ordre juridique national en cause et pourrait donc entraîner de graves inconvénients notamment lorsque l'inopposabilité concerne des réglementations en matière de sécurité.

53 Cette argumentation ne peut être accueillie. En effet, un État membre peut recourir à la procédure d'urgence visée à l'article 9, paragraphe 3, de la directive 83-189 lorsque, pour des raisons définies par cette disposition, il estime nécessaire d'élaborer à très bref délai des règles techniques devant être arrêtées et mises en vigueur aussitôt, sans qu'une consultation soit possible.

54 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la directive 83-189 doit être interprétée en ce sens que la méconnaissance de l'obligation de notification entraîne l'inapplicabilité des règles techniques concernées, de sorte qu'elles ne peuvent pas être opposées aux particuliers.

55 Il convient donc de répondre aux cinquième et sixième questions que les articles 8 et 9 de la directive 83-189 doivent être interprétés en ce sens que les particuliers peuvent s'en prévaloir devant le juge national, auquel il incombe de refuser d'appliquer une règle technique nationale qui n'a pas été notifiée conformément à la directive.

Sur les deux premières questions

56 Par ses première et deuxième questions, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 30 du traité s'oppose à des dispositions nationales telles que les articles 4 et 12 de la loi sur les entreprises de sécurité et l'arrêté du 14 mai 1991.

57 Eu égard aux réponses apportées aux troisième, quatrième, cinquième et sixième questions préjudicielles, il n'est pas nécessaire de répondre aux deux premières questions préjudicielles dans la mesure où elles concernent l'article 12 de la loi sur les entreprises de sécurité et l'arrêté du 14 mai 1991, ceux-ci n'étant pas opposables aux particuliers. Il convient donc de répondre uniquement à la partie de la première question préjudicielle par laquelle il est demandé si une disposition telle que l'article 4 de la loi sur les entreprises de sécurité, selon laquelle nul ne peut exploiter une entreprise de sécurité sans être agréé par le ministre de l'Intérieur, est compatible avec l'article 30 du traité.

58 A cet égard, il convient d'observer qu'une telle disposition, dès lors qu'elle impose une condition pour qu'une entreprise puisse s'établir et exercer ses activités d'entreprise de sécurité, n'entre pas directement dans le champ d'application de l'article 30 du traité qui concerne la libre circulation des marchandises entre États membres. En outre, il y a lieu de constater que le dossier ne contient pas la moindre indication selon laquelle une telle disposition aurait des effets restrictifs sur la libre circulation des marchandises ou serait, par ailleurs, contraire au droit communautaire.

59 Il y a donc lieu de répondre à la première question préjudicielle en ce sens que l'article 30 du traité ne s'oppose pas à une disposition nationale telle que l'article 4 de la loi sur les entreprises de sécurité.

Sur les dépens

60 Les frais exposés par les Gouvernements belge, allemand, néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunal commerce de Liège, par jugement du 20 juin 1994, dit pour droit:

1) Une règle telle que l'article 4 de la loi belge du 10 avril 1990, sur les entreprises de gardiennage, sur les entreprises de sécurité et sur les services internes de gardiennage, ne constitue pas une règle technique au sens de la directive 83-189-CEE du Conseil, du 28 mars 1983, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques, telle que modifiée par la directive 88-182-CEE du Conseil, du 22 mars 1988, alors que des dispositions telles que celles contenues dans l'arrêté royal belge du 14 mai 1991, fixant la procédure d'approbation des systèmes et centraux d'alarme visés dans la loi du 10 avril 1990, constituent des règles techniques, et que la qualification d'une règle telle que l'article 12 de la loi du 10 avril 1990, précitée, dépend de ses effets juridiques selon le droit national.

2) Les articles 8 et 9 de la directive 83-189, telle que modifiée par la directive 88-182, doivent être interprétés en ce sens que les particuliers peuvent s'en prévaloir devant le juge national, auquel il incombe de refuser d'appliquer une règle technique nationale qui n'a pas été notifiée conformément à la directive.

3) L'article 30 du traité CE ne s'oppose pas à une disposition nationale telle que l'article 4 de la loi du 10 avril 1990, précitée.