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Décisions

CJCE, 20 septembre 1994, n° C-249/92

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République italienne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mancini (faisant fonction)

Présidents de chambre :

MM. Diez de Velasco, Edward

Avocat général :

M. Lenz

Juges :

MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler, Iglesias, Kapteyn, Murray

Avocat :

Me Ferri

CJCE n° C-249/92

20 septembre 1994

LA COUR,

1 Par requête déposée à la Cour le 27 mai 1992, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater qu'en exigeant une autorisation préalable pour toute importation de végétaux sensibles au feu bactérien (Erwinia amylovora), la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu

° de l'article 11 de la directive 77-93-CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, concernant les mesures de protection contre l'introduction dans les États membres d'organismes nuisibles aux végétaux ou produits végétaux (JO 1977, L 26, p. 20, ci-après la "directive"), telle que modifiée par les directives 88-572-CEE du Conseil, du 14 novembre 1988 (JO L 313, p. 39), et 89-439-CEE du Conseil, du 26 juin 1989 (JO L 212, p. 106),

° et de l'article 30 du traité CEE, combiné avec l'article 10, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 234-68 du Conseil, du 27 février 1968, portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des plantes vivantes et des produits de la floriculture (JO L 55, p. 1).

2 La République italienne a mis en œuvre deux mesures destinées à éviter la propagation, sur son territoire, de l'Erwinia amylovora, une bactérie communément appelée "feu bactérien" et qui détruit certaines espèces végétales. La première mesure consiste à interdire, entre le 16 avril et le 31 octobre de chaque année (période propice à la propagation de la bactérie), l'importation des espèces sensibles, ainsi que le permet l'annexe III, partie B, point 10, de la directive, dans sa rédaction résultant de la directive 84-378-CEE du Conseil, du 28 juin 1984 (JO L 207, p. 1). Quant à la seconde, qui est mise en cause dans le cadre du présent recours, elle est de soumettre à autorisation préalable l'importation de ces espèces durant le reste de l'année.

3 Cette seconde mesure résulte de l'article 9, combiné avec l'annexe III, point 17, du décret ministériel du 5 février 1991 relatif aux normes phytosanitaires à l'importation, à l'exportation et au transit de végétaux et de produits végétaux (GURI, supplément ordinaire au n° 43 du 20.2.1991).

4 Cette disposition est ainsi rédigée:

"Au cours de la période où leur introduction est autorisée, les végétaux visés à l'annexe III, point 17, originaires des pays communautaires, sont admis à l'importation sur demande et après autorisation préalable du ministère de l'Agriculture et des Forêts, qui peut fixer des mesures phytosanitaires particulières de nature à écarter le risque d'introduction et de propagation d'Erwinia amylovora."

5 La demande d'autorisation doit ainsi être adressée au ministère italien de l'Agriculture et des Forêts avant que les végétaux soient introduits en Italie. Selon des informations fournies par des particuliers à la Commission et qui n'ont pas été démenties par la République italienne, le délai pour la délivrance des autorisations peut atteindre et même dépasser quatre mois et demi. Tant que l'autorisation n'a pas été accordée, les produits ne peuvent être importés.

6 Le point 17 de l'annexe III, visé par la disposition nationale précitée, énumère les espèces sensibles au feu bactérien qui sont soumises aux mesures de protection. Il n'est pas contesté que ce sont les mesures relatives à ces végétaux qui font l'objet de la présente procédure.

7 Ces végétaux sont les suivants:

"Chaenomeles Lindl., Cydonia Mill., Malus Mill., Pyracantha M. J. Roem, Pyrus L., Sorbus L. autre que Sorbus intermedia L. et Stranvaesia Lindl., à l'exception des fruits et semences".

8 Les mesures à prendre par les États membres en vue d'éviter l'introduction ou la propagation du feu bactérien au sein de la Communauté ont été harmonisées par la directive, telle que modifiée à la date de début de la procédure précontentieuse (envoi de la lettre de mise en demeure le 20 mars 1990), notamment par les directives 88-572 et 89-439, précitées.

9 Aux termes de la directive, l'État membre d'origine doit soumettre les végétaux sur son territoire à un examen minutieux en vue d'y détecter la présence éventuelle d'organismes nuisibles (article 6). Si le végétal est sain, cet État doit délivrer à l'opérateur économique concerné un certificat attestant la bonne condition du produit et certifiant que le produit provient d'une zone non infectée (annexe IV, lettre A, point 15, seconde colonne). Seuls les végétaux munis du certificat pourront être exportés vers un autre État membre (article 7, paragraphe 2).

10 Par ailleurs, la directive autorise ou contraint, selon le cas, les États membres de destination à prendre certaines mesures en vue d'assurer la protection des végétaux sur leur territoire. Ainsi, elle prévoit que ces États peuvent mettre en œuvre des contrôles destinés à déterminer si les produits ont effectivement subi dans l'État membre d'origine l'examen requis.

11 Ces mesures sont réglementées dans les termes suivants par l'article 11 de la directive, telle que modifiée par les directives 88-572 et 89-439, précitées:

"1. Sans préjudice des dispositions du paragraphe 3, les États membres peuvent prescrire que les végétaux, produits végétaux et autres objets ainsi que leurs emballages et les véhicules assurant leur transport fassent l'objet, s'ils sont introduits sur leur territoire en provenance d'un autre État membre, d'un contrôle portant sur le respect des interdictions et restrictions prévues aux articles 3, 4 et 5. Les États membres veillent à ce que ces végétaux, produits végétaux et autres objets, pour autant que leur introduction ne soit pas interdite aux termes des articles 3, 4 ou 5, ne soient soumis à des interdictions ou restrictions en relation avec des mesures phytosanitaires que dans les cas suivants:

a) les certificats ... ne sont pas présentés;

b) (supprimé)

c) les végétaux, produits végétaux ou autres objets ne sont pas présentés de manière réglementaire à un contrôle officiel admis conformément au paragraphe 3;

...

2. Ils n'exigent aucune déclaration supplémentaire sur les certificats phytosanitaires visés aux articles 4, 5, 7, 8 ou 9.

...

3. Les États membres ne peuvent prévoir, en plus des mesures permises conformément au paragraphe 1, deuxième phrase, des contrôles officiels systématiques portant sur le respect des dispositions prises selon les articles 3 et 5 que dans les cas suivants:

a) s'il existe un indice sérieux donnant à croire que l'une de ces dispositions n'a pas été respectée;

b) si les végétaux susvisés sont originaires d'un pays tiers et dans la mesure où l'examen prévu à l'article 12 paragraphe 1 sous a) n'a pas déjà eu lieu dans un autre État membre.

Dans tous les autres cas, les contrôles phytosanitaires officiels, y compris les contrôles concernant l'identité, ne sont effectués qu'occasionnellement par sondage. Ils sont considérés comme occasionnels s'ils ne sont pas effectués sur plus d'un tiers des introductions en provenance d'un État membre donné et s'ils sont répartis aussi harmonieusement que possible dans le temps et sur l'ensemble des produits. Les États membres prennent les mesures appropriées pour garantir que l'exécution de ces contrôles à la frontière soit progressivement réduite, sauf dans les cas spécifiés conformément à la procédure prévue à l'article 16. Ces contrôles sont opérés, soit sur le lieu de destination des végétaux, produits végétaux ou autres objets, soit à un autre endroit désigné, à condition que l'itinéraire prévu pour acheminer ces végétaux, produits végétaux ou autres objets soit perturbé le moins possible".

Sur la compatibilité de la réglementation italienne avec la directive

12 La Commission fait valoir que la réglementation italienne est contraire à l'article 11 de la directive, dans la mesure où, contrairement à ce que permet cette disposition, ladite réglementation subordonne à une autorisation préalable l'introduction sur le territoire italien de végétaux en provenance d'autres États membres et où cette exigence est appliquée de manière systématique à tous les produits concernés alors que la directive limite à des cas déterminés les contrôles pouvant être mis en œuvre dans l'État membre de destination. Le recours est dirigé contre l'exigence, en tant que telle, d'une autorisation préalable et systématique, et non pas contre le retard mis par l'administration compétente à répondre à certaines demandes d'autorisation.

13 Le Gouvernement italien soutient que le mécanisme de l'autorisation préalable est licite, étant donné, premièrement, qu'il permettrait de contrôler le respect, par les opérateurs économiques, des exigences matérielles posées par la directive et, deuxièmement, que la faculté de contrôler les végétaux introduits sur le territoire national serait prévue par l'article 11 de celle-ci.

14 A cet égard, il y a lieu de relever que la directive vise à supprimer progressivement les obstacles aux échanges intracommunautaires de végétaux, tout en réorganisant la surveillance phytosanitaire pouvant être exercée dans les différents États membres concernés (huitième considérant du préambule).

15 A cet effet, elle prévoit que l'examen des végétaux devra être réalisé dans l'État d'origine et détermine les contrôles pouvant être exercés dans l'État de destination ainsi que les circonstances dans lesquelles ces contrôles peuvent être mis en œuvre (voir points 8 à 11 ci-dessus).

16 Ces contrôles et ces circonstances sont limités par les paragraphes 1 et 3 combinés de l'article 11 de la directive. Le paragraphe 1 prévoit que les États membres peuvent prescrire que les végétaux font l'objet, s'ils sont introduits sur leur territoire en provenance d'un autre État membre, d'un contrôle portant sur le respect des exigences posées par la directive. Quant au paragraphe 3, il dispose notamment que les États membres devront prendre les mesures appropriées garantissant que l'exécution des contrôles à la frontière soit progressivement réduite, afin que les contrôles ne puissent être opérés que sur le lieu de destination des végétaux ou à un autre endroit provoquant, pour l'acheminement des produits, une moindre perturbation. De ces deux paragraphes, il résulte que les contrôles autorisés par la directive peuvent, au plus tôt, avoir lieu au moment de l'introduction des végétaux dans l'État de destination, c'est-à-dire à la frontière.

17 L'exigence de l'autorisation du ministre de l'Agriculture et des Forêts avant l'introduction sur le territoire italien de végétaux en provenance d'autres États membres ne fait pas partie des mesures de protection que peut prendre l'État membre de destination aux termes de la directive.

18 Le Gouvernement italien objecte que la directive contient des exigences matérielles pour la protection des végétaux, mais n'institue aucun mécanisme permettant de contrôler le respect de ces exigences. Il appartiendrait aux États membres de mettre en place les mesures de contrôle qu'ils estiment nécessaires à cet effet.

19 Cette objection ne peut être acceptée.

20 D'une part, l'objectif de la directive est de supprimer les obstacles aux échanges tout en réorganisant la surveillance phytosanitaire dans la Communauté. D'autre part, en vue de réaliser cet objectif est institué un système dans lequel l'État membre d'origine vérifie si les produits présentent les qualités sanitaires requises, les mesures admises dans l'État de destination étant strictement limitées. Il faut donc considérer que la directive vise à l'harmonisation de l'ensemble des mesures de contrôle portant sur les végétaux et qu'il n'appartient plus, dès lors, aux États membres de fixer unilatéralement, sur le plan national, de telles mesures (voir, dans le même sens, arrêt du 14 juin 1988, Dansk Denkavit, 29-87, Rec. p. 2965, point 16).

21 Il convient encore de relever que l'article 11, paragraphe 3, de la directive dispose, d'une part, que les contrôles systématiques ne peuvent être exercés que s'il existe un indice sérieux de non-respect de la directive ou si les végétaux sont originaires d'un pays tiers et, d'autre part, que dans tous les autres cas, les contrôles ne peuvent être exercés qu'occasionnellement, par sondage. Les contrôles sont considérés comme occasionnels s'ils sont effectués sur moins d'un tiers des introductions en provenance d'un État membre donné et s'ils sont répartis aussi harmonieusement que possible dans le temps et sur l'ensemble des produits.

22 Or, outre qu'une autorisation préalable dépasse les besoins d'un tel contrôle, destiné à s'appliquer au moment de l'importation, cette exigence va également à l'encontre de l'article 11, paragraphe 3, dès lors qu'elle s'applique à toute importation de végétaux et n'est pas limitée aux produits émanant de pays tiers ou aux indices sérieux de non-respect de la directive.

23 Il s'ensuit qu'en exigeant une autorisation préalable pour toute importation de végétaux sensibles au feu bactérien (Erwinia amylovora), la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 11 de la directive telle que modifiée par les directives 88-572 et 89-439.

Sur la compatibilité de la réglementation italienne avec la libre circulation des marchandises

24 La Commission soutient que l'exigence d'une autorisation préalable constitue une entrave injustifiée aux échanges communautaires et que cette exigence contrevient à l'article 30 du traité, combiné avec l'article 10, paragraphe 1, deuxième tiret, du règlement n° 234-68, précité.

25 Cet article 10 est ainsi rédigé:

"Sont interdits dans le commerce intérieur de la Communauté:

° ...

° toute restriction quantitative ou mesure d'effet équivalent".

26 Le Gouvernement italien admet que la réglementation litigieuse entrave les échanges, mais considère que l'entrave est justifiée par l'objectif de préservation des végétaux (article 36 du traité) et proportionnelle à l'objectif poursuivi: la mesure en cause n'introduirait pas une obligation nouvelle, mais se limiterait à mettre en place une formalité destinée à vérifier le respect des exigences posées par la directive.

27 A cet égard, il suffit, en renvoyant au point 20 ci-dessus, de rappeler que contrairement à ce que soutient le Gouvernement italien, la directive a mis en place un système cohérent et exhaustif des mesures pouvant être mises en œuvre afin d'assurer la protection des végétaux au sein de la Communauté. Lorsque, par application de l'article 100 du traité, des directives communautaires prévoient l'harmonisation des mesures nécessaires à assurer la protection de la santé des animaux et des personnes et aménagent des procédures de contrôle de leur observation, le recours à l'article 36 cesse d'être justifié, et c'est dans le cadre tracé par la directive d'harmonisation que les contrôles appropriés doivent être effectués et les mesures de protection prises (voir notamment arrêt du 5 octobre 1977, Tedeschi, 5-77, Rec. p. 1555, point 35). La même solution est applicable lorsqu'une directive harmonise les mesures nécessaires à la protection des végétaux.

28 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer qu'en exigeant une autorisation préalable pour toute importation de végétaux sensibles au feu bactérien (Erwinia amylovora), la République italienne a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité, combiné avec l'article 10, paragraphe 1, du règlement n 234-68.

Sur les dépens

29 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La République italienne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête:

1) En exigeant une autorisation préalable pour toute importation de végétaux sensibles au feu bactérien (Erwinia amylovora), la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu

° de l'article 11 de la directive 77-93-CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, concernant les mesures de protection contre l'introduction dans les États membres d'organismes nuisibles aux végétaux ou produits végétaux, telle que modifiée par les directives 88-572-CEE du Conseil, du 14 novembre 1988, et 89-439-CEE du Conseil, du 26 juin 1989,

° et de l'article 30 du traité CEE, combiné avec l'article 10, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 234-68 du Conseil, du 27 février 1968, portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des plantes vivantes et des produits de la floriculture.

2) La République italienne est condamnée aux dépens.