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Décisions

CJCE, 16 juillet 1992, n° C-293/89

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République hellénique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M Due

Présidents de chambre :

MM. Joliet, Schockweiler, Grévisse, Kapteyn

Juges :

MM. Mancini, Kakouris, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias, Díez de Velasco, Zuleeg

Avocat général :

M. Gulmann

Avocat :

Me Ampariotou

CJCE n° C-293/89

16 juillet 1992

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 septembre 1989, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que, en interdisant l'importation de fromages auxquels du nitrate a été ajouté dans les limites admises par les milieux scientifiques internationaux (50 mg par kilogramme de fromage), alors que ces produits ont été légalement fabriqués et commercialisés dans d'autres États membres, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.

2 Dans certains États membres, le nitrate est ajouté à divers types de fromages lors de leur élaboration, de façon à éliminer certaines bactéries qui les font gonfler de manière anormale.

3 La décision n° 1100-1987 du conseil supérieur de la chimie grec, relative au Code des aliments, boissons et objets d'usage commun (Journal officiel de la République hellénique, B, 788, du 31.12.1987), prévoit que nul ne peut utiliser des additifs chimiques de quelque nature que ce soit dans l'élaboration des denrées alimentaires ou mettre en consommation des denrées qui contiendraient de tels additifs sans une autorisation accordée par cet organisme. Or, aucun acte pris en application de cette décision par cet organisme n'a autorisé l'usage du nitrate dans la fabrication des fromages. Il en résulte que ni l'emploi de cette substance lors de l'élaboration de ces produits ni la commercialisation de fromages contenant du nitrate ne sont autorisés en Grèce.

4 En droit communautaire, le nitrate est mentionné sous le point 2 dans la liste des additifs qui est annexée à la directive 64-54-CEE du Conseil, du 5 novembre 1963, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les agents conservateurs pouvant être employés dans les denrées destinées à l'alimentation humaine (JO 1964, 12, p. 161, ci-après "directive"), telle qu'elle a été modifiée par la directive 67-427-CEE du Conseil, du 27 juin 1967, relative à l'emploi de certains agents conservateurs pour le traitement en surface des agrumes ainsi qu'aux mesures de contrôle pour la recherche et le dosage des agents conservateurs dans et sur les agrumes (JO 1967, 148, p. 1).

5 L'inscription du nitrate sur la liste en question signifie que cette substance est l'un des additifs dont l'emploi dans les denrées alimentaires peut être autorisé par les États membres et qu'il appartient à ces derniers de déterminer les conditions dans lesquelles elle peut être utilisée.

6 Pour un plus ample exposé de la réglementation nationale, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

7 Dans le cadre du présent recours, la Commission reproche à la République hellénique d'interdire l'importation de fromages en provenance d'autres États membres au motif qu'ils contiennent du nitrate. Selon elle, en effet, l'importation de denrées alimentaires fabriquées dans un autre État membre et qui contiennent un additif inscrit sur la liste communautaire doit être autorisée dès lors que cet additif ne présente aucun danger pour la santé publique et répond à un besoin réel, notamment d'ordre technologique. Or, il ressortirait des résultats de la recherche internationale que le nitrate est conforme à ces exigences.

8 Pour statuer sur ce recours, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour (voir arrêts du 10 décembre 1985, Motte, point 25, 247-84, Rec. p. 3887; du 6 mai 1986, Muller, point 26, 304-84, Rec. p. 1511, et du 13 décembre 1990, Bellon, points 16 et 17, C-42-90, Rec. p. I-4863), une réglementation soumettant à autorisation l'usage d'un additif est conforme au droit communautaire si deux conditions sont remplies.

9 Tout d'abord, cette réglementation doit être assortie d'une procédure permettant aux opérateurs économiques d'obtenir l'inscription de cet additif sur la liste nationale des additifs autorisés. Cette procédure doit être aisément accessible et pouvoir être menée à terme dans des délais raisonnables et, si elle débouche sur un refus, ce refus doit pouvoir faire l'objet d'un recours juridictionnel.

10 Ensuite, une demande visant à obtenir l'inscription d'un additif sur la liste en question ne peut être rejetée par les autorités administratives compétentes que si cet additif ne répond à aucun besoin réel, notamment d'ordre technologique, ou s'il présente un danger pour la santé publique.

11 Pour ce qui est du besoin technologique, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir arrêt du 12 mars 1987, dit "loi de pureté de la bière", Commission/Allemagne, point 52, 178-84, Rec. p. 1227), le besoin d'utiliser un additif doit être évalué en tenant compte des résultats de la recherche scientifique internationale et de l'appréciation qui en a été faite par les autorités des autres États membres.

12 Il convient de préciser encore qu'il ne suffit pas, en vue de démontrer qu'un additif ne répond pas à un besoin réel, d'invoquer le fait qu'un produit pourrait être fabriqué à l'aide d'une autre substance. Pareille interprétation de la notion de besoin technologique pourrait en effet aboutir à privilégier les méthodes de production nationales, ce qui constituerait un moyen déguisé de restreindre le commerce entre les États membres (voir arrêts "loi de pureté de la bière", précité, point 51, et du 4 juin 1992, Debus, point 28, C-13-91 et C-113-91, Rec. p. I-0000).

13 En ce qui concerne la sauvegarde de la santé publique, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir notamment les arrêts Muller, point 26, et Bellon, point 17, précités), l'existence d'un risque pour la santé découlant de l'usage d'un additif doit être appréciée en tenant compte notamment des résultats de la recherche scientifique internationale, en particulier des travaux du comité scientifique de l'alimentation humaine, et des habitudes alimentaires de l'État membre concerné.

14 Des arrêts précités, il résulte que, dans un cas comme celui de l'espèce, un État membre ne peut être considéré comme ayant manqué aux obligations qui lui incombent, dans le domaine des additifs, en vertu des articles 30 et 36 du traité que s'il n'a pas mis en place une procédure conforme aux exigences rappelées au point 9 ci-avant ou si ses autorités ont rejeté de façon injustifiée une demande visant à obtenir l'inscription d'une substance sur la liste des additifs autorisés.

15 En l'espèce, il y a lieu de relever que la décision hellénique, précitée, a institué, en matière d'additifs, un système d'interdiction sous réserve d'autorisation, qui s'applique également aux additifs ajoutés à des denrées alimentaires provenant d'États membres où elles sont fabriquées et commercialisées de façon licite.

16 La Commission n'a fait valoir ni que la procédure instaurée par cette décision était contraire au droit communautaire ni que, préalablement à l'introduction du présent recours, les autorités helléniques avaient rejeté une demande d'un ou plusieurs opérateurs économiques visant à obtenir l'inscription du nitrate sur la liste des additifs autorisés.

17 Dans ces conditions, le recours de la Commission doit être rejeté.

Sur les dépens

18 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR

Déclare et arrête:

1) Le recours de la Commission est rejeté.

2) La Commission est condamnée aux dépens.